SOUVENIRS DOULOUREUX

Pierre Bilic

Voici comment le nouvel attaquant des Dragons a l’intention de mettre les choses au point sur la pelouse de son ancien club.

Tout s’est précipité en début janvier et Ilija Stolica (27 ans, ex-Saint-Trond) n’a pas encore eu le temps de découvrir les richesses de la Grand-Place d’ Elio Di Rupo City. Le Doudou attendra un peu. Cet homme poli, calme et cultivé ne tardera pas à constater qu’un des plus grands peintres de tous les temps, Vincent Van Gogh, vécut pas très loin du c£ur de Mons, rue du Pavillon, à Cuesmes, d’août 1879 à octobre 1880. Là, l’artiste a écrit à son frère Théo :  » Je reprendrai mon crayon que j’ai délaissé dans mon découragement et je me remettrai au dessin « .

Stolica a retrouvé son chevalet, ses couleurs, ses pinceaux, ses grandes toiles vertes et cherche un appartement :  » Je suis très heureux d’avoir déniché un nouveau terrain d’expression. J’aborde les plus belles années de ma carrière. A 27ans, on a du vécu et il faut absolument jouer pour l’exploiter. Mon agent, Milan Broceta, a eu des contacts en Grèce, à Chypre, en Arabie Saoudite et au Qatar mais je souhaitais rester en Belgique. Je connais ce championnat sur le bout des doigts et je veux retrouver à Mons le rythme de croisière qui fut le mien la saison passée à Saint-Trond. Dès les premiers contacts avec la direction et l’entraîneur de mon nouveau club, j’ai deviné de l’estime, une parfaite connaissance de mon style de jeu et le désir de réaliser mon transfert. J’ai été séduit par ce climat de confiance. De plus, je connaissais les grandes lignes tactiques du coach, José Riga. Je partage la même philosophie. Tout le monde sait que Mons pratique un beau football et que quelques touches de réalisme lui auraient rapporté des points très utiles. Je suis là pour aider le secteur offensif, marquer mais aussi être un relais au service des autres attaquants et des médians qui arrivent de la deuxième ligne. Le capital technique de cet effectif saute aux yeux avec, entre autres, des joueurs comme Wamberto, Alessandro Cordaro, WilfriedDalmat, etc. Il y a aussi du solide derrière avec notamment l’interminable Dare Nibombe. Tout le monde bosse bien et j’ai été étonné par l’excellente qualité de l’outil de travail. Le président est ambitieux et cela se voit, par exemple, dans les travaux de modernisation du stade. J’ai évidemment discuté de football en général avec le directeur technique, Jean-Paul Colonval, et j’ignorais qu’il avait un aussi beau passé d’attaquant. Il a été meilleur buteur de D1 en 1965 avec 25 buts « .

Affaire Ye : en un instant du paradis à l’enfer

Le tableau de chasse du grand Colonval avait permis à son club de l’époque, Tilleur, de terminer 4e du championnat derrière Anderlecht, le Standard et le Beerschot. Un tel classement ne peut que faire rêver les Dragons. Au stade Tondreau, on songe d’abord au maintien, le reste est pour plus tard.

A Mons, Stolica sait ce qui l’attend :  » Ce n’est pas tellement différent par rapport à ce que j’ai vécu à Saint-Trond. Je connais ce stress. Et je pense que Mons a plus d’armes techniques que Saint-Trond pour assumer ses responsabilités. Cet effectif a largement de quoi se mettre au chaud en D1. Cela passe par une motivation de chaque instant « .

La prochaine journée de championnat sera assez spéciale pour lui. Mons empruntera la route menant à la Hesbaye et à Saint-Trond, son ancien club. Il y a joué un an et demi après avoir porté les couleurs de Zemun (Serbie), Lérida, Partizan Belgrade, Metalurh Donetsk et OFK Belgrade. L’ancien équipier et ami de Mateja Kezman à Zemun fit tout de suite parler de lui avec son élégance, sa couverture de balle, sa facilité dans les combinaisons et de très beaux buts. Les Canaris avaient la main sur un… merle blanc et le joueur était aux anges. Il ignorait que ce club était depuis une drôle de cage avec des oiseaux bizarres et quelques charognards. La pomme trudonnaire était pourrie depuis belle lurette. Tout se corsa en octobre 2005 quand La Louvière s’imposa par miracle 1-3 à Saint-Trond. Le football belge s’enfonçait dans les chinoiseries.

