» Si tu es très intelligent, tu ne deviens pas footballeur « 

Le Norvégien passe en revue musique, Diables, hockey sur glace, princes saoudiens, révolution pacifique, déclin brugeois…

Appelez-le Trophy Sollied. A 51 ans, le Norvégien est l’une des plus belles machines à gagner passées par notre championnat : 19 consécrations (titres nationaux et coupes) comme joueur et entraîneur. Dans son pays, chez nous, en Grèce et aux Pays-Bas. Il est aussi le dernier coach à avoir su faire tourner Bruges. Aujourd’hui, il prend du bon temps à Gand, sa ville d’adoption. Il est sans boulot depuis la fin de son expérience en Arabie Saoudite l’été dernier.

Il n’a tenu que quelques semaines à Al Ahli mais Sollied reste Sollied. Une froideur toute nordique mais un discours remarquable, plein de raisonnements qui valent le détour, un humour assez britannique et l’art de manier le second degré.

Cela ne vous est pas souvent arrivé d’être sans travail : comment vivez-vous cette période ?

Trond Sollied : Je vais très bien ! Je suis à un stade de ma vie où je peux travailler, mais où je ne dois pas travailler…

Vous voulez bosser ?

Bien sûr.

Vous avez eu des propositions récemment ?

Des clubs m’ont appelé mais je ne suis entré dans aucune discussion. Parce que ces clubs n’étaient pas assez bons. Et aussi parce que j’estimais que c’était trop tôt pour reprendre du service.

Vous avez d’abord besoin de vous nettoyer l’esprit ?

Oh… but I have nothing to wash. Je suis tout à fait clean dans ma tête.

Vous retravaillerez dans quel genre de club ?

Un club qui peut gagner directement un trophée. Et de préférence dans un pays où je ne suis pas encore allé.

Quand un entraîneur retrouve du boulot en cours de saison, c’est automatiquement une équipe qui a des problèmes !

Oui mais ça ne me tracasse pas : dès que ce sont des problèmes qu’il est possible de solutionner, ce sont pour moi des problèmes positifs. Quand j’avais débarqué à Gand en décembre 98, j’avais vu directement qu’il était envisageable de faire quelque chose avec cette équipe.

Vous avez quitté vous-même Al Ahli ou on vous a viré ?

On m’a mis dehors. Et quelques jours plus tard, on m’a demandé de rester. Mais j’ai refusé. Pour moi, le lien de confiance était cassé. Et j’ai cherché le premier avion pour rentrer. Pas de temps à perdre.

Quel était le problème là-bas ?

Un prince qui voulait s’occuper des gars qui ne jouaient pas, alors que moi, je me concentre d’abord sur les joueurs qui jouent… Le patron de n’importe quel club peut essayer d’imposer ses favoris dans l’équipe, mais alors, il ne faut pas me prendre comme entraîneur. En plus, ce prince n’osait pas me dire les choses en face, il essayait d’intervenir dans mon dos. Ça ne pouvait pas marcher. No balls, no fire.

Je ne comprends pas…

The balls… Non, je ne parle pas de ballons de foot mais des balles qu’un homme courageux est censé avoir dans son pantalon. Sans ça, impossible de bien fonctionner.

 » Genk pourrait être un club que j’aimerais entraîner… « 

Vous regrettez de ne pas être resté plus longtemps en Arabie Saoudite ?

J’étais allé là-bas pour construire quelque chose. En sachant que dans le désert, il faut du temps pour que l’herbe commence à pousser ! Mais j’ai vite compris que ce serait compliqué. J’ai signé fin juillet, il ne restait que deux semaines avant le début du championnat et dix titulaires étaient absents pour cause d’équipes nationales. Je n’avais donc qu’un seul joueur de l’équipe de base à l’entraînement.

Herman Vermeulen avait un bon job de directeur sportif à Genk, vous l’avez débauché pour vous accompagner en Arabie, et deux semaines plus tard, il se retrouvait au chômage. Dans le temps, vous aviez demandé à Chris Van Puyvelde et à Cedo Janevski de vous suivre en Grèce, d’où vous aviez aussi dû partir plus tôt que prévu. Vous n’êtes pas mal à l’aise par rapport à eux ?

Doucement, doucement… Je n’ai kidnappé personne, je leur ai simplement proposé de me suivre. Si je te propose un truc à vendre, tu as le choix d’accepter ou de refuser. Et si tu refuses, je contacte quelqu’un d’autre pour faire le marché. Où est le problème ? Tout le monde est libre. Et ne t’en fais pas pour Vermeulen. Avec les compétences qu’il a, il va vite retrouver du travail. S’il n’était pas aussi bon, je ne lui aurais pas demandé de venir avec moi à Al Ahli.

