SOLIDES RACINES

Les origines de cet affrontement entre Escaut et Pays-Bas.

Le week-end prochain, ce ne sera sans doute pas le match qui fait le plus vibrer le sud du pays. Match de bas de classement entre deux équipes flamandes ou confrontation entre l’école ivoirienne et un mélange de joueurs slaves et scandinaves d’autre part ? Pas seulement, on parle ici de deux clubs qui ont une histoire, un passé européen et une rivalité méconnue.

A Beveren, une génération dorée créa la légende

Notre confrère BenHerremans a écrit un ouvrage sur Beveren (dont il est originaire) en 1984, à l’époque où les JauneetBleu vivaient une période de gloire.  » Lorsque j’ai re-feuilleté cet ouvrage pour me remettre les événements en mémoire, c’est toute ma jeunesse qui a défilé. Lorsque je suis né en 1957, Beveren évoluait en D3 et possédait une équipe Scolaires exceptionnelle : FreddyBuyl, WilfriedVanMoer, JeanJanssens, RobertRogiers et j’en passe. Six ou sept éléments ont intégré l’équipe Première. L’ascension de Beveren, c’est surtout l’histoire d’une génération dorée, car à l’époque, les joueurs ne changeaient pas de club comme aujourd’hui. C’est cette équipe-là que j’ai commencé à suivre, dans les années 60, avec mes copains d’enfance, parmi lesquels tous les Pfaff. JeanMarie habitait à 50 mètres du domicile de mes parents. Beveren s’est mis à jouer les premiers rôles en D3, et le rival pour la montée était le plus souvent Roulers, emmené par un certain PierreCarteus qui se fit connaître à Bruges. Je me souviens d’un match Roulers-Beveren qui s’était terminé par un 9-0 en faveur des Roulariens. J’ai pleuré en entendant le résultat à la radio. Après une série de places d’honneur et après avoir dû vendre à l’Antwerp, pour deux millions de francs belges, un Van Moer impatient d’évoluer au plus haut niveau, Beveren a fini par rejoindre la D2 en 1966. C’était une équipe qui pratiquait un football chatoyant et que l’on avait baptisé le petit Anderlecht. Aux sympathisants des grands clubs voisins, l’Antwerp et le Beerschot, on conseillait ironiquement : – Si vous voulez voir du beau football, vous avez intérêt à gravir les marches de la Cathédrale et à regarder en direction du Freethiel, distant de dix kilomètres… Le rival régional de Beveren n’était pas Lokeren (qui jouait encore dans les divisions inférieures) mais Saint-Nicolas. Cette équipe représentait le chef-lieu du Pays de Waes, une ville un peu bourgeoise, alors que les supporters de Beveren passaient pour des paysans. Beveren n’était qu’un gros village de 15.000 habitants. Aujourd’hui, il s’est un peu étendu avec la fusion des communes  »

Lors des rencontres de D2, c’était la fête au village.  » Le premier match dans l’antichambre de l’élite fut disputé contre Waterschei « , poursuit Herremans.  » Beveren avait dû évoluer tout en rouge, pour ne pas être confondu avec les joueurs limbourgeois qui portaient un maillot jaune. C’est aussi à cette époque que je me suis affilié à Beveren et que, par admiration pour Jean-Marie Pfaff, j’avais entamé une carrière de gardien de but… Je me souviens aussi d’un match contre Seraing, car c’était la première fois que des caméras de télévision s’étaient déplacées au Freethiel « .

