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« Les Australiens ne comprennent pas pourquoi Djokovic bénéficierait d’exemptions auxquelles ils n’ont pas le droit »

Fabien Chaliaud Journaliste

Un juge a ordonné lundi la libération immédiate de Novak Djokovic du centre de rétention dans lequel il a été placé la semaine dernière, une victoire dans la bataille judiciaire que livre le N.1 mondial du tennis pour entrer en Australie sans être vacciné contre le Covid-19. Comment les Australiens perçoivent-ils un épisode qui, peu importe son épilogue, ne fera pas du bien à l’image du pays. Nous avons demandé à François Vantomme, un journaliste belge parti vivre en Australie voici sept ans ce qui se disait « Down Under. »

La bataille juridique entre Novak Djokovic et l’Etat australien pour son entrée sur le territoire afin de disputer l’Australian Open n’en finit plus de connaître des rebondissements. L’affaire prend même une tournure politique sur fond de tensions diplomatiques entre l’Australie et la Serbie. Novak Djokovic sert-il d’exemple et de victime expiatoire à la situation sanitaire d’un pays qui avait su, jusque-là, maîtriser l’épidémie dans son territoire ? Que pensent les Australiens du sort réservé à celui qui a remporté à neuf reprises la manche de Grand Chelem de Melbourne ? Nous avons demandé l’avis d’un témoin résidant Down Under, François Vantomme. Ce journaliste belge, fondateur du site « Le Courrier Australien« , vit depuis plus de sept ans à Sidney. Il nous livre ses impressions sur le dossier Djokovic non sans oublier de revenir sur la façon dont son pays d’adoption a vécu la crise sanitaire.

Dans le dossier Djokovic, il ne faut pas oublier le contexte d’un pays qui a vécu la crise sanitaire d’une manière différente de l’Europe. De un, parce qu’il s’agit d’une île et de deux car elle a commencé sa campagne de vaccination avec du retard.« On a vécu la période pandémique avec différentes phases. On a eu six mois de retard par rapport à l’Europe », nous explique François Vantomme. « Comme l’Australie est une île, le premier réflexe a été de fermer les frontières. C’était important de gagner du temps, car le pays a eu du retard avec les vaccins. L’Australie avait d’abord misé sur l’Astra Zeneca qui pouvait être produit sur ses terres, dans la région de Melbourne. Mais comme ce vaccin n’était ensuite plus recommandé, l’Etat s’est rabattu sur le Pfizer qui était entre-temps plus difficile à obtenir. Donc pendant six mois, les restrictions ont été très, très strictes et personne ne pouvait rentrer dans le pays. Les autorités voulaient éviter une explosion du nombre de contaminations avant l’arrivée de doses de vaccins. »

Ainsi, les Australiens qui souhaitaient quitter le pays ou qui se sont retrouvés à l’étranger au début de la pandémie ont connu une période très compliquée. « Même avec la nationalité australienne que j’ai acquise entre-temps, je ne pouvais pas quitter le pays sauf cas de décès parmi les membres de ma famille vivants à l’étranger. On pouvait alors demander une dérogation spéciale. Ma belle-soeur a perdu son papa qui habitait en Ecosse. Elle a donc fait les démarches et pouvait s’y rendre, mais les autorités australiennes ne savaient pas lui garantir un vol de retour », détaille le fondateur du Courrier australien.

La file à la douane de l'aéroport de Sidney.
La file à la douane de l’aéroport de Sidney.© iStock

Une quarantaine à l’hôtel et à leur frais pour les Australiens revenant au pays

Pendant cette période où les frontières étaient fermées, un nombre important d’Australiens se sont retrouvés bloqués à l’étranger sans possibilité de pouvoir revenir dans leur pays. « Il y a un an, il y avait pratiquement 30.000 australiens bloqués à l’étranger. Ils étaient un peu laissés à leur triste sort par leur pays. Lorsque la situation s’est un peu débloquée, ces personnes devaient encore attendre car les avions ne pouvaient ramener qu’un nombre limité de personnes au pays », explique notre interlocuteur. Mais une fois revenus au pays Down Under, les passagers devaient effectuer une quarantaine obligatoire de 15 jours dans les hôtels et à leurs frais. Cette situation explique que beaucoup d’Australiens ont préféré renoncer à ce type de déplacement pour ne pas risquer de se retrouver bloqué en dehors de leur pays. « Je n’ai plus vu mes proches depuis plus deux ans. Mais c’est difficile pour beaucoup de devoir partir peut-être pour trois mois quand on a une famille ou des enfants. », confirme François Vantomme.

