Têtes à couper

Les trois Argentins du Sporting expliquent pourquoi ils n’ont pas douté quant à la victoire finale.

Lorsque le 29e titre d’Anderlecht fut une réalité, ils ont paradé sur la pelouse avec, tantôt un drapeau, tantôt un maillot argentin sur les épaules. Pour Nicolas Frutos, c’était même carrément un maillot de Diego Maradona.  » C’est un petit hommage que je lui ai rendu « , a-t-il expliqué.  » Si nous, Argentins, sommes désormais demandés un peu partout dans le monde, c’est un peu à lui qu’on le doit : il a frappé les imaginations en s’érigeant, à son époque, comme le meilleur footballeur du monde « . Il faut savoir que Frutos a, un jour, participé à l’émission télévisée de Maradona, La noche del diez.

Lucas Biglia fut, en juin 2005, le capitaine de l’équipe nationale des -20 ans qui a conquis le titre de champion du monde aux Pays-Bas. Il commandait, à l’époque, un certain Lionel Messi. C’est donc une authentique promesse du football mondial que le Sporting compte en ses rangs.

Nicolas Pareja a paradé en civil samedi dernier : sa saison a malheureusement été ternie par les blessures, mais il a démontré lors de ses apparitions qu’il était lui aussi un footballeur de talent qui pourrait d’ailleurs, si l’on en croit certains confrères argentins, rejoindre un jour la sélection albiceste. D’autant que la défense centrale argentine n’est plus toute jeune.

Ironie du sort : les lauriers ont été, indirectement, offerts par le quatrième Argentin d’Anderlecht, qui a été prêté à Charleroi lors du deuxième tour et qui a mis fin aux illusions de Genk en s’imposant au stade Fenix lors de l’avant-dernière journée. La consécration des Mauves est donc aussi celle des Argentins. Herman Van Holsbeeck a vu juste en prospectant au pays du tango. Frutos a inscrit, comme la saison dernière, des buts très importants. Et Biglia a été élu Jeune Professionnel de l’Année par l’ensemble de ses collègues de D1. Jusqu’ici, les joueurs argentins prenaient plutôt la direction de l’Espagne ou de l’Italie, mais la réussite du grand attaquant originaire de Santa Fé a ouvert une voie dans laquelle ses compatriotes se sont engouffrés avec succès.

Si vous deviez retenir un seul moment de cette saison…

Biglia : Le coup de sifflet final du match contre le Brussels. On savait, à ce moment-là, qu’on était officiellement champion de Belgique et, donc, qu’on avait atteint notre objectif. Lorsque j’ai inscrit mon premier but de la saison sur penalty lors de ce match, j’ai ressenti une grande émotion. Beaucoup d’images m’ont traversé l’esprit. J’ai revu mon départ d’Argentine et, surtout, ce qui s’était passé avant mon départ -NDLR : il s’agiraitd’une attaque à main armée au domicile de la famille de sa fiancée en Argentine. Le fait d’avoir enfin trouvé le chemin des filets m’a libéré d’un poids énorme : je l’attendais depuis tellement longtemps. Je ne me suis jamais focalisé sur mes statistiques, car en Argentine je n’étais pas un buteur non plus, mais j’admets que ce but m’a fait du bien.

Frutos : Toute la saison fut belle, j’aurais bien du mal à désigner un moment particulier. Mon but à Bruges, qui a permis à Anderlecht d’égaliser dans les arrêts de jeu ? Il fut important, mais tous les buts le sont. A plus forte raison ceux qui permettent d’engranger des points.

Pareja : Comme Lucas, je répondrai que j’ai vécu mon meilleur moment le samedi 12 mai sur le coup de 21 h 45, lorsqu’on a battu le Brussels et qu’on a appris la défaite de Genk. Après un premier tour durant lequel on a vécu des moments difficiles, ce fut un soulagement de toucher au but. L’équipe s’est sensiblement améliorée lors du deuxième tour, mais demeurait malgré tout sous la menace des Limbourgeois.