Beveren monta en D1 un an plus tard, en 1967, sous la houlette d’un certain Guy Thys. Dans la foulée, le club accueillit son premier joueur étranger : le Yougoslave BozidarRanogajec, qui allait ensuite partir au Beerschot.  » Voir des équipes comme Anderlecht, Bruges ou le Standard, c’était tellement incroyable qu’on se disait que cela n’allait durer qu’une saison « . Cela en dura cinq, avec une cinquième place synonyme de première qualification européenne en 1970 (Beveren élimina Vienne et Valence avant de chuter contre Arsenal !). Puis, Beveren chuta en D2 en 1972.  » Là, on se disait que le rêve avait vraiment pris fin. Mais l’équipe, au sein de laquelle Jean-Marie Pfaff débuta entre les perches, remonta immédiatement « . Et le plus beau était à venir : première Coupe de Belgique en 1978 (victoire 2-0 contre Charleroi avec Urbain Braems comme entraîneur), premier titre en 1979 (avec Robert Goethals comme entraîneur). Et surtout, cette formidable campagne européenne de 78-79 qui vit Beveren atteindre les demi-finales de la Coupe de l’UEFA… après avoir éliminé l’Inter Milan en quarts.  » L’aller avait lieu à San Siro. La veille du match, les journalistes italiens ont voulu interviewer l’entraîneur Robert Goethals. On leur a expliqué qu’il n’arriverait que le jour du match, car il devait donner des cours à l’école du Heysel. L’attaquant Jean Janssens, alors ? Lui non plus n’était pas encore arrivé : il travaillait au port d’Anvers ! Les Italiens n’y comprenaient rien. Mais sur le terrain, ce fut 0-0. En découvrant le Freethiel au retour, les Intéristes ont ouvert de grands yeux : qu’étaient-ils venus faire sur cette pelouse entourée de prés aux vaches ? Et bien, s’incliner 1-0… et sans qu’il y ait matière à redire « .

En demi-finale, l’aventure s’acheva contre le FC Barcelone. Beveren avait écrit une page d’histoire du football belge.

Une deuxième Coupe de Belgique allait garnir les vitrines du Freethiel en 1983 (victoire 3-1 contre Bruges), ce qui donna l’idée du livre retraçant l’histoire de cette génération dorée.  » Le livre devait être terminé pour les fêtes de fin d’année. Je l’avais clôturé par ces mots : – Espérons que l’histoire ne s’arrête pas ici… L’équipe, à ce moment-là, était en tête du classement. Et six mois plus tard, l’éditeur a imprimé une deuxième édition, doté d’un chapitre supplémentaire, pour marquer le deuxième titre de Beveren. Depuis, le club a décliné : le football a changé, les sponsors n’ont pas suivi et l’une ou l’autre erreur de gestion. Actuellement, lorsque je vois Beveren qui se traîne en fond de classement, cela me fait mal…  »

Lokeren a été lancé par le mécène Rogiers

Lokeren se situe une trentaine de kilomètres plus à l’ouest, en direction de Gand. C’est une petite ville provinciale de 38.000 habitants dont GeorgesAnthuenis, le frère d’ Aimé, fut bourgmestre de 1994 à 2000. Aujourd’hui, son fils Filip a repris le flambeau et en est à son deuxième mandat à l’Hôtel de Ville.

 » Sur les 38.000 habitants, 15 % sont des immigrés « , rappelle Georges Anthuenis.  » De Turcs et des Marocains sont arrivés dans les années 50 ou 60, à l’époque dorée du textile. C’était la principale industrie de la région et elle avait besoin de main-d’£uvre. Aujourd’hui, le secteur a décliné. Il reste un petit musée du textile à Lokeren qui rappelle cette époque. Désormais, d’autres entreprises se sont établies dans le parc industriel, mais surtout des PME. Lokeren reste essentiellement une petite ville provinciale, où il fait bon vivre « .

Le football a placé Lokeren sur la carte :  » On a commencé à parler de Lokeren en 1958, lorsqu’on a construit le Park Hotel pour accueillir une partie des visiteurs et des exposants de l’Exposition universelle de Bruxelles. On a ensuite parlé de la ville lorsque le club de football a entamé son ascension. A l’époque où j’étais parlementaire, le but était d’amener Lokeren en D1. Lorsque EtienneRogiers est devenu président, il a émis l’idée d’une fusion entre le Racing Lokeren et le Standaard Lokeren, qui évoluaient en Promotion. Il a dû vaincre bien des réticences, car les deux entités avaient leurs sympathisants mais avec le recul, je dois admettre qu’on a emprunté la voie de la raison. Il a aussi fallu choisir des couleurs et ce fut un point de discussion acharné. Le Racing évoluait en blanc et noir, qui étaient aussi les couleurs de la ville, et le Standaard en jaune et noir. Après de longues discussions, le blanc et le noir se sont imposés avec le port des bas jaunes « .