Un confinement très strict surtout à Melbourne

Pays du Commonwealth, l’Australie est donc une monarchie constitutionnelle dont Élisabeth II est la monarque. Ce rôle est cependant bien distinct et séparé de celui qu’elle a en temps que reine du Royaume-Uni. Ce rôle de chef d’Etat d’Elizabeth II n’apparaît d’ailleurs ni dans la Constitution ni dans la loi australienne. La reine Elizabeth n’est d’ailleurs que rarement venue dans le pays. Elle est représentée par un gouverneur général qui assure le pouvoir exécutif et constitutionnel sur l’île. Une autre particularité est que chaque Etat au sein de l’Australie possède son propre gouvernement avec son Premier ministre et que les règles diffèrent de l’un à l’autre. « L’Etat de Victoria, où se situe Melbourne, a connu le confinement le plus long du monde. Ils ont connu six confinements successifs pendant plusieurs mois. », précise le journaliste originaire de Mouscron.

« Pendant six mois à neuf mois après les premières grosses restrictions, l’Australie a connu plus de liberté à l’exception du port du masque et des QR codes demandés. Mais cela ne gêne pas trop ta vie quotidienne. Mais une fois qu’il y a eu quelques failles, avec des couacs dans la gestion de la quarantaine dans les hôtels parce que les gens censés surveiller ne le faisaient plus toujours très bien, la situation est devenue plus compliquée. », explique François Vantomme qui revient aussi sur le changement de politique opéré dans l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud où se trouve Sidney.

Le nouveau Premier ministre de l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud a voulu ouvrir complètement les vannes pour relancer l'économie de Sidney. Depuis, c'est une déferlante d'Omicron qui submerge la cité australienne.
Le nouveau Premier ministre de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud a voulu ouvrir complètement les vannes pour relancer l’économie de Sidney. Depuis, c’est une déferlante d’Omicron qui submerge la cité australienne.© iStock

« Omicron est arrivé et la gestion a été catastrophique. Il y a eu la démission de Gladys Berejikliann, à la tête du gouvernement de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud, où se situe Sydney, après qu’un organisme de lutte contre la corruption ait fait état de l’ouverture d’une enquête à la suite de soupçons de corruption à son encontre. Elle a été remplacée parDominic Perrottet qui a décidé d’ouvrir les vannes totalement et d’arrêter les restrictions car l’économie en pâtissait trop. », poursuit le journaliste. « Il y a deux ou trois semaines encore, les masques n’étaient plus obligatoires, il ne fallait plus présenter son QR code lorsqu’on allait dans les commerces, restaurants et autres. Une semaine après, il y a eu une explosion des cas et Perrottet a dû revenir sur ses décisions. Maintenant, l’Australie va pratiquement atteindre les 100.000 cas quotidien alors qu’avant, il n’y avait que quelques cas qui mettait presque le pays en état d’alerte à leur annonce. »Selon les données officielles, on enregistrait en moyenne sur la dernière semaine près de 30.000 cas quotidiens dans l’Etat de Victoria où se situe Melbourne, ville hôte de l’Australian Open. Cette flambée des contaminations avec une augmentation des décès arrive dans un pays qui n’en a connu que 2.387 jusque-là avec 972.000 infections recensées depuis le début de la crise. L’Australie possède une population de quasiment 26 millions d’habitants répartis sur un gigantesque territoire de 7 692 300 de km2. Mais la grande majorité des habitants se trouve dans les villes qui bordent la côte est du pays. A titre de comparaison, la Belgique a enregistré 2,23 millions de cas pour un peu moins de 28.500 décès.

Un pays qui n’accepte pas les traitements de faveur

Dès lors, il n’est pas étonnant que les déboires de Novak Djokovic ne suscitent pas trop de réactions outrées du côté australien. « Vu les restrictions subies et imposées, c’est un peu difficile pour les Australiens d’accepter de voir qu’un Novak Djokovic pourrait bénéficier d’assouplissements par rapport aux contraintes qui sont imposées aux Australiens depuis plus de deux ans. C’est un pays où tout le monde est logé à la même enseigne et peu importe que tu sois l’un des plus grands joueurs de tennis de l’histoire. En Australie, les gens estiment que s’il y a une règle, elle doit être appliquée pour tout le monde sans distinction. », explique François Vantomme.

