QUE DU MALHEUR

Pierre Bilic

Certains ont gagné ce prix avant de voir leur bonne étoile pâlir. Parfois même, définitivement.

La magnifique actrice franco-américaine Leslie Caron a remis, en 1955, le premier Soulier d’Or au légendaire Rik Coppens, alors stratège et star du Beerschot. L’artiste anversois était le Gene Kelly de la D1 et, comme un Américain à Paris, il dansait merveilleusement sur toutes les pelouses.

Le Soulier d’Or, c’est Hollywood, véritable boulevard des stars du football belge avec ses belles histoires et ses oubliés (des légendes comme Denis Houf, Louis Carré, Jef Mermans, LaurentVerbiest, Nicolas Dewalque, Raoul Lambert, Ludo Coeck, René Vandereycken, Juan Lozano, Georges Grün et Luc Nilis, entre autres, ne figurent pas au palmarès). Mais nombre de joueurs n’ont connu que du malheur après avoir reçu le trophée. Le dernier cas connu est celui du Standardman Sergio Conceicao (v. article suivant) mais il n’était pas le premier…

Vincent Kompany ne compte plus les blessures

Le Soulier d’Or 2004 est remis à un Vincent Kompany (18 ans) tout de blanc vêtu : à son élégance s’ajoute une éloquence peu banale pour un aussi jeune joueur. S’exprimant aussi bien en français qu’en néerlandais, on croit entendre un avocat ou le fils d’un ambassadeur. Pas du tout, ce gendre idéal, rejeton d’une Ardennaise et d’un Congolais, débarquait du Quartier Nord à Bruxelles. De la Rue aux Etoiles : quel exemple. Tout le monde voulait l’approcher, lui parler. Il a fallu organiser son agenda. En 2005-2006, la mécanique physique de ce surdoué a connu de gros ratés. Sa mauvaise statique (genoux en x) n’a pas été corrigée durant sa croissance et ça lui a valu des pépins physiques en surcharge de travail, sans oublier une opération délicate à l’épaule. Que de temps perdu.

Malgré cela, Hambourg déposa 10,5 millions d’euros sur la table d’Anderlecht. Le club allemand cherchait un successeur pour Daniel Van Buyten parti au Bayern Munich. Hambourg avait été subjugué par la classe naturelle de Vincent. Hélas pour le vieux club de Bundesliga (où il gagne deux millions d’euros par saison), Kompany se blessa en équipe nationale et une opération au tendon d’Achille l’écarta des terrains. La Fiorentina lui a récemment fait un appel du pied mais Vincent doit d’abord vaincre la malchance du Soulier d’Or. Si Vincent pleure pour le moment, son père, Pierre Kompany, rit. Cet inventeur d’une machine qui oxygène les surfaces d’eau (excellent dans la lutte contre le botulisme) a été élu échevin lors des dernières élections communales à Ganshoren. Ne devrait-il pas mettre au point une autre drôle de machine afin de chasser les malheurs qui collent aux crampons des Souliers d’Or ?

Aruna Dindane déraille et quitte Anderlecht par la petite porte

En 2003, Aruna Dindane est le premier joueur africain qui se paye le Soulier d’Or. Il avoue avoir trop fêté cet événement, ne pas avoir fait le tri entre les réceptions et autres obligations. Sur le terrain, il se cherche. Sa vie est perturbée par les problèmes de santé de son bébé. Sa soeur est arrêtée dans un magasin où elle veut payer ses achats avec un faux billet. C’est le scandale, la plongée aux enfers corsée par un gros incident avec l’arbitre Serge Gumienny auquel il s’était frotté en 2002.

Après cinq ans de présence à Anderlecht, Aruna est en pétard avec tout le monde, veut partir, boude, est suspendu et quitte finalement la capitale par la petite porte. En 2005, il termine le chapitre anderlechtois de sa carrière sur une carte rouge après avoir offert un coup de boule à PhilippeBilly de Mons. A Lens, Aruna a retrouvé sa superbe après une première saison d’adaptation et le chagrin dû à la mort d’un enfant.