Les meilleures individualités collectives

Précisément, comment expliquez-vous cette différence entre le premier et le deuxième tour d’Anderlecht ?

Pareja : Par le fait qu’en début de championnat, il fallait reconstruire toute une équipe. Beaucoup de joueurs étaient nouveaux. On ne se connaissait pas et comme la concurrence était féroce, on a peut-être, inconsciemment, cherché à se mettre en évidence individuellement au lieu de privilégier l’intérêt de l’équipe. Au deuxième tour, on se connaissait déjà beaucoup mieux et on a pris conscience de l’importance que revêtait le collectif. On est devenu une équipe dans tous les sens du terme.

Frutos : La participation à la Ligue des Champions nous a coûté des points également. La succession de matches a obligé l’entraîneur à effectuer de temps en temps une petite tournante et la mise en place du collectif a, de ce fait, pris un peu plus de temps. Mais c’est le lot de toutes les équipes qui participent à une compétition européenne. Par ailleurs, si la Ligue des Champions exige une grosse dépense d’énergie, elle permet aussi d’acquérir une grosse expérience dont on profite toujours à un moment donné. On savait que le deuxième tour serait meilleur que le premier, et cela s’est confirmé.

Biglia : L’équipe s’est trouvée au deuxième tour : au niveau du 11 de base mais aussi de la manière de jouer. Je ne parle pas uniquement de mon cas personnel. L’ajout d’un médian récupérateur à mes côtés m’a permis d’avoir un rôle plus offensif, mais à d’autres positions également, une solution a été trouvée. Grâce à certains transferts lors du mercato et grâce au repositionnement de certains joueurs sur l’échiquier.

Qu’est-ce qui a fait la différence par rapport à Genk ?

Pareja : La qualité de nos individualités, à partir du moment où celles-ci se sont mises au service du collectif.

Frutos : A tous moments de la saison, on s’est seulement préoccupé de notre propre jeu, alors que, selon mon impression, Genk avait toujours un £il sur Anderlecht. On a aussi eu le mérite de continuer à travailler sans tenir compte des critiques émanant de l’extérieur. On a connu de grands moments et d’autres plus difficiles durant la saison, mais l’une des clefs fut également l’intelligence qu’on a démontrée pour passer devant.

Biglia : Et à partir de ce moment-là, on avait notre sort en mains et on s’est mis à enchaîner les victoires. A ce rythme, on devait forcément émerger. On ne pouvait pas se permettre le moindre partage, sous peine de recéder la première place aux Limbourgeois, mais on n’a pas craqué.

Avez-vous douté à un moment donné ?

Frutos : Pas vraiment. Mon impression qu’on finirait par émerger est devenue une quasi certitude à partir du moment où on a partagé 1-1 à Genk et où l’on a également infligé une double défaite au Racing en Coupe de Belgique. Je crois que cela a porté un coup au moral de nos adversaires. Ils se sont mis à douter dans le même temps où, de notre côté, on a acquis la conviction qu’on était réellement les plus forts.

Pareja : Contrairement à Genk, on a couru trois lièvres à la fois. Ce n’était pas facile, mais c’est aussi cela qui marque la différence de statut entre les deux clubs.

Biglia : On a finalement atteint l’objectif principal et c’est l’essentiel.

Ils ont réussi à vaincre les soucis

Sur un plan plus général, comment avez-vous vécu cette première saison en Belgique ?

Biglia : Très bien. Je n’ai pas rencontré de soucis majeurs, ni au niveau sportif ni au niveau de l’adaptation au pays. Ce n’était pas gagné d’avance : le rythme des matches est plus élevé, le jeu est plus tactique, la langue est différente. J’éprouve un peu plus de difficultés que mes compatriotes dans l’apprentissage du français, mais cela vient progressivement. J’ai beaucoup progressé durant cette année en Belgique, tant sur le plan humain que footballistique, et tout ce que j’ai appris me servira très certainement pour l’avenir.

