Ses 10 mois

De juillet 2006 à avril 2007 : revue des exploits du défenseur sénégalais des Rouches (23 ans). Il pète le feu pour sa saison de confirmation.

Juillet 2005 : Mohamed Sarr débarque au Standard comme illustre inconnu. Avec une valise à la main et des stats vraiment pas folichonnes : il est passé par 6 clubs (Trévise, AC Milan, Galatasaray, Ancône, Bergame, Vittoria) entre 2001 et 2005, et il a disputé moins de 50 matches pendant toutes ces années.

Aujourd’hui, ce défenseur central né à Dakar est plus qu’une certitude chez les Rouches. Il joue tout et ne lâche rien. Il fait le point sur sa deuxième saison à Liège, sur tout ce qui lui sourit et ce qui l’ennuie depuis l’été 2006. Dis-nous tout Momo

Juillet : lancement

Un an après son arrivée, Sarr dresse son premier bilan belge : 12 matches joués en championnat, une carte rouge, pas de but marqué. Quand il reprend les entraînements, il a toujours à l’esprit le sprint raté du Standard et le titre qui est allé dans la vitrine d’Anderlecht.

n  » Encore aujourd’hui, j’ai les boules quand je pense à cette fin de saison. L’équipe a foiré dans deux moments importants de la dernière ligne droite : à Anderlecht et à Roulers. Ces matches ratés nous ont coûté le titre. Mais il faut avancer, nous n’avions pas le droit de continuer à nous lamenter quand les entraînements ont repris en juillet. J’ai préféré retenir ce qui avait bien marché pour moi pendant ma première saison au Standard. J’avais joué 12 matches : ce n’est pas énorme, mais c’est déjà bien pour un gamin de 22 ans qui avait comme concurrents des stars du gabarit de Jorge Costa, Ivica Dragutinovic, Mathieu Beda et Oguchi Onyewu. Je devais m’adapter au foot belge, à la vie dans ce pays que je découvrais. Ma plus grande satisfaction de cette première saison, c’est la levée de l’option par les dirigeants du Standard. J’avais signé pour un an plus un, ils ont estimé que je méritais de rester malgré mon temps de jeu limité. L’autre grand moment a été le renversement de situation en Coupe contre Gand. Après avoir perdu là-bas et encaissé chez nous, la mission semblait impossible. Mais nous avons émergé avec les tripes et cela reste, pour moi, le match référence de la saison 2005-2006 « .

Août : malheur

La sauce ne prend pas avec Johan Boskamp. Mohamed Sarr, qui avait autrefois connu la Ligue des Champions avec Galatasaray, retrouve cette épreuve mais l’aventure tourne court.

n  » Je ne conserverai que de grands souvenirs de Boskamp. Mes vrais débuts au Standard, c’est à lui que je les dois. Dès le premier jour, il m’a fait confiance et a fait de moi une valeur sûre de la défense. Il a eu la malchance d’arriver ici au plus mauvais moment : il y avait des nouveaux joueurs à intégrer, des blessés, des suspendus et surtout des gars qui ne parvenaient pas à mettre son message en pratique. Si nous étions parvenus à faire ce qu’il nous demandait, tout se serait bien passé. L’entraîneur entraîne, les joueurs jouent. Boskamp a fait son boulot, nous avons été incapables d’en faire autant. L’élimination rapide en Ligue des Champions, c’était notre faute, pas la sienne. Le plus malheureux, c’est que ces matches contre Bucarest étaient complètement à notre portée. Quand on rate des rendez-vous pareils, on a l’impression de louper certaines des choses les plus importantes de sa vie. J’étais tout excité à l’idée de retrouver la Ligue des Champions. Avec Galatasaray, j’avais joué trois fois dans cette compétition : deux matches contre le FC Barcelone et un face au Lokomotiv Moscou où j’avais même marqué. Nous tenions le 0-0 là-bas, Fatih Terim m’a fait monter au jeu pour qu’on continue à défendre le résultat et j’ai scoré. Un tout grand souvenir. C’est pour connaître des soirées pareilles qu’on devient footballeur professionnel. Avec le Standard, ça n’a pas marché. Dès le lendemain, nous nous sommes mis en tête de tourner la page et de nous concentrer à fond sur le championnat. Mais même face aux équipes belges, rien n’allait. Quelle cata, ce début de saison !  »

