Retrouver sa plénitude physique, enfin séduire la Bundesliga et rejoindre les Diables : plein de défis pour l’ex de Sclessin.

Mönchengladbach. Borussia Park, quatre jours après un match fou à domicile contre le Bayern Munich (3-3) et trois jours avant un court déplacement à Cologne pour un derby qui sent souvent le soufre. Fin d’entraînement dans l’antre de la lanterne rouge, nous cherchons les Belges et assimilés. Pas de Dante Bonfim : il est aux soins, à cause d’une blessure au pied, mais reprendra bientôt avec le groupe…

Filip Daems discute avec des journalistes et des supporters avant de quitter le crachin pour la chaleur du vestiaire. Logan Bailly s’est fait canarder pendant une heure et demie, il a perdu sa place de titulaire suite à un début de championnat cauchemardesque mais pas sa bonne humeur :  » Tu es venu te perdre ici ? « . Et il y a Igor de Camargo (27 ans), un des piliers des deux titres du Standard, transféré durant l’été pour près de 4 millions d’euros. Toujours en pleine phase de découverte de son nouvel environnement, il s’attable et fait le point. Sur lui-même, sa longue expérience belge (10 ans), sa vie en Bundesliga, les Diables Rouges,…

Tu connais au moins un peu l’histoire de ton nouveau club ? Un petit quiz vite fait ?

Igor de Camargo : Vas-y.

Combien de titres de champion pour le Borussia ?

Euh… Trois ?

Cinq. Combien de Coupes de l’UEFA ?

Une ?

Deux. Un des deux vice-présidents du club a fait une grande carrière : tu connais son nom ?

Bien sûr : Rainer Bonhof.

A part à Mönchengladbach, tu peux me citer un grand club où il a joué ?

Au Real Madrid.

Non. Mais à Valence, à Cologne et au Hertha Berlin. Tu sais quand le Borussia est remonté en Bundesliga pour la dernière fois ?

Oui, en 2008.

OK. Pour terminer : est-ce que Lothar Matthäus a joué ici ?

Oui.

Paul Breitner ?

Euh… Non… Qui ? Jamais entendu parler, en fait.

Et Berti Vogts ?

Ce n’est pas de mon époque non plus… Je dirais non.

 » Je m’imaginais plus dans un championnat latin « 

Et pourtant, oui ! On passe au présent : la Bundesliga, c’est le championnat qui te faisait rêver ?

Honnêtement, non. Je voulais aller plus haut que le championnat de Belgique et je suis aujourd’hui dans une des meilleures compétitions du monde, mais de là à dire que je flashais sur l’Allemagne, non.

Tu te voyais plutôt dans quel pays ?

Je m’imaginais dans un championnat latin, style Espagne ou Italie. Mais je suis très content, évidemment. La Bundesliga vaut la Liga, la Serie A ou la Premier League à beaucoup de points de vue. Au niveau des stades, par exemple, c’est même bien mieux que l’Espagne. Barcelone, le Real Madrid, Valence et quelques autres jouent dans des bâtiments magnifiques, mais je suis allé disputer un match à Saragosse, et ce soir-là, j’ai vu que ce n’était pas top partout en Liga.

Tu sais quel championnat européen attire le plus de spectateurs ?

L’Allemagne, je suppose.

Tout à fait. Et quel championnat fait le plus de bénéfices ?

La Bundesliga, probablement.

Exactement.

Voilà, cela veut dire que je suis dans la meilleure compétition du monde. (Il rigole).

Tu as directement mordu quand Mönchengladbach s’est intéressé à toi ?

Mon agent m’a dit en fin de saison que le Borussia voulait me transférer et négociait déjà avec le Standard. Pour moi, c’était la récompense pour tout ce que j’avais fait à Liège et j’ai été flatté. Il y avait aussi de l’intérêt en Angleterre, à Fulham notamment. Et des clubs grecs se renseignaient parce qu’ils m’avaient vu en Ligue des Champions et en Coupe de l’UEFA avec le Standard. Quand tu dois changer d’air pour aller plus haut, la Coupe d’Europe t’aide évidemment beaucoup plus que les matches du championnat de Belgique.