Pareja : Sportivement, cette saison fut parfois difficile pour moi, car le football pratiqué en Belgique est totalement différent de celui pratiqué en Argentine, mais surtout, les blessures ont retardé mon intégration. C’est la première fois que je me retrouve sur la touche aussi longtemps et c’est arrivé à un moment où je devais faire mes preuves dans un nouveau pays. J’ai aussi évolué à un poste auquel je n’étais pas habitué : je suis défenseur central de formation, mais l’entraîneur m’a parfois aligné à l’arrière droit. Je n’y ai pas joué de gaîté de c£ur, mais j’ai accepté dans l’intérêt de l’équipe : Marcin Wasilewski n’était pas encore arrivé et Frankie Vercauteren cherchait une solution pour ce poste. J’espère l’avoir dépanné, mais j’espère aussi que c’était temporaire et que je retrouverai mon poste de prédilection à l’avenir. Pour le reste, je m’adapte de mieux en mieux et cela devrait augurer d’une belle deuxième saison.

Frutos : C’est déjà ma deuxième saison. Elle fut encore meilleure que la première. Je me réjouis chaque jour un peu plus d’avoir opté pour la Belgique. L’opération que j’ai subie l’été dernier a perturbé ma préparation, et de ce fait, j’ai mis un peu de temps à retrouver le rythme, mais cela fait partie des aléas du football : une carrière dure en moyenne 15 ans et il est rare qu’on traverse cette période sans connaître, un jour, un petit pépin. Je relativise d’autant plus facilement que, même après une semaine sans entraînement, je suis toujours parvenu à atteindre un niveau acceptable le week-end. Pour le reste, je n’ai pas à me plaindre : deux titres en deux ans, que demander de plus ?

Pouvez-vous comparer ce titre avec le précédent ?

Frutos : C’est une sensation différente. L’an passé, je débarquais en Belgique. J’étais encore inconnu dans votre pays et j’ai connu une ascension fulgurante. Cette saison-ci, j’étais déjà attendu au tournant. J’avais certaines obligations, vis-à-vis du monde extérieur qui attendait que je confirme, mais aussi vis-à-vis du groupe au sein duquel j’avais acquis de l’importance.

Biglia : C’est mon premier titre au niveau des clubs. Il représente énormément pour moi. Certes, j’ai déjà fêté un titre de champion du monde avec l’équipe nationale des -20 ans, mais ce n’est pas comparable. Remporter un championnat, c’est le fruit d’un travail de dix mois. Etre champion à 21 ans, au terme d’une première saison à l’étranger, c’est le mieux qui puisse arriver. C’est une première belle étape d’une carrière qui débute et qui, je l’espère, me vaudra d’autres satisfactions. C’est aussi la confirmation que j’avais fait le bon choix en optant pour la Belgique, mais je n’ai jamais eu le moindre doute à cet égard.

Pareja : Pour moi aussi, c’est un premier titre. Logique puisque je proviens d’une équipe considérée comme modeste, Argentinos Juniors. Maradona est passé par là, mais le club est surtout considéré comme formateur pour les jeunes. Son équipe Première a dû souvent lutter contre la relégation, ces dernières années. J’ai vraiment franchi un très grand pas dans ma carrière en passant d’un modeste club argentin au club champion de Belgique. Je suis très fier et très heureux d’avoir opté pour Anderlecht.

Davantage que des compatriotes, vous êtes devenu de vrais amis…

Frutos : Lorsque plusieurs joueurs d’une même nationalité se retrouvent à l’étranger, il est logique qu’ils se rassemblent. Je connaissais déjà Lucas, pour l’avoir côtoyé à l’Independiente, mais j’ai découvert Nicolas. On a appris à s’apprécier.

Pareja : En fait, Frutos et moi connaissions tous les deux Biglia, mais nous ne nous connaissions pas mutuellement. Le courant est directement passé.

Biglia : Frutos nous a beaucoup aidés dans notre adaptation. Il a facilité bien des choses.

par daniel devos

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