Après un hiver tumultueux, le champion cycliste a pris des bonnes résolutions car il sait qu’on l’attendra au tournant de chaque course.
L’affaire Lefevere a fait du dégât au sein de l’équipe Quick Step et l’image de gendre idéal de Tom Boonen s’est sans doute encore un peu plus effritée. » Le pouvoir des médias me fait peur « , dit-il. » Ils vous font ou vous défont. Et j’ai encore de la chance d’être un sportif : mes résultats me permettent de remettre pas mal de choses au point… » Au Tour du Qatar, en remportant quatre étapes, il a prouvé que la rupture avec sa fiancée, Lore, n’a pas laissé de traces…
Tom Boonen : Cela faisait un petit temps que cela n’allait plus entre Lore et moi et je n’avais guère envie de m’entraîner. Mais lorsque nous avons décidé de faire une pause, je suis remonté à vélo. Je n’avais de toute façon rien d’autre à faire.
Vous pédaliez pour oublier ?
La première heure était très difficile puis les choses commençaient à s’éclaircir dans ma tête. Quand je rentrais, cela recommençait. Le vélo ne me permettait pas de guérir mais il m’apaisait l’esprit. Dans ces moments-là, je me suis aperçu combien le vélo me permettait de revenir à l’essentiel. Après six ans de professionnalisme, je me suis rendu compte que j’étais toujours passionné.
Ce n’est donc pas seulement un métier ?
Je me suis souvenu qu’avant, c’était un hobby. Cette impression me manquait. Avec tout ce qui s’est passé au cours des dernières années, j’avais un peu oublié. Il faut faire tellement de choses pour se préparer que ça en devient un job. Puis, soudain, j’ai ressenti une envie terrible d’aller pédaler. Un type qui redevient célibataire à 26 ans ferait sans doute autre chose. Moi, je ne suis pas sorti une seule fois en un mois. Je roulais puis j’avais le cafard. Et cela m’arrive encore parfois.
Il s’estime quelqu’un de pas compliqué
Une nouvelle saison commence. Qu’est-ce qui vous tient à c£ur ?
Avant, je voulais gagner des courses. Maintenant, j’ai envie qu’on construise un team qui fonctionne. Ces dernières années, nous avons souvent raté notre début de saison. Maintenant, nous cherchons à perfectionner l’équipe et mon expérience me sert.
Qu’attendez-vous de Peter Van Petegem ?
Il m’a agréablement surpris. Il peut encore apporter beaucoup à l’équipe et motiver les jeunes. Je suis certain que son début de saison sera bon. Peut-être même gagnera-t-il plus facilement une classique que Paolo Bettini ou moi car tout le monde va nous tenir à l’£il.
Quelle sera la place de Gert Steegmans dans votre équipe ?
Il est venu pour renforcer l’ensemble, pas pour jouer un rôle dans le final des grandes classiques. Au fil des années, il deviendra sans doute un leader ou quelqu’un qui peut accompagner son chef de file jusqu’à l’arrivée. Les gens pensent souvent que nous formons un train dont les premiers wagons sont les plus mauvais mais ce n’est pas du tout cela : c’est un ensemble dans lequel chaque place compte. Chacun travaille de façon à ce que je puisse démarrer si j’en éprouve le besoin. Dix mètres peuvent faire la différence et ce n’est pas à la télévision qu’on voit où l’erreur a été commise. Nous devons encore travailler cet aspect des choses mais j’ai l’impression que ce sera meilleur cette année.
Cette équipe est-elle la plus forte que vous ayez connue ?
On verra mais c’est celle qui a le plus de potentiel.
N’est-il pas difficile de garder l’église au milieu du village quand il y a autant de leaders ?
Ce n’est pas une question de leaders mais de caractères. Je suis quelqu’un de très facile et Bettini aussi. Je n’exige peut-être des choses que deux fois par an. Evidemment, je veux qu’il y ait de l’ordre. Patrick Lefevere sait que, lorsque je dis quelque chose, c’est sérieux. Mais je ne pinaille pas pour des détails. D’ailleurs, Bettini et moi ne disputons que deux courses ensemble : Milan – Sanremo et le Tour des Flandres. Difficile de se disputer…
Mais pour les équipiers aussi, les places sont chères. Avez-vous la situation en main ?
Il faut qu’il y ait de la concurrence, il faut même la susciter. Les huit coureurs qui étaient au Tour des Flandres l’an dernier ne doivent pas être sûrs de leur place. C’est comme cela qu’on motive les gens et qu’on les oblige à donner le meilleur d’eux-mêmes en course.