Même pendant la période de la pandémie où les règles sanitaires étaient un peu assouplies, les Australiens n’acceptaient pas que les étrangers puissent bénéficier d’un régime favorable. « Lorsque l’industrie du cinéma est revenue en Australie où sont tournés de nombreux films, les stars pouvaient effectuer leur quarantaine de quinze jours dans des villas isolées. Ce traitement de faveur faisait jaser auprès des habitants qui devaient, dans le même cas, passer leur quarantaine dans un hôtel sans confort en ne pouvant pas ouvrir les fenêtres et en devant récupérer leur plateau-repas devant la porte de leur chambre.« , raconte le journaliste belge. « C’est un isolement complet. Ceux qui l’ont connu, et j’en connais, n’en gardent évidemment pas un très bon souvenir. »

« La tendance générale est donc très clairement de se demander pourquoi Djokovic pourrait faire ce qu’il veut en Australie alors qu’il est contre le vaccin, surtout dans un pays où la vaccination est présentée comme la clé de la réussite dans la lutte contre le Covid. On possède un haut taux de personnes vaccinées après dû avoir rattraper notre retard de début de crise. Le pays en était très fier. » , poursuit notre interlocuteur. « Si jamais Djokovic était autorisé à pouvoir participer à l’Australian Open, je pense, à titre personnel, que la réception du public risque d’être très mauvaise sur les courts. »Au dimanche 9 janvier, dans toute la Nouvelle-Galles du Sud, 95,1% des personnes âgées de 16 ans et plus avaient reçu une première dose d’un vaccin et 93,7% avaient reçu deux doses. Parmi les adolescents âgés de 12 à 15 ans, 81,5% ont reçu une première dose et 78,1% les deux.

« Je me suis fait vacciner à cause des autres et pour la santé de ma mère, mais la façon dont nous gérons la situation de Novak est mauvaise, vraiment mauvaise. », avait estimé Nick Kyrgios.© iStock

Néanmoins, Novak Djokovic a pu bénéficier de certains soutiens, et notamment de celui de l’AustralienNick Kyrgios, un joueur rarement tendre envers le Serbe, qui estime que son gouvernement n’a pas géré de bonne manière le cas Djokovic. Est-ce que certains de ses compatriotes trouveraient donc que Nole serait un peu la victime expiatoire d’autorités locales cherchant à faire oublier leur gestion catastrophique de ces dernières semaines. Pas si sûr. « La population se demande tout simplement comment on en est arrivé à cette situation ubuesque ? Comment Djokovic a pu recevoir cette exemption de Tennis Australia et comment on peut le laisser venir en Australie avant de lui dire une fois sur place que ce n’est plus possible qu’il franchisse la frontière parce qu’il n’a pas les autorisations suffisantes. », nous dit François Vantomme. « Les gens estiment donc que la situation aurait du être plus claire et que si le Djoker faisait le déplacement, c’était pour être sûr de jouer. L’Australie donne une image un peu ridicule aux yeux du monde car une star mondiale est coincée dans une chambre d’hôtel et la population est fâchée et pas très fière de la gestion du dossier. Qu’il joue ou ne joue pas, l’image de marque du pays aura été écornée quoiqu’il arrive. », pense le fondateur du Courrier australien.

Mais notre interlocuteur précise que la notoriété de Djokovic joue évidemment sur l’impact énorme de cette bataille juridique. « Ce serait le 75e mondial, on en parlerait à peine comme c’est le cas pour la joueuse tchèque de double qui a été expulsée. », pense François Vantomme qui insite sur le fait que l’Australien n’aime pas les clivages et qu’il a pour habitude de respecter les règles imposées sans trop les contester. « On ne connait pas de différence entre les intellectuels et les manuels, entre les très riches et les très pauvres etc. Tout le monde a sa chance dans ce pays et démarre à égalité. Il n’existe pas une mentalité de passe-droit. Il y a évidemment des choses à redire sur la gestion des migrants et d’autres aspects mais sur le covid, la population a respecté des règles drastiques. Mais ça fait partie de la culture australienne, on respecte naturellement les règles. Les gens sont disciplinés. L’Australien n’est pas dans la contestation, il aime bien être un peu dirigé. On fait la queue pour le bus par exemple. C’est comme ça et tout le monde l’applique. »

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