Un carnaval PERMANENT

Quatre entraîneurs, un vestiaire divisé, un patron italien toujours absent. Tous les ingrédients étaient réunis pour que ça foire.

« C’était un peu le carnaval « , résume Danijel Milicevic, le médian de Gand, débarqué tout à l’est de la Belgique en 2009. Quoi de plus normal, finalement dans ces cantons germanophones qui ont érigé le carnaval en art de vivre. Sauf que celui dont Milicevic parle n’a rien de festif.  » Lors du Tour Final de 2011, j’ai vu des joueurs qui n’étaient pas du tout concernés « , ajoute Danny Ost, double entraîneur d’Eupen cette saison-là.  » Il y avait des jalousies dans tous les coins du vestiaire. Certains n’étaient plus payés ; d’autres négociaient leur avenir ailleurs. Ça partait dans tous les sens.  »

La seule saison d’Eupen en 2010-2011, commencée aux allures d’une fête foraine, a donc bien vite tourné en catastrophe. Entre un stade construit à la va-vite, un entraîneur italien fantoche resté 19 jours, une victoire homérique face au Standard et un troisième entraîneur suspecté d’avoir pactisé, à tort, avec l’ennemi et viré en pleine opération sauvetage, retour sur une saison qui aurait bien pu couler définitivement ce petit club.

Le bout du monde

Avant cette saison, le monde du foot ne connaissait pas grand-chose d’Eupen. On savait juste que l’AS pâtissait souvent des conditions hivernales, propres à cette région située aux confins de la Belgique, et que l’accumulation des remises obligeait souvent les Pandas à galoper au printemps pour résorber leur calendrier. Alors quand, en 2010, Eupen accroche le Tour Final de D2 et le survole, accédant pour la première fois de son histoire à la D1, on se dit que ce n’est que justice pour ce petit coin, privé trop longtemps de foot de haut niveau.

 » Je me souviens encore du premier match du Tour Final : on allait à Mons. On se prend une raclée 3-2  » rappelle Ost.  » Et après on enchaînait avec Roulers, qui n’avait plus joué depuis six semaines, la première mouture des play-offs le voulant ainsi. On a gagné 3-0 et puis plus rien ne nous a arrêté ! « .

Pour Ost, il s’agit d’une consécration, lui qui avait déjà failli aboutir comme T1 en D1, à Charleroi. D’une énorme surprise aussi.  » J’étais arrivé en novembre 2008. Mon agent m’avait proposé ce club. Je lui avais dit – tu es fou. Qu’est-ce que je vais aller faire là-bas ? C’est le bout du monde.  » Le challenge est d’autant plus improbable que le club ne compte alors que 5 points en 14 matches.

 » On n’avait aucune chance de se maintenir en D2 d’autant plus que cette année-là, il y avait trois descendants et un barragiste. J’ai quand même visité la ville et je suis tombé sous le charme. Et l’équipe ne manquait pas de qualités.  » Avec l’arrivée de l’ancien agent italien, Antonio Imborgia, le club germanophone avait pu bénéficier de joueurs issus des séries inférieures italiennes, comme Milicevic, Matthias Lepiller, Alessandro Iandoli ou Mijat Maric. Ce n’était qu’une question de temps.

 » Avant l’arrivée d’Imborgia, on ne connaissait pas le foot professionnel « , explique Thomas Evers, journaliste au Grenz Echo.  » Il n’y avait que des Liégeois dans l’équipe. Le bus partait d’ailleurs de Liège pour les déplacements. Imborgia a obligé les joueurs à habiter à Eupen. On les croisait au Delhaize, au resto.  »

Ost démis après 5 matches

Pendant un an et demi, Eupen vit sur un nuage, se sauve en D2 puis enchaîne avec la montée.  » Cela demeure une des meilleures histoires de ma carrière « , continue Ost.  » Les gens d’Eupen m’ont accueilli comme un des leurs et encore aujourd’hui les gens associent le nom d’Eupen avec celui d’Ost. Il n’est d’ailleurs pas rare que les supporters d’Eupen débarquent dans mon restaurant à Beersel.  »

C’est toute une région qui se mobilise derrière son club.  » D’habitude, les Germanophones filent au Standard ou en Bundesliga regarder des matches « , explique Evers.  » Durant la saison, Eupen avait tourné autour de 1.000 spectateurs de moyenne. Au Tour Final 2010, ils étaient 4.000. Du jamais vu à Eupen.  »

Pourtant, une fois la fête de la montée terminée, les premiers nuages commencent à s’amonceler sur l’AS qui doit construire quasiment un nouveau stade en trois mois.  » Si le 15 octobre, le stade n’était pas conforme, on pouvait être exclu « , se souvient Manfred Theissen qui avait pris un congé à la police pour occuper la direction générale du club.

 » Les gens se demandaient si c’était raisonnable d’investir autant d’argent alors que l’on ne pouvait rester qu’une saison en D1. Je pense que oui. Si Eupen remonte, il aura déjà une épine hors du pied.  »

Eupen commence donc la saison hors de ses bases. Ses matches à domicile, il les joue à Saint-Trond !  » J’habitais à 75 mètres du stade d’Eupen « , raconte Ost.  » Un matin, j’ai vu arriver la pelouse de Hollande. J’ai en quelque sorte assisté à la construction de ce stade.  »

Après cinq matches, l’euphorie de la montée paraît pourtant bien loin. Eupen a perdu ses cinq matches. Certes, avec courage, notamment à Anderlecht, où les Germanophones marquent le premier but, mais perdu quand même.  » Et quand ça ne tourne pas, le premier qui saute, c’est l’entraîneur « , dit Theissen.

Malgré la montée, Ost est congédié :  » On m’avait dit de ne pas aller en D1, surtout si je n’avais pas de bons transferts, mais que voulez-vous, c’était mon rêve. Surtout que comme joueur, je n’avais pas eu le droit d’y goûter.  »

Capuano et son catenaccio

Imborgia, le vrai décideur d’Eupen, très présent en D2, est de plus en plus absent. C’est pourtant lui qui impose Eziolino Capuano, un inconnu, comme successeur de Danny Ost.  » Ça ne vaut même pas la peine d’en parler « , réagit Theissen aujourd’hui. Capuano ne reste que 19 jours et finit par jeter l’éponge.  » C’était un vrai clown « , se souvient Evers.  » Il arrivait chaque matin à l’entraînement avec des lunettes de soleil, alors qu’on était en plein mois de septembre. Et tous les jours, il changeait de lunettes.  »

Pourtant, Capuano prend le premier point de l’histoire d’Eupen en D1.  » Oui mais en jouant un catenaccio des années 60 « , dit Evers. L’entraîneur italien impose des très longues séances d’entraînement. Il ne parle qu’italien à l’entraînement, ce qui pose beaucoup de problèmes à une partie du groupe.

 » C’est clair qu’il avait un style particulier « , dit poliment Milicevic.  » On s’est tous demandé ce qu’il venait faire ici. Pendant 2 h 30, on avait des entraînements tactiques. Et il nous obligeait à jouer de manière défensive. On n’aurait jamais pu gagner un match de la sorte.  »

En coulisses, il se chuchote que Capuano n’est qu’un homme de paille pour Imborgia qui compose lui-même l’équipe. Après 19 jours, Capuano affirme qu’il refuse d’être une marionnette et retourne en Italie. Eupen est de retour à la case départ. Mais du chaos peut parfois naître des splendeurs. Imborgia prend la meilleure décision de cette saison-là en optant pour Albert Cartier, le coach français qui avait déjà officié à La Louvière, au Brussels et à Tubize.

 » J’avais un rendez-vous le vendredi matin « , explique Cartier,  » A 11 h, les dirigeants se sont absentés et à midi, ils m’ont dit qu’ils allaient annoncer au groupe le limogeage de l’entraîneur précédent. Ils ont ajouté – tu restes, tu fais l’entraînement à 15 h et le match contre Lokeren. A 15 h, j’ai débarqué à l’entraînement. Je ne connaissais qu’Olivier Werner et un peu Marc Hendrikx. Les autres, je ne connaissais même pas leurs prénoms.  »

Et voilà que commence l’opération commando menée par Cartier. Pour le premier match dans le nouveau stade, Eupen gagne 6-0 contre Saint-Trond. S’ensuit alors une victoire de prestige contre le Standard 1-3, devant 1.000 Eupenois qui avaient effectué le déplacement. Cartier fait tout pour se fondre dans le moule. Il participe même au carnaval avec ses joueurs.