Le stade de Daknam, lui, était neutre :  » On courait l’un ou l’autre cross à cet endroit, et des équipes de café y jouaient, mais c’était surtout un grand espace vert. La ville y a apporté les aménagements voulus en 1969 « .

Le nouveau club a rapidement gravi les échelons qui le séparaient de la D1, atteinte en 1974.  » Lorsque Rogiers était mécène, il a amené ici des grands noms du football international, comme GrzegorzLato, WlodzimierzLubanski, PrebenElkjaerLarsen ou le père Gudjohnsen « . A la fin des années 70 et au début des années 80, Lokeren termina régulièrement dans le Top 5 du championnat, avec une place de vice-champion comme apothéose en 1981. Forcément, des participations européennes s’ajoutèrent en récompense. Le FC Barcelone joua à Daknam en 1976 et AZ 67 vint y disputer un quart de finale de Coupe de l’UEFA en 1981.

 » GastonKeppens fut aussi un grand président « , rappelle Anthuenis.  » Comme l’est, aujourd’hui, RogerLambrechts « . L’ascension de Lokeren fut en grande partie due à l’apport de mécènes. Actuellement, nombreux sont ceux qui estiment que le club ne survivrait pas sans Lambrechts.  » En tout cas, il ne jouerait probablement pas en D1 « , reconnaît Anthuenis.  » L’apport de gens ayant un certain poids au niveau économique fut effectivement prépondérant, mais le football est ainsi fait que l’argent est souvent le nerf de la guerre « .

Mais parfois, cela ne suffit pas. Le club traverse actuellement une période plus difficile.  » Espérons qu’il ne descende pas en D2, car il fête son centenaire cette année « .

Les projets de fusion reviennent régulièrement mais Georges Anthuenis a toujours posé deux conditions :  » Que le nom de Lokeren apparaisse dans l’appellation du club et que l’équipe joue à Lokeren. Forcément, cela limite le champ d’action. Certes, la ville est petite et le potentiel public est limité, mais lorsque les résultats sont là, les gens viennent au stade. Jadis, à l’époque de PatrickOrlans, il avait été question d’une fusion avec Alost mais elle ne s’est pas réalisée. Le bourgmestre de Saint-Nicolas FreddyWillockx aurait aimé avoir une grande équipe du Pays de Waes… mais dans sa ville. Un peu plus tard, La Gantoise aurait voulu nous absorber. Mais il n’est pas question de connaître le sort de Seraing, absorbé par le Standard en 1996 « .

Et une fusion avec Beveren ?  » A ma connaissance, cela n’a jamais été à l’or- dre du jour « . Pour une question de rivalité ?  » Peut-être. En fait, la rivalité n’est pas très féroce. Lokeren est arrivé en D1 plus tard que Beveren, et il y a rarement eu des duels acérés entre les deux équipes, si ce n’est en Coupe de Belgique. Le plus gros incident se situa lors d’un quart de finale en 1981, lorsque Jean-Marie Pfaff fut suspendu après avoir, selon le rapport de l’arbitre, agressé un juge de touche – NDLR : ce qui marqua le début de FilipDeWilde. Je ne sais pas si beaucoup de gens s’en souviennent. Il n’empêche : chaque week-end, les supporters de Lokeren s’informent directement du résultat de Beveren. Mais en réalité, les Lokerenois ont davantage le regard tourné vers Gand, alors que les Beverenois regardent vers Anvers « .

DANIEL DEVOS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire