Questions pour des champions

Kitchie et le Pelé blanc : ce sont des surnoms célèbres mais connaissez-vous parfaitement ces légendes des Rouches et des Mauves ? A vos copies…

Ils se sont retrouvés avec plaisir alors qu’Anderlecht et le Standard ferraillent. Les deux clubs se sont dit leurs quatre vérités en championnat avant de se lancer dans les duels des demi-finales de la Coupe de Belgique. Paul Van Himst (63 ans) et Wilfried Van Moer (62 ans) ont connu, vécu et apprécié tant des ces moments de haute tension entre les ennemis héréditaires du football belge. Si Nicolas Frutos, Mémé Tchité, Milan Jovanovic ou Marouane Fellaini attirent le regard de clubs étrangers, il en allait de même autrefois pour Van Himst et Van Moer. Le Real Madrid courtisa l’Anderlechtois tandis que Cologne puis, plus tard, des clubs espagnols contactèrent l’ancien stratège des Liégeois.

 » C’était flatteur mais je n’ai pas pu y répondre favorablement pour des raisons familiales « , précise Van Himst.  » Le Real faisait rêver mais j’avais déjà trois enfants et je devais aussi m’occuper de mes parents. Dans ces conditions, et étant assez casanier de nature, je n’avais pas envie de me lancer dans cette aventure. En fin de carrière, j’ai eu une offre du Racing Paris mais mes hanches commençaient à me poser des problèmes « .

Cologne était une cathédrale de la Bundesliga à la fin des années 60 et des chapelets de stars ne se faisaient pas prier avant de s’y agenouiller.  » A cette époque, on ne parlait pas de l’arrêt Bosman et les joueurs n’étaient pas libres en fin de contrat « , rappelle Van Moer.  » J’ai rencontré les émissaires allemands qui me proposèrent de visiter leur stade mais le patron de Deurne, Eddy Wauters, freina des quatre fers. Plus tard, alors que je jouais au Standard, Valence et Palma de Majorque s’intéressèrent à moi parce que je m’étais distingué à l’occasion d’un tournoi en Espagne. J’ai reçu les Espagnols. J’ai été les chercher à l’aéroport et ils ont suivi un match à Sclessin. Roger Petit a refusé de les rencontrer. J’ai insisté auprès du grand patron des Rouches qui a été ferme : -Si tu continues, je te transférerai en D3 ! Comme je n’avais pas envie de me retrouver à Wuustwezel ou dans un autre patelin, j’ai renoncé à mes rêves espagnols. Les joueurs n’avaient rien à dire et ne géraient pas librement leur carrière. Les temps ont changé. Les footballeurs sont devenus des hommes d’affaires. La preuve : j’habite à Zonhoven comme Luc Nilis. Il a construit un château. Moi, j’ai une petite villa…  »

Contre qui Van Himst et Van Moer ont-ils célébré leurs débuts en D1 et face à qui ont-ils marqué leur premier but en championnat ? (1)

Anderlecht et le Standard présentent une belle brochette de jeunes de chez nous ou d’étrangers n’ayant jamais connu l’univers de notre D1 avant cette saison : Marcin Wasilewski, Nicolas Pareja, Lucas Biglia, Max Von Schlebrügge, Ricardo Sa Pinto, Milan Jovanovic, Axel Witsel, Marouane Fellaini, etc. Ce sont des trouvailles qui ont attiré le regard de Van Himst et Van Moer.

Les clubs cherchent toujours le joueur qui pourrait faire leur bonheur. Les frères ennemis sont heureux d’avoir recruté, entre autres, Ahmed Hassan et Steven Defour. Le sphinx égyptien calibre joliment le jeu des Bruxellois tandis que la tête blonde du Standard a un magnifique avenir devant lui. Van Himst ne peut qu’apprécier les inventions d’Hassan. Quand il s’y met, aucun adversaire ne peut déchiffrer ses hiéroglyphes mais son écriture de jeu emballe le public. Alors, si l’homme du Nil navigue parfois à l’£il ou boude un peu, Van Himst sourit. Van Moer lui rappelle que Robby Rensenbrink revêtait son smoking quand il avait envie.

 » Tu as raison, Wilfried, il ne faut pas sans cesse évoquer leurs petits défauts « , affirme Van Himst.  » Les joueurs ne sont pas des ordinateurs. Quand un entraîneur a des joueurs du niveau d’Hassan, il ne peut qu’être heureux « .

