SON PROPRE ENNEMI

Talentueux mais dingo, l’avant est adoré ou haï. Ses frasques choquent l’Angleterre mais divertissent le monde entier.

W ayne Rooney est un ouvrier de Liverpool. Après une journée de dur labeur, un pack de bières à la main, il retrouve le triste quartier de Croxteth. Sa femme Jeannette est femme d’ouvrage. Ils assistent à tous les matches à domicile d’Everton, bientôt accompagnés du petit Wayne Junior. Entre Liverpool et Manchester existe une sorte de barrière sociale. Jamais les Rooney n’eussent imaginé que leur fils jouerait pour United, l’ennemi juré…

Le fiston franchira cette barrière. Bob Pendleton découvre Wayne à Copplehouse Colts, en JuniorLeague régionale. Everton n’a aucun mal à convaincre ses parents. Comme ses frères Graham et John, Wayne est fan d’Everton aussi. Sa chambre est peinte en bleu et dort sous une couette d’Everton. Quand il effectue un test à Liverpool, l’autre club de la ville, il se présente en maillot bleu et refuse de l’ôter. Quelques années plus tard, il entre au jeu contre Tottenham Hotspur, à 16 ans. Il est le plus jeune joueur de tous les temps en Premiership. Il devient une étoile en marquant un but magnifique contre Arsenal, dans les arrêts de jeu.

Rooney ressemble plus à un boxeur qu’à un footballeur mais il a du talent. La presse le compare très vite à George Best. La parallèle semble pertinent à tous points de vue… Les tabloïds racontent que son père l’emmenait chez les prostituées à 16 ans, selon les us de la classe ouvrière anglaise. Sur le terrain, il accumule les cartes. Il mâche un chewing-gum lors d’une remise de prix. Shocking ! En 2005, passé à United, il dérape. Sa Jeep percute un camion. The Sun titre :  » Rooney se crashe contre un camion de 23 tonnes. Le camion a survécu « . On se gausse de son large cou et de ses kilos en trop.

Once a blue, always a blue

Malgré ces incidents, Rooney continue à se distinguer et Goodison Park devient trop petit pour lui. En le sélectionnant pour un match amical contre l’Australie, un an avant l’Euro 2004, SvenGöran Eriksson fait de lui le plus jeune international anglais de tous les temps. Au Portugal, il côtoie les meilleurs Anglais. Il entend Steven Gerrard et Michael Owen parler de leurs aventures en Coupe d’Europe. Il rêve de la Ligue des Champions et comprend qu’il doit quitter Everton. Il marque deux buts contre la Suisse, deux autres contre la Croatie et, en quarts de finale contre le pays organisateur, il se blesse au pied alors que l’Angleterre mène 1-0. Sans lui, celle-ci perd pied et est battue aux tirs au but.

De retour au pays, Rooney continue à penser à son avenir, même s’il a du mal à s’imaginer ailleurs qu’à Everton. Pour fêter un but, il tire son maillot. En dessous, un t-shirt frappé du slogan : Once a blue, always a blue. La direction du club s’empresse de lui offrir un nouveau contrat à 18.000 euros par semaine. Les supporters sont terrassés quand le manager du joueur refuse. Le Real se manifeste mais sans se faire concret, contrairement à Newcastle United, qui propose près de 30 millions d’euros. C’est à ce moment qu’ Alex Ferguson frappe à la porte. Les clubs se livrent bataille pendant des semaines mais l’avant a fait son choix. Il veut briller à Old Trafford. Très endetté, Everton a bien besoin de cet argent. Manchester United allonge 48 millions. On annonce le transfert quelques heures avant la clôture du marché. Les supporters d’Everton sont en rage. Ils tracent à la craie des insultes sur la façade de la maison familiale.