Septembre : exemple

Ça a pas mal cafouillé en défense depuis le début de saison. C’est la foire d’empoigne sur les flancs où toutes les combinaisons possibles et imaginables ont été essayées. Eric Deflandre a payé au prix fort l’élimination européenne : il est mis sur une voie de garage.

n  » J’ai vécu de près son éviction de l’équipe et j’avoue que, sur le plan humain, ce fut un moment difficile pour moi. Voir un monument pareil perdre toute la confiance du staff, ça fait mal. A côté de cela, j’ai été impressionné par sa réaction : il est resté plus pro que jamais, a continué à bosser comme un fou, à encourager ses coéquipiers, à mettre de l’ambiance dans le vestiaire. Il a connu des moments plus forts que celui-là dans sa carrière et ça saute aux yeux, ça lui permet de relativiser beaucoup de choses. Comme si, pour lui, ce séjour prolongé sur le banc n’était finalement qu’un événement sans trop d’importance, un contrecoup parmi tant d’autres « .

Octobre : stats

Fin octobre, on fait les comptes individuels : Mohamed Sarr est le seul joueur du noyau liégeois à avoir 100 % de temps de jeu (championnat, Coupe de Belgique et Coupe d’Europe). Surprenant !

n  » J’ai ouvert de grands yeux quand on m’a montré ces statistiques. J’ignorais complètement que j’étais le seul indéboulonnable de l’équipe. Quand je monte sur le terrain, je ne pense pas à tout cela : je me joue chaque semaine ma finale à moi. Tout donner pour ne rien regretter, c’est ma philosophie. Le club est content de moi, c’est ça ma grande fierté. Les négociations pour une prolongation de contrat ont commencé dès octobre, c’était un signe. Il a finalement fallu du temps pour trouver un accord : mon agent est venu quatre ou cinq fois en Belgique et les discussions ont duré plusieurs mois. Quelque part, c’était étonnant vu que les données de départ étaient très claires : le Standard voulait me garder et je souhaitais rester. Nous avons trouvé un terrain d’entente et j’ai prolongé jusqu’en 2010. Je me sens chez moi au stade et en ville. J’ai trouvé une stabilité à Liège. Enfin… Après avoir autant bourlingué depuis mon arrivée en Europe, il était temps. Aujourd’hui, je peux dire que quand je quitterai le Standard, ce sera pour un club d’un niveau plus élevé. Si c’est pour aller dans une équipe du même niveau, non, je préfère rester où je suis « .

Novembre : racisme

En pleine campagne de l’Union Belge contre le racisme dans les stades, c’est le clash au Germinal Beerschot lors de la visite du Standard. Sarr est hué et insulté pendant tout le match puis règle ses comptes au coup de sifflet final. Il va défier les supporters anversois, des joueurs du GB s’interposent, ça dégénère en bagarre.

n  » Le seul point positif, c’est que les supporters s’en prennent toujours aux joueurs de l’équipe d’en face qui leur font peur. Sergio Conceiçao est hué dans tous les stades parce que tout le monde le craint. Au Kiel, j’en ai pris pour mon grade parce que je contrôlais complètement leurs attaquants. C’était une preuve que j’étais bon, bien dans mon match. Les cris de singe ont commencé dès les premières minutes. A la mi-temps, mes coéquipiers m’ont dit de réagir. Je leur ai répondu qu’on allait se rebiffer sur le terrain, bouffer l’adversaire et gagner le match. C’est ce que nous avons fait. L’arbitre m’a proposé d’arrêter la partie. Je lui ai dit que ça ne servait à rien : -Laisse-les se défouler. En stoppant le match, il aurait pénalisé plusieurs milliers de personnes qui avaient payé leur ticket pour voir du foot. Et tout cela à cause de quelques dizaines d’imbéciles. Non, on ne pouvait pas punir tout le monde. J’ai laissé couler les cris et les insultes, et une fois la rencontre terminée, au lieu d’aller faire un bras d’honneur à ces gars-là, j’ai eu une réaction très tranquille : je suis allé les applaudir comme pour leur dire : -Je vous ai entendus mais mon équipe a gagné. Ce qui m’a le plus choqué, c’est la réaction de joueurs blacks du Beerschot qui se sont interposés et ont ainsi donné raison à leurs supporters. Si le public du Standard agissait ainsi vis-à-vis de joueurs blacks de l’équipe adverse, je ne l’accepterais pas. Et si certains de mes coéquipiers cautionnaient des attitudes pareilles, je ne réfléchirais pas : je quitterais le club sur-le-champ. Le racisme est un fléau terrible, les campagnes de sensibilisation ne serviront à rien car le problème est trop profond. En Italie, c’était horrible, il y avait des incidents chaque semaine. Et là-bas, plus on descend vers le sud, plus c’est fort. Pourtant, en allant vers le sud, on se rapproche de l’Afrique…

