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RECHERCHE BON GARDIEN

2016 n’a pas été une bonne année pour les gardiens en Belgique. Pratiquement chaque club de D1 a changé son dernier rempart. La formation laisse-t-elle à désirer ? S’est-on trompé dans le recrutement ? Ou sommes-nous tout simplement trop exigeants ?

Vous souvenez-vous de la colère de Ludovic Butelle lorsqu’il a encaissé un but dans les arrêts de jeu contre Courtrai, alors que le Club menait 5-0 ? Le Français s’est acharné à coups de pied sur son poteau. Il aurait pu faire passer son nombre de cleansheets à dix. Ce qui, après 19 journées de championnat, équivalait à un match sur deux. Sa colère était compréhensible mais exagérée.

Pourquoi une telle excitation ? Parce que Butelle est sous pression ! Son début de saison hésitant a conduit le Club à envisager l’engagement d’un nouveau gardien. Le Français l’a lu et entendu, comme tout le monde. Pareil avec Frank Boeckx à Anderlecht, qui a pourtant vécu un bel été indien au Parc Astrid, qu’il n’espérait probablement plus après des années de galère. Que se passe-t-il donc dans notre pays, réputé pour être une terre de gardien, pour qu’aucun d’entre eux, ou presque, ne soit plus assuré de sa place ? Une question que nous avons posée à deux anciens gardiens, Wim De Coninck et Geert De Vlieger, qui officient désormais comme consultants pour deux chaînes de télévision : l’un pour Proximus, l’autre pour Telenet.

WIM DE CONINCK : Je pense que c’est une situation temporaire. La saison dernière, beaucoup de gardiens se sont illustrés. Actuellement, on a l’impression qu’ils évoluent tous en deçà de leur niveau.

GEERT DE VLIEGER :Mais on peut, en effet, se poser des questions. Je me souviens d’un soir où on était en studio avec quelques invités. On leur a demandé : qui est, actuellement, le meilleur gardien du championnat ? Aucun n’a pu répondre à la question.

DE CONINCK : Le départ de Matz Sels n’y est pas étranger. L’an passé, le meilleur, c’était lui.

DE VLIEGER :Mais d’autres se débrouillaient bien également. Je pense à Butelle. Aujourd’hui, le Français est beaucoup moins sûr.

DE CONINCK : Butelle a peut-être été trop vite propulsé au rang de  » grand gardien « . Chaque fois qu’il captait un ballon, c’était : –waw ! Il est arrivé après Sinan Bolat et Sébastien Bruzzese, qui avaient laissé tout le monde perplexe. Au début, Butelle a dû énormément diriger sa défense. Trop, peut-être. Cette saison, il l’a moins fait, sans doute parce qu’il était davantage préoccupé par ses propres prestations.

DE VLIEGER :Malgré tout, il n’a pas commis d’erreur et affiche une grande régularité dans ses prestations. Finalement, ce sont les deux aspects les plus importants pour un gardien.

DE CONINCK : C’est vrai, mais le métier de gardien a évolué. De plus en plus, le dernier rempart est utilisé comme un joueur de champ. C’est le premier relanceur.

DE VLIEGER :Or, à mes yeux, sa mission première est tout de même d’arrêter les ballons. On peut avoir un très bon jeu au pied, mais si on n’arrête rien, on n’est pas un bon gardien. Jasper Cillessen, qui est parti au FC Barcelone, arrête ce qu’il doit arrêter, mais selon moi, il ne fait pas partie des meilleurs gardiens du monde !

DE CONINCK (il acquiesce) : Entièrement d’accord. D’abord arrêter les ballons, puis les relancer. J’ai parfois l’impression qu’aujourd’hui, l’ordre des priorités est inversé.

DE VLIEGER :C’est peut-être l’erreur qu’a commise La Gantoise en engageant Jacob Rinne : si le gardien suédois était moins bon à la relance, mais arrêtait plus de ballons, on ne le critiquerait pas autant. On juge un gardien au nombre de buts qu’il encaisse.

Jacob Rinne a succédé à Matz Sels, un lourd héritage. En tient-on compte dans le jugement ?

DE VLIEGER :Au début, Sels était aussi critiqué. Au terme de sa première saison, La Gantoise a envisagé de lui chercher un remplaçant.

DE CONINCK : Cela s’explique aussi par le comportement de Hein Vanhaezebrouck. Au moindre dégagement loupé de Sels, il levait les bras au ciel. J’ai assisté à un entraînement. A la moindre passe qui arrivait à un mètre de son destinataire, Hein s’énervait. Il exigeait la perfection de la part de Sels. Matz s’est amélioré dans ce domaine !

DE VLIEGER :Parfois, on est plus exigeant avec un gardien qu’avec un défenseur central, pour le jeu au pied. Lorsqu’il est sous pression, le défenseur central s’empresse souvent de donner le ballon à son gardien. A charge pour lui d’en faire le meilleur usage possible. J’appelle ça déplacer le problème.

DE CONINCK : Le gardien doit alors faire un long dégagement, le plus précis possible, qui élimine deux ou trois adversaires ! Sels avait aussi l’avantage qu’il y avait toujours quelqu’un de démarqué, à l’époque, à La Gantoise. Cette saison, ce n’est plus le cas. Hein a aussi attendu longtemps avant de choisir entre Jacob Rinne et Yannick Thoelen, et le Suédois le sait. Au matin de la première journée de championnat, on ignorait encore qui prendrait place entre les perches, le soir. Le gardien sait, dans ce cas-là, qu’il n’a pas droit à l’erreur et que l’entraîneur n’hésitera pas à changer.

DE VLIEGER :En principe, si on engage un nouveau gardien, ce n’est pas pour hésiter jusqu’au dernier moment sur le choix du titulaire ! Et je me pose la question : Rinne a-t-il les capacités techniques pour succéder à Sels ? J’en doute. Regardez Davy Roef : à Anderlecht, on l’a comparé avec Silvio Proto qui a remporté des titres pour le club.

DE CONINCK : On a eu tendance à oublier qu’avant de s’imposer définitivement à Anderlecht, Proto a été prêté au Beerschot. Roef a été confronté à une lourde tâche : devenir le gardien d’Anderlecht sans aucune expérience !

COURTOIS, L’EXCEPTION

DE VLIEGER :L’âge n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est le nombre de matches que l’on a déjà joués. Je ne pense pas qu’il faille remettre le travail de formation en cause, dans notre pays. Les entraîneurs sont, pour la plupart, d’anciens gardiens qui ont atteint un bon niveau durant leur carrière. Mais on ne peut pas produire de grands gardiens sur commande. Le talent, on l’a ou on ne l’a pas. Prenez l’exemple de Thibaut Courtois. Subitement, on l’a découvert entre les perches de Genk. Il est parti en Espagne, où il a joué ses matches. Puis, il est parti à Chelsea où il est directement devenu titulaire également, alors que David De Gea a sué sang et eau pendant un an avant de faire son trou en Angleterre. Tout le monde a besoin d’une période d’adaptation, sauf Courtois.

DE CONINCK : Si Courtois n’avait pas été là, Simon Mignolet n’aurait pas perdu sa place de titulaire à Liverpool. Car il serait aussi resté le titulaire en équipe nationale, et l’un des meilleurs gardiens du monde. Mais le fait d’être devenu le n°2 chez les Diables Rouges a modifié la perception de Jürgen Klopp.

DE VLIEGER :Je suis convaincu que Mignolet a beaucoup de qualités, mais il y a d’autres raisons qui expliquent son éviction à Liverpool.

DE CONINCK : Klopp pense que Loris Karius est meilleur à la relance ?

DE VLIEGER :Si Mignolet avait joué de la même manière que Karius, il aurait déjà été prié de quitter le club. Klopp a choisi de lancer Karius, et ne pouvait pas lui enlever sa confiance directement, mais je savais qu’il arriverait un moment où il serait bien obligé de remettre Mignolet.

Du côté du stade Constant Vanden Stock, Roef a-t-il gagné par rapport à Thomas Kaminski ? Pendant des années, on pensait que la succession de Proto se jouerait entre ces deux-là.

DE CONINCK : Roef n’a pas gagné, c’est Kaminski qui a perdu. Sa mentalité est différente. Il n’a pas arrêté de dire : -Je vais détrôner Proto. Roef n’a jamais fait beaucoup de bruit. Kaminski a été le premier à recevoir sa chance, mais ne l’a pas saisie. Mais, lorsqu’on voit Kaminski à l’oeuvre à Courtrai actuellement, on constate qu’il est devenu plus régulier.

DE VLIEGER :Pour un gardien, il n’y a pas de secret : plus on joue de matches, plus on s’améliore. Si vous avez 22 ans et êtes à Anderlecht depuis six ans, mais n’y avez pas joué ou très peu, vous êtes moins bien armé qu’un autre gardien qui vient d’arriver, mais a déjà joué une centaine de matches dans les divisions inférieures. C’était le gros problème de Tristan Peersman : il avait déjà 26 ans, mais n’avait quasiment pas joué. Je pensais qu’Anderlecht allait encore garder Proto pendant un certain temps, et aurait prêté Roef. Mais cette saison, Davy a été jeté en pâture aux lions. Tout le monde ne casse pas la baraque directement. Un gardien normal passe toujours par un processus d’adaptation. Mais j’ai appris que le départ de Proto était aussi lié à Mile Svilar, un jeune talent que l’on ne veut pas bloquer.