Van Moer enchaîne :  » Frankie Vercauteren ne doit pas sans cesse être à ses trousses. Il veut tout contrôler mais c’est impossible. C’est la même chose partout. Si l’entraîneur du Standard n’a pas Sergio Conceiçao dans son jeu, il est foutu. Ces vedettes font la joie ou le malheur des coaches. Et, sur un terrain, ils tiennent la baguette du chef d’orchestre. Un bon joueur a toujours plus d’importance qu’un entraîneur. C’est certainement le cas dans le championnat de Belgique « .

Si les inventions d’Hassan sont autant de bijoux, les progrès de Defour suscitent aussi le respect. Ce gamin attaque, se replie pour assumer son travail de récupération. C’est, dit-on, le nouveau Van Moer. Ce dernier ne mesure pas ses compliments pour le jeune prodige tout en nuançant :  » C’est du talent à l’état pur mais, même si je suis persuadé qu’il ira très loin, la comparaison est encore prématurée. Moi, quand je suis arrivé à Sclessin, le Standard détenait une grande équipe. René Hauss allait terminer brillamment le travail de Michel Pavic. Le Standard de la fin des sixties et du début des seventies était nettement meilleur qu’actuellement. Steven peut obtenir de grandes satisfactions mais il devrait rester quelques saisons à Liège. Il faut de la patience afin de bâtir une belle carrière. Les footballeurs restent-ils encore cinq ans dans le même club ? »

Van Himst a aussi un faible pour le futur Van Moer bis.  » On a toujours besoin de gros travailleurs dans une équipe bien organisée « , avance-t-il avant de plonger dans le passé.  » Quand Jef Jurion a quitté Anderlecht en 1968, Albert Roosens, le président du Sporting, me demanda si je connaissais un joueur susceptible de le remplacer. Il m’a cité le nom de Van Moer avec qui je jouais en équipe nationale militaire. J’ai dit : -Oui, c’est le successeur tout indiqué de Jurion. J’en ai parlé à Wilfried et il était d’accord de venir chez nous. Anderlecht a hésité avant de recruter entre autres Yves Herbet, un médian français. Un excellent joueur mais ce fut un échec. Jurion est parti trop tôt à Gand et Wilfried a fait les beaux jours du Standard. Jurion était un grand joueur mais Kitchie, plus complet, était le meilleur médian belge de mon époque « .

Wilfried apprécie mais ajoute :  » Tu vas avoir des problèmes avec Jef, Paul…  »

En quelle année Van Himst et Van Moer ont-ils obtenu leur premier Soulier d’Or et combien de titres comptent-ils à leur palmarès ? (2)

Paul et Wilfried sont deux des plus grands chercheurs d’or du football belge. Ils collectionnent les titres et ont de quoi ouvrir un magasin de chaussures 24 carats. Van Himst en possède quatre, Van Moer trois. Anderlecht et le Standard comptent en leurs rangs les deux derniers Souliers d’Or. Ce métal précieux rapporte désormais pas mal d’argent. Vincent Kompany l’a placé dans une banque hanséatique, à Hambourg.

 » Mon premier Soulier d’Or, je l’ai gagné sous le maillot de l’Antwerp « , se souvient Van Moer qui avait entamé sa carrière à Beveren.  » C’était chouette mais cela n’avait pas le retentissement actuel. La presse en parlait mais c’est l’Antwerp qui en récolta plus tard les intérêts. En fin 1967-1968, j’avais signé pour le compte du Club Bruges. L’Antwerp ne l’entendit pas de cette oreille et je me suis retrouvé de l’autre côté du pays, au Standard. Je ne le regrette pas car ce fut merveilleux. Mais ce sont les clubs qui ont fixé le prix du transfert : 150.000 euros, un record pour l’époque. Ce fut un tournant important de ma carrière « .

Avant de devenir footballeur professionnel, Van Moer exerça le métier de technicien réparateur de radios et de télévisions. A Anderlecht, Van Himst se contenta longtemps d’un salaire mensuel de 1.000 euros bruts par mois. Quand les étrangers se firent plus nombreux, Jurion apprit que Pummy Bergholz empochait 12.500 euros nets par an et peu importe que le club soit premier ou quinzième à la fin de la saison.  » Nous avons discuté avec la direction et les Belges, certains en tout cas, ont obtenu la même chose « , raconte Van Himst  » Je ne suis pas du tout jaloux du salaire des footballeurs actuels. Les managers font la différence. Avant, on ignorait quand il y avait une offre de transfert. Maintenant, même les joueurs aux pieds carrés ont des agents. Tout le monde rêve de filer à l’étranger mais quel joueur belge y réussit un parcours sans faute ? »

Wilfried complète calmement :  » Ils n’ont pas assez de talent « .

