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 » SI JE PARS EN PREMIER LEAGUE, C’EST POUR JOUER « 

C’était le principal défi du KRC Genk cet été : parvenir à conserver l’Espoir de l’Année, Leon Bailey. Mission accomplie.  » Un transfert à l’Ajax n’était pas une nécessité pour moi. Je veux surtout gagner le respect.  »

LeonBailey joue avec quelques pièces de monnaie dans sa poche lorsque, subitement, il demande en plein milieu de l’interview :  » Savez-vous ce qu’est un phénix ?  » Deux minutes plus tard, il donne lui-même la réponse :  » Un oiseau immortel. Lorsqu’on le tue, il renaît de ses cendres. Mon père, mon frère et moi avons tous un phénix tatoué sur le bras. Notre leitmotiv, c’est : rester vivant.  » We never give up, no matter what.We never back down.  » Bailey raconte cette histoire dans un stade qui, autrefois, s’appelait le Fenixstadion. Une appellation qui lui a été donnée parce que le KRC Genk est né sur les cendres des anciens clubs miniers de Waterschei et de Winterslag.  » Ah, that’s quite interesting.  » Le phénix joue donc un rôle central dans la jeune carrière de ce Jamaïcain de 19 ans. D’autant qu’en plus, il a débuté à la Phoenix All Star Football Academy.

Comment as-tu découvert le football ?

LEON BAILEY : A trois ou quatre ans, je jouais déjà au football, en sandales. Et pas seulement avec un ballon : je frappais sur tous les objets que je trouvais. Du matin au soir. Les jours où il y avait école, je me levais à cinq heures pour aller taper le ballon dans le hall. Je réveillais tout le monde dans la maison. A sept ans, je me suis inscrit à la Phoenix All Star Football Academy dirigée par mon père. Je jouais avec les U13, les U15, les U17 et finalement même avec les U20, alors que je n’avais que 12 ans. Lorsque je jouais avec des garçons de mon âge, c’était trop facile pour moi. Je m’en suis encore aperçu plus tard, en Autriche. J’ai joué dans ma catégorie d’âge et j’ai inscrit 75 buts en 15 matches. A la longue, quand on marque dix buts par match, ce n’est plus gai. J’aime la compétitivité.

Tu parles de l’académie de ton père. En fait, tu veux parler de Craig Butler, l’homme qui t’accompagne ici aussi, mais des doutes subsistent sur le fait qu’il soit vraiment ton père.

BAILEY : Il est vraiment mon père. (il rit) Que puis-je dire de plus ?

Ton père biologique ?

BAILEY : Non, il n’est pas mon père biologique, mais il est à mes côtés depuis que je suis tout petit. Je le considère comme mon père biologique. Mon véritable père biologique ne représente pas, à mes yeux, une véritable figure paternelle, mais je reste en contact avec lui. Il y a eu des problèmes entre lui et ma mère.

Cette Phoenix AllStarFootballAcademy, c’est une grande académie ?

BAILEY : La plus grande de Jamaïque. Des centaines de jeunes s’y entraînent. Nous formons les meilleurs joueurs des Caraïbes. Y compris des non-Jamaïcains. Le bouche-à-oreille fonctionne. On enseigne davantage que le football, on apprend aussi à cuisiner et à faire la lessive, afin que les jeunes qui sortent aient une certaine indépendance. On apprend aussi à ne plus compter sur sa mère. Lorsqu’on débarque en Europe, on peut avoir le mal du pays. Il faut s’y préparer avant de franchir l’Atlantique.

 » JE SAIS QUI JE SUIS ET OÙ JE VEUX ALLER  »

Butler est parti en Autriche avec toi et d’autres jeunes, lorsque tu avais 13 ans. Mais un mineur d’âge jamaïcain n’a pas le droit de s’affilier de lui-même à un club européen et encore moins d’y signer un contrat. Les faits l’ont confirmé : tu as eu du mal à trouver un club.

BAILEY : C’était pourtant une bonne idée. Sinon, je n’en serais pas là où j’en suis aujourd’hui. Je n’aurais pas progressé autant. Le jeu en valait la chandelle. Mais tout n’a pas été rose, tous les jours. Je n’avais encore jamais vu la neige, et subitement, j’ai dû m’entraîner sur un tapis blanc. Parfois, nous avions peu à manger et nous devions nous contenter de tartines au thon. Mais nous avions un rêve : devenir footballeur professionnel. Et nous étions prêts à tout pour le réaliser. Y compris à traverser l’enfer. Nous étions des phénix.

Es-tu allé à l’école en Autriche ?

BAILEY : Oui, pendant une année. J’y ai appris l’allemand. Mais j’ai beaucoup oublié. Lorsque je suis arrivé à Genk à 14 ans, je suis aussi allé à l’école. Je parlais très bien le néerlandais, à l’époque. Mais depuis, j’ai aussi beaucoup oublié, car je suis retourné deux ans en Jamaïque.

Au risque de me répéter : changer sans cesse d’école et de pays, à un très jeune âge, cela n’a pas dû être facile ?

BAILEY : Non, mais je suis fier du chemin parcouru. Si certains veulent me critiquer ou dire du mal de moi, je m’en défendrai. Je sais qui je suis et où je veux aller. Et je travaille très dur pour atteindre mon objectif.

Avais-tu une idole lorsque tu étais jeune ?

BAILEY : Ronaldinho. J’admirais aussi Lionel Messi et Neymar, mais Ronaldinho était mon joueur préféré. Il ne craint personne sur un terrain. Il réalise des gestes que personne d’autre n’est capable de réaliser. Ses dribbles, ses frappes au but, ses angles de frappe et ses gestes techniques sont incroyables. S’il les réussit, c’est parce qu’il sait qu’il en est capable. Je suis taillé du même bois. Certains trouvent que c’est de l’arrogance, mais je crois simplement en moi. Lorsque j’affirme que je réussirai, j’en suis vraiment convaincu. Ronaldinho sait qu’il est capable de tuer son défenseur. Moi aussi. On se sent très fort, dans ce cas-là.

 » JE NE SUIS RESTÉ QU’UN JOUR AU STANDARD  »

Durant ton premier passage à Genk, tu avais travaillé avec un spécialiste de la technique, Michel Ribeiro. T’a-t-il beaucoup appris ?

BAILEY : Nulle part en Europe, je n’ai travaillé avec un meilleur entraîneur technique que Michel Ribeiro. Lorsqu’on observe la deuxième équipe de Genk, on constate que les joueurs utilisent les mouvements qu’il leur a enseignés. On peut encore apprendre à faire une passe lorsqu’on est plus âgé, mais les gestes techniques s’apprennent dès le plus jeune âge.

Durant ce premier passage, tu as aussi travaillé avec Dimitri de Condé, qui était encore entraîneur de jeunes à l’époque. Mais tu es subitement parti, pour entamer d’autres pérégrinations qui t’ont mené au Standard, à l’Ajax, en Jamaïque et à Trencín.

BAILEY : Il y avait des problèmes avec GunterJacob (l’ancien directeur sportif du KRC Genk, ndlr). Il n’a pas tenu parole. Je ne suis resté qu’un jour au Standard. L’Ajax, c’était bien au début, mais cela s’est gâté par la suite. Il fallait mettre des papiers en ordre. Et subitement, il y a eu un blocage. Pour un joueur non européen, c’est très compliqué de s’établir en Europe.

L’an passé, à 18 ans, tu as enfin pu signer un contrat au KRC Genk, où De Condé était entre-temps devenu le directeur sportif.

BAILEY : Oui. Si je suis revenu, c’est grâce à lui. Lorsqu’il était mon entraîneur, j’étais très proche de lui.

As-tu également eu des contacts avec Chelsea, à l’époque ?

BAILEY : Avec Chelsea, Liverpool, la Juventus… Avec tous les clubs dont on a parlé. Ils voulaient tous m’engager, mais ils n’ont pas pu régler les problèmes administratifs. J’étais aussi soucieux de mon développement, je ne voulais pas nécessairement signer dans le plus grand club. A mon âge, je voulais d’abord jouer et progresser. Je savais que, dans cette optique, Genk était le club idéal. Les faits m’ont donné raison. J’ai été élu Espoir de l’Année. Beaucoup de jeunes footballeurs sautent à pieds joints sur une proposition de Chelsea, mais la plupart du temps, ils sont ensuite prêtés à un club de niveau inférieur et disparaissent de la circulation. Le jour où je partirai en Premier League, ce sera pour jouer.

 » JE VEUX FAIRE MIEUX QUE DE BRUYNE  »

Tu es donc satisfait de ta première saison à Genk ?

BAILEY : Très satisfait. Ce club possède une légende : Kevin De Bruyne. Lorsque je regarde mes statistiques de la saison dernière, je constate qu’elles sont meilleures que les siennes à 18 ans. J’ai inscrit plus de buts et j’ai délivré plus de passes décisives. Cela me procure un sentiment incroyable. Et cela me pousse à me surpasser. Je sais ce que De Bruyne a réalisé depuis lors et je veux faire mieux que lui. J’aime me lancer des défis.

Après tes pérégrinations aux quatre coins de l’Europe, tu as disputé ta première saison avec les  » grands « . As-tu rencontré des difficultés ?

BAILEY : Oui. Mais j’ai appris au fil des semaines. J’ai beaucoup appris de ThomasBuffel, par exemple. C’est un joueur intelligent. Lorsque je vois comment il se déplace sans ballon, ou comment il se positionne défensivement en perte de balle, je prends exemple sur lui. J’ai aussi beaucoup appris d’un autre joueur expérimenté : Igor de Camargo. Un joueur très malin, qui n’a pas son pareil pour se simplifier la vie sur le terrain.

Mais il a un tout autre style que toi.

BAILEY : Pour apprendre, il ne suffit pas d’imiter les autres. On peut aussi observer comment un autre joueur se comporte et adapter son comportement à sa propre manière de jouer.

Quelle a été la principale difficulté lors de ta première saison en équipe-fanion ?

BAILEY : L’entraîneur qui n’arrête pas de crier. Et le travail défensif qu’il m’obligeait à accomplir. Mais depuis, j’ai appris à me simplifier la tâche sur le plan défensif. Le placement est très important. Si le positionnement n’est pas bon et que l’adversaire a le champ libre devant lui, il faut fournir beaucoup d’efforts pour rectifier la situation. Lorsqu’on est bien placé, c’est beaucoup plus facile. Lorsque l’adversaire adresse une passe, il suffit alors de faire un pas de côté pour la contrer.

T’es-tu habitué aux méthodes de Peter Maes, entre-temps ?

BAILEY : Parfois, je dois faire semblant que je n’entends pas ses directives, même s’il est mon entraîneur. Mais il faut être malin. Lorsque l’équipe est en difficulté sur le plan mental, c’est parfois compliqué. Les plus forts doivent alors aider les plus faibles.

 » CONTRE OSTENDE, J’AI INSCRIT LE BUT PARFAIT  »

Si tu pouvais choisir ton moment préféré de la saison dernière, lequel serait-ce ?

BAILEY : Le but que j’ai inscrit contre Ostende. C’était le but parfait. Je n’ai touché le ballon qu’à trois reprises. J’ai réceptionné une longue passe qui m’était adressée et j’ai réussi un contrôle impeccable. Au point que j’ai directement éliminé un défenseur et que je me suis retrouvé face au gardien. Avec ma deuxième touche, j’ai placé le ballon idéalement sur mon pied, et avec la troisième, je l’ai propulsé au fond des filets.

T’arrive-t-il de vouloir joindre la beauté du geste à l’efficacité ?

BAILEY : Un but, c’est un but. Mais lorsqu’il est beau, on en parle davantage.

Apprécies-tu le soutien des supporters ?

BAILEY : Je veux surtout leur offrir pour leur argent. Ils n’ont pas payé leur place pour assister à une succession de passes. Le football, c’est du spectacle.

T’attendais-tu à jouer une deuxième saison à Genk ?

BAILEY : Oui, j’ai toujours eu en tête de jouer deux ans ici. Même si, à un moment donné, j’ai eu l’impression qu’il valait mieux partir. Finalement, après une discussion avec Dimitri (de Condé), j’ai décidé de rester.

Qu’est-ce qui t’avait poussé à envisager un transfert ?

BAILEY : Des problèmes avec quelques personnes dans le club. Je n’en dirai pas plus, mais certaines choses me déplaisaient. C’est du passé.

Les problèmes sont résolus ?

BAILEY : Oui, tout est rentré dans l’ordre. S’il n’y avait pas eu cette question du transfert, j’aurais toujours été traité de la même manière. Aujourd’hui, tout a un peu changé.

Le club qui voulait t’acheter, c’était l’Ajax. Tu as déjà joué là-bas. C’est un club qui te plaît ?

BAILEY : Pas plus que cela, mais Ajax c’est Ajax. Sur le plan footballistique, il n’est pas beaucoup plus important que le KRC Genk. Un transfert à l’Ajax n’était pas une nécessité pour moi, mais je savais que la simple évocation de cette opportunité me procurerait plus de respect. Apparemment, c’est le cas. J’espère que cela continuera.

 » J’AI TOUJOURS RÊVÉ DE LA PREMIER LEAGUE  »

Tu parles de tes relations en interne, pas de tes relations avec les supporters ?

BAILEY : Des deux. Contre Waasland-Beveren, j’ai de nouveau été sifflé. Sans doute parce qu’ils savent que je peux mieux faire. Mais ils doivent comprendre qu’on ne peut pas jouer à son meilleur niveau à tous les matches.

Butler a révélé que ton transfert à l’Ajax a échoué après l’élimination de la Ligue des Champions. Etonnant qu’il y ait un lien de cause à effet.

BAILEY : La décision avait déjà été prise avant. Nous avions déjà eu une réunion alors que le match contre Rostov n’avait pas encore été joué.

Tu joueras donc l’Europa League avec le KRC Genk. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?

BAILEY : J’apprendrai beaucoup dans cette compétition. Et c’est le principal, à mon âge. Tout ce que je fais s’inscrit dans un long processus d’apprentissage.

A partir de quand t’estimeras-tu satisfait de la saison ?

BAILEY : Lorsque j’aurai inscrit plus de buts et délivré plus de passes décisives que la saison dernière, et que j’aurai obtenu un meilleur classement avec Genk.

Tu as révélé que tu partiras au terme de cette saison. Quelle serait ta destination de rêve ?

BAILEY : La Premier League. J’en rêve depuis que je suis tout jeune. En Espagne, en Allemagne et en France, on sait à l’avance quelles équipes termineront sur le podium. En Angleterre, c’est beaucoup plus indécis. Cette perspective m’attire, car je suis un compétiteur.

Pour conclure : que penses-tu de cette déclaration d’Igor De Camargo à propos du vestiaire de Genk : ‘Le seul qui a un caractère un peu spécial, c’est Bailey. Il montre à tout le monde : Here I am.’

BAILEY : (il rit) Il y a du vrai dans cette déclaration. J’aime montrer que je suis là. Je suis différent des autres. Sur le terrain, aussi. Lorsqu’on court beaucoup et qu’on réalise des actions, les gens le voient.

Et tu aimes qu’on te voit ?

BAILEY : Ce n’est pas que j’aime cela, cela fait partie de ma personnalité. Mon frère est un milieu de terrain, son rôle est d’adresser des passes. Il a plus de mal à se faire remarquer. Moi, je me fais remarquer en cinq minutes. C’est bien.

PAR KRISTOF DE RYCK – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Certains me trouveront peut-être arrogant mais je suis taillé du même bois que Ronaldinho.  » LEON BAILEY

 » Me faire voyant, ça fait partie de ma personnalité.  » LEON BAILEY

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