Ces locomotives croates sont à l’aise au Fenixstadion, leur gare limbourgeoise. 2006-2007 sera plus qu’un aller simple destination succès.

Ils nous ont fixé rendez-vous à l’Orient, un bel établissement du Fuitmarkt, en plein c£ur d’un Genk paisible et inondé de soleil.  » C’est incroyable : il fait aussi beau ici qu’en plein été sur nos plages croates « , souligne Goran Ljubojevic. Lui, c’est l’homme fort de cette fin de saison. Sa taille et sa puissance ont véritablement crevé l’écran. Il est vrai que ce grand blond a souvent émergé de la tête en zone de vérité, là où les équipes adverses placent de plus en plus souvent des tours capables de se distinguer sous les anneaux des Spirous ou d’Ostende. Cette bonne bouille a également expédié des obus à bonne distance. Stijn Stijnen doit tant en rêver que ses gants sentent encore la poudre.

Il est éclatant de confiance et de sympathie. Les passants le reconnaissent en rue, lui adresse un sourire, un mot ou un encouragement. Ljubojevic apprécie : il est en train de prendre sa place aux côtés de Branko Strupar dans le c£ur des supporters de Genk. Ljubojevic est un des atouts les plus importants d’ Hugo Broos dans la dernière ligne droite du championnat. Il était arrivé chez nous alors que la compétition 2006-2007 avait déjà commencé. Ce baril d’émotions avait envie de prendre une revanche. Il avait éclaté à Osijek où son entraîneur ne fut autre que Branko Karacic, l’ex-meneur de jeu du Cercle Bruges et de l’Union Saint-Gilloise.

 » Branko Karacic n’a rien perdu de sa technique et de sa légendaire précision sur les phases arrêtées « , se rappelle Ljubojevic.  » Ce coach remarquable en faisait parfois la démonstration à l’entraînement. Son football est évidemment de nature offensive et je me sentais à merveille sous ses ordres. Il a été cité en Belgique et je crois qu’il aimerait y revenir. A Osijek, j’ai joué dans la même équipe que Tomislav Mikulic. En pointe, je côtoyais un très grand attaquant : Robert Spehar. Sa lecture du jeu était restée phénoménale et il tournait autour de moi, était un point d’appui, un distributeur, etc. Robert a laissé sa carte de visite en Belgique. Cet ancien du Club Bruges et du Standard m’a conseillé d’accepter l’offre de Genk : – Le football belge t’ira comme un gant. Il avait raison. Ici, je regagne le temps que j’avais perdu au Dynamo Zagreb « .

 » Genk, c’est un bloc, pas une équipe de dikke nekken  »

Cité pour plus de deux millions d’euros à l’Ajax Amsterdam, au Club Bruges ou à la Sampdoria, entre autres, prêté à Saint-Gall, en Suisse, il égara ses ambitions dans la capitale croate où beaucoup le jalousaient dans son club. La donne n’était cependant pas facile quand son manager le déposa à Genk. Malgré une campagne de préparation pleine d’interrogations, Genk entama la saison en boulet de canon. Broos misait sur son 4-4-2 classique avec Ivan Bosnjak et Kevin Vandenbergh en pointe. La blessure de Bosnjak incita l’entraîneur limbourgeois à rebattre les cartes.

 » Mais je m’élève contre l’affirmation selon laquelle je dois ma chance aux malheurs de Bosnjak. C’est totalement faux. J’ai joué avec lui ainsi qu’aux côtés de Kevin Vandenbergh. Hugo Broos a travaillé notre occupation de terrain et Genk est progressivement passé du 4-4-2 à un 4-5-1 avec un soutien d’attaque ( Faris Haroun ou Jaja Coelho) reculant vers la ligne médiane.  »

Que ce soit grâce à la première ou à la deuxième philosophie tactique, Genk a créé la sensation cette saison.  » Notre club pratique en tout cas le plus beau football de l’élite « , confie-t-il sans hésiter.  » Genk détient une très bonne défense, marque beaucoup. La qualité de notre jeu fait l’unanimité. J’ai été séduit par la chaleur de notre public. Jouer dans notre stade, c’est d’abord du bonheur car il y a un monde fou. Malgré cela, je ne ressens pas de pression et le calme constitue toujours un atout important.. Il suffit d’étudier le noyau : sa jeunesse saute aux yeux. Je ne comprends pas que les Diables Rouges snobent cette richesse. La moitié de l’Europe court derrière Sébastien Pocognoli mais il n’est pas titulaire en équipe nationale belge : je ne comprends pas. Logan Bailly a saisi sa chance et est indiscutablement le meilleur gardien belge en D1. Quel talent et Logan n’en est qu’au début de sa carrière. Il est un peu sauvage ou fou mais… positivement fou. Au back droit, on ne fait pas mieux que Hans Cornélis. Je suis sidéré par le potentiel de Tom Soetars ou la qualité de Thomas Chatelle.

Genk possède deux formidables médians défensifs : Wim De Decker et Wouter Vrancken. Au milieu du terrain, on trouve aussi Haroun. C’est un phénomène. Je suis impressionné par son volume de jeu, sa technique, son capital physique : ça ne fait, pour moi, pas l’ombre d’un doute qu’il jouera un jour au sommet européen. Il serait donc logique de retrouver quatre ou cinq joueurs de Genk en équipe nationale. Cette jeunesse sera un atout important pour demain. L’avenir est assuré. L’atmosphère qui règne entre les joueurs est aussi une source de progrès. Il n’y a pas de vedettes ou de patrons. Genk, c’est un bloc, pas une équipe de dikke nekken (gros cous). Je grandis dans ce contexte et Spehar avait raison : le football belge me va bien. Ici, on travaille, c’est évident mais peut-être… moins qu’en Croatie où on croit qu’il faut absolument tout écraser sur un terrain. En Belgique, je marque plus de buts de la tête qu’en Croatie. Là, je jouais plus au ras du sol. A Genk, il est vrai, je suis servi par deux centreurs de qualité : Chatelle et Soetaers. Le football est une alchimie bien plus compliquée que cela. Mikulic m’a beaucoup aidé. Mon compatriote m’a permis de trouver mes marques dans un nouveau pays « .