Un début de rêve

Ferguson va veiller sur son poulain. Il l’incite à déménager à Manchester avec son amie, Coleen, également originaire de Croxteth. Ils sortent ensemble depuis leurs 14 ans. Un jour, Coleen lui a demandé de réparer le pneu de son vélo. Ils ne se sont plus quittés, malgré les visites de Wayne aux prostituées et aux masseuses de petite vertu. Même une bataille rangée entre les deux familles, à un anniversaire, ne les refroidit pas.

David Beckham et Victoria étant partis à Madrid, la presse à sensations a besoin d’une autre cible. Elle peut s’en donner à c£ur joie : escapades dans les boîtes de nuit, transactions bancaires élevées, chaussures parsemées de diamants, propriété de 8 millions d’euros, avec des dizaines de chambres, une piscine couverte et un système de sécurité à la pointe de la technologie…

Rooney respecte son nouveau maître qui, durant ses speeches enflammés, approche son visage à quelques centimètres de celui de ses joueurs, qui ont l’impression de faire face à un sèche-cheveux. Ferguson sait cependant quand il doit se contenir et il chouchoute Rooney. Il lui laisse le temps de se rétablir de sa blessure au pied. Le 28 septembre 2004, Old Trafford accueille Fenerbahçe, en Ligue des Champions. Le stade est comble et piaffe d’impatience. Rooney n’a plus joué depuis 96 jours, il a coûté très cher et doit donc répondre aux espoirs. En une heure, les fans ont épuisé le stock de ses maillots. Les photographes l’assaillent. La pression doit être terrible mais, stoïque, il mâche son chewing-gum, aux côtés de Ruud van Nistelrooy. Ses débuts sont dignes d’un conte de fées : après 28 minutes, il a trouvé le chemin du but à deux reprises et s’est acquis les supporters, en extase. Old Trafford est en liesse quand, en seconde période, il trompe Rüstü Reçber pour la troisième fois puis délivre un assist parfait à Van Nistelrooy, sur coup franc. Manchester United s’impose 6-2, Ferguson est rouge d’excitation. Il a misé sur le bon cheval.

Pizza

Rooney ne peut empêcher United de décliner alors que Chelsea se bâtit une équipe à coups de millions. Arsenal joue nettement mieux. Arsène Wenger et Ferguson se livrent une guerre verbale par journaux interposés et la tension est à son comble quand les Londoniens se déplacent dans le nord, en décembre 2004. Arsenal est invaincu depuis 49 matches. Il veut améliorer ce record face à Rooney, qui avait déjà mis fin à une de ses séries sous le maillot d’Everton. Les tacles abondent, au détriment des occasions de but. Sol Campbell fauche Rooney dans le rectangle. Van Nistelrooy convertit le coup de réparation et Rooney double le score. Tout dégénère quand, sur le chemin des vestiaires, Rooney se moque cyniquement de Campbell, qui, frustré, jette ce qu’il trouve dans le frigo d’Arsenal à la tête de Ferguson et de Van Nistelrooy. Pizzas et bols de potage jonchent le sol. L’incident entrera dans l’histoire comme The buffet battle.

Cette victoire ne relance pas United, qui sera aussi éliminé de la Ligue des Champions par l’AC Milan. Paolo Maldini ne laissera pas la moindre chance à Rooney. En outre, le club subit le spectre d’une reprise. Si l’Américain Malcolm Glazer a jeté son dévolu sur le premier club de Manchester, c’est un peu à cause de son jeune attaquant. Le magnat est impressionné par le jeu et la personnalité de Rooney. Le club lui oppose une longue résistance mais en avril 2005, Glazer, qui émarge aux 300 Américains les plus riches, est le nouveau patron. Les fans sont furieux, une partie des joueurs se déclare contre son arrivée. Sachant que Glazer l’apprécie, Rooney s’abstient de commentaire. Les fans surnomment ironiquement celui-ci de fils adoptif de Malcolm Glazer.

