» Quand nous allons à la banque, c’est pour un dépôt, jamais pour un crédit ! « 

Mardi, le Bayern affronte la Juventus en quarts de finale de la Ligue des Champions. Uli Hoeness, son président, nous parle du succès de son club, de la qualité des saucisses et de Pep Guardiola.

Une fine neige s’abat sur Munich. Le Spatenhaus, sis Residenzstrasse, n’accueille que du beau monde. Uli Hoeness, le président du Bayern, est un habitué de cet établissement typiquement bavarois, nous assure Marcus Hörwick, l’attaché de presse du club, en pénétrant dans la salle où Hoeness va accorder une interview aux représentants des magazines européens.

Même s’il n’en montre rien, Hoeness n’a pas apprécié le relâchement de ses troupes, la veille, face à Arsenal, après une démonstration à Londres. Avant de répondre aux questions, il goûte les amuse-gueules : des saucisses de l’entreprise de Nuremberg qu’il dirige, avec son fils. Elles sont bonnes, l’entretien peut commencer.

Que représente une défaite 0-2 contre Arsenal ?

Uli Hoeness : Elle constitue un bon avertissement au bon moment. Nous ne jouions plus très bien depuis quelques semaines mais nous pouvions avancer une excuse : nous avons quinze points d’avance. Quand nous sommes à 100 %, nous pouvons battre n’importe qui mais à 90 %, nous ne sommes pas à l’abri d’un faux-pas comme celui-là. Or, pour vaincre les équipes qui restent en lice en Ligue des Champions, il faut être à 100 %.

A quel point un revers pareil vous touche-t-il et a contrario, quel était votre bonheur à Londres ?

J’ai assisté à un des meilleurs matches de l’histoire du Bayern à Londres et deux semaines plus tard, j’ai compris que les joueurs du Bayern étaient des hommes comme tout le monde, capables de tous les exploits un jour et médiocres le lendemain.

Discutez-vous parfois avec les joueurs après un match ?

Nous nous rendons toujours au vestiaire mais Karl-Heinz et moi nous adressons rarement aux joueurs. C’est quelques jours plus tard qu’il faut le faire. Nous donnons notre avis, sans plus, pour ne pas miner l’autorité de l’entraîneur.

Qui s’occupe des transferts ?

La cellule sportive, composée de trois hommes. Si la somme est importante, elle se tourne vers la commission d’avis, que je préside. Si une des quatre parties dit non, le transfert n’a pas lieu.

Vous tenez d’autant plus à gagner la Ligue des Champions que vous avez perdu la finale précédente contre Chelsea. Comment avez-vous pris ce revers ?

Le club est resté plusieurs semaines sous le choc puis nous avons analysé les erreurs commises. Nous avons manqué de conviction ce soir-là et nous n’avions pas assez de bons remplaçants. Cette saison, tous nos transferts sont réussis, ce qui est rare. Nous n’engageons pas seulement de bons footballeurs mais des caractères. J’ai apprécié les récentes interviews de Dante et de Martinez : ce sont de bonnes histoires, racontées par des gens intéressants qui ont un avis.

 » Guardiola est sensible à notre philo, proche de celle du Barça  »

Vous voilà président, après avoir été joueur puis manager du Bayern, comme Karl-Heinz Rummenigge et Franz Beckenbauer. Est-ce un hasard ?

Quand nous engageons quelqu’un, nous le cherchons d’abord parmi les anciens joueurs, même si, pour les finances, nous préférons un grand nom de la banque à un ancien footballeur.

Tous ont une opinion et la font savoir. Or, Guardiola était le seul à s’exprimer en public, à Barcelone. L’attitude des dirigeants du Bayern ne va-t-elle pas lui poser problème ?

Je ne m’exprime que quand nous perdons. C’est donc très simple : Pep devra gagner tous ses matches s’il ne veut pas m’entendre.

Est-il préparé à ce qui l’attend ?

Je lui ai rendu visite dans son appartement new-yorkais le 18 décembre. Après trente secondes, j’avais déjà l’impression qu’un lien s’était créé. Nous avons parlé pendant quatre heures. De tout. Pep est un homme ouvert, émotionnel, ce que nous aimons. Il aura peu de problèmes ici. Il peut parler football avec Karl-Heinz et moi. Franz Beckenbauer a moins d’influence car il est commentateur TV.

