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To attack or not to attack

Alberto Contador, El Pistolero, fait feu de tout bois dans la dernière semaine de la Vuelta. Le coureur de 34 ans a la réputation d’être le plus attrayant et le meilleur spécialiste des tours de sa génération, d’autres rappellent son passé de dopage. De quel côté la balance penche-t-elle ?

4 septembre 2012, jour de repos à la Vuelta. À l’issue d’une séance corsée, Alberto Contador remarque que le leader, Joaquim Rodriguez, n’a pas quitté son hôtel de la journée. Est-il trop sûr de lui, après trois victoires d’étapes ? Contador, deuxième à 28 secondes, concocte un plan avec son directeur d’équipe, Bjarne Riis. Car il sait que le repos, ça rouille, et il veut prendre son adversaire à froid.  » C’est maintenant ou jamais. On va faire exploser le bazar.  »

Dans l’étape suivante, El Pistolero place une première banderille à la Collada de la Hoz, un col de deuxième catégorie, à 50 kilomètres de l’arrivée. Au sommet, il compte quinze secondes d’avance. Il accroît son avantage dans la descente, avec le soutien de coéquipiers expédiés en avant, et à l’arrivée, au sommet du Fuente Dé, Contador triomphe. Son avance sur Rodriguez ? Deux minutes et demie. La Vuelta est dans la poche.  » Quand j’ai démarré, un petit diable en moi m’a dit : – Attaque ! L’ange a fait remarquer : – C’est trop tôt. Mais j’ai écouté le diable.  »

Contador est fou de joie à l’arrivée. Il hurle, serre les poings, proche du délire. C’est sa première victoire depuis la fin de sa suspension pour dopage, qui l’a tant marqué. Sur le podium, il laisse à nouveau libre cours à ses émotions. Ses mains et ses lèvres tremblent, ses larmes coulent.

La photo du cri occupera plus tard une place bien en vue chez lui. Car elle symbolise à merveille la carrière de Contador et surtout sa formidable rage de vaincre. Il s’est toujours livré à fond, quitte à tout perdre, ne se contentant jamais de la deuxième place. Il s’est laissé inspirer par son ancienne idole, Marco Pantani, qu’il a toujours imité.

PAS TOUJOURS GAGNANT

Son nom de famille signifie comptable en espagnol mais Contador n’a jamais beaucoup compté, du moins pas en course car avant, il a toujours minutieusement étudié les parcours.  » Chaque soir « , témoigne l’ancien directeur d’équipe Philippe Mauduit,  » Alberto écumait internet à la recherche d’informations. Il savait précisément dans quel col, dans quel tournant il pouvait attaquer.  »

Ça ne lui a pas toujours valu de succès, comme à Paris-Nice 2009. Leader dans l’avant-dernière étape, Contador a un coup de barre et perd trois minutes. Dans l’ultime journée, vers Nice, il fonce comme un cow-boy au Col de la Porte, après seulement 40 kilomètres. L’Espagnol regagne deux minutes mais son avance fond ensuite à 17 secondes. Il doit laisser la victoire d’étape à Antonio Colom et le classement final à Luis Leon Sanchez. Il n’est que quatrième mais il a perdu avec classe, ce qu’aucun coureur de sa génération n’a jamais fait. Ça relève de l’art, surtout ces dernières années, quand son corps s’est rouillé sans que ça l’empêche de marquer des points.

Cette année, dans la Course au Soleil, il a encore fomenté un putsch vers Nice. À l’issue d’une attaque de 50 kilomètres, il a échoué à deux secondes du lauréat, Sergio Henao. Il y a encore la Vuelta 2016. Alors qu’il avait perdu toute chance de remporter le classement finale, il a conçu avec Nairo Quintana une offensive dans le Formigal, contre le leader, Chris Froome. Celui-ci a terminé à trois minutes, 92 autres coureurs ont achevé cette étape en dehors des délais. Le Britannique a perdu la Vuelta. Contador n’a terminé que sixième mais a été assailli de compliments pour son audace. Comme au dernier Tour. Malgré un énorme retard au classement, il a attaqué très tôt dans la courte étape de montagne menant à Foix, ainsi que dans l’étape franchissant la Croix de Fer et le Galibier. À nouveau sans succès d’étape, ayant épuisé ses munitions trop tôt.