Tu avais vraiment un deal avec Lucien D’Onofrio : il te laissait partir s’il y avait une offre valable ? Pour services rendus au Standard ?

Un deal ? Pas vraiment, non. Rien n’était convenu avec précision. Mais c’est clair que la direction du Standard n’allait pas chasser un club qui lui proposait une belle enveloppe.

Au risque de se laisser encore un peu plus décapiter…

On peut voir les choses comme ça, oui. Le Standard a dû reprendre presque tout à zéro puisqu’une bonne partie de l’équipe des deux titres a quitté le club. Qu’on n’oublie pas non plus nos deux victoires en Supercoupe. Après Marouane Fellaini, Oguchi Onyewu, Dante Bonfim, c’est Milan Jovanovic qui est parti. Et moi. Puis Dieumerci Mbokani. Evidemment, c’est énorme comme saignée. Et c’est très difficile de recomposer du jour au lendemain une équipe qui tienne la route en haut du classement. Mais le Standard sait quand même rester un point fort sur la carte du football belge. Mémé Tchité et d’autres transferts de cet été peuvent ramener l’équipe vers les sommets, j’en suis sûr et certain.

 » Trop de pression sur les étoiles du Standard « 

Ce n’est plus ton problème… Tu as signé pour quatre ans ici, et si tu gères bien, tu ne devras plus jamais travailler !

Quatre ans plus une saison en option. Après ça, on verra.

Tu as dû multiplier ton salaire par dix !

Dix ? Nooooon… Mais je gagne un peu plus qu’au Standard…

Pour toute l’équipe championne, il était temps de découvrir autre chose ?

Pour certains, oui. Pour d’autres, non, pas encore. Moi, j’ai 27 ans et j’ai quand même montré beaucoup de bonnes choses dans des contextes différents : en championnat, en Europa League et même en Ligue des Champions. Mais tout le monde n’était pas encore prêt pour aller très haut. Quand on a deux ou trois bons matches dans les jambes, c’est facile de dire qu’on voudrait aller à Barcelone ou au Real. Mais aller vraiment à Madrid et prendre la place de Cristiano Ronaldo, c’est un rien plus compliqué…

Certains ne sont pas mûrs ?

Peut-être.

Pourquoi Axel Witsel et Steven Defour ne se retrouvent pas dans un grand championnat ?

Pour Defour, c’est compliqué de faire un gros transfert quand on sort de plusieurs blessures. Il est revenu à un très bon niveau mais ça n’a pas été simple. Witsel, lui, a sans doute payé son petit épisode avec Marcin Wasilewski. Un truc qui a été mal vu en Belgique, mais aussi à l’extérieur.

Sans la blessure et l’affaire Wasilewski, tu crois qu’ils auraient déjà quitté le Standard ?

(Il réfléchit). Peut-être. Ou peut-être pas. Il faut aussi voir si le club a tout fait pour les conserver parce qu’il y avait déjà eu des départs de joueurs importants. Et comme ce sont eux qui font vraiment tourner l’équipe, ils sont considérés comme des pions prioritaires à conserver. Mais leur heure viendra.

Quand on parle continuellement de Manchester United ou du Real pour les stars du Standard actuel, tu ne trouves pas qu’on leur rend un mauvais service ?

Les médias leur mettent beaucoup de pression en citant des clubs pareils. A eux de faire le tri dans toutes ces rumeurs. Et à eux de faire les bons choix dans le futur. C’est très bien d’être lié à des équipes comme Manchester ou le Real, ça veut dire qu’il y a de toute façon des grands clubs qui s’intéressent à toi. Mais le mieux est toujours de passer par un palier intermédiaire, de s’arrêter quelque part entre une équipe comme le Standard et le top européen.

Mehdi Carcela au Real, ça te paraît crédible ?

Ecoute… C’est toujours bien de faire les gros titres de la presse.

