Nicolas de Pape

L’hubris de Novak Djokovic

Nicolas de Pape Senior writer au Journal du médecin

L’élimination de Novak Djokovic à l’US Open, coupable d’avoir lancé une balle en plein sur le cou d’une juge de ligne, révèle beaucoup de ce joueur, qui comme Andy Murray et contrairement aux deux autres « monstres », Federer et Nadal, a une personnalité très complexe.

L’élimination de Novak Djokovic à l’US Open, coupable d’avoir lancé une balle en plein sur le cou d’une juge de ligne, révèle beaucoup de ce joueur, qui comme Andy Murray et contrairement aux deux autres « monstres », Federer et Nadal, a une personnalité très complexe.

Depuis quelques mois, le joueur serbe s’est fixé des objectifs qui, pris tous ensemble, relèvent de la démesure :

  • Battre le record de Grands Chelems (actuellement détenu par Roger Federer : vingt) et s’y maintenir
  • Battre le nombre de semaines à la tête du classement (détenu également par Federer : 310 semaines contre 285)
  • Finir numéro un à la fin de 2020 pour la sixième fois (une de plus que Federer et égalité avec Sampras)

Accessoirement, d’autres records sont dans sa ligne de mire :

  • Gagner le plus grand nombre de Masters 1000 (égalité avec Nadal à 36, mais seul Novak les a gagnés tous au moins deux fois), remporter pour la deuxième fois Roland Garros (et avoir remporté dès lors deux fois au moins chaque Grand Chelem), refaire un « Djokoslam « (quatre Grands Chelems à la suite, chose réalisée entre 2015 et 2016), voire réaliser le Grand Chelem calendaire (pourquoi pas en 2021 ?)…

À côté de ces records tennistiques, le Serbe veut vraisemblablement peser sur la politique de son sport puisqu’il a créé récemment l’Association des joueurs professionnels pour influencer davantage l’ATP dans l’intérêt des joueurs, qui sont quelque peu mis de côté et ne touchent en prize money qu’une infime partie des bénéfices des tournois.

Sa mère le voit clairement un jour président de la Serbie à quarante ou 45 ans… Si cet homme polyglotte aux multiples talents se présentait, il gagnerait avec 99% des voix…

C’est dans ce contexte lourd pour les épaules de Novak Djokovic que le drame est arrivé dimanche sur le court Arthur Ash.

Un tremblement de terre en trois actes : 1. Le Serbe est arrivé très nerveux sur le court, croyant démarrer comme une trombe et prendre le large à 4-0. Mais Pablo Carreno-Busta lui a tenu la dragée haute. Première frustration, qui lui vaut de lancer une balle dans les bâches violemment. 2. À 4-5, 0-40 pour l’Espagnol, Djokovic se voit déjà remporter le premier set, mais un coup droit long de ligne de Carreno-Busta est déclaré extérieur ligne par le hawk-eye pour moins d’un millimètre. S’il avait été déclaré « out », Djokovic remportait le premier set, regagnait sa chaise et rien de tout cela ne serait arrivé. 3. Voulant sauver son set, Djokovic fait une glissade et se blesse à l’épaule gauche. Interruption et massage, le voilà à 5-6, 0-30. L’Espagnol est à deux point du premier set. Novak Djokovic s’inquiète-t-il pour son épaule ? Voit-il le tournoi lui échapper ? C’est en tout cas à ce moment que, par dépit, le Serbe jette, sans aucune intention de nuire et sans même regarder sa cible, une balle en direction d’une juge de ligne qui est atteinte en plein cou. Elle semble étouffer… Peut-être surjoue-t-elle un peu, mais le mal est fait. Quinze minutes plus tard, le directeur du tournoi ne peut faire autrement que disqualifier Novak Djokovic puisque l’intentionnalité n’intervient pas dans ces cas-là. Le règlement est d’airain. Lui aurait-on seulement enlevé un set de pénalité que tout le monde aurait crié au « deux poids deux mesures » en faveur du numéro un mondial.

Depuis le début de l’année 2020, Novak Djokovic, invaincu jusque-là, confond ambition et démesure.

Les fans de Novak sont effondrés, mais le Serbe est un habitué de ce type de jets de balle plutôt risqué. En 2016, déjà, il avait frôlé l’élimination à Roland Garros. Et failli ne jamais gagner le seul Grand Chelem qui lui manquait. À Flushing, la semaine dernière, il a lancé une balle qui a frôlé un homme dans les tribunes et a reçu un avertissement qu’il n’a pas apprécié. Depuis quelques temps, il ne casse plus de raquettes, mais peut-être devrait-il le faire, car c’est moins risqué. Dans son huitième contre Carreno-Busta, un hurlement de dépit aurait suffi à le soulager…

Mais depuis le début de l’année 2020, Novak Djokovic, invaincu jusque-là, confond ambition et démesure. Il se met trop de pression sur les épaules et sa quête du GOAT (Greatest Of All Time) devient obsessionnelle, comme Serena Williams, qui veut dépasser les 24 Grands Chelems de Margaret Court. Elle aussi fut disqualifiée lors d’un match contre Kim Clijsters, où elle aurait menacé une juge de ligne de lui enfoncer une balle dans le gosier…

Ces deux joueurs se ressemblent dans leur quête d’absolu et s’ils sont des champions d’exception, c’est grâce à leur caractère en granit. Mais tel Icare, au moment de toucher le soleil, il arrive qu’on se brûle les ailes.

Ceci dit, contrairement au mythe d’Icare, on aurait tort d’enterrer Novak Djokovic pour cette fin d’année. Il est le spécialiste des retours en fanfare et peu sujet à la dépression.

Paradoxalement, son élimination des Internationaux des États-Unis va peut-être lui remettre les pendules à l’heure. C’est une leçon d’humilité, qui pourrait le rendre encore plus fort pour les tournois à venir : Rome, Roland-Garros, Masters de Londres…

En tant que croyant, il pourrait voir dans cet incident stupide une épreuve envoyée par Dieu après qu’il ait fait preuve d’orgueil, un des sept péchés capitaux.

Il détient un record, certes peu enviable, mais qui ajoute à la part sombre de sa légende : avoir été disqualifié lors d’un Grand Chelem, ce qui ne risque pas d’arriver aux deux autres « plus grands de tous les temps », Nadal et Federer, trop polis, trop fair-play, gendres parfaits…

Personne ne saura jamais si Novak Djokovic aurait gagné l’US Open, mais si, à l’heure des comptes, il est à une coudée de Rafael Nadal en nombres de Grands Chelems, il se souviendra longtemps de cette sottise.

Le roman des records n’est cependant pas terminé. Ce n’est qu’à la fin du livre qu’il saura qui est le GOAT… En attendant, il doit retrouver la sérénité et jouer dans l’instant présent.

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