S’AMUSER C’EST BIEN, MAIS…

Bafoué à Manchester United et en équipe des Pays-Bas, l’avant hollandais est tombé dans une équipe madrilène à la rue.

Ce n’est plus un complexe sportif mais une véritable ville. Elle s’appelle Ciudad Real Madrid, un sueño de fútbol, un rêve pour le football. Et c’est vrai. Le centre d’entraînement ouvert la saison dernière est méga-giga-top. Une superficie de 220.000 mètres carrés, dont la moitié est utilisée uniquement par le club. Dix terrains, une tribune de 9.000 places assises, trois studios de télévision, une salle de fitness aussi grande qu’un demi-terrain de football et un restaurant qui sert 300 repas par jours. Le tout entouré d’un total de 6,4 km de sentiers pour jogger.

Mais le rêve ne s’arrête pas là. Dans l’optique d’être le plus grand club du monde, il est encore question d’un hôtel, d’une cathédrale du multimédia sur 10 étages, d’un musée et d’un parc à thème. Ah oui : un stade de 25.000 places doit encore être construit dans cette ville sans frontière.

Le Real voit donc tout en grand : le club et l’équipe. Il cherche surtout à se protéger contre lui-même. Au cours des dernières années, il a vécu dans le luxe mais c’était l’armée mexicaine : beaucoup de généraux, pas de soldats. Plus de bagarres dans les discothèques que dans les 16 mètres. C’est pourquoi, après trois saisons sans trophée, le club a engagé l’Italien Fabio Capello. En se disant qu’il allait ramener la discipline dans l’équipe. D’autant qu’il a obtenu le concours de professionnels aussi sérieux que Fabio Cannavaro, Emerson ou Ruud van Nistelrooy… et qu’il vient de se séparer de David Beckham après avoir enregistré la fin de carrière de Zinédine Zidane en été. Antonio Cassano a été prié d’aller voir ailleurs et Ronaldo aussi !

Nous sommes un jeudi matin de cet hiver : le terrain est encore givré. Le groupe s’abandonne à un petit match très disputé mais le Brésilien s’entraîne à part. Il saute, sprinte, se jette à terre pour célébrer un but… Il se prépare toujours (en vain ?), à tenir les premiers rôles. Maintenant, on cherche à le vendre. Après quatre ans et demi, la lune de miel du Real et d’ El Gordito (le petit gros) est terminée.

Des surdoués recadrés

C’est dans cette galaxie sens dessus dessous qu’a atterri Ruud van Nistelrooy (30 ans). Mais un nouveau monde qui, curieusement, lui rappelle Geffen, son village natal :  » Le vestiaire du Real Madrid est le même que celui du club de mes débuts : des joueurs qui sont là pour s’amuser. Après une victoire, on fait les fous. Et après une défaite, c’est le drame. C’est ça l’essence du sport, c’est pour cela que les jeunes se mettent à jouer. Le plus important, pour moi, c’est de conserver la pureté dans ce monde tout à fait fou. Le jeu, l’entraînement, le plaisir d’être ensemble. Mais il faut faire avec tout le reste. Le football est devenu trop important. On ne peut pas tout lire, écouter, regarder. Et on doit encore moins y accorder d’importance, sans quoi on devient fou. Le club est archi médiatisé. Chaque jour, la zone mixte est pleine de journalistes. C’est très exigeant, je trouve. Car on vous juge au quotidien, et pas seulement sur le nombre de buts que vous inscrivez mais aussi sur la façon dont vous dites bonjour, sur votre attitude, etc. Si je ne suis pas rasé, on écrira que je ne suis pas présentable ou que j’étais fatigué. Les gens vous possèdent. Pour ne pas rentrer dans ce jeu, je dois prendre mes distances, conserver ma stabilité et ne pas non plus me laisser emporter par l’euphorie lorsque j’inscris quatre buts, comme contre Osasuna « .

Comment faites-vous ?

Ruud van Nistelrooy : Mon expérience m’est très utile. C’est important, surtout à l’étranger. Un gamin de dix-neuf ou vingt ans qui débarquerait ici serait coupé en rondelles. Lorsque quelque chose de positif ou de négatif me trotte en tête, je m’assieds et je mets tout sur papier. A ce moment-là, je me concentre totalement jusqu’à ce que je sois soulagé. C’est une thérapie qui fonctionne bien.

Cela fait trois ans que le Real Madrid collectionne les vedettes mais n’a ni équipe, ni trophée.

Dès le départ, Capello s’est montré très strict quand au respect des places et des tâches, ainsi que de la discipline collective. Il a construit un bloc : quatre défenseurs, deux médians défensifs, trois offensifs et un attaquant de pointe. Le football moderne n’est plus l’affaire de cinq attaquants et cinq défenseurs. Capello veut que l’équipe soit un accordéon : ça va, ça vient. Cela exige énormément d’énergie. Il a amené d’Italie des spécialistes en physiologie qui ne nous ménagent pas. Nous travaillons de façon très structurée, précise. Nous disputons beaucoup de longs matches en mettant l’accent sur le positionnement : lorsqu’un joueur se trouve là, l’autre doit être ici. Ou alors, nous pressons pendant cinq minutes puis nous jouons plus bas et ainsi de suite.

Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Je me sens très fort, même si ma forme est un peu capricieuse. Je marque quatre buts face à Osasuna et trois contre Levante mais il m’arrive aussi de rester plusieurs semaines sans faire trembler les filets. C’est un peu à l’image de l’équipe. Parfois, tout va très bien, les médians et les défenseurs se disputent presque pour centrer : pour un attaquant, c’est le rêve. Mais dans certains matches, nous n’arrivons pas à passer. Comme je suis seul en pointe, je dois alors venir demander davantage le ballon.

Dans quelle mesure votre rôle a-t-il changé ?

En Angleterre, on n’a presque pas le temps de passer par l’entrejeu, tant la pression est forte. C’est pourquoi on balance bien souvent. Pendant les trente premières minutes, surtout, il faut aller au combat, se montrer très dynamique. Après, cela se calme un peu et le match est plus ouvert. En Espagne, on fait davantage circuler le ballon, toutes les équipes cherchent à construire de l’arrière. Je dois chercher les espaces qui me permettent d’avoir le ballon. A ce propos, je suis content d’être venu ici. Le plus important, pour moi, était de devenir un footballeur plus complet et je suis content de voir que c’est le cas. Au début, en voyant les jeux de positionnement, je me suis dit qu’il me faudrait beaucoup travailler. Pour moi, c’était un défi. Je m’y suis lancé tête baissée et j’ai vite remarqué que, plus je m’entraînais, plus je progressais. C’était d’autant plus chouette qu’ici, on accorde beaucoup d’importance à la qualité du football. Je suis entouré de joueurs habiles et rapides. A l’entraînement, il faut sans cesse être concentré et engagé. C’est ça que je recherchais.

Et ça après les problèmes de Man U et de l’équipe des Pays-Bas

Dans l’une des immenses salles du complexe d’entraînement, Raúl se promène dans un magnifique costume. Van Nistelrooy, le galactique de Geffen, porte toujours un pull-over. Ce midi, ils fêtent Noël avec l’équipe de basket du Real. Pour Van Nistelrooy, c’est la fin d’une sale année.

Il y eut d’abord la rupture avec Manchester United, destinée à protéger une somme de transfert de 15 millions d’euros. Tout a commencé fin février, lors de la finale de la Coupe de la Ligue face à Wigan Athletic, lorsque Van Nistelrooy est resté 90 minutes sur le banc. Et cela s’est terminé lors du dernier match de championnat face à Charlton Athletic, lorsque le meilleur buteur du club (21 buts) fut renvoyé par le manager Alex Ferguson sous prétexte qu’il nuisait à l’esprit de groupe.

Vint alors le Mondial allemand où, sans lui en avoir parlé, Marco van Basten déclara, lors d’une conférence de presse, qu’il n’était pas satisfait du niveau de jeu de Van Nistelrooy. C’était avant le match face au Portugal. Une discussion s’en suivit, l’attaquant fut blâmé pour être arrivé en retard au petit déjeuner et la Hollande perdit la partie que Van Nistelrooy ne disputa pas (1-0). Lors du match suivant, en Irlande, il ne fut même pas repris. Sans la moindre explication. D’habitude si réservé, il décida donc de contre-attaquer dans une interview à Sportweek, un hebdomadaire auquel il déclara que le coach fédéral ne construisait pas seulement son équipe sur base des qualités des joueurs mais que d’autres paramètres intervenaient dans ses choix.

A Madrid, Van Nistelrooy admet que l’année 2006 a laissé des traces :  » Ce fut un énorme test de personnalité. J’ai dû me demander ce qui comptait réellement pour moi. J’attache de la valeur aux rapports humains et je me suis uniquement laissé guider par mes sensations d’homme. J’étais prêt : j’aurais pour ainsi dire pu tout arrêter si les choses ne s’étaient pas passées comme je le souhaitais. C’était très important « .

Savez-vous exactement pourquoi, après cinq ans, on vous a chassé de Manchester United ?

L’amour n’est pas éternel. Notre séparation trouve son origine dans la finale de la Coupe de la Ligue. Après une heure, nous menions 4-0 et je piaffais d’impatience d’entrer au jeu. Jouer une demi-heure, marquer un but et soulever la Coupe. C’était tout de même un trophée. Kieran Richardson entra, puis Nemanja Vidic et PatriceEvra, qui venaient d’arriver au club. J’ai explosé et me suis mis à râler contre Ferguson car j’étais blessé dans mon amour-propre. Ce fut un moment crucial car les choses ne se sont jamais arrangées. Je trouve ça tragique, vous savez. C’est quand même lui qui, lorsque je me suis blessé gravement au genou au PSV est venu me voir sur mon lit d’hôpital et me dire qu’il me voulait à tout prix. C’est justement parce que cette relation était si chaleureuse que la situation m’a fait mal. La façon dont cela s’est terminé en dit long sur le monde du football mais ce n’est pas pour cela qu’il faut traiter les gens de la sorte. Tout est, dès lors, question de choix. J’aurais pu me dire : – Puisque le monde du football est ainsi, je reste, je prends mon argent et je me fous du reste.

Eprouvez-vous de la rancune envers Ferguson et Van Basten ? Lancez-vous des tasses de café contre le mur lorsque vous les voyez à la télévision ?

Non. En Espagne, je regarde de nombreux matches de Manchester United à la télévision. La première fois que je l’ai vu, je me suis dit : – Tiens, qui voilà ! Cela m’a fait du bien et c’est pareil avec l’équipe nationale. Je suis tranquille, je regarde sans problème. Dès la fin du Mondial, j’ai dit que je devais accepter. C’est fait, on passe à autre chose.

Le Real veut, plus que jamais, remporter un trophée en 2007. Et vous, qu’attendez-vous de l’année qui commence ?

Je veux surtout devenir plus complet, progresser au niveau individuel et collectif. C’est à cela que nous travaillons tous les jours ici. En fait, un trophée, c’est toujours un peu quelque chose qui vous tombe sur la tête. Je m’en suis rendu compte lorsque nous avons été champions avec Manchester United, en 2003. Alors là, c’est vraiment le pied !

PETER WEKKIN, ESM

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