» Suarez ne doit pas s’inquiéter : il jouera un jour au top européen « 

Le Serpent a changé de peau, explique sa mue et pourquoi Anderlecht gardera, selon lui, son titre. Interview.

Un sourire accroché aux lèvres, le numéro 11 des Mauves entre chez Zio, à Waterloo. Le but et l’assist contre Ekranas avant une somptueuse passe décisive pour Kanu contre le Beerschot lui ont fait du bien. Il y a tout Jova dans ce lob qui a sidéré la défense anversoise : un grain de génie, la maîtrise du temps et de l’espace, le capital technique, l’audace et la maturité.

Milan adore la gastronomie italienne. C’est en toute simplicité qu’il fête son premier anniversaire sous la célèbre tunique bruxelloise. Douze mois du style qu’on n’oublie pas : signature d’un contrat de deux ans, retour en Belgique très médiatisé, débuts le 14 août, premier but européen quatre jours plus tard face à Bursaspor en Europa League, un stress collectif qui a pesé sur la route du titre, mission accomplie avec des joies mais aussi des bleus au c£ur…

Que retiens-tu de ces douze premiers mois passés au stade Constant Vanden Stock ?

Milan Jovanovic : Anderlecht a décroché le titre : j’étais venu pour cela, pour apporter mon expérience, pour aider le club qui a consenti de gros efforts financiers afin de réaliser mon transfert. Mais ce ne fut pas une aventure facile à vivre car la pression, l’attention médiatique et les émotions ont pesé. Je ne suis pas une machine et, de l’extérieur, on ne se rend pas nécessairement compte de ce que cela représente. Rien n’est simple, rien ne va de soi à ce niveau-là. A Anderlecht, on ne peut pas se contenter de gagner sans y ajouter la manière. Je suis un émotif et j’ai tout donné, je me suis dépensé physiquement, c’est normal, mais aussi nerveusement et mentalement. Le titre m’a soulagé d’un fameux poids.

On n’oublie pas les larmes de Lucas Biglia quand ce titre est enfin devenu réalité…

C’est à la fois un aboutissement et une libération. Le système des play-offs est une hérésie, une injustice qui pénalise les bons élèves de la phase classique du championnat, au lieu de les récompenser. Quand le titre qu’on a mérité est là, l’émotion prend le dessus. Lucas et tous les joueurs ont bossé dur. Moi, j’ai connu deux phases tout au long du championnat. Je précise avant tout que je suis satisfait de mon bilan d’ensemble : je suis passé à côté de trois ou quatre matches, pas plus. Au début, j’étais libre sur le terrain ; je pouvais jouer où je voulais. Puis, la donne tactique a changé du tout au tout. Je ne sais pas si tout le monde s’en est rendu compte.

 » Au Standard, j’étais le plus proche possible de Mbokani « 

Il a été dit que l’afflux d’adrénaline déclenché par le retour en Belgique t’a survolté jusqu’en novembre : qu’en penses-tu ?

Non, ce n’est pas du tout la bonne explication. L’adrénaline, l’émotion, la motivation, l’ambition, tout le monde en a besoin. Quand j’ai signé, je n’avais plus beaucoup joué depuis six mois. L’adrénaline n’est pas suffisante pour franchir ce cap. Et c’est là qu’intervient la notion de liberté. Je n’étais pas à 100 % de mes capacités physiques mais j’ai été meilleur, plus réaliste et plus productif, qu’en possession de tous mes moyens. Alors, si mon rendement a été différent alors que j’étais plus frais, les raisons résident bel et bien dans mon positionnement sur le terrain. Uniquement là…

Peux-tu être plus précis…

Si j’étais resté sur l’aile contre Ekranas, je n’aurais pas marqué de but. Je donne cet exemple pour expliquer ce qui s’est progressivement passé la saison passée. Je suis perçu et jugé comme un attaquant, or à partir de novembre 2011, je me suis retrouvé dans la peau d’un milieu de terrain. Je n’étais plus un sprinter mais un marathonien. La liberté du début de saison n’était plus qu’un souvenir. Quand on affirme que je ne suis plus aussi rapide, je souris. C’est de la blague, cela ne se perd pas. La technique non plus. Attention, je ne me plains pas : le titre importait avant tout. Et si on parle de moi, il faut tenir compte de tous les paramètres. Aux Jeux olympiques, on ne demande pas à un sprinter américain de devenir du jour au lendemain un spécialiste du 10.000 m : il manquera de fraîcheur dans la dernière ligne droite. Ma place naturelle se situe près de l’attaquant de pointe où ma vivacité peut faire la différence. Evidemment, je joue où le coach me demande de jouer. Sur l’aile gauche ? Parfait ! Alors qu’on me juge comme médian gauche, pas comme attaquant de pointe.

Mais, au Standard, on t’a vu à gauche : Ariel Jacobs n’a-t-il pas tout simplement imité Laszlo Bölöni ?