Décembre : souvenir

L’AC Milan, ancien club de Sarr, continue sans surprise son parcours en Ligue des Champions. Paolo Maldini, ancien coéquipier du Sénégalais, en reprend donc pour quelques matches de plus. L’élève est toujours sous le charme du maître.

n  » Quand on est passé par Milan, on garde à vie un lien affectif avec ce club. Je n’ai passé qu’un an là-bas mais il m’en restera toujours quelque chose. Milan, c’est l’équipe qui ne se plante jamais dans les grands rendez-vous. On l’avait enterrée après son 2-2 à domicile en quarts de finale contre le Bayern mais j’étais certain qu’elle allait gagner à Munich. Je l’avais dit partout autour de moi, personne ne me croyait. Le groupe n’est plus aussi exceptionnel qu’il y a un an ou deux mais la hargne et l’ambition sont toujours là. Maldini, c’est mon plus grand souvenir milanais. Comme nous jouions à la même place, il m’avait pris sous son aile et me parlait beaucoup. Quelle humilité ! Et quelle volonté ! Il approche des 40 ans mais se défonce toujours comme un gamin de 18 ans qui a encore tout à prouver. Quand nous discutions, il axait toujours son discours sur la concentration : -Quand on joue en défense centrale, on n’a pas le droit de se trouer ne fût-ce qu’une seconde. Il m’incitait aussi à ne jamais tenir compte des commentaires de la presse : -Elle te porte au ciel aujourd’hui mais elle peut te descendre demain. Il prend un recul énorme par rapport à son métier et à tous les commentaires. Mais ce qui m’a le plus marqué, ce sont ses encouragements et ses certitudes à mon égard : -Tu as les qualités, tu vas faire un belle carrière « .

Janvier : succession

Onyewu quitte Sclessin, Sarr est orphelin de son binôme en défense centrale. L’Américain a joué le Mondial allemand et côtoie désormais les stars du championnat anglais. Sarr doit se contenter de la Belgique et sa carrière internationale est en veilleuse. Dante Bonfim remplace Onyewu et le duo axial du Standard ne perd rien de son efficacité.

n  » Onyewu était le guide de notre défense. Dès qu’il est parti, on m’a demandé de reprendre son rôle. Cela m’a beaucoup ennuyé parce que je ne me sentais pas trop capable d’assumer une telle responsabilité. Surtout en étant le plus jeune de la ligne arrière. Frédéric Dupré et Deflandre sont plus âgés et ont une autre expérience, mais c’est moi qui dois commander. Je fais mon possible. Le plus magnifique, c’est que le départ d’Onyewu n’ait pas laissé de trou dans notre défense. Elle a continué à bien tourner. Aujourd’hui, il dispute un des plus grands championnats du monde. Tout le monde en rêve, moi aussi, mais je ne me fais pas d’illusions. Pour arriver là, il faut beaucoup de talent et une charge de travail énorme. Je bosserai comme un fou, il n’y aura pas de problèmes à ce niveau-là. Mais cela ne suffira peut-être pas. On verra. L’équipe nationale, c’est un sujet entre parenthèses depuis plusieurs années. Elle a pris un très mauvais tournant. On continue à appeler les stars du passé, des gars qui n’ont même plus envie d’y jouer. Ils vivent sur leur statut et ne courent plus. Quand vous êtes un monument en Afrique, vous n’avez plus nécessairement envie de vous défoncer, même si c’est pour l’honneur du pays. Et je ne vous parle pas de l’organisation au Sénégal. On vous fait retourner à Dakar pour un match amical qui a finalement lieu en France… Je serais fier de rejouer un jour devant ma famille mais ce n’est pas le bon moment pour retourner en sélection « .