Il y a un an, vous aviez négocié avec Genk pour prendre la place de Hein Vanhaezebrouck. Vous étiez même le premier choix de la direction.

Oui, nous avons parlé mais je ne le sentais pas. Cela n’avait rien à voir avec le club, mais avec moi. J’ai finalement estimé que le timing n’était pas bon pour moi. Au même moment, je pouvais aussi signer dans un grand club turc. Et avec ces gens-là, ça a capoté parce qu’ils m’ont subitement mis une grosse pression : ils me donnaient une heure pour marquer mon accord. Je ne fonctionne pas comme ça et j’ai stoppé la discussion.

Quand vous voyez le niveau de Genk aujourd’hui, vous ne vous dites pas que vous avez fait une erreur ?

Mais le niveau actuel de Genk ne m’étonne pas. Je savais qu’il y avait un potentiel énorme là-bas. Sans cela, je n’y serais même pas allé pour négocier. Genk pourrait être un club que j’aimerais entraîner un jour…

L’équipe qui faisait un parcours catastrophique il y a un an est aujourd’hui championne d’automne : ça vous étonne ?

Vraiment pas. Je savais qu’elle n’était pas à sa place. Et je n’avais pas compris le prêt de Jelle Vossen au Cercle. Je l’avais affronté avec Gand, quand il était toujours à Genk, et il m’avait impressionné.

Sexe et foot : ne pas tout mélanger

Vous trouvez que le jeu actuel de Genk est sexy ?

Sexy ? On n’emploie pas des mots pareils dans le foot. Sex, drugs, rock and roll, ce sont des termes du monde de la musique. Il ne faut pas tout mélanger. Même s’il y a certains points communs entre la musique et le football : le rythme par exemple.

Il est excitant, le football de Genk ?

J’aime voir du beau jeu, et quand Genk tourne bien, ce n’est pas mal. Par contre, j’ai vu cette équipe contre le Standard et ce n’était pas bon.

Genk peut jouer le titre ?

(Catégorique). Non. Le titre de champion d’automne ne veut plus rien dire, avec cette formule de play-offs. Je ne l’accepterai jamais. Genk peut terminer en tête de la phase classique puis s’effondrer et ne pas être champion : c’est tout à fait illogique. Les play-offs, c’est juste bien pour un championnat de hockey sur glace, où il n’y a que deux ou trois bonnes équipes.

Mais Genk ne va peut-être pas s’effondrer ?

Le noyau n’est pas assez large, ça saute aux yeux. Anderlecht et Gand sont mieux servis.

Gand ?

Pour moi, c’est le meilleur noyau. Il n’y a pas de grands noms mais l’ensemble a plus de qualités que toutes les autres équipes. C’est à cause de cette absence de très grands joueurs que La Gantoise n’a pas pris un point contre les meilleurs.

On ne peut pas être champion quand on ne prend rien contre les gros bras.

C’est possible si les grands perdent des plumes contre les petits. Francky Dury travaille bien. Il a d’abord calmement observé puis a placé ses accents. Maintenant, c’est difficile de se planter quand on a un groupe aussi adulte.

 » Il faut choisir un système de jeu, un seul « 

Vous voyez des entraîneurs du championnat qui travaillent à la Sollied ?

J’en vois beaucoup qui ont adopté ma façon de disposer leur équipe sur le terrain, en 4-3-3. Quand je suis arrivé ici, personne ne jouait dans ce système. Personne ! J’ai fait une révolution. Mais sans effusion de sang… Une révolution pacifique, comme celle qu’une opposante essaye aujourd’hui d’organiser en Birmanie !

Pourquoi avez-vous imposé le 4-3-3 dans tous vos clubs ?

Mes équipes ont joué par moments en 4-4-2, en 3-5-2 ou en 3-4-3. Mais seulement pendant des courtes séquences de matches. Il faut choisir un système, un seul. Si tu en prends deux ou trois, tes joueurs ne savent plus ce qu’ils doivent faire. Avec moi, c’est le 4-3-3 et il suffit d’un signe, d’un cri ou d’un coup de sifflet depuis le banc pour que l’organisation se modifie en quelques secondes. Mes joueurs savent parfaitement comment ils doivent se repositionner dans des circonstances précises.

Les joueurs de Gand avaient directement compris où vous vouliez en venir quand vous leur aviez parlé de 4-3-3 ?

Aucun problème.

Il faut alors avoir des joueurs intelligents dans le groupe ?

(Il réfléchit). L’intelligence… Tu peux avoir un gars complètement stupide dans la vie mais qui sera très intelligent sur un terrain. C’est étrange, hein…

Vous faites la différence entre l’intelligence en général et l’intelligence footballistique ?

Ecoute, il ne faut pas être un génie pour savoir jouer au foot. Albert Einstein ne jouait pas, sans doute aussi parce que ça ne l’intéressait pas. Si tu es très intelligent, tu n’es pas tellement sportif. Et tu ne deviens sûrement pas footballeur.

Vous n’arrêtez pas de prendre des notes pendant un match… Vous faites de la littérature ? Ou des dessins ?

J’ai mon propre système de notes, avec des mots clés. C’est important, ce que je griffonne. Parce qu’à la mi-temps, je n’ai que quelques minutes pour corriger ce qui ne marche pas, et il faut que je trouve vite les mots justes. To the point. Et je garde tout ! J’ai une pile de feuilles pas possible chez moi. Et je ressors les bonnes notes quand nous retrouvons le même adversaire quelques mois plus tard.

Diables :  » C’est in, out, in, out. Je ne comprends pas « 

Vous êtes toujours très calme sur le banc. Mais ça bout peut-être à l’intérieur ?

Pas du tout. Je m’occupe de mon équipe en sachant que je ne peux de toute façon pas changer grand-chose pendant le match. Je dois attendre la mi-temps pour intervenir sérieusement. La seule façon de modifier quelque chose de façon spectaculaire pendant les trois premiers quarts d’heure, c’est de changer un joueur. Mais depuis que j’entraîne, je ne dois avoir fait qu’un seul changement en première mi-temps, à part dans le cas d’une blessure.

Et qui a été la victime ?

Nastja Ceh, quand j’étais à Bruges. C’était en Coupe d’Europe, en Islande. Ceh ne voulait pas bouger ses fesses. Je l’ai sorti après 35 minutes, c’était 1-1. Nous avons gagné 1-6. Avec moi, c’est dur d’entrer dans l’équipe mais c’est difficile aussi d’en sortir. Je permets à un joueur de faire un mauvais match. Même deux. Voire trois. Parce que je vois entre-temps à l’entraînement s’il est toujours performant, si ses mauvais matches sont simplement des accidents ou pas. J’ai besoin de stabilité. C’est pareil dans tous les métiers : si tu as tous les jours un nouveau collègue près de toi, tu deviens vite parano.

Comment jugez-vous l’évolution du football belge depuis votre arrivée ?

Si l’équipe nationale est la vitrine, on doit dire que votre football a régressé. Alors que la Belgique a beaucoup plus de talent individuel qu’il y a dix ans. J’ai du mal à comprendre le roulement de joueurs chez les Diables. Ça change sans arrêt. Il faut arrêter de sélectionner systématiquement tous les meilleurs mais plutôt prendre ceux qui savent le mieux jouer ensemble. Quand je vois qu’on appelle jusqu’à 60 joueurs sur une année, je me demande où on veut en venir et je me dis qu’on travaille mal. Il suffit de jouer un seul bon match en championnat pour être sélectionné ! Alors que pour moi, il faut avoir fait ses preuves pendant trois ou quatre saisons… Ici, tout va beaucoup trop vite.

C’est normal qu’on sélectionne Vossen après quelques très bons matches de championnat ?

Je n’en suis pas sûr. Si tu raisonnes comme ça, tu prends encore un nouvel attaquant pour le match suivant. Et encore un autre pour la rencontre qui suit. Au bout du compte, tu ne formes pas une équipe avec des gars qui se connaissent. Une campagne de qualification, c’est court, une dizaine de matches. Alors, tu formes un bloc dès le départ et tu le maintiens. Au lieu de ça, c’est in, out, inout

Cinq ans d’université, 13 années d’enseignement

Pourquoi Bruges va aussi mal ?

Là-bas, la main droite ne sait pas ce que fait la main gauche.

Vous y avez tenu cinq saisons, et depuis votre départ, il y a eu cinq entraîneurs en cinq ans. Quel est le secret pour durer à Bruges ?

Un long contrat. (Il rigole).

Vous n’aviez pas signé pour cinq ans !

D’abord trois saisons, et entre-temps, on m’a proposé de prolonger pour cinq ans. J’ai refusé, ça me semblait trop long, je voulais aussi découvrir autre chose. J’en ai donc repris pour trois ans et suis parti après deux saisons.

On a l’impression que la direction ne sait pas où elle est et ne sait pas où elle doit aller car elle a pris tous des entraîneurs aux profils assez différents : Jan Ceulemans, Emilio Ferrera, Janevski, Jacky Mathijssen, Adrie Koster.

Je suis d’accord. Il n’y a aucune continuité.

Ceulemans n’était pas assez costaud pour vous succéder ?

Dans un grand club, il faut savoir rester soi-même tout en supportant la pression. Tout le monde n’est pas capable de le faire. Quand tu passes d’un petit club à un grand, tu rames souvent.

Mais vous aviez réussi à Bruges en venant de Gand, qui n’était pas un tout grand club.

Qu’est-ce que j’avais fait avant La Gantoise ? J’avais amené Rosenborg en quarts de la Ligue des Champions, contre la Juventus. Dans ce club, il n’y avait qu’une consigne : gagner. Et je gagnais. Depuis que je suis dans le football, je me trouve dans le camp des vainqueurs : j’y étais comme joueur, puis encore comme entraîneur. C’est ça qui te permet de progresser. En plus d’autres choses. Je suis aussi allé cinq ans à l’université, j’ai appris le sport, l’économie et l’histoire. Et j’ai enseigné pendant 13 ans : tout cela m’a beaucoup aidé.

C’est important de connaître l’histoire quand on est entraîneur de foot ?

Tu sais au moins ce qui s’est passé entre la première et la deuxième guerre. (Il éclate de rire). Non, mais au moins, tu es capable de remettre les choses en perspective.

Sur Ariel Jacobs et Dominique D’Onofrio…

On a cité récemment votre nom à Bruges, pour remplacer Koster.

Je n’ai eu aucun contact. Mais ils ont mon numéro de téléphone. S’ils m’appellent, je répondrai. Par politesse.

Vous seriez intéressé ?

C’est hypothétique.

On vous voit souvent aux matches de Gand, pas à ceux du Club.

Je vais à Gand parce que j’ai des potes qui vont là-bas. Football is a social event. Mais je ne suis pas fou du foot en tant que tel. Je ne regarde pas des matches tous les jours, loin de là.

Votre meilleur souvenir au Club, c’est un titre, une Coupe de Belgique, la victoire à Milan ?

Milan, c’était super. Mais c’est sans doute contre Lyon, en Coupe de l’UEFA, que nous avons joué notre meilleur match : 4-1 chez nous et nous aurions pu en planter neuf ou dix. C’était déjà le grand Lyon. Quelques mois plus tard, il était champion de France pour la première fois. Et six autres titres ont suivi.

Vous pourriez supporter la situation d’Ariel Jacobs ? Il est menacé un jour, confirmé le lendemain, à nouveau sur la sellette le surlendemain.

Quand tu as entraîné l’Olympiacos, un vrai volcan, tu n’as pas de problème avec ça.

C’est plus cool d’entraîner le Standard en étant le frère du patron ?

Très peu pour moi. Avoir mon frère comme boss, je ne l’aurais jamais accepté. Parce que je veux toujours être moi-même le grand patron…

Vous dites que vous aimez aller aux matches du Standard parce qu’il s’y passe toujours quelque chose.

C’est normal qu’il y ait toujours quelque chose à voir là-bas. Quand tu as Mémé Tchité devant, et un trio Mehdi Carcela-Axel Witsel-Steven Defour au milieu… It’s high class.

Mais vous n’êtes pas tendre quand vous parlez de la défense.

La défense du Standard, c’était la base des deux titres. Sans une grande ligne défensive, tu n’es jamais champion. Cette saison, je vois souvent des défenseurs qui se demandent où ils doivent se placer et ce qu’ils doivent faire. Les matches se décident près des deux rectangles et si ça foire sur une de ces deux zones-là, tu ne vas pas loin.

Qui est le meilleur joueur du championnat ?

J’en cite alors un par secteur. Silvio Proto dans le but. Roland Juhasz derrière. Steven Defour au milieu. Et Mbark Boussoufa devant car c’est pour moi un vrai attaquant.

Et Romelu Lukaku ?

Patience. Il est encore trop dépendant des autres joueurs. J’ai choisi des gars qui ont beaucoup de plomb dans la cervelle et rayonnent dans leur partie de terrain.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : REPORTERS / GOUVERNEUR

 » Au Standard, il y a toujours quelque chose à voir. Tchité-Defour-Witsel-Carcela, it’s high class ! « 

 » Depuis que je suis dans le football, je me trouve dans le camp des vainqueurs. « 

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