Nuances : avec Bölöni, je décrochais en profondeur en Coupe d’Europe, contre Everton ou Liverpool. Face à un telle opposition, cela se comprend : tout le monde recule pour resserrer les lignes. Je l’ai fait aussi en équipe nationale et à la longue, cela m’a peut-être desservi. Comme cela marchait pour le bien de l’équipe, on m’a confié de plus en plus régulièrement ce job. Attention, au Standard, en championnat, j’étais très proche, le plus proche possible même de Dieumerci Mbokani. C’est à partir de là qu’on est le plus dangereux à la finition. Plus bas, c’est différent.

N’es-tu pas obnubilé par la nécessité de marquer ?

Peut-être mais je dois marquer pour répondre à mes envies et à l’attente des gens, c’est tout le problème. Personne n’a rien expliqué aux gens la saison passée. J’étais surtout obnubilé par le titre. Dans le fond, je n’ai jamais vécu de saison aussi stressante. Ce n’est pas le corps mais la tête qui était fatiguée. J’étais crevé nerveusement. A un moment, je me suis demandé si ce n’était pas assez : était-il temps de partir ou même d’arrêter ma carrière et de vivre plus calmement ? Même si je suis enthousiaste et positif, il y a des moments où c’est dur. Bon, j’aime le foot et j’ai repris le dessus. Un mois de repos après cela, c’était mérité mais un peu court. J’en ai profité pour passer du temps avec ma famille, ma femme, mes enfants, mes parents, mes amis mais sans oublier que je suis un footballeur pro. Je n’ai jamais négligé mon footing quotidien et il y a eu tous les jours du tennis-football à mon programme. Je n’ai pas pris un gramme de graisse. Et qui étaient les premiers à la reprise des entraînements ? Proto et Jova…

 » J’ai un contrat de deux ans sans option contrairement à ce qu’on a dit « 

As-tu des contacts avec Ariel Jacobs ?

Oui, je lui ai envoyé un sms quand il a signé à Copenhague. Je suis vraiment très content pour lui. Jacobs a été ému comme Biglia, comme tout le monde la saison passée. Nous avons tous eu le c£ur qui tremble. Toute cette émotion, mon dieu, il fallait qu’elle sorte, qu’on la partage.

Qu’est-ce qu’Anderlecht t’a apporté la saison passée ?

Anderlecht m’a relancé, c’est évident ; j’étais dans l’impasse à Liverpool. Je ne l’oublie pas, j’ai étoffé mon palmarès. Je suis fier de tout ce que j’ai gagné au Standard et à Anderlecht. Le titre 2011-2012 et la Supercoupe, c’est super pour moi. Je veux continuer sur cette lancée. J’ai un contrat de deux ans, sans option pour une saison de plus, contrairement à ce qu’on a dit. On verra tout cela en fin de saison et je ne prendrai pas de décision sans consulter ma femme : un de nos fils rentrera à l’école primaire et je ne peux pas faire n’importe quoi. L’argent n’est pas le plus important. J’en ai assez. Le football a surtout fait de moi un homme libre. Je peux faire les choix qui me conviennent dans un monde difficile. Cette liberté est impayable. Personne ne prend de décision à ma place.

Tu étais sous les feux de la rampe en août 2011 ; cette saison, il a surtout été question de Matias Suarez et de la saga de son transfert (annulé suite à son examen médical négatif : genou récalcitrant), pas vrai ?

Oui, quand il a signé, je me suis dit : – Il laisse un vide immense. Sur le moment même, j’ai compris la décision du club et du joueur. Matias avait bien fait d’opter pour la Russie. J’ai joué dans ce championnat à une époque différente, au Lokomotiv Moscou. La D1 russe n’avait pas encore atteint son niveau actuel. Cette compétition est une des plus relevées en Europe et la Russie n’éprouve pas les mêmes soucis financiers que l’Espagne. Je connais le CSKA Moscou : c’est un grand club. Matias aurait gagné des titres, peut-être une coupe d’Europe. Le transfert a capoté mais Matias ne doit pas s’inquiéter : il jouera un jour au top européen, c’est une certitude. Je connais l’épreuve des tests médicaux. Avant de signer à Liverpool, on m’a examiné de la tête aux pieds durant trois jours. Matias est jeune : il surmontera cette déception et peut compter sur nous et notre soutien. Anderlecht peut être fier d’avoir découvert et lancé cet attaquant. J’ai toujours affirmé que c’était un grand joueur. Il réussira tout en rentabilisant son talent, c’est normal. Je sais ce que cela veut dire. Matias aide sa famille et pas mal de monde. C’est mon cas aussi et quand on vient d’un pays pauvre, comme lui et moi, on ne cesse d’être sollicité, ce qui n’est pas évident. A un moment, quand a beaucoup voyagé, on n’a plus vraiment de chez soi. Après ma carrière, je retournerai en Serbie mais est-ce que mon avenir est là ou en Belgique ? Pour en revenir à Matias, c’est la classe…

 » J’aime bien notre 4-4-2 « 

C’est pas Messi quand même…

A sa façon, Suarez est le Messi d’Anderlecht. Il ne faut quand même pas oublier qu’il a gagné des matches à lui tout seul la saison passée. Si un gars comme lui part, on ne le remplace pas en un claquement de doigts. Il y a toujours des solutions dans un club comme Anderlecht mais cela ne peut que prendre du temps. Il reste et la question ne se pose plus maintenant. Tout le monde parle de la défense. Je ne suis pas coach et je ne me penche pas sur ce thème. Mais à un moment, je me suis dit que remplacer Suarez serait plus délicat que tout autre problème…

John Van den Brom a songé au 4-4-2 et a pointé Tom De Sutter aux côtes de Mbokani : bonne idée, non ?

