Un autre rouge

Le Palatinat ne jure plus que par lui. Tant pis pour le Standard.

Kaiserslautern vit pour le football. Avec 100.000 âmes à peine, elle est, après Cottbus, la plus petite ville allemande à abriter un club de Bundesliga mais elle a un atout: sa situation, unique. A Brême, Hambourg, Berlin ou Munich, il se passe des tas de choses en dehors du football. A Kaiserslautern, on goûte aux plaisirs de la nature, avec des chemins de randonnée, et du FCK. En plus, dans un rayon de 150 kilomètres, on ne trouve aucun autre club de l’élite avec lequel il faudrait partager le potentiel de supporters. Le seul derby, si l’on peut dire, oppose le club à Stuttgart, situé dans une autre région.

‘Lautern a un passé riche, qui trouve ses origines dans les années ’50. Durant cette décennie, emmenée par le légendaire médian Fritz Walter, l’équipe a été sacrée championne d’Allemagne à deux reprises, en produisant un football offensif marqué d’un enthousiasme tel que la formation a été baptisée Rote Teufel (Diables Rouges). Cette équipe a fourni cinq footballeurs à l’Allemagne, victorieuse du championnat du monde 1954. Depuis, les habitants de la région fréquentent assidûment le Betzenberg. En 40 ans de Bundesliga, le 1. FCK n’a disparu de l’élite qu’à une seule reprise: vainqueur de la Coupe d’Allemagne en 1996 et donc qualifié pour la Coupe d’Europe, il a été relégué en deuxième Bundesliga. Toutefois, un an plus tard, il était de retour au plus haut niveau pour remporter, sur son élan,son quatrième titre national, avec une équipe quasiment inchangée. L’assistance ne varie guère, que l’équipe tourne ou non. Dans ce dernier cas, seule l’humeur des supporters change.

Eric Gerets, le premier entraîneur belge de l’histoire de la Bundesliga, est extrêmement populaire. Il y a deux semaines, on lui a volé sa nouvelle auto. Un scandale: tout le Palatinat s’est mobilisé pour retrouver son véhicule. Les 65 clubs de supporters se sont unis dans cette recherche, en vain. Leur conclusion: ce devaient être des étrangers,sinon, on aurait retrouvé la voiture!

Les journalistes allemands écoutent inlassablement ses commentaires. Il semble qu’il ait séduit Kaiserslautern! Un coup de foudre, alors qu’il est arrivé à un moment où l’équipe accumulait les défaites. Gerets: « J’avais perdu quatre ou cinq fois d’affilée mais quand je me baladais en rue, les gens m’encourageaient: -N’abandonnez pas, vous ne pouvez pas partir! Normalement, quand vous perdez quatre fois, on ne vous jette plus un regard. Je me sens bien ici, depuis le premier jour ».

Michael Novak, le responsable de la presse depuis des années: « Eric est très conséquent avec les joueurs. Il est fidèle à sa ligne de conduite. Il consacre du temps à chacun et il comprend l’importance des supporters. Il ne snobe personne. Il exige beaucoup de ses collaborateurs mais donne beaucoup de lui-même également ».

Peter Lenk, du quotidien Die Rheinpfalz. « Alors qu’il était l’entraîneur le plus médiocre de l’histoire du club, il a été adulé. Il n’a gagné qu’un match, de ses neuf premiers, mais après chaque rencontre à domicile, il était ovationné. Evidemment, les gens savaient qu’il n’était pas responsable du malaise: à son arrivée, Kaiserslautern était 17e ».