Sur sa lancée, Paul explique encore :  » Et ils se trompent dans leurs choix. Prenez le cas de Kompany. La Bundesliga n’est pas sa tasse de café. Il aurait dû opter pour l’Espagne ou la France. Le jeu allemand est trop physique pour lui et il en aurait été de même en Italie. Moi, quand j’étais encore joueur, j’aurais refusé de jouer pour un club de Bundesliga. A chacun son style. Marc Wilmots, lui, a trouvé un club qui lui allait comme un gant en Allemagne : Schalke 04. En France, il a éprouvé plus de difficultés à Bordeaux où tout est plus technique « .

Conceiçao et Mbark Boussoufa constituent pour eux des plus indiscutables pour la D1. Ils sont à ranger dans la catégorie des meilleurs joueurs ayant joué chez nous.  » Chaque club a ses filières « , note Van Moer.  » Anderlecht a découvert le chemin de l’Amérique latine, le Standard cherche beaucoup au Portugal. Dans le temps, Petit s’en tenait principalement à son filon yougoslave. Sergio et Mbark sont de beaux Souliers d’Or même si l’Anderlechtois n’a pas assez souvent brillé lors des grandes occasions « .

Van Himst nourrit un regret à propos de ce dernier artiste :  » Je suis un chaud partisan de ce genre de joueurs mais je n’ai pas apprécié son attitude en Coupe de Belgique contre Genk. Il a provoqué et nargué les Limbourgeois en sautant sur le ballon. Je ne me serais jamais permis de provoquer un adversaire de la sorte, Wilfried non plus. Un jour, cela se retournera contre lui « .

Van Moer certifie tout de suite :  » A mon époque, on l’aurait expédié les quatre fers en l’air « .

En quelle année ont-ils respectivement quitté Anderlecht et le Standard ? Sous quel maillot ont-ils mis fin à leur séjour en D1 ? (3)

Les Mauves et les Rouches ont des cogneurs en pointe (Frutos , Igor De Camargo, Ali Lukunku) et des flèches (Tchité, Boussoufa, Jovanovic). Chaque but est désormais analysé par une myriade de caméras. Les filets de Van Himst et Van Moer sont bien garnis aussi. Ils se souviennent de deux attaquants qui resteront à jamais dans la légende des deux clubs : Jan Mulder et Roger Claessen.

 » Quand il partait balle au pied, Jan était irrésistible « , souligne Van Himst.  » Il était aussi bon que Marco van Basten ou Ruud van Nistelrooy. C’était en tout cas le même genre de joueur. Claessen était un dieu. Il était beau et c’était vraiment un bon gars. Roger était adulé et il avait un talent fou mais pas de caractère. A 25 ans, c’était déjà fini « .

Van Moer opine :  » Tout cela est vrai mais Claessen reste le meilleur pivot offensif de l’histoire du football belge « .

A Athènes, certains se souviennent encore de lui.  » Nous étions en Grèce avec l’équipe nationale militaire « , continue Van Himst.  » Les Belges logeaient dans un hôtel en ville, pas à la caserne. Roger se promenait nu sur la terrasse. Il a été renvoyé au pays « . Van Moer sourit :  » C’est déjà loin tout cela. Je me pose des questions quand je vois les deux attaques. Elles se ressemblent un peu quand même : un pivot de chaque côté et des fonceurs. C’est intéressant. Je me demande pourquoi le Standard a cédé Tchité à Anderlecht. C’est financier probablement : Luciano D’Onofrio est obligé de faire la même chose que Roger Petit : vendre des joueurs pour boucler son budget. Dommage car quand on mesure tout ce que Mémé rapporte à Anderlecht, ce n’est pas rien. Anderlecht s’est renforcé au mercato d’hiver en recrutant deux défenseurs alors que le Standard s’est affaibli en cédant Oguchi Onyewu à Newcastle. Sans plusieurs de ses piliers, les Rouches n’ont pu réaliser plus qu’un match nul contre Beveren devant 22.000 spectateurs. C’était indicatif avant le voyage à Anderlecht en championnat « .

Van Himst apprécie les atouts de De Camargo et de Jovanovic.  » C’est très bon aussi « , note-t-il.  » Comme le dit Wilfried, le principal problème liégeois se situe ailleurs : quand il manque deux ou trois titulaires, le niveau baisse. L’effectif anderlechtois est nettement plus riche que celui du Standard ou de Genk. Cette équipe peut se permettre d’être patiente. Elle finit toujours par s’imposer. Frutos est important dans ce contexte. Il me fait penser à Jan Koller. Mais Nicolas est plus fort balle au pied. Tiens, lui, il réussirait et marquerait pas mal de buts en Allemagne. Nicolas s’entend très bien avec tout le monde sur le terrain, surtout avec Biglia, un élément très important. Herman Van Holsbeeck a bien travaillé en Argentine et pendant le mercato d’hiver. Mais, comme Wilfried, je n’ai pas compris que le Standard cède Tchité à Anderlecht : c’est un très bon « .

Combien de matches ont-ils disputé parmi l’élite belge et à combien de reprises ont-ils évolué en Coupe d’Europe ? (4)

Le championnat est entré dans sa phase décisive. Paul et Wilfried ont connu cette fièvre et les batailles pour un ticket européen. Le Standard a changé d’entraîneur après un début de saison raté. Michel Preud’homme a pris le témoin des mains de Johan Boskamp alors que le Standard accusait déjà un retard important au classement général.

 » Il ne parle pas bien français et le dialogue avec les joueurs devait forcément être limité « , relève Van Himst.  » Dans ces conditions, et même s’il a été handicapé par un effectif incomplet, c’était voué à l’échec. Je l’aime bien Johan. On a fait du vélo ensemble. Un jour, je l’ai attendu au sommet du Bosberg, une des célèbres bosses du Tour des Flandres. Il a terminé à pied avant de s’installer, crevé, à la terrasse d’un café et de commander cinq zips et cinq cocas. Un peu plus tard, il a dévalisé une pâtisserie. Johan avait besoin de sucre « . Même si le football mauve n’est pas toujours attrayant, la confiance confirmée de la direction bruxelloise à l’égard de Vercauteren fut stabilisatrice.  » Avec le respect que je dois à Boskamp, qui est un bon entraîneur, sa place n’était pas au Standard « , analyse Van Moer.  » La direction aurait dû s’en rendre compte. Tout le monde peut se tromper. René Hauss était un coach idéal pour le Standard mais, après lui, Petit recruta entre autres Cor Van der Hart. C’était un joyeux drille. Un jour, il s’intéressa à une dame dans le bistrot de Léo Dolmans. Le lendemain, Van der Hart est venu à l’entraînement avec un £il au beurre noir. Il n’aligna plus Dolly car il estimait que ce dernier avait manigancé tout cela. Hauss a gagné trois titres. Nous avions une défense exceptionnelle, celle des Diables Rouges en gros : Christian Piot, Jacky Beurlet, Léon Jeck, Jean Thissen. Louis Pilot était un brise-lames idéal dans l’entrejeu. Le groupe était formé pour de bon en début de saison. Quand je vois comment Preud’homme a dû travailler, je dis : -Chapeau. Grâce à lui, le Standard, dont le noyau ne se consolida qu’après le début du championnat, est revenu de loin et les jeunes prennent du volume « .

Van Himst approuve, évoque Pierre Sinibaldi, un entraîneur français, comme Hauss qui a remporté cinq titres d’affilée durant les années 60. Anderlecht domina le c£ur des années 60 et Petit, excédé par la présence de 11 Mauves en équipe nationale contre la Hollande, parla d’anderlechtisation du football belge : ambiance ! Van Himst et Van Moer partagent le même point de vue : Albert Roosens, Constant Vanden Stock et Petit étaient de grands dirigeants, de fins connaisseurs du foot.

 » Sinibaldi a prouvé tout ce qu’un regard différent peut apporter « , lance Van Himst.  » Un entraîneur étranger à Anderlecht ? Pourquoi pas ? Attention, Vercauteren abat du bon travail mais n’a pas osé assez en Ligue des Champions. Anderlecht a parfois eu peur. Les Mauves ont vécu des moments forts contre l’AEK Athènes, en Grèce et à Bruxelles ou face à Lille mais l’art de terminer le boulot a fait défaut. Avec un peu plus d’audace, Anderlecht aurait franchi un cap de plus en Ligue des Champions « .

Le 9 mai, Anderlecht retrouvera le Standard à Sclessin à l’occasion du match retour des demi-finales de la Coupe de Belgique. Mulder redoutait les hauts-fourneaux du bassin industriel liégeois. Van Moer rappelle :  » Les usines crachaient d’épaisses fumées. Nous respirions pas mal de crasses. Un jour, l’arbitre Vital Loraux arrêta un match contre le Club Bruges durant cinq minutes. On ne voyait plus rien, et une cheminée avait déversé un gaz qui piquait aux yeux « .

par pierre bilic – photos : reporters/mossiat

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