Trop de capitaines à bord

Le Club Bruges part à la chasse au titre avec son quatrième entraîneur depuis le limogeage d’Adrie Koster fin octobre 2011. Qu’est-ce qui n’a pas marché, cette fois ?

Le Club organise des réunions quotidiennes et le mardi, il discute traditionnellement du dernier match. Sont présents à cette réunion : le président Bart Verhaeghe (s’il n’est pas accaparé par ses activités à l’étranger), le manager Vincent Mannaert et le directeur sportif Arnar Gretarsson. Cette réunion a toutefois été subitement annulée, la semaine passée. Les soupçons que Juan Carlos Garrido pouvaient avoir ont été confirmés le jeudi matin : Michel Preud’homme était bel et bien en route pour Bruges. Vincent Mannaert a convoqué le coach espagnol à sept heures trente, dans un hôtel loin du stade, pour échapper à la presse.

Mannaert lui a expliqué tant bien que mal que, bien qu’invaincu en championnat, et malgré une moyenne de 71 % depuis ses débuts, il était insuffisant. Ensuite, les deux hommes ont mis le cap sur le Club, pour que le coach puisse prendre congé des joueurs. Quelques heures plus tard, Mannaert a expliqué que le jeu n’était pas bon du tout et que certains signaux faisaient état d’un manque de confiance d’une partie des joueurs envers l’entraîneur.

Les signaux

Preud’homme après Garrido ? Le choix paraît étrange. Lepoint, Grondin… Les travailleurs qui étaient des valeurs sûres à Gand sous le règne de Preud’homme se sont étiolés sous celui de son successeur, Trond Sollied. Samedi, Preud’homme s’est empressé de spécifier qu’il développait un autre jeu à Al Shabab, un football plus soigné, mais que nous ne pouvions le savoir, faute de voir les matches de cette équipe. C’est exact mais nous pouvons nous imaginer qu’un pressing élevé et des duels physiques ne fassent pas vraiment partie de la culture arabe alors qu’ils sont inhérents à celle de Bruges.

On ne parle pas de beau jeu mais de passion et, surtout, de résultats. De victoires, qu’importe la manière. Le jeu développé sous ChristophDaum n’était pas bon mais malheur à celui qui en touche un mot à Bruges car l’Allemand lui a rendu sa rage de vaincre. D’ailleurs, pour expliquer le changement d’entraîneur, on a parlé de l’Allemand : le passé a appris à Bruges que seul un entraîneur disposant d’expérience au plus haut niveau pouvait apporter des résultats.

Et Garrido, alors ? Il a obtenu 71 % des points, 68 points sur 96. Il n’a perdu qu’un match du dernier championnat régulier et il était invaincu cette saison. Le Club a été le meilleur des PO1 avec 19 points sur 30. D’accord, Bart Verhaeghe a dû intervenir, après le conflit ayant opposé le coach à Mannaert au repos du match contre Zulte Waregem. Mais face à Anderlecht, le Bruges de Garrido a été le meilleur. S’il avait concrétisé sa domination, peut-être aurait-il été champion.

Alors, qu’est-ce qui a foiré ? La confiance, à coup sûr. Garrido avait perdu le soutien du public, la presse ne se contentait pas de ses pauvres explications, du type  » nous sommes dans un processus « , et vendredi, Arnar Gretarsson a confirmé que le noyau ne soutenait plus l’entraîneur.  » On ne peut ignorer ces signaux. La discipline s’était relâchée.  » Pour le reste, l’Islandais était satisfait du travail de son coach. Il voulait même conserver le préparateur physique, Jorge Simo.  » Joueur, j’aurais apprécié les séances de Garrido : elles sont amusantes et variées.  » Le lendemain, Gretarsson a reconnu que si Preud’homme n’avait pas été disponible, Garrido aurait dirigé le match contre Anderlecht.

Le Personal Performance Center

Revenons au modèle de concertation du Club, à ses réunions et à son Personal Performance Center. Lors de sa première réunion, Garrido a failli tomber de sa chaise : il avait amené Jorge Simo, un homme qui a travaillé sous les ordres de Guus Hiddink et de Carlos Alberto Parreira à Valence et au Real. Fan de stretching, Simo voulait emmener les joueurs à la salle avant l’entraînement. A la stupéfaction de Garrido, Roel Vaeyens, assistant de Gretarsson, s’est opposé à un exercice en particulier. D’accord, il est assistant à l’université de Gand et spécialiste en sciences sportives mais Garrido a eu le sentiment qu’on empiétait sur ses compétences.

Constamment, les théoriciens du PPC se sont heurtés aux praticiens du vestiaire. A Marbella, Garrido a encore été stupéfait. Le Club cherchait un manager sportif depuis des semaines pour libérer Mannaert de cette tâche. Il avait découvert un Français de Nice, qui avait rendu un avis négatif sur les deux transferts potentiels, Eidur Gudjohnsen et Enoch Adu :  » Non, l’un est trop âgé, l’autre n’a pas été bon à Nice.  » Il n’a pas trouvé d’accord financier avec le Club, qui a pris Gretarsson. Lors de sa présentation à Marbella – en powerpoint -, Garrido a vu que celui-ci était responsable du PPC. Il s’est adressé au président, qui a rectifié le tir.