Sonck ne joue même plus avec les Diables

En 2001, Wesley Sonck n’imagine pas que le Soulier d’Or 2001, remis par Pelé, serait aussi lourd à porter pour lui. Cet enfant de cafetiers de Ninove (où il joua avant de passer au RWDM, au Germinal Beerschot et à Genk) est un attaquant explosif et doté d’un caractère de feu. Il est excellent dans les airs malgré sa taille assez moyenne (1,74m) et vaut 10 millions d’euros sur le marché des transferts internationaux. Il lui reste à confirmer l’éclat de son or.

Deux ans plus tard, Genk solde son énergique attaquant cédé à l’Ajax Amsterdam pour la moitié du prix rêvé, soit cinq millions d’euros. Il ne fait jamais l’unanimité en Hollande avant d’être transféré au Borussia Mönchengladbach où ce n’est pas guère plus glorieux. Souvent blessé, Sonck ne joue plus non plus en équipe nationale où il était un ancrage offensif (15 buts en 37 matches).

Après le Soulier 98, c’est la chute libre pour Branko Strupar

Le Croate Branko Strupar n’est pas du style à passer d’un coeur à l’autre. Il était bien trop sentimental et attaché aux siens pour cela. Venu de Spansko, un petit club de Zagreb, il forme un duo formidable avec Souleymane Oulare et procure beaucoup de plaisir à son entraîneur, Aimé Anthuenis : le titre en D2, la Coupe de Belgique en 1998 (4-0 contre le Club Bruges), le titre de meilleur buteur de l’élite en 1997-1998 (22 goals), etc. Il est finalement assez logique que ce pivot offensif, doté d’une frappe magnifique et précise émerge au référendum du Soulier d’Or 1998 : 310 points pour 242 à Oulare.

Branko Strupar est le premier Soulier d’Or étranger à avoir opté ensuite pour la nationalité belge. En plus de ses cinq ans passés à Genk de 1994 à 1999, avec ses 19 caps, il a souvent été très utile dans les rangs des Diables Rouges sauf durant la Coupe du Monde 2002 au Japon où il avait visiblement le spleen. En décembre 1999, Strupar est transféré à Derby County où il fut souvent blessé entre deux éclairs de génie. En 2002, ce gentil garçon chuta en Division One avec son club anglais.

Il vit désormais à Zagreb et a certainement placé le Soulier d’Or bien en vue dans son salon. Pourtant, on ne peut pas dire qu’il lui a porté chance, au contraire. Quant à Oulare (2e en 1998), il a perdu son football dès qu’il quitta Genk avant d’être impliqué récemment dans une sordide affaire de marchand de sommeil à Bruxelles.

Paul Okon mène une existence de gitan de luxe et perd sa copine

En 1995, Gilbert Bodart est le favori numéro 1 pour le Soulier d’Or. Cette récompense lui permettrait de tutoyer Jean Nicolay, Christian Piot et Michel Preud’homme dans la galerie des plus grands portiers de l’histoire de Sclessin. Il y a bien eu un mauvais match de sa part contre le Danemark ou une élimination trop rapide du Standard en Coupe d’Europe face à Guimaraes mais Bodart portait son club sur ses épaules depuis si longtemps.

A la surprise générale, c’est Paul Okon, l’élégant arrière central australien du Club Bruges qui enlève le morceau (243 points pour 213 à l’actif de Gilberto). L’ Aussie a été longuement blessé mais quelle revanche pour ce joueur qui avait été testé et refusé à Anderlecht. A Liège, on songe au scénario de 1961 quand Paul Van Himst obtint deux points de plus que Denis Houf, le général d’un Standard qui se distinguait en Coupe d’Europe. Bodart accuse le coup tout restant très sportif. Mais Okon passe successivement et sans grand succès à la Lazio Rome, à la Fiorentina, à Middlesbrough, à Watford, à Leeds, à Vicenza et finalement à… Ostende où son entraîneur ne fut autre que Bodart. De plus, sa relation avec la belle et plantureuse Phaedra Hoste (mannequin flamand habituée des plateaux de télévision) ne résiste pas aux impératifs nés à la suite de sa conquête du Soulier d’Or. Phaedra qui avait déjà vécu avec l’ex-coureur cycliste Roger De Vlaeminck se consola notamment dans les bras du basketteur Peter Loridon.