Il se sent peu apprécié en Belgique
Wilfried Peeters estimait, l’an dernier, que vous deviez gagner trop de courses et que vous n’étiez plus assez frais pour le Tour.
Que puis-je faire ? On attend beaucoup de moi parce que l’année où j’ai percé, j’ai gagné beaucoup de courses. Si je gagne moins, on va se poser des questions. Je sais qu’un jour, cela ira moins bien, que j’arrêterai de sprinter. Johan Museeuw était aussi un sprinter en début de carrière puis il a évolué. Je constate que je dois en faire bien plus qu’avant pour un sprint alors que, par le passé, cela venait tout seul. Je dois multiplier les entraînements spécifiques car je perds de la vitesse. C’est une évolution naturelle : un sprinter pur ne gagne pas des courses pendant dix ans. Je m’entraîne beaucoup en fonction des classiques. Mon corps se renforce, je suis donc moins explosif mais je sais que moins je m’entraîne, plus je suis rapide. Si je me repose pendant une semaine avant une épreuve par étapes, je suis très bien au cours des deux premiers jours. En revanche, si je m’entraîne, je ne gagne rien pendant trois jours. L’explosivité sur les 200, 300 derniers mètres, c’est une question de fraîcheur.
On l’a vu au Tour de France.
L’an dernier, avant le Tour, je me suis trop entraîné. Et mal. A un certain moment, au Tour de Suisse, j’accompagnais un groupe de 30 coureurs bien classés au général dans la montagne avec Jan Ullrich dans ma roue. C’est très amusant de voir qu’on peut le faire, ça ouvre des perspectives d’avenir. Je n’avais rien à prouver mais j’étais fier d’y arriver. Pendant ce temps, Robbie McEwen était toujours le premier lâché mais quinze jours plus tard, au Tour, il me donnait des gifles.
Aviez-vous senti que cela allait se passer de la sorte ?
Non car j’étais en super forme. J’étais certain de livrer le meilleur Tour de ma carrière. D’ailleurs, je faisais ce que je voulais mais je ne gagnais pas. En 2005, j’avais voulu abandonner dès la première étape, tellement j’étais mal. Et j’ai gagné l’étape et encore celle du lendemain. Il a fallu une chute pour m’arrêter.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre Tour 2006 ?
Il était réussi. J’y ai appris plus que l’année précédente. Et puis, j’ai passé quatre jours en jaune. Si j’avais été Français, je ne devrais plus me faire de souci. En Belgique, on n’apprécie pas les choses à leur juste valeur. En France, Thomas Voeckler, qui est resté 10 jours en jaune en 2004, est un héros. Il n’a jamais rien fait d’autre mais il gagne un petit million d’euros par an.
A quoi est dû ce manque de reconnaissance ?
Je ne dis pas qu’on ne me respecte pas en Belgique mais, à l’étranger, c’est autre chose. A Monaco, les gens ne savent pas que j’ai remporté des classiques et le championnat du monde mais que j’ai porté le maillot jaune, ça, ils le savent. Je ne comprends pas. C’est comme cela.
Il veut garder la santé
Pour la première fois en deux ans, vous n’avez pas gagné d’étape au Tour. Quelles leçons en avez-vous tiré ?
Qu’une préparation idéale ne veut pas tout dire. Il y a des facteurs qu’on ne peut pas contrôler. Je me suis laissé abattre par la critique mais cela ne m’arrivera plus car j’ai commis ensuite des erreurs que je n’avais jamais faites auparavant. C’est pourquoi j’étais tellement frustré : je savais ce qu’il ne fallait pas faire et je l’ai quand même fait.
Pourquoi était-ce plus fort que vous ?
Le sprint doit être quelque chose de naturel, on ne peut pas se mettre à penser. Mais quand on perd, on revoit ses erreurs. Le premier jour, j’en ai commis une, sans doute parce que je n’étais pas super. Le deuxième jour, une autre. J’ai commencé à douter et j’ai changé certaines choses, je suis resté un peu plus dans le vent, j’ai perdu des équipiers… Finalement, toute l’équipe doutait et nous nous gênions mutuellement.
Avez-vous eu le temps d’apprécier ce maillot jaune ?
Certainement ! Personne ne le croit mais, si je peux, je signe à deux mains pour le porter à nouveau cette année.
Vous n’aviez pourtant pas l’air très heureux pendant la cérémonie protocolaire.
J’avais la diarrhée (il rit). En fait, je n’ai été bien que pendant quatre ou cinq jours. Je n’ai rien dit alors qu’au début, je souffrais des voies respiratoires et des intestins. Au fil des jours, cela a empiré. Cela a duré dix jours. Il y a peu, j’ai signé une photo prise le matin du jour où j’ai abandonné : on aurait dit que je sortais de l’hôpital. J’étais complètement épuisé, il n’aurait pas été sain de poursuivre.
Que ressent-on dans ces moments-là ?
J’étais heureux de rentrer à la maison. J’ai tout fait pour retarder l’échéance mais cela ne faisait qu’empirer. Pendant une semaine, je me suis senti très mal. J’étais à plat : physiquement et moralement. Puis, tout à coup, je me suis remis à très bien rouler. On appelle cela la super compensation : le corps est guéri et donne le bénéfice de tout le travail effectué.
Il veut garder ses amis
Au cours des deux dernières années, vous avez gagné tout ce que vous vouliez. Quel défi se présente à vous ?
Ma première victoire au Tour des Flandres était très belle et la deuxième encore plus car je portais le maillot arc-en-ciel. Si je veux gagner une troisième fois, c’est parce que c’est une belle course car les records ne m’ont jamais intéressé.
Pas de nouvel objectif comme Liège-Bastogne-Liège ?
Non. Par le passé, je me suis demandé comment rester motivé mais ce n’est pas si difficile. Le Tour des Flandres est la course la plus difficile qui existe. Liège-Bastogne-Liège est faite pour d’autres coureurs et ce n’est pas une question de qualité mais d’explosivité ou d’endurance. Il est impossible de combiner les deux et si je dis que je laisse tomber le Tour des Flandres pour Liège-Bastogne-Liège, ce sera mal perçu. Par contre, j’aimerais un jour participer à l’Amstel Gold Race. Je le ferai si mon avant-saison est mauvaise, histoire de remettre les choses au point…
Vous pensez que cela pourrait arriver ?
Je pense que ce risque est réel mais cela ne me tracasse pas trop. J’essaye juste de veiller à ma santé et à arriver en forme au bon moment. Après, si je gagne, je dois remercier le bon dieu et ceux qui m’ont aidé. Dans le cas contraire, c’est peut-être la malchance ou un adversaire plus fort. Bien sûr, il faut prendre les bonnes décisions en course mais on ne contrôle pas tout et le plus important reste de s’amuser.
Vous est-il arrivé de vous reprocher quelque chose avant le départ d’une grande course ?
Jusqu’à la mi-avril, jamais ! En fin de saison, c’est différent : après le Tour, il arrive qu’on traîne un peu trop à un barbecue. Mes dirigeants savent aussi que les critériums ou la classique de Hambourg ne m’intéressent pas. Je prépare le championnat du monde et je ne me pose pas trop de questions. Je ne suis pas une machine, j’ai une vie sociale et je veux passer un peu de temps avec mes amis.
Il ne veut pas être dépassé par le succès
Dans votre bouquin paru uniquement en flamand, vous êtes parfois très amer…
L’auteur m’a posé des questions, j’ai raconté des histoires et c’est sûr qu’on obtient très vite un récit négatif. Attention, l’auteur a bien fait son travail. J’aurais dû relire et le livre aurait été meilleur.
Vous n’êtes pas un peu dépassé par le succès ?
A un certain moment, j’ai remarqué que je commençais à saouler les gens et je n’ai plus parlé aux journalistes. Pas que j’étais fâché mais je voyais que les articles prenaient un autre ton. Certains inventaient même des histoires et cela me faisait peur. Alors que je restais le même, on faisait de moi un autre homme.
Vous trouviez cela grave ?
Je n’y ai pas accordé trop d’importance. Je continuais à faire ce que j’avais envie, quoi qu’on écrive. Mais j’ai une maman qui, elle, se tracassait. Lore n’aimait pas beaucoup non plus et cela finissait par me trotter en tête…
Aimeriez-vous parfois être un anonyme ?
Non. J’aimerais simplement retrouver l’essence du cyclisme, pédaler sans qu’on en parle autant de ma vie privée.
Stefan Everts affirme que les sportifs de haut niveau sont des maniaques qui ont des £illères mais que c’est nécessaire pour atteindre les sommets.
Cela dépend des individus. Je connais un peu Stefan et c’est vrai qu’il était parfois malheureux après une victoire parce qu’il avait commis une erreur. Je ne suis pas comme cela mais je sais que, pour y arriver, il y a des moments où on ne doit plus penser qu’à soi. C’est parfois en contradiction avec mon caractère car je ne suis pas égoïste. Mais seul le résultat compte… et le sport ne m’a quand même jamais obligé à faire des choix cornéliens.
par loes geuens – photo: tim de waele
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