DE CONINCK : (il acquiesce) : Je sais que le Sporting a soumis un plan de carrière à Svilar, il y a deux ou trois ans, pour le convaincre de rester.

DE VLIEGER :Wim, le meilleur plan de carrière pour Svilar n’est-il pas d’être prêté à un moment donné ?

DE CONINCK : Oui, sans doute, mais ce n’est pas ce qui a été convenu !

DE VLIEGER :Je ne veux me comparer à personne, mais je me souviens que j’ai joué ma première saison en D2 à 18 ans. Cette expérience-là, elle n’a pas de prix. Oubliées, les promesses ! Des matches, de vrais matches, en équipe Première, pour les points…

DE CONINCK : Un jeune gardien qui débute coûtera des points à son équipe, quoi qu’il arrive. Si on ne l’accepte pas, il faut chercher une alternative.

Anderlecht s’est finalement rabattu sur Frank Boeckx.

DE CONINCK : Jan Boskamp et Aad de Mos ont rapidement été formels : dès le départ, ils ont déclaré qu’il fallait jouer la carte de Roef à fond. Alors qu’à ce moment-là, j’étais incapable de me prononcer. Aujourd’hui, je pense que c’est un bon gardien, mais qu’il s’est retrouvé derrière une défense hésitante dans une équipe qui ne tournait pas.

DE VLIEGER :Je pense que, ni toi ni moi, ne doutons de ses qualités.

DE CONINCK : Mails il a tout de même commis quelques petites erreurs. C’est humain, mais à Anderlecht, cela passe difficilement. A Bruges, Michel Preud’homme ne pouvait pas changer : il n’avait pas d’alternative valable pour Butelle, pendant la période où il n’était pas très sûr de lui. Pendant ce temps, le gardien français se rappelait que son entraîneur avait été élu meilleur gardien du monde à la Coupe du Monde 1994… (il rit)

DE VLIEGER :Je pense que Preud’homme est capable de faire la part des choses.

MÉTIER POURRI

D’anciens gardiens comme Peter Maes et Jacky Mathijssen accusent rarement leur gardien, eux aussi.

DE VLIEGER :A l’époque, lorsque le coach me faisait des reproches et me disait : –Tu aurais dû te placer à tel endroit, je savais qu’il cherchait la petite bête. Pour Marco Bizot, Koen Van Langendonck et Ludovic Butelle, c’est un avantage d’avoir un entraîneur en chef capable d’évaluer parfaitement la situation. J’ai aussi constaté que certains gardiens sont techniquement très doués dès leur plus jeune âge, mais que cela ne constitue pas une garantie de réussite. L’aspect mental est très important : il permet de compenser d’éventuelles lacunes techniques.

DE CONINCK : C’est même la principale qualité d’un gardien. Il n’est pas rare qu’à l’entraînement, le deuxième gardien soit meilleur que le premier.

DE VLIEGER :Là, on capte des ballons les yeux fermés. Mais en match, sous la pression, face à un véritable adversaire, c’est très différent…

DE CONINCK : Trop réfléchir, ce n’est jamais bon. C’est une image, mais on devrait être capable de prendre place entre les perches en sifflotant. Quand on regarde Courtois, on a l’impression qu’il plonge dans son jardin. Souvent, les gardiens sont des bourreaux du travail, mais parfois, on est mieux servi par un je-m’en-foutiste.

DE VLIEGER :Un gardien stable et régulier n’est jamais un je-m’en-foutiste.

DE CONINCK : Non, mais une attitude détachée pour solutionner certains problèmes. En Suède, personne ne comprend que Rinne puisse être remis en cause. Mais le jeune homme s’est retrouvé à 22 ans dans une nouvelle équipe, dans un pays où il n’avait jamais joué, et où on lui a peut-être demandé des choses auxquelles il n’était pas habitué. On voit que ses gestes ne sont plus spontanés. Il réfléchit trop. Et ce n’est pas bon.

DE VLIEGER :C’est le sort d’un gardien : il est jugé sur les erreurs qu’il commet. Si Roef réalise dix beaux arrêts, mais commet une petite erreur qui coûte des points, les journaux du lendemain titreront : une bourde de Roef ! C’est un métier pourri. Et pourtant, nous l’avons exercé durant toute notre vie.

DE CONINCK : On aurait mieux fait de devenir joueurs de champ !

PAR PETER T’KINT ET GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Pour un gardien, il n’y a pas de secret : plus on joue de matches, plus on s’améliore.  » GEERT DE VLIEGER

 » Le métier de gardiens a évolué. Aujourd’hui, le dernier rempart est souvent utilisé comme un joueur de champ, il est le premier relanceur.  » WIM DE CONINCK

 » L’aspect mental est très important pour un gardien. Il permet de compenser d’éventuelles lacunes techniques.  » GEERT DE VLIEGER

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