Le sauvetage raté d’un point

 » Alors qu’il y avait beaucoup de gros caractères dans le vestiaire, il a réussi à le discipliner « , explique Milicevic.  » Avec lui, on était persuadé qu’on pouvait encore écrire l’histoire du club en se sauvant. A chaque fois que l’on recevait un gros morceau, il y avait une ambiance de liesse populaire. A Noël, le groupe croyait vraiment au sauvetage.  »

Pourtant, malgré un nul à Anderlecht, Eupen rate le sauvetage pour un point. Direction les play-offs 3 contre Charleroi. Après une victoire d’entrée de jeu, Eupen subit la défaite à Charleroi. Cartier déclare alors que  » c’est bon pour le suspens en PO3 « . Certains ne comprennent pas que c’est de l’humour, peut-être un peu déplacé, mais de l’humour quand même. Deux jours plus tard, la rumeur d’une visite de Cartier à Abbas Bayat prend de l’ampleur et Cartier est licencié sur-le-champ.

 » On luttait face à cette équipe et on ne pouvait pas se permettre d’avoir un quelconque doute « , explique Theissen.  » Il a toujours nié et j’ai eu du mal à lui faire comprendre notre décision. Avec le recul, cette rumeur était sans doute fausse et la pression médiatique nous a mal influencé.  » Pour Cartier, il n’y a jamais eu de doute : il a été écarté car en cas de maintien, le club aurait dû lui payer une prime de sauvetage.

 » Ça m’emmerde de revenir sur cette histoire car ça fait déjà quatre ans mais c’est clair qu’il a fallu inventer une situation abracadabrante pour expliquer les raisons de mon limogeage « , clame Cartier.  » Sur le coup, j’enrageais car on m’enlevait la possibilité de sauver le club. Et je suis certain qu’on allait y arriver. Mais est-ce que j’ai été étonné par cette décision ? Plus rien ne m’étonne dans le monde du foot.  »

Et voilà comment Ost fait son retour, quelques mois après avoir été limogé.  » Un lundi soir, je reçois un coup de téléphone – Danny, serais-tu prêt à reprendre le groupe « , se souvient Ost.  » J’ai accepté car je connaissais la plupart des joueurs. Après le premier entraînement, j’avais compris que la situation n’était plus la même que celle que j’avais connue. Il y avait une haine dans le vestiaire et des clans partout.  »

Un tour final cauchemardesque

Ost prend les play-offs 3 en marche.  » J’ai débuté lors du 3e match des PO3. Après 20 minutes, le score affichait 0-2. Et là, tu te dis – qu’est-ce que je fais ici. Finalement on l’emporte 4-2. Pour le dernier match, on se déplace à Charleroi ; on mène 0-2 et alors qu’il ne reste que 12 minutes à jouer, le match est arrêté. Ça hurlait dans le vestiaire ; j’avais du mal à calmer les joueurs. On remonte sur le terrain et bing on encaisse. Tout le monde était timoré. Charleroi revient à 2-2 et tire sur le poteau.  » Score suffisant pour Eupen.

Après la victoire en PO3, reste encore le Tour Final avec les équipes de D2. Les 15 jours d’arrêt entre les deux compétitions vont s’avérer fatales. Ça grenouille dans tous les sens. Certains joueurs protégés par Imborgia n’en font qu’à leur tête. Et les absences fréquentes du patron italien n’arrangent pas les choses.  » On pouvait dire en voyant l’entraînement si Imborgia était en Belgique ou pas « , reconnaît Evers.

Abderrazak Jadid brosse parfois l’entraînement pendant trois jours avant de faire sa réapparition en fin de semaine. Lorsqu’on lui demande de jouer défense centrale, il refuse. Une partie du vestiaire le prend en grippe et Ervin Zukanovic en vient même aux mains avec lui avant de poser un ultimatum à Ost.  » Je ne veux plus jouer avec Jadid « , dit-il.

D’autres joueurs pensent davantage à leur avenir qu’à Eupen. Iandoli refuse de prolonger. Imborgia décide alors de lui retirer sa voiture du club et son appartement. Pas étonnant dans ces conditions-là que le Tour Final vire au cauchemar : six matches, six défaites.  » C’était la bérézina. Il n’y avait plus de fil conducteur « , reconnaît Ost.

Eupen retourne donc en D2 au bout d’un an en D1. Imborgia est mis à la porte, le club frôlant même le dépôt de bilan.  » Je crois qu’on a laissé l’image d’un club sympathique mais aussi un peu folklorique « , conclut Theissen. C’est le cas de le dire.

par Stéphane Vande Velde – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » On a laissé l’image d’un club sympathique mais aussi un peu folklorique.  » Manfred Theissen

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