Une victime collatérale

 » Je préfère ne plus parler de tout cela car j’ai été, comme quelqu’un me l’a dit, une des victimes collatérales de cette affaire qui ne m’a jamais concerné « , avance-t-il.  » Je suis passé en un instant du paradis à l’enfer. J’ai été entendu un quart d’heure par la police judiciaire. Je tombais des nues. Les enquêteurs avaient constaté que j’avais eu pas mal d’échanges téléphoniques avec le gardien de but de mon équipe, Dusan Belic. Quoi de plus normal ? Je ne parlais pas un mot de flamand et la direction m’avait conseillé de m’adresser à mon compatriote afin de régler les petits problèmes pratiques qu’un joueur connaît quand il s’installe dans un autre pays. Les enquêteurs voulaient aussi que je brosse en quelque sorte un portrait de notre portier. Il y avait trois mois que je le connaissais alors qu’il jouait à Saint-Trond depuis dix ans. Si quelqu’un avait une idée précise de sa personnalité, ce n’était pas moi. Je lui ai demandé des explications après l’interrogatoire et il m’a dit : -Je te jure : il n’y a rien et ça ne te concerne pas. On m’a aussi demandé pourquoi je m’étais retiré au repos du match contre les Loups. Mais j’avais été victime d’une déchirure musculaire assez profonde et j’ai indiqué à la police qu’elle pouvait consulter le rapport du docteur et les radiographies. Petit à petit, je me suis retrouvé à la une des pages d’information générale de la presse. Pour certains, j’étais arrêté, soupçonné, inculpé, etc. Tout cela a été repris et même grossi dans les journaux de Serbie. J’étais sous le choc et ce fut encore plus éprouvant pour mes parents à Belgrade. J’ai eu une bonne éducation et c’est une catastrophe quand on prend cela en pleine figure. Mon père a été bourgmestre de Zemun et est désormais vice-président d’une importante chambre de commerce. Ma mère est professeur de biologie. Ma fiancée termine ses études universitaires en communication à Belgrade. Ce sont des gens sérieux et droits : ils ont été ébranlés. J’étais totalement impuissant par rapport à ce qui m’arrivait. Je l’ai dit aux enquêteurs : – Vous avez détruit ma réputation. Mon honneur a été traîné dans la boue. Ma vie n’est plus la même. Je pâtis de tout cela car c’est injuste et cruel. On ne devait pas me mêler même involontairement à une enquête ne me concernant ni de loin ni de près. Psychologiquement, j’ai beaucoup souffert car on brisait mon rêve. Je n’avais jamais rien imaginé de semblable. La police a compris mon point de vue et elle m’a dit en s’excusant : -Nous avons fait notre travail. Bien sûr, mais la presse n’a pas utilisé la grosse titraille pour écrire que cela ne le concernait pas.

Quand je suis venu en Belgique, c’était pour relever un défi sportif. Financièrement, j’étais déjà à l’aise car j’avais bien gagné ma vie, en Ukraine notamment. Je pouvais même arrêter le football sans problème. Mais à 27 ou 28 ans, on a envie de jouer, de gagner des matches, d’atteindre son maximum. J’ai été soutenu par le club. Le président Roland Duchâtelet a affirmé publiquement que je n’étais pas concerné par ce problème. Cette preuve de confiance m’a fait plaisir et le public m’a aussi compris. J’ai exigé de signer un document en plein drame. Je me suis engagé à rembourser tout l’argent gagné dans ce club si on prouvait quoi que ce soit contre moi. On n’avait jamais vu cela à Saint-Trond. J’aurais pu attaquer une partie de la presse mais à quoi bon ? Je suis un footballeur et un sportif répond sur le terrain. C’est là que je suis le plus à l’aise. Je suis aussi resté en Belgique afin de restaurer mon image de marque. Je veux être jugé pour mes actes sportifs pas pour ce qui m’est étranger. Avec le temps, les plaies se sont cicatrisées mais le vestiaire de Saint-Trond a essuyé des tempêtes la saison passée et cela laisse forcément des traces « .

 » Je n’ai jamais cessé de bien m’entraîner  »

Flamboyant durant le premier tour de la saison 2005-2006, Stolica s’effaça ensuite petit à petit. Herman Vermeulen n’était pas verni, nota de nombreuses blessures dans son effectif et fut finalement remplacé par l’inexpérimenté Thomas Caers, un proche du président. Stolica ne marqua plus que deux buts par rapport aux neuf signés la saison passée :  » J’avais même marqué un dixième but qui s’est transformé dans les statistiques en but contre son camp d’un arrière adverse. Je me souviens aussi de cinq passes décisives. Le bilan était positif pour une première saison en Belgique. J’ai eu des contacts mais je préférais d’autant rester que Thomas Caers affirmait avoir besoin de moi. Il me l’a souvent répété par la suite. Je ne sais pas pourquoi il y avait discordance entre ses propos et les faits. J’étais sur le banc cette saison et il accordait plus sa confiance à Peter Van Houdt et Henri Munyaneza. Je n’ai jamais cessé de bien m’entraîner. J’ai joué deux fois en Réserve et marqué deux buts contre Anderlecht et… trois à Mons sous les yeux de José Riga.

J’ai joué 12 fois en équipe Première mais je n’ai entamé que cinq matches. J’ai marqué mon seul but contre le Germinal Beerschot et j’ai percuté plusieurs fois les bois, notamment contre Genk. Avec un zeste de chance, j’aurais pu marquer quatre buts et être le meilleur buteur du club. Après le match contre Genk, un journaliste demanda à Thomas Caers pourquoi je passais ma vie sur le banc. Il a répété la même chose : – J’ai besoin de lui. A la fin, je me suis demandé s’il n’était pas jaloux de mon contrat « .

Caers n’avait pas assez de métier pour réussir. Après l’intérim de Peter Voets, Henk Houwaart déposa ses caisses de football champagne dans les caves de Saint-Trond.  » J’ai eu un bon contact avec lui mais il ne m’alignait pas à ma place « , précise Stolica.  » De temps en temps sur l’aile droite… Là, j’ai compris que mon avenir ne se situait plus à Saint-Trond. J’avais encore six mois de contrat. J’ai obtenu ma liberté. Le club avait été contacté par Westerlo et Lokeren mais pas moi et, de toute façon, Mons a été plus rapide. Le retour à Saint-Trond avec Mons sera forcément spécial. J’espère marquer mais aussi dire merci à mon ancien club. Je ne suis pas du genre à cracher dans la soupe. La page est tournée, il y a du neuf au programme pour moi avec un contrat d’un an et demi. Le reste, c’est du passé « .

PIERRE BILIC

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