Uli Gerke, du Kicker: « Quand on lui téléphone ou qu’on l’interroge, il prend le temps de répondre. Il ne s’exprime pas par clichés comme tant de ses collègues. Il raconte toujours des choses intéressantes. Surtout, il n’est pas arrogant. Il est humain. C’est nécessaire ici. Ses prédécesseurs ont éprouvé des problèmes de ce point de vue: comme Brehme, avec son arrogance italienne, qui n’était en rien fondée mais qu’il a attrapée à l’Inter, ou même Otto Rehhagel, qui a été champion mais toisait les supporters, alors que le club survit depuis des décennies grâce à eux. Les supporters se reconnaissent en Gerets. Il assiste aux matches en survêtement, il est émotionnel. Il n’est pas différent de son public. Celui-ci trouve ça formidable et lui voue une confiance aveugle. Ici, n’importe quel autre entraîneur qui aurait obtenu d’aussi piètres résultats au début aurait été renvoyé sans pitié. Le club n’a pas voulu le limoger, comme si, instinctivement, il avait senti: Si lui ne peut nous sauver, personne ne le pourra« .

Sur le terrain, Gerets est parti de zéro. Habitué à se battre pour un trophée, il a appris à se satisfaire de moins au Palatinat: « Je savais que je m’embarquais dans un navire en perdition. Je n’en crois pas mes yeux, tant la différence est criante, maintenant. Avant, il n’y avait ni système, ni jeu de position. Rien. J’ai commencéavec autant de blessés que de joueurs en forme. Six des 12 blessés étaient des titulaires. Je devais patienter ».

Succès en 4-4-2

Eric Gerets aligne une équipe à sa façon, très différente de l’occupation classique en Allemagne. Il évolue en 4-4-2. Il a modifié toute sa défense. A ses débuts, faute d’un véritable arrière gauche, il s’en est tenu au trio défensif allemand. L’arrivée du Camerounais Bill Tchato à gauche lui permet de pratiquer le jeu qu’il apprécie. Dans l’axe défensif, à côté de l’Egyptien Hany Ramzy, très expérimenté, on retrouve Nzelo Lembi. L’ancien Brugeois revit. Il est le transfert le plus coûteux du club cette saison (2,5 millions d’euros) mais depuis quelques semaines, on apprécie ses qualités.

Le coach sait pourquoi le défenseur a mal entamé sa saison: « Il a eu des problèmes d’intégration, a provoqué un penalty puis a pris quelques cartes; on l’a changé de position et il a commencé à douter de lui. Ensuite, il s’est blessé. Lembi doit progresser. Pas dans l’entrejeu, mais dans l’axe de la défense ».

Mario Basler est son médian droit. Agé de 34 ans, l’enfant terrible du football allemand est en fin de contrat. Il est plutôt usé. Il fume et abuse de l’alcool, affirment les journalistes. Gerets a longtemps compté sur Basler mais n’a pas hésité à l’écarter quand celui-ci n’a plus presté. L’autre leader de l’équipe, le Suisse Ciriaco Sforza, a subi le même sort. Un rien plus jeune, il a compris le message et est redevenu un élément clef, au milieu de l’entrejeu. Basler n’est théoriquement plus titulaire mais, comme les supporters,il ne ménage pas ses compliments à Gerets, dont il affirme qu’il est un des quatre meilleurs entraîneurs avec lesquels il ait travaillé. Gerets nie lui avoir proposé de devenir adjoint: « Mais j’espère de tout coeur qu’il restera avec nous dans une autre fonction. Tout ce que je demande, c’est d’en discuter avec lui au préalable ».

Pendant 90 minutes, l’entraîneur lit et vit le déroulement du match. Il crie, court le long de la ligne pour accompagner les attaques de son équipe, le quatrième arbitre doit parfois contenir son élan quand il conteste une décision de l’arbitre. Les supporters et les journalistes trouvent ça génial!

Au coup de sifflet final, les poings serrés, Gerets fonce vers les caméras TV, qui l’attendent. Avant, il n’a pas manqué d’enlacer son adjoint. Il s’agit de l’ancien entraîneur, Reinhard Stumpf, qui a travaillé deux ans avec Brehme et a été limogé avant le départ de celui-ci.