Contador a pris conscience qu’il ne gagnerait plus jamais ce Tour, la course de ses rêves. Il a donc décidé que la Vuelta serait sa toute dernière course, pour éviter qu’en 2018, de jeunes guérilleros ne le larguent. En 2016 déjà, l’Espagnol avait confié à ProCycling :  » Je veux que les amateurs de cyclisme se souviennent de moi comme d’un coureur qui se battait, même quand il ne pouvait plus gagner. Jusqu’à son dernier souffle.  »

Contador a tenu parole. Il a entonné ses plus beaux hits durant sa tournée d’adieux, à la Vuelta, parfois en improvisant.  » Alberto roulait à mes côtés, il m’a fait un clin d’oeil et hop, nous avons démarré « , a rigolé Nicolas Roche jeudi dernier, après une nouvelle attaque de l’Espagnol dans une étape apparemment anodine. Il a ensuite twitté :  » Toattack (avec un emoticon en forme de diable) or not to attack (avec un ange).  » Parfois, le diable a de bonnes idées… Pour le plus grand désarroi de l’archange Froome.

POPULAIRE

S’il a été jugé monotone durant le premier volet de sa carrière – son discours, uniquement en espagnol, était jalonné d’expressions comme hombre et bueno –, il a nettement gagné en popularité ces dernières années, durant cette ère Sky complètement automatisée. Dieu de l’attaque, dansant sur ses pédales, sourire Colgate aux lèvres, il a été encensé, en Espagne encore plus qu’ailleurs, comme en témoignent les innombrables banderoles de remerciement durant la Vuelta. Les coups de Contador à Fuente Dé et Formigal comme dans d’autres courses, toute la saison, resteront plus ancrés dans les mémoires des aficionados que toutes les victoires de Froome au Tour.

Peu de coureurs jouissent d’un respect comparable. Edward Theuns et Peter Stetina, ses coéquipiers chez Trek, ont déclaré que c’était un grand honneur de pouvoir participer à sa dernière Vuelta. Stetina a même comparé cette course avec le dernier match de Michael Jordan, la légende de NBA.  » Alberto est un monument comparable, en cyclisme.  » La plus belle déclaration vient sans doute de Joaquim Rodriguez après l’étape de Fuente Dé en 2012 :  » Je suis heureux d’avoir fait partie d’un chapitre d’histoire cycliste.  » Il vient de perdre de justesse la Vuelta mais l’admiration des puristes dépasse leur déception.

D’autres collègues, coéquipiers, mécaniciens et soigneurs ont vanté la modestie, la gentillesse et le professionnalisme de l’Espagnol. Une étoile sans caprices, marquée par la vie, qui n’a pas épargné sa famille. Son frère Raúl souffre depuis sa naissance d’une paralysie du cerveau et n’a jamais émis une parole. Alberto souffre toujours de ce coup du sort. Ce n’est pas un hasard s’il associe toujours son frère à ses succès.

Lui-même a côtoyé la mort, après une chute au tour d’Asturie, en 2004. Il avait 21 ans et la chute a déclenché une crise d’épilepsie due à un cavernome, une déformation congénitale de petits vaisseaux sanguins dans la tête. Au terme d’une opération de cinq heures – la cicatrice, qui traverse son crâne, est toujours visible, il a murmuré, à son réveil :  » Querer es poder  » (vouloir, c’est pouvoir.) C’est sa devise.

Il a suivi une longue revalidation, durant laquelle il a dû réapprendre à manger, à marcher, à pédaler. Huit mois plus tard, il enlevait la première étape du Tour Down Under. Le Madrilène a laissé éclater sa joie. Il considère toujours cette victoire comme la plus belle de sa carrière, plus belle que n’importe quel triomphe au Giro, au Tour ou à la Vuelta.

Hasard ou pas, c’est pendant cette revalidation que Contador a lu  » Chaque minute compte « , le livre de Lance Armstrong, qui y raconte comment il s’est battu après son cancer des testicules. Cinq ans plus tard, au Tour 2009, coéquipier du Boss, il allait montrer ce que  » Vouloir, c’est pouvoir  » signifiait. Il ne s’est pas passé de jour sans que le Texan n’essaie d’intimider ou d’isoler l’Espagnol. Pendant trois semaines, Contador a roulé comme un ennemi au sein de sa formation Astana.

Pourtant, le matador de Pinto a gagné ce Tour 2009 avec maestria. D’abord en démarrant dans l’ascension finale à Andorre, contre la volonté d’Armstrong, puis en retournant sa propre arme contre lui : à deux reprises, Contador s’est retourné pendant ses attaques, le regardant droit dans les yeux. Il a gagné peu de temps – 20 secondes – mais sa revanche était belle, quelques jours après que l’Américain avait largué son leader dans l’étape à éventails de La Grande Motte. El Pistolero lui a assené le coup de grâce une semaine plus tard, dans la fabuleuse ascension du Verbier, assurant son deuxième succès au Tour après un brillant contre-la-montre à Annecy, avec trois secondes d’avance sur le spécialiste du chrono, Fabian Cancellara.