En quittant le Standard, tu as dit que tu n’avais pas eu le Soulier d’Or mais que c’était encore beaucoup mieux d’aller en Bundesliga, un championnat trois fois plus beau où les stades sont toujours pleins…

Tu peux être récompensé par un Soulier d’Or et ne rien recevoir derrière. C’est important aussi de savoir qu’on n’obtient rien tout seul. Jovanovic a eu le Soulier d’Or et un transfert à Liverpool : aussi parce qu’il était entouré de joueurs formidables. Comme Mbokani qui a été pendant un bon moment le meilleur joueur du championnat de Belgique. Et moi, je sais que je dois mon passage en Allemagne, notamment, à la qualité des gars qui m’entouraient dans l’équipe du Standard. Tout le monde doit être suffisamment intelligent pour prendre conscience de cela.

C’était impossible pour le Standard de faire la passe de trois ?

Si tout le groupe était resté, c’était plus que possible. Mais dès que tu enlèves la base d’une maison, elle ne peut que s’écrouler. Il n’y avait plus de stabilité dans notre équipe.

Tu crois que tous les joueurs avaient encore faim, la saison dernière ?

Je ne peux pas parler pour les autres, mais moi, oui, je n’en avais pas encore assez.

 » Comme si on nous avait coupé les lumières « 

Tes débuts ici ont été très délicats : tes deux chevilles ont trinqué !

Au tout premier entraînement, je m’abîme la gauche dans un contact avec Dante. Un petit morceau d’os s’est cassé, il a fallu faire une petite opération. Mais rien de grave. Tout s’est vraiment compliqué quand j’ai repris : lors d’un bête exercice, quand j’ai voulu me retourner, mon pied est resté dans le sol et je me suis amoché la cheville droite. Elle est encore fragile maintenant.

Tu avais déjà raté tes débuts avec le Standard…

(Il rigole). Tout à fait. Je m’étais fracturé la malléole après quelques matches, en voulant reprendre un centre de Milan Rapaic. Mais j’avais fini par être champion avec le Standard : c’est peut-être bon signe ! A Genk aussi, j’avais eu des débuts compliqués : après quelques jours, j’avais eu une sale blessure musculaire.

Résultat, tu as dû courir après les événements avec le Borussia.

Tout à fait. Il faut du temps pour revenir à niveau. Je ne suis pas encore vraiment capable de faire un match complet parce que ma cheville est toujours sensible, et surtout parce que j’ai raté toute la préparation.

Et tu as suivi le chemin de croix de ton équipe depuis la tribune.

Mentalement, c’était très difficile. J’avais envie de montrer que je pouvais servir à quelque chose mais c’était impossible. Et je voyais le même film chaque semaine : des défaites. Sévères, souvent.

Mönchengladbach prend un point contre Nuremberg dans son premier match de championnat, va ensuite faire une démonstration à Leverkusen puis s’écroule complètement en prenant raclée sur raclée : comment est-ce possible ?

Ce 3-6 à Leverkusen était historique mais sans doute, aussi, un cadeau empoisonné. Après cela, nous avons presque tout perdu, et souvent sur des scores très lourds : 0-4 contre Francfort, 7-0 à Stuttgart, 1-4 contre Brême, 3-0 à Kaiserslautern, etc. Comme si on nous avait coupé les lumières ! L’équipe ne trouvait plus le chemin du but mais les adversaires faisaient la fête dans notre moitié de terrain. Si nous étions allés gagner 0-1 ou 1-2 à Leverkusen, tout le monde serait sans doute resté les pieds sur terre. Mais 3-6… Il y en a qui ont cru qu’ils étaient arrivés.

Les joueurs ?

Un peu tout le monde, je pense. Les joueurs, le public, le club dans son ensemble. Parce qu’en plus de gagner sur ce score incroyable, la qualité du jeu avait été exceptionnelle. C’était un résultat logique, vu le match.

 » Les petits ponts, les grigris, les machins : à l’entraînement mais jamais en match « 

Comment expliques-tu que ton équipe prenne en moyenne trois buts par match ?

Vraiment, je n’en sais rien.