C’est Gerets qui a insisté pour le récupérer: « Un homme qui va visionner l’adversaire pendant ses loisirs, de manière bénévole, aime son club. Il faut apprécier ce dévouement à sa juste valeur. C’est pour ça que j’ai demandé son retour. Comme moi, c’est un fou de foot. Si l’entraînement est achevé à midi, nous sommes toujours là, quatre heures plus tard, à discuter ».

Il y a dix jours, Gerets était détendu: son équipe était dans la première partie du tableau. Dix matches de suite sans défaite. Il est passé de la 17e à la neuvième place. 25 points depuis le début du second tour, c’est une moyenne de champion. Et bientôt, le club va aussi disputer la finaled’Allemagne contre le Bayern!

Et la faillite?

Toute la misère de l’été dernier est oubliée. Financièrement, le club était aux abois. Il restait le seul club de Bundesliga propriétaire de son stade. En prévision du Mondial 2006, il avait même l’intention d’y effectuer des aménagements mais la caisse était vide.

Le club était au bord de la faillite à l’arrivée du manager de crise suisse, René Jäggi, en septembre, avec l’entraîneur qu’il avait choisi, Eric Gerets. Kaiserslautern était avant-dernier. Le duo Brehme-Strumpf venait d’être limogé, le club n’avait plus de structures.

C’était là un formidable défi pour Jäggi. Il avait déjà redressé un prestigieux hôtel munichois, promis à la faillite, et mené le club de Bâle en Ligue des Champions. Une fois le malaise passé, Jäggi préfère partir, à la recherche d’autres défis. Car sa devise, c’est: le calme vous rouille. Quand ça va trop bien, on mange sept fois par jour, on grossit et on devient paresseux. Il aurait aimé emmener son entraîneur de Bâle, Christian Gross, mais c’eût été un peu fort. Il a alors décroché son téléphone pour former le numéro de quelqu’un qui lui avait tapé dans l’oeil longtemps auparavant. Au début des années ’80, jeune responsable commercial d’Adidas, il avait fait des affaires avec l’équipe nationale belge. La personnalité et le tempérament d’Eric Gerets l’avaient impressionné. Jamais il n’avait oublié ce nom.

Gerets admet ne pas s’être souvenu de Jäggi quand celui-ci l’a joint, mais une conversation l’a convaincu. « Je ne peux pas expliquer ça. Le courant est passé. Je voulais prendre une année sabbatique et observer les grands clubs européens. Au terme de cette unique conversation en Suisse, j’ai dit à ma femme: -Oublie cette année de liberté. Cet homme m’a impressionné comme peu de gens avant lui. Il ne se passe pas de jour sans que nous soyons en contact, fût-ce l’espace d’une minute. Il m’a juré ceci: -Nous commençons ensemble. Soit nous nous cassons la figure, soit nous réussissons ensemble. J’ai apprécié à sa juste valeur le soutien qu’il m’offrait ».

Gerets a mesuré la fidélité du Suisse après la défaite contre le Bayern (0-2), le 23 novembre 2002. Le conseil d’administration avait décidé de le limoger s’il perdait une nouvelle fois, pour le remplacer par un monument, Karl-Heinz Feldkamp. Jäggi a clairement signifié qu’il en tirerait ses conclusions personnelles et démissionnerait. Le conseil d’administration a promptement ravalé sa décision.

Le revirement n’a pas tardé à se produire et l’équipe ne cesse de se bonifier. Bientôt, Gerets va peut-être même emporter un trophée. Bien sûr, il reste à ‘Lautern la saison prochaine, un exercice que le club entamera avec trois points de pénalité et une amende de 150.000 euros pour des erreurs comptables. Les supporters ont déjà payé la moitié de la somme…

Geert Foutré, envoyé spécial à Kaiserslautern

Pendant 90 minutes, Gerets crie et court le long de la ligne pour accompagner les attaques de son équipe

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