Février : monuments

Les monuments du Standard (Conceiçao et Milan Rapaic) ne tiennent pas la grande forme, les stars sont désormais les gamins comme Steven Defour, Marouane Fellaini, Axel Witsel.

n  » Même sans jouer ou en n’étant pas à leur meilleur niveau, Conceiçao et Rapaic gardent toute leur influence dans le vestiaire. Quand je dis quelque chose à un coéquipier, ce n’est pas la même chose que si Conceiçao s’adresse à lui, vous voyez ce que je veux dire ? Et chaque fois qu’ils ont évolué à leur meilleur niveau, on a directement vu la différence sur le rendement de l’équipe. Il ne faut pas faire un dessin « .

Mars : tensions

Alors qu’on évoque des tensions entre la direction et Michel Preud’homme, les dernières illusions de titre s’envolent dans un triste nul blanc à domicile, le 31, face à Beveren. Sarr est le héros malheureux de ce match en étant exclu pour une faute (contestée) sur un attaquant adverse qui filait vers le but.

n  » Des tensions entre le coach et les patrons du club ? Vous me l’apprenez. Dans tous les couples, il y a de temps en temps de petites frictions. S’il y en a eu ici, les joueurs n’ont rien remarqué et Preud’homme est toujours resté parfaitement serein. Ma carte rouge… Oui, vraiment une soirée pourrie. Rien ne marchait. Dès les premières minutes, on a vu que le Standard n’était pas dans son match. Et je me fais exclure pour un duel tout à fait correct, épaule contre épaule. Je suis sûr que malgré notre petite forme ce soir-là, nous aurions battu Beveren si nous avions continué à onze. Ils auraient fini par craquer, ça ne fait pas un pli. Et pour être champion, il faut gagner des matches qu’on ne mérite pas de remporter. Si nous avions pris ces trois points, nous aurions continué à faire ce que nous faisions bien depuis plusieurs semaines : déranger les leaders, leur mettre la pression. Mais ce n’est pas ce match-là qui va nous coûter le titre. C’est notre début de saison qui a tout compliqué. Après quatre journées, nous avions 10 points de retard sur Anderlecht : déjà insurmontable alors qu’on finissait seulement de servir l’apéro du championnat « .

Avril : finale

Les Rouches se crashent à Anderlecht en championnat mais prennent leur revanche en demi-finales aller de la Coupe.

n  » Nous n’avions pas du tout apprécié les critiques après la défaite en championnat. Anderlecht ne nous avait pas dominés. Aucune équipe n’avait joué un grand match mais nous ne méritions certainement pas de perdre. Nous les avions bien bloqués et je me demande toujours comment ils ont pu marquer sur cette remise en touche, sur une phase qui n’avait rien à voir avec le déroulement général de la rencontre. On nous a reproché de ne pas avoir été assez offensifs, je retiens plutôt que nous avons parfaitement empêché l’adversaire de développer son jeu. Le match de Coupe, nous l’avons gagné dans les heures qui ont suivi l’échec en championnat. En regardant la cassette, nous nous sommes tous fait la réflexion que nous étions plus forts que le Sporting, qu’il suffirait d’élever un peu notre niveau de jeu pour lui faire très mal. Tout le monde, chez nous, en était persuadé. Et nous l’avons prouvé entre-temps. Il reste maintenant à terminer le boulot. Nous ne commettrons pas l’erreur d’attendre sagement les Mauves et de miser sur un contre. Ce match, il faudra l’emballer dès le premier quart d’heure et marquer deux buts le plus vite possible. A ce moment-là, ce sera plié, nous aurons notre billet pour la finale et notre lot de consolation « .

par pierre danvoye – photos: reporters/ mossiat

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