ROC DE CHEZ ROC

Le demi défensif du Standard est spectaculaire dans la démolition de l’adversaire et la construction de sa carrière.

Cela pourrait s’apparenter à un conte de fées. C’est l’histoire d’un jeune immigré qui force les portes de l’équipe Première d’un des clubs les plus populaires d’un petit royaume coincé entre plusieurs grandes puissances. Et il se retrouve quelques mois plus tard à porter le maillot de son pays d’adoption. Marouane Fellaini s’est forgé ce destin à force de travail et de sérieux et la bonne nouvelle de son appel chez les Diables Rouges ne pouvait pas mieux tomber, coincée entre deux chocs remportés de main de maître par son club, le Standard.

En battant Genk sans son leader charismatique Sergio Conceiçao, le Standard a montré qu’il était pleinement revenu au premier plan. Un penalty de Milan Jovanovic et un deuxième goal d’ Igor de Camargo ont suffi aux Liégeois, et ce malgré le but de Faris Haroun.  » En début de deuxième mi-temps et en fin de match, on a éprouvé quelques difficultés « , explique Fellaini.  » Genk envoyait de longs ballons et cela nous faisait mal derrière. Les Limbourgeois trouvaient toujours l’homme libre et c’est pour cette raison qu’on a demandé à De Camargo ou Jovanovic de venir nous aider dans l’entrejeu. Le match était tendu mais on a réussi à s’imposer d’entrée en remportant nos duels. Moi, on m’avait demandé de rester davantage en retrait car on savait que les avants de Genk étaient rapides sur contre-attaque. J’étais fatigué mais j’ai tenu et cela me permet de finir en beauté cette semaine extraordinaire « .

Une première convocation

Si sa première convocation pour un match international ne souffre aucune objection en regard de la qualité de ses prestations, un doute planait toujours quant au choix personnel du Belgo-marocain. Allait-il opter pour la nation de ses ancêtres ou pour son pays d’adoption ? :  » J’avais déjà été repris en Espoirs et je suis un peu surpris par cette première sélection même si je me disais que j’avais peut-être une chance. J’ai dû payer le champagne et les pizzas à mes coéquipiers. J’ai choisi de porter le maillot de la Belgique pour des raisons pratiques. Pour jouer dans un grand club, il faut évoluer au sein d’une équipe nationale européenne. Si j’avais opté pour le Maroc, j’aurais dû disputer la Coupe d’Afrique des Nations et cela aurait posé problème. Or, je me sens autant belge que marocain. Je retourne chaque année au Maroc mais je suis né ici et j’y ai vécu toute ma vie. Dès que les Espoirs m’ont appelé, j’ai su que mon avenir se situait en Belgique. Le choix que j’ai fait n’est pas encore définitif. Si on ne me reprend plus après, j’aurai toujours la possibilité, jusqu’à mes 21 ans, de bifurquer vers le Maroc car la rencontre contre la Tchéquie est amicale. Par contre, mon choix deviendra effectif lors de ma première rencontre officielle. Ce jour-là, une porte se fermera « .

Un sentiment de revanche

Cette semaine particulière a débuté dès vendredi, en match avancé de la 19e journée. Ce soir-là, le Standard battait sèchement son rival wallon, le Sporting de Charleroi (2-5). Pour Fellaini, il s’agissait d’un match particulier. Avant d’arriver au Standard il y a un an et demi, il avait évolué en bord de Sambre durant une saison :  » Je venais des Francs Borains et je passais de D3 à la D1, des Scolaires à la Réserve. Il s’agissait d’un pallier. Je ne peux pas dire que je me rendais compte que j’allais devenir footballeur professionnel. Depuis tout petit, je voulais en faire un métier. Ce n’était donc pas neuf pour moi. Par contre, à Charleroi, cela se concrétisait. Je disputais la Voske Cup et les matches de Réserve. J’ai appris énormément sous la houlette de Mario Notaro. Je me suis amélioré sur le plan tactique, physique et technique. Charleroi m’a proposé un contrat d’un an semi pro et de trois ans pro mais je n’étais pas satisfait. Je savais qu’au Standard, j’allais apprendre davantage. De plus, à Charleroi, il n’y a aucun joueur du club qui perce. Citez moi un nom ! Vous restez deux ou trois ans en Réserves et puis vous commencez à en avoir marre. Parfois, on passe dans le noyau A mais cela s’arrête là car on ne reçoit pas sa chance. Pourtant, il y a de la qualité. On retrouve plein de bons joueurs mais la direction ne leur fait pas confiance et les laisse partir. Contre les Zèbres, j’étais donc particulièrement motivé. Je souhaitais leur montrer qu’ils se sont trompés sur mon compte et je suis content de ma prestation. J’ai fait mon boulot et apaisé mon sentiment de revanche. Je n’éprouvais aucune nervosité et je ne me suis pas fait chambrer car personne ne me connaissait. Ni les gens du noyau pro que je n’ai jamais côtoyé sauf quand certains redescendaient en Réserves, ni les supporters qui ne m’ont jamais vu en A. Je suis le premier aussi à admettre qu’entre les pros et la Réserve, il y a un monde de différence. On pouvait s’en rendre compte lors d’un match qu’on a disputé face à plusieurs joueurs reconnus comme Grégory Christ. Cependant, on ne nous donnait pas les outils pour réussir. Au Standard, j’ai dû beaucoup travailler pour rejoindre le noyau A. Tous les jours, on avait deux entraînements et j’ai pu combler les manques dans mon jeu. On travaillait la finition, la technique, la musculation. A Charleroi, on n’allait à la musculation que deux fois par an. Bref, la formation des jeunes est bien plus poussée au Standard qu’à Charleroi « .