Le trophée est lourdement tombé sur la tête de Gilles De Bilde

L’or de 1994 a pesé très lourd dans la balance de la vie pour Gilles De Bilde. Rien ne destine ce ket multilingue de Zellik aux plus grands honneurs. Il a appris à jouer au football dans les rues et les parcs de son quartier. En équipes de jeunes, Anderlecht l’estime trop court et il se retrouve à Merchtem. Ses bonnes performances en équipe nationale militaire lui valent un transfert à Alost à 23 ans où il forme un duo percutant avec Edi Krncevic en D2. L’Australien propose sa taille, lui sa vivacité.  » Un jour, il sera au top « , lance Krncevic.  » Il a tout pour réussir « .

Le Socceroo a raison mais de là à prévoir une telle ascension, c’est osé. Anderlecht le rapatrie durant les beaux jours de 1994 et il abandonne au ministère de la Justice. Après six mois seulement de présence en D1, il gagne le Soulier d’Or (203 points) devant Franky Vander Elst (148 points), Michel Preud’homme (132 points) n’est que cinquième alors qu’il avait été élu meilleur gardien de but du monde après la World Cup. Malgré ses débuts en équipe nationale, sa vie bascule très vite du brillant vers les ténèbres, de la joie à la peine, du statut de vedette exemplaire à celui de sale caractère. Son père est victime d’une attaque cérébrale et les plombs de Gilles sautent à l’hôpital où il s’en prend durement au personnel médical. Son prestige est écorné et il doit rendre des comptes à la justice. Un peu plus tard, en fin d’année 1996, il fracture la pommette de Kris Porte en lui décochant un incroyable coup de poing.

C’est fini pour le fils prodige. Il est puni, suspendu, transféré au PSV, joue brièvement à Sheffield Wednesday avant de revenir à Anderlecht en 2001 (sans succès) et de terminer sa carrière au Lierse. Il reste un consultant, une star d’émissions de variétés et un invité apprécié des talk shows de différentes chaînes télévisées mais le Soulier d’Or a pesé trop lourd pour lui.  » Je dois être digne de ce magnifique podium. J’ai désormais un nom célèbre et j’entends l’assumer de façon exemplaire « , avait-il dit en montant sur la première marche du podium…

Sans Guy Roux à Auxerre, c’aurait été trop triste pour Enzo Scifo

En 1984, un vent de jeunesse venu de La Louvière et d’Anderlecht requinque le football belge. C’est Enzo Scifo qui apparaît dans le ciel mauve. Cheveux bouclés et yeux bruns, ce fils de Sicile né le 19 février 1966 suscite la sensation. Paul Van Himst le présente au public pendant un match de gala contre Barcelone en août 1983 après le départ de Ludo Coeck à l’Inter Milan et de Juan Lozano au Real Madrid. Une étoile est née. Beveren décroche le titre en 1984 mais ne place aucun de ses joueurs dans le Top10 du Soulier d’Or. Tout le monde ne pense qu’au phénomène hennuyer qui étale élégance, vista, richesse technique, présence dans le trafic aérien, frappe, etc.

Il débute au Beerschot en championnat et la suite est superbe : une grande campagne européenne, finale de la Coupe de l’UEFA perdue contre Tottenham (1-1, 4-3 pour les Anglais aux tirs au but), naturalisation, arrivée en équipe nationale le 6 juin 1984 à l’occasion d’un match amical face aux Hongrois à Bruxelles (2-2). Sept jours plus tard, la Belgique entame bien la phase finale de l’Euro 84 en prenant la mesure de la Yougoslavie à Lens : 2-0. Un homme éclate de classe au centre de la pelouse : Scifo.