Il semble que la mentalité à Mönchengladbach soit un peu la même qu’à Brême : ce n’est pas grave si on encaisse, on finira quand même par marquer au moins un but en plus que l’adversaire.

Je n’ai jamais remarqué cette mentalité-là. Maintenant, la Bundesliga est un championnat où on voit beaucoup de résultats un peu fous. Il y a peu d’équipes qui jouent un football aussi fermé que Roulers dans le temps. (Il rigole). Ici, ça va super vite.

Et la fameuse rigueur germanique ?

La rigueur, je la retrouve surtout dans le travail physique : c’est un jeu rapide et puissant, et comme on n’arrête pas de courir d’un camp à l’autre, on est obligé d’être au top de sa condition. La rigueur est aussi dans la discipline en général. Mais dans la tactique, je n’en vois pas trop, non.

En attaque, tu as un coéquipier allemand, un Argentin, un Camerounais et un Franco-Algérien. Il n’y a pas deux fois la même nationalité. Comment faites-vous pour communiquer ?

Tous ces gars-là parlent parfaitement allemand. C’est à moi de m’y mettre. Mais ça vient assez vite. Le club me donne cours chaque semaine et j’ai déjà donné l’une ou l’autre interview dans la langue. J’ai appris rapidement et facilement le néerlandais et le français, je me débrouille en italien et en anglais : l’allemand ne sera pas un problème.

Ton match référence, c’est sûrement celui contre le Bayern ?

Magnifique. Je rentre en deuxième mi-temps, je donne un assist puis je marque. J’espère que maintenant, c’est vraiment parti pour moi.

Tu as fort modifié ton jeu au Standard. Tu as appris à ne plus être un attaquant de pointe typique, tu as assez bien reculé. Et ici ?

Je joue aussi dans un rôle en retrait. Je dois remercier Laszlo Bölöni. C’est lui qui a eu l’idée de me faire reculer. Grâce à lui, je porte maintenant deux casquettes, on peut compter sur moi dans deux rôles très différents. Il avait vu que j’avais beaucoup de fond et estimait que je devais être capable de faire autre chose que rester planté dans le rectangle. C’est plus difficile quand il faut couvrir beaucoup de terrain mais ça a permis de voir un autre Igor de Camargo.

Il n’y a pas grand-chose de purement brésilien dans ton jeu. C’est plus de l’engagement que de la technique.

Je pense que tu n’as pas vu mon but contre le Bayern, alors ? (Il rigole). Et depuis que je suis ici, je n’ai pas compté les petits ponts que j’ai faits… à l’entraînement. Parce qu’en match, ce n’est clairement pas ce qu’on nous demande. On peut s’amuser, mais les petits ponts, les grigris, les machins, ce n’est pas pour le week-end. Les objectifs, c’est la concentration, l’engagement et le jeu vers l’avant. Le fun, c’est pour l’entraînement.

Bailly sacrifié

Le fun, ce n’est pas pour Bailly en ce moment…

C’est dur, ce qui lui arrive. Ma philosophie a toujours été : on gagne et on perd ensemble. Après plusieurs défaites sur des scores sévères, on a forcément visé le gardien. Mais était-il coupable sur beaucoup de buts ? Je ne pense pas.

Il fallait simplement une victime et c’est tombé sur lui ?

Ce n’est pas à moi de dire si c’était une bonne décision de l’écarter. Mais Mönchengladbach n’a pas subitement arrêté d’encaisser quand Logan n’a plus été dans l’équipe.

Ton club devrait être à la place de Mainz ou de Hoffenheim, non ?

Bien sûr. A tous points de vue, nous avons assez d’atouts pour rivaliser avec des équipes pareilles. Notre noyau vaut largement le milieu de classement. Mais notre problème est que pour gagner un match, il faut marquer trois, quatre ou même cinq buts. Et ça, ce n’est pas possible chaque semaine.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : REPORTERS / GOUVERNEUR

 » Tu peux être récompensé par un Soulier d’Or et ne rien recevoir derrière. « 

 » Le Real et Manchester pour Defour, Witsel et Carcela ? A eux de faire le tri dans toutes ces rumeurs. « 

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