LE STEAK

À l’issue de ce succès, nul n’imaginait que le coureur qui venait d’empocher quatre grands tours (les Tour 2007 et 2009, le Giro et la Vuelta 2008) n’allait plus jamais enlever d’étape au Tour de France. Un an plus tard, Contador a certes enfilé un troisième maillot jaune à Paris, sans succès d’étape et au terme d’un duel serré avec Andy Schleck, mais le ciel lui est tombé sur la tête quand on a trouvé dans son urine 0,00000000005 gramme de clenbutérol. Une dose minime, 40 fois inférieure à la norme signifiée par la WADA aux laboratoires chargés des tests et en plus, seul le laboratoire de Cologne est parvenu à détecter ces 50 picogrammes.

Différents experts ont même refusé de qualifier ce test de dopage mais le contrôle était bel et bien positif. On n’a annoncé la nouvelle que deux mois plus tard, la chaîne allemand ARD ayant eu vent de l’affaire, grâce au labo de Cologne, qui ne comprenait pas pourquoi rien n’avait filtré. Dans une mémorable conférence de presse, Contador a crié son innocence, parlant de 11 cero’s et de cinco.

Selon le coureur, le mal venait d’un steak contaminé. On a même retrouvé la trace du boucher espagnol. Mais aux yeux de l’UCI et de la WADA, les traces étaient les résidus d’injections quotidiennes préalables de 200 microgrammes de clenbutérol, pendant trois semaines, des résidus dont on avait trouvé la trace après une transfusion durant la dernière semaine du Tour, avec du sang récolté au préalable. Au terme d’une longue bataille juridique, Contador a été condamné en février 2012 par le tribunal international du sport. Il a réfuté la théorie du steak et même celle de la transfusion sanguine, pensant plutôt à un complément alimentaire contaminé.

Le Madrilène a écopé d’une suspension rétroactive de deux ans, qui lui a fait perdre le Tour 2010 et le Giro 2011, gagnés entre-temps. Il les considère toujours comme de vraies victoires. Elles sont d’ailleurs reprises dans son palmarès, sur son site. Cette suspension n’en demeure pas moins une tache. Ses proches se souviennent de sa consternation, des pleurs de ses parents, lors du jugement du TAS. Mais aussi de l’acharnement avec lequel il s’est entraîné pendant sa suspension. Le résultat ? Le miracle du Fuente Dé, en août 2012.

UNE MARQUE

Il n’empêche qu’El Pistolero, qui n’a plus jamais consommé un gramme de viande rouge depuis, conserve l’étiquette de dopé. On ne cesse de rappeler ce passé. On insiste sur le fait que Fuente Dé, ça sonne – par hasard – comme le nom du fameux docteur dopeur, Eufemiano Fuentes. C’est que le nom de Contador apparaissait trois fois dans ses dossiers. Pas sur les pages qui ont permis d’identifier les transfusions ni dans les programmes de dopage mais les initiales AC reviennent dans le programme d’équipe de Liberty Seguros, avec la mention :  » Rien ou comme Jörg Jaksche » , qui a reconnu plus tard s’être dopé. Le nom de Contador est inscrit à la main sur une autre preuve, sous le titre  » individualiser « . Un enquêteur l’a interrogé à ce sujet mais le coureur a plaidé non coupable et faute de preuves, il n’a pas été puni.

Les mêmes détracteurs rappellent son passé chez Liberty Seguros, Discovery Channel/Astana, et Tinkoff, sous l’aile de directeurs d’équipes douteux comme Manolo Saiz (une figure-clef de l’affaire-Fuentes), Johan Bruyneel (suspendu pour dix ans dans l’affaire Armstrong) et Bjarne Riis (dont plusieurs coureurs CSC étaient des clients de Fuentes). Ce qu’on sait moins, c’est que le Madrilène a été entraîné par Pepe Marti de 2007 à 2010, soit pendant ses plus belles années. Or, ce médecin espagnol a été suspendu jusqu’en 2020 par l’USADA, l’agence américaine antidopage, pour son rôle dans le dopage organisé d’US Postal. Les sceptiques se demandent si c’est un hasard que Contador, après sa suspension, malgré deux succès à la Vuelta en 2012 et en 2014 et un au Giro 2015, n’ait plus jamais triomphé au Tour, ne fût-ce que dans une étape ?

La conclusion ? L’Espagnol restera toujours un champion au nom suivi d’une astérisque mais son principal mérite est d’avoir un peu fait oublier cette tache par son engagement. Le cri à Fuenta Dé et ses nombreuses autres attaques ont dilué les traces de clenbutérol et lui ont permis d’entrer dans la légende du cyclisme. Du moins pour la plupart des gens.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS BELGAIMAGE

Contador a entonné ses plus beaux hits pendant sa tournée d’adieux.

Les aficionados du cyclisme se souviendront plus des coups de Contador que de toutes les victoires de Froome au Tour.

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