 » Le coach a toujours trouvé les mots pour faire baisser la tension  »

Milan Gavrilovic, ami de Ljubojevic et de Mikulic, partage le même avis. Il a joué à Genk en D2, entraîna Aarschot et suit tous les matches au Fenixtadion :  » Ce club leur offre un bon outil de travail. Ils se sont facilement adaptés à l’environnement limbourgeois. Ici, les gens apprécient les joueurs qui se retroussent les manches et accomplissent sérieusement leur travail. Ces deux joueurs sont d’abord de bons professionnels. Leur mentalité est exemplaire. Goran a beaucoup travaillé en attendant sa chance. A l’arrière, Mikulic a tout de suite trouvé ses marques. Il forme avec Eric Matoukou ou Jean-Philippe Caillet un duo central défensif de tout premier ordre. Ljubojevic perpétue, à mon avis, la tradition des attaquants s’étant révélés en Belgique : Branko Strupar, Mario Stanic, Spehar, Josip Weber, Ivica Mornar, etc. Je suis persuadé que Goran est taillé pour l’Angleterre ou l’Allemagne où sa puissance ferait merveille. Ce n’est pas qu’un pivot, loin de là. Des grands clubs étrangers devraient les suivre bientôt. Ljubojevic et Mikulic, c’est de l’or pour Genk. Je suis étonné par le fait que le sélectionneur national croate n’ait jamais poussé une pointe jusqu’à Genk. Goran et Tomislav ne sont pas des inconnus dans leur pays où ils ont joué dans les différentes équipes nationales de jeunes « .

Mikulic est de nature plus réservée que Ljubojevic. Dès son arrivée à Genk, en janvier 2005, l’ancien joueur du NK Osijek s’est parfaitement fondu dans un ensemble mis au point par René Vandereycken. Genk mena ses affaires tambours battants et arracha une qualification européenne au terme de deux matches de barrage homériques face au Standard. Le départ inattendu de Vandereycken au terme de cette bonne campagne fit sensation.  » Je n’ai pas à m’exprimer à ce propos : c’est une décision qui relève de la politique d’un club « , dit Mikulic.  » Hugo Broos est assez différent. Ce sont évidement deux entraîneurs organisés. Ils ont leur système de jeu et une immense connaissance du football belge. Vandereycken soignait tout dans les moindres détails, ce qui est le cas de Broos aussi. Le premier adaptait parfois ses conceptions aux données de l’adversaire. Le second reste le plus fidèle possible à ses grandes lignes tactiques avec quelques variantes, bien sûr, comme ce fut le cas après la blessure de Bosnjak qui apportait de la profondeur à notre jeu. La saison passée ne fut pas facile. Genk déplora un grand nombre de blessés. Un coach n’est pas différent d’un joueur. Il a aussi besoin de temps pour s’imprégner de la culture d’un club et mettre ses idées en place. A quelque chose malheur est bon : les résultats en dents de scie et une campagne européenne décevante ont permis au club de découvrir des jeunes bourrés de talent « .

En été dernier, il y eut un écrémage important. Genk nettoya son effectif, fut incapable de retenir Steven Defour (dispute avec la direction, transfert au Standard), céda Koen Daerden au Club Bruges pour quatre millions d’euros, etc. La campagne de préparation fit craindre le pire : la sauce ne prenait pas. En grand cuisinier du football belge, Broos dosa et maria bien tous ses ingrédients. Après un bon début de championnat, Genk ne se contenta pas de ce tour de chauffe. Le bolide limbourgeois s’installa en tête de la course à la manière d’ Ayrton Senna. Après des mois, une question s’imposa : Broos allait-il accrocher le titre de champion comme il le fit en coachant le Club Bruges et Anderlecht ? Et la pression dans tout cela ?  » Le coach a toujours trouvé les mots pour faire baisser la tension « , affirme-t-il.  » Nous avons longtemps eu la meilleure défense et l’attaque la plus percutante sans parler de notre jeu. Si on devait coter la qualité des spectacles, il y a longtemps que Genk serait champion. En fin de saison, Anderlecht a souvent misé sur sa défense. On a beaucoup parlé de la blessure de Mémé Tchité qui est un excellent joueur. Mais quand un coach peut travailler avec un effectif aussi abondant, cela ne peut pas être un problème. A mon avis, Nicolas Frutos est plus important que lui. Sans son Argentin, Anderlecht serait handicapé. Anderlecht nous a étrillé en Coupe de Belgique. Après son bon résultat à l’aller, chez nous, les Bruxellois étaient dans un fauteuil. Tout leur a souri. A Mons, c’était autre chose : Genk était dans un mauvais jour et les techniciens montois en ont profité. C’est une bonne équipe qui est capable de faire souffrir Anderlecht lors de la dernière journée de championnat. Genk joue sa chance et c’est une bénédiction pour la D1. Ljubojevic a été étonné en découvrant le football belge. C’est un championnat très typé où l’organisation tactique joue un grand rôle. Les attaquants ne jouissent guère de liberté, pas vrai Goran ? »

Les deux amis rigolent un bon coup. Ils quittent l’Orient avec des rêves pleins les yeux. Où seront-ils dans quelques années ? Quelle sera leur moisson en fin de saison ? Encore un peu de patience…

par pierre bilic – photos : reporters / mossiat

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