Excellente et je suis très heureux pour Tom qui revient de loin et qui pèse sur les défenses. Je ne comprends pas quand on ne donne pas sa chance à un joueur. C’était le cas pour Tom la saison passée et maintenant pour Dalibor Veselinovic. En championnat ou contre des adversaires européens à notre portée, Anderlecht doit gérer le jeu, mettre la pression dans le camp avec deux ou trois attaquants. La saison passée, cela ne fonctionnait pas toujours avec notre 4-5-1 : Anderlecht campait trop bas avec Dieu trop seul en pointe. Le 4-4-2, qui n’est pas notre seul système, permet un bon quadrillage du terrain, une couverture et des dédoublements partout. J’aime bien…

Si on compare à ce qui se fait à Barcelone, n’est-ce pas démodé ou dépassé ?

Mais tout est old fashion par rapport au Barça ou à la Roja. Il ne faut pas nous comparer à l’incomparable. Le 4-4-2 est toujours moderne. Il faut s’organiser avec des arrières qui montent, des médians qui resserrent vers Biglia quand l’adversaire possède le ballon.

Biglia clame son bonheur dans ce système avec un Kanu pétillant d’idées au centre du terrain…

Lucas est fantastique, c’est évident. Kanu a de l’avenir et je songe au gros potentiel de Sacha Kljestan qui a une force de travail unique. Je n’oublie pas Guillaume Gillet qui surgit si bien de la deuxième ligne. Mais je ne suis pas là pour faire la revue de l’effectif que je sache.

Van den Brom est-il différent de Jacobs ?

Chacun a son style. C’est un coach qui partage bien ses idées et son optimisme. Le travail est agréable et se fait beaucoup ballon au pied. Je ne vais quand même pas vous révéler sa méthode et nos secrets.

Pour ta position, il n’y a pas de secret : à gauche toutes dans le 4-4-2 et il était content de toi contre Ekranas…

Un assist, un but, un bon match européen.

Il a dit à la presse que…

Que quoi ?

 » Bon, si je dois vivre plus calmement « 

Qu’il avait vu ce qu’on attendait de toi : n’est-il pas temps de moins t’énerver, d’être le grand frère de tous ces gamins ?

Intéressant…

Tu dois fluidifier le jeu, être l’initiateur des grandes offensives, l’homme de l’avant-dernière ou de la dernière passe : laisse un peu la pression aux jeunes, cool…

C’est vrai que je me suis beaucoup impliqué la saison passée. Je serai toujours à l’aise en pointe mais pas de problème pour reculer si on me le demande. Et si on le dit publiquement, ça va. La saison passée, je m’excuse, mais quand on m’a écarté après deux matches de PO1, c’était pour dire : – Il est sur la banc, si on ne joue pas bien, c’est à cause de lui. J’étais le bouc émissaire. Vous savez, je n’ai pas 18 ans, et dans ce cas-là, on laisse le joueur au repos et on dit à la presse qu’il est blessé. Enfin, c’est le passé et je retiens d’abord autre chose : j’étais venu pour le titre et on l’a eu. Le reste importe peu. Maintenant, si je dois vivre mon football plus calmement sur mon expérience, au service des autres. Oui, c’est possible ; enfin, je crois…

A mon avis, c’est ce que Van den Brom attend de toi, comme tu le prouves à l’entraînement, non ?

Okay…

Quel est ton objectif cette saison ?

Pour le moment, le plus important est de nous qualifier pour les poules de la Ligue des Champions. C’est mon objectif numéro 1. J’ai râlé quand Chelsea a battu le Bayern Munich. Les Londoniens nous obligent à passer par les tours préliminaires. Puis il y a le championnat. Le Club Bruges s’est bien renforcé avec Mémé Tchité et Georges Leekens connaît la D1 sur le bout des doigts. Ce sont des atouts qui comptent. Le Standard a changé de visage et je suis impatient de le découvrir, comme Gand et Genk. A mon avis, Anderlecht finira par émerger grâce à un effectif plus riche. Cela dit, il est grand temps d’en finir avec les play-offs.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » La saison passée, nous avons tous eu le c£ur qui a tremblé. « 

 » Pour le moment, le plus important est de nous qualifier pour les poules de la Ligue des Champions. « 

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