Même si la suite du tournoi est moins glorieuse, la perle mauve séduit tout le monde. Au Casino de Middelkerke, Guy Thys estime pourtant que le Soulier revenait plus à Jan Ceulemans (vainqueur des deux suivants) :  » Mais cela n’enlève évidemment rien aux mérites d’Enzo. Son talent est immense mais cette première récompense vient un peu vite « . Avec ses 383 points (65 de plus que Caje, 2ème), Scifo est heureux et remercie Van Himst (qui l’a entraîné en Juniors UEFA et lancé en D1) :  » Je suis jeune mais je garderai la tête sur les épaules.  »

Il avait un contrat avec Anderlecht jusqu’à ses 23 ans mais le prestige du Soulier change la donne. Après avoir été admiré et cité en exemple, Scifo est jalousé, visé, critiqué, envié, a des relations difficiles avec René Vandereycken en équipe nationale, est décalé sur la droite de la ligne médiane pendant le Mundial 86 au Mexique, etc. En été 1987, il signe à l’Inter Milan où des requins du vestiaire l’attendent. Enzo a les épaules trop frêles pour être un gladiateur dans la fosse aux lions du Calcio. Il ne joue pas, se retrouve à Bordeaux où le coach, Raymond Goethals, ne se mouille pas pour l’aider.

Quatre ans après avoir gagné son Soulier d’Or, il est dans le trou. Scifo finira par vaincre la malchance du Soulier d’Or. Auxerre et Guy Roux le relancent : retour à la compétition, exploits européens, passage à Torino, séjour à Monaco, retour à Anderlecht mais aussi une dispute très médiatisée avec Georges Leekens à la fin de la Coupe du Monde 1998 et une fin de carrière en mode mineur à Charleroi.

Eric Gerets faillit se noyer avec le scandale Waterschei

 » J’attendais ce moment depuis des années. C’est le plus beau jour de ma carrière « , dit Eric Gerets, accouru de son Rekem natal, pour prendre possession de sa récompense pour une année 1982 magnifique. Dans son style très engagé et spectaculaire, le Limbourgeois est alors devenu le meilleur arrière droit d’Europe. Barbe de Fer balaye son flanc comme personne et participe plus que largement à la conquête du titre national avec le Standard. Son club s’est également glissé jusqu’en finale de la Coupe des Coupes (défaite 2-1 contre Barcelone) et il retrouve le stade de cet événement à l’occasion du match inaugural de la Coupe du Monde 1982, avec un succès de la Belgique face au tenant du titre argentin (1-0). La récolte est somptueuse et le Soulier d’Or accélère sans aucun doute son transfert à l’AC Milan durant l’été 1983.

Bordeaux et Cologne ont également courtisé celui qui avait entamé sa carrière dans un petit club de série provinciale limbourgeoise (AA-Arbeid Adelt-Rekem) où les Rouches le recrutent à 17 ans. Son père fut extérieur gauche dans un autre cercle de la région, Opgrimbie.

Il vit un rêve en or massif en débarquant à Milan où il devient le capitaine après quelques mois. Pourtant, le ciel s’assombrit vite au-dessus du meilleur arrière droit belge de tous les temps. Le 28 février 1984, la police judiciaire pêche Eric Gerets à l’hôtel où les Diables Rouges préparent le match contre l’Allemagne de l’Ouest. L’affaire Standard-Waterschei éclate : en fin de saison 1981-1982, les Liégeois cédèrent leur prime de victoire aux adversaires pour qu’ils le sortent pas la faucheuse à quelques jours de la finale de la Coupe des Coupes.

L’enquête du juge Bellemans fait du bruit (découverte de payements en noir, prestige du football belge écorné, etc.) mais c’est Eric qui paye la note la plus salée : pas de phase finale de l’Euro 84 en France, suspension, éjecté de l’AC Milan, etc. Gerets accuse le coup avant de s’en remettre, de se relancer dans les rangs du MVV Maastricht, de gagner la Coupe des Champions 88 avec le PSV Eindhoven (0-0 et 6-5 lors des tirs au but contre Benfica à Stuttgart). Sans cette belle mais maudite année 1982, sa récolte de triomphes aurait été bien plus importante.

PIERRE BILIC

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