Comment avez-vous eu l’idée de faire appel à lui ?

Il y a trois ans, Barcelone a participé à un tournoi à Munich. Karl-Heinz et moi avons pris un café avec Guardiola. Au moment de rejoindre son équipe, il s’est tourné vers moi et m’a dit :  » Je peux m’imaginer travailler un jour pour le Bayern.  » Kalle et moi ne l’avons jamais oublié et nous avons donc pensé à lui pour succéder à Jupp Heynckes. Kalle lui a téléphoné et l’a rencontré à Barcelone puis en octobre, Pep lui a dit qu’il aimerait me parler avant de prendre une décision. C’est ainsi que je suis parti à New York. À la fin de l’entretien, il m’a demandé :  » Je signe le contrat maintenant ?  » J’ai répondu :  » Ce n’est pas une mauvaise idée.  »

Pourquoi a-t-il choisi le Bayern ?

Il va bien gagner sa vie, même s’il aurait pu obtenir davantage ailleurs. Je pense qu’il retrouve au Bayern une philosophie assez identique à celle du Barça. À mon arrivée à New York, il apprenait déjà l’allemand depuis quatre ou cinq semaines et il avait visionné tous les matches du Bayern depuis le mois d’août. Il connaissait tous les joueurs, leurs qualités et leurs défauts. Kalle et Matthias Sammer viennent de le voir à Zurich et Matthias m’a dit que son allemand n’était pas mauvais. Il bénéficie d’un cours particulier plusieurs fois par semaine.

Vous pouvez remporter le titre et la Ligue des Champions cette saison, sans Guardiola. Que peut-il encore apporter au Bayern ?

Si Jupp Heynckes avait fêté ses 58 ans et non ses 68 ans en mai, nous n’aurions pas pensé à Guardiola. Mais bon, nous avons la chance unique d’enrôler l’entraîneur que le monde entier veut. Trouver un entraîneur qui a une philosophie compte presque autant pour nous que les trophées. Heynckes en a une, Guardiola aussi. Celui-ci aura la tâche plus difficile si Heynckes réussit le triplé mais il pourra quand même nous apporter un plus grâce à ses idées.

 » Un sphinx comme Happel ne réussirait plus de nos jours  »

L’équipe n’a pas perdu sa motivation en apprenant que Guardiola succéderait à Heynckes. C’est rare.

Heynckes est fantastique, il a tissé d’excellents liens avec les joueurs et nous. Il ne s’est pas relâché, au contraire. Ceci démontre que quelqu’un en fin de contrat peut être efficace jusqu’au dernier jour de son mandat. Jamais je n’ai douté de son engagement. Mon seul doute concernait la réaction des joueurs mais elle a été positive.

Louis van Gaal a déclaré que Guardiola allait suivre la ligne qu’il avait tracée.

Van Gaal a fourni du bon travail au Bayern mais son problème, c’est qu’il se prend pour Dieu-le-Père et qu’il pense qu’il était là avant que celui-ci ne crée le monde. Il est un excellent entraîneur mais il se croit bien plus que ça et cela fausse sa perception du monde. L’Ajax le convoitait puis tout le monde l’a attaqué en interne. Cela n’arriverait jamais à Franz Beckenbauer ou à Gerd Müller au Bayern. Pourquoi Van Gaal est-il toujours critiqué ? Attention : je ne suis pas son ennemi. Je l’ai même invité à mes 60 ans et j’ai été heureux qu’il vienne. Mais il ne peut pas supporter qu’une personne détenant un pouvoir quelconque ait une autre vision que lui.

Il y a vingt ans, l’Ajax était le modèle du Bayern. C’est maintenant l’inverse. Pensez-vous que des clubs de ce calibre soient encore capables de donner le ton, grâce à leur école des jeunes ?

Le problème de ces clubs, c’est l’arrêt-Bosman. Jadis, l’Ajax octroyait des contrats de longue durée à ses jeunes. Depuis l’arrêt, il doit les acheter, ce qui est très difficile. Nous aussi, nous réalisons parfois de mauvais transferts – sauf cette année. Des clubs comme l’Ajax doivent tendre vers un mélange des systèmes