Garrido a constamment eu l’impression d’être surveillé par une belle-mère. Les débuts difficiles de Laurens De Bock ont souvent fait l’objet de discussions aux réunions mais il fallait préserver ce gros investissement et donc l’aligner. Garrido, lui, ne prête pas attention aux noms, au montant du transfert, aux relations publiques.  » Si Gudjohnsen est trop gros, je lui dis de courir, je n’ai pas besoin du PPC « , dit-il. Au bout de dix mois, il ne connaissait toujours pas le nom des journalistes. Il ne s’intéressait qu’à son équipe. Avec droiture et correction, sans se soucier du reste.

L’été a été pénible. Les joueurs sont arrivés tard, les anciens comme les nouveaux. Gretarsson :  » Nous discutions régulièrement mais n’est-ce pas normal ? J’ai toujours précisé que je lui donnais mon opinion mais que c’était à lui de trancher.  » Grétarsson juge aussi normal de suivre les entraînements et les matches de son club alors que Garrido trouvait qu’il devait voir d’autres matches, découvrir des joueurs et surtout conclure plus vite les transferts car celui de TomDe Sutter avait trop traîné. Le coach jugeait que certains nouveaux n’avaient pas le niveau requis.

Gretarsson et son rôle

Peu avant le début du championnat, nouvel incident. Peu avant le match contre Charleroi, Bjorn Engels, un des jeunes défenseurs, est forfait. OscarDuarte était suspendu et souffrait des abdominaux, JimLarsen du genou. Le Club manquant d’arrières, on a organisé un conclave. Gretarsson a froidement donné son avis : faire reculer Simons, poster Adu dans l’entrejeu. Gretarsson :  » Garrido a rigolé, il m’a demandé d’attendre et a posté TomHögli dans l’axe, avec Verstraete à droite. Je n’y aurais jamais pensé mais le Club a gagné et je l’ai félicité.  » Garrido s’en est tenu à son jeune duo, bien que le manager ait encore souvent évoqué le cas de Simons.

L’Islandais le reconnaît : leurs rapports étaient tièdes.  » Je ne suis pas un menteur. Je dis ce que je pense.  » Rupture de confiance entre un homme qui prodigue ses avis en pensant bien faire et l’autre qui le prend comme un empiètement sur son territoire. Trop de capitaines à bord. L’Espagnol, qui n’a pas bradé ses principes, s’attendait à son renvoi. Pour n’avoir pas accepté de se laisser diriger, il a pris la porte. Il ne s’est pas caché pour autant : ses deux fils jouent à Bruges et vendredi soir, il les a conduits à l’entraînement, séance à laquelle il a assisté après avoir pris congé de quelques personnes, fier de son travail mais blessé par la façon dont le Club a présenté ses adieux.

Les sms des joueurs le confortent dans sa certitude de n’avoir pas fait du si mauvais travail et de n’avoir pas perdu le vestiaire, contrairement à ce que la direction a suggéré. Certes, une série de joueurs était contente de le voir partir mais c’est toujours le cas. Il était curieux de voir si Simons allait jouer en défense contre Anderlecht et si Högli, son choix, évoluerait à gauche, plutôt que De Bock, le choix de la direction. Clement est resté fidèle à sa ligne de conduite, a-t-il constaté, à la fois content et triste.

Le manque de discipline ? Le reproche le fait rire. Certes, MaximeLestienne est arrivé avec deux minutes de retard, une fois. La hiérarchie a requis une amende mais Garrido a préféré trancher lui-même, après un entretien. Toujours ces belles-mères… Il n’apprécie pas. La saison passée, il disposait d’un noyau plus talentueux, avec RyanDonk et CarlosBacca, mais aussi bien plus difficile à gérer. Parfois, un joueur arrivait en état d’ébriété. Il n’est plus là. Une fois, il est entré en confrontation directe avec un joueur, Donk, juste avant l’ultime match contre Genk, mais les enjeux étaient trop essentiels pour s’attacher aux principes. Gretarsson :  » Lors du premier entraînement, en juin, il a bien dit que Donk n’aurait pas dû jouer. J’ai laissé passer mais il est parti. Ne l’oubliez pas.  » Diriger le vestiaire actuel était un jeu d’enfants.

Garrido se dit contraint d’accepter la décision de la direction mais il espère qu’au moins, elle ne cherche pas d’excuses pour justifier son énième changement de cap. Il appartient maintenant à Michel Preud’homme de poursuivre le projet du Club Bruges. Nous sommes curieux de voir comment il va s’insérer au sein de cette culture de la concertation.

PAR PETER T’KINT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Si Preud’homme n’avait pas été disponible, Garrido aurait dirigé le match contre Anderlecht.

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