 » Se donner à fond et on verra  »

Depuis son départ de Charleroi, de l’eau a coulé sous les ponts. Une titularisation en Ligue des Champions face au Steaua Bucarest et depuis lors, un statut d’incontournable au sein de la ligne médiane du Standard.  » Je suis arrivé au Standard grâce à Christophe Dessy que j’avais rencontré. Je me suis renseigné à son sujet et j’ai appris que c’était un bon formateur. C’est pour cette raison que j’ai rejoint le Standard. En janvier 2006, j’ai fait partie du stage hivernal à Portimao et tout s’était bien déroulé. De retour à Liège, je me suis dit qu’il y avait moyen de monter chez les A. Il manquait quelqu’un dans le noyau de la Première et je pensais que je recevrais ma chance. Finalement, l’entraîneur avait choisi Karim Faye et sur le coup, j’étais déçu. Mais la roue tourne vite. Je suis maintenant chez les pros et Faye est prêté à Visé. Quand j’ai signé mon contrat pro en mai dernier, Michel Preud’homme m’avait dit que je reprendrais les entraînements avec les pros. Je n’ai pas stressé et j’ai commencé la saison. Mon père m’avait confié que Johan Boskamp faisait confiance aux jeunes et lorsque j’ai eu ma chance, je l’ai saisie. Je ne me suis pas posé de question. Je me suis donné à fond et me suis dit -On verra. Je n’ai pas eu peur non plus quand Boskamp a été destitué. Vous ne m’entendrez jamais rien dire sur Boskamp car c’est lui qui m’a lancé. Preud’homme m’a directement fait confiance. Ensuite, j’ai été suspendu et le match suivant, j’étais sur le banc. Même à ce moment-là, je n’ai pas paniqué. Je suis encore jeune et un petit séjour sur le banc ne pouvait pas me faire de mal. Une semaine plus tard, j’étais de nouveau titulaire « .

Le triangle magique

Avec Karel Geraerts et Steven Defour, Fellaini fait partie de la relève du Standard. Ce trio sera reconstitué en équipe nationale.  » Mon boulot, c’est récupérer le plus de ballons possibles et les rendre proprement. Quand on est mené 0-1, je dois aussi apporter le surplus offensif. Avec ma taille et mon physique, je dois faire mal aux défenses. Karel est l’infiltreur. Il sent le jeu. Il sait quand le ballon va arriver dans le rectangle. Je ne sais pas comment il fait mais il est toujours là où il faut. Moi, je récupère, lui il s’infiltre et Steven distribue. Cependant, tout le monde est obligé de défendre et d’attaquer. Steven m’a déchargé d’une partie du travail défensif. En six mois, j’ai appris à cerner les qualités de chacun. Je dois balayer derrière l’attaque et je sais que quand je monte, Karel prendra naturellement ma place. Désormais, on a appris à ne plus monter ensemble. Quand cela nous arrive, Steven doit glisser dans l’axe. Cela ne pose jamais de problèmes car on communique. Avec la défense, c’est pareil. Mohamed Sarr me parle beaucoup et me guide dans mon placement. Les défenseurs me disent également quand il vaut mieux que je reste et quand je peux partir vers l’avant. Il ne faut pas croire que je ne m’entends sur le terrain qu’avec Karel et Steven ( il rit) « .

Impérial dans l’entrejeu

Dans un secteur de jeu réputé difficile car c’est souvent là que se gagne un match. Fellaini fait parler sa puissance, sa lucidité et son sang froid pour s’imposer :  » J’attaque souvent le porteur du ballon. Soit j’anticipe le mouvement, soit je vais franchement au duel. Cela m’étonne parfois que l’on me dise que je dégage une certaine facilité car j’ai l’impression d’y aller franchement. Ma taille (1m94) joue énormément. Cela fait maintenant deux ans que je suis grand. Chez les jeunes, je n’étais pas toujours le plus grand mais j’ai toujours fait parler mon physique et mon jeu de tête. C’est pour cette raison que le poste de milieu défensif est taillé pour moi. Là, il faut être solide. Quant à mon sang froid, cela m’étonne. On me dit que je suis mature mais dans la vie de tous les jours et quand je monte sur le terrain, je suis pourtant quelqu’un de nerveux. Cela se voit parfois dans certaines situations tendues. Mais dans le jeu, je vais au contact et je relance calmement. Pourquoi stresser et s’énerver ? Je sais qu’agir de la sorte me permet de faire bon usage du ballon. Quand je suis énervé, je me précipite, je vais trop vite et je commets une mauvaise passe. Quand j’étais jeune, je jouais pour le plaisir de jouer. Ici, chez les pros, j’ai appris à réfléchir. La concentration joue un grand rôle dans une rencontre. J’ai remarqué que quand je n’étais pas concentré sur les phases arrêtées, cela fournissait souvent une occasion à l’adversaire. Réfléchir ne m’use pas. Certains sont vidés mentalement après un match. Moi, jamais. La tête, ça va. Ce sont les courses qui me vident. A Bruges, j’ai fini le match explosé. Par contre, c’était beaucoup plus relax à Charleroi « .

Un nouveau modèle ?

Sa réussite servira-t-elle de modèle à d’autres jeunes immigrés. Deviendra-t-il le porte-parole de toute une génération ?  » Je ne me sens pas encore dans la peau d’un modèle. Je viens seulement de commencer ma route. Je ne suis pas prêt pour assumer ce rôle. Un copain m’a demandé de parrainer une association mais j’ai refusé. Cela venait trop tôt « .

STÉPHANE VANDE VELDE

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