Rooney fait semblant de rien. Au cinquième tour de la Cup, son club doit affronter Everton, à Goodison Park. Malgré les menaces des supporters, Ferguson l’emmène à Liverpool. Les supporters se rassemblent à l’endroit où le car doit décharger les joueurs de Manchester United. Ambiance. Pendant 90 minutes, le jeune homme encaissera les insultes d’un stade en fureur : il est devenu indésirable dans son ancien stade. Rooney ne se distingue pas mais Manchester s’impose malgré tout 0-2. Rooney soupire de soulagement en remontant dans le bus, allume son gameboy pour passer le temps. Il n’en veut pas à son ancien club :  » J’aime toujours Everton. Je reste en contact avec des gens du club et j’espère y revenir un jour « .

Mohammed Ali

La nation subit un électrochoc : à l’approche du Mondial, son sauveur se blesse au pied. Sélectionné malgré tout, il effectue sa rentrée contre Trinité & Tobago. Il n’est que l’ombre de lui-même. L’Angleterre et Rooney n’ont pas encore touché le fond : ce sera en quarts de finale, contre le Portugal,… encore. Rooney ne finira pas ce match-là non plus. Au bout d’une heure, il marche sur l’entrejambe de Ricardo Carvalho étalé. Rooney est exclu. Furieuse, la presse anglaise épargne l’attaquant au profit d’une autre cible : son coéquipier portugais à United, Cristiano Ronaldo, qui avait dénoncé le coup de Rooney à l’arbitre.

L’Angleterre n’en démord pas : Rooney a quand même bien le calibre d’un Best, d’un Johan Cruijff ou d’un Pelé. Est-ce viser trop haut ? Peut-il résister aux dérives auxquelles son statut de superstar l’expose ? En 2004, George Best s’était fait prophète :  » Rooney est très jeune. Il va découvrir à quel point la vie au sommet est pénible « . Best est bien placé pour le savoir. Le talentueux Britannique a cédé à la boisson et aux femmes. Il est d’ailleurs décédé cette année des suites d’années de débauche alcoolique.

Rooney a connu d’autres femmes que sa fiancée Coleen McLoughlin mais il ne boit pas exagérément, même si la presse britannique rapporte fréquemment ses aventures dans les night-clubs. Rooney ne peut pas non plus résister à une autre tentation : les paris. A la fin de l’année 2005, ses dettes de jeu s’élevaient à un million et demi d’euros, qu’il a depuis remboursées !

On lui reproche fréquemment son excès de poids en racontant une anecdote. Récemment, Rooney a dû enfiler le maillot de Manchester. Il n’y est pas arrivé, à cause de l’épaisseur de son cou. Froidement, il a déchiré le maillot pour parvenir à l’enfiler.

Son gabarit jouera toujours en sa défaveur. Il a la dégaine d’un boxeur. D’ailleurs, il adore ce sport qu’il a pratiqué en famille dans sa jeunesse. L’année dernière, Coleen lui a fait un présent spécial : les gants avec lesquels Mohammed Ali avait mis KO George Foreman, lors du fameux combat pour le titre en 1974, à Kinshasa.

Pour gagner les faveurs de l’Angleterre, Rooney devra respecter certaines règles. Plus question de mâcher un chewing-gum en recevant un prix. Ni de prendre autant de cartes. Et encore moins de mépriser un brassard de deuil. Le 17 novembre 2004, lors d’une joute amicale en Espagne, les Anglais arboraient un brassard noir en mémoire d’ Emlyn Hughes, la légende de Liverpool, qui venait de décéder. Enervé par l’arbitrage, Rooney arracha le morceau de tissu et le jeta sur le terrain. Une offense impardonnable, estima le monde anglais du football. Mais va-t-il jamais changer ? Cet été, au tournoi d’Amsterdam, Rooney s’est encore attiré les foudres des arbitres. Il a été exclu suite à un coup de coude et suspendu pour trois matches de championnat.

THYS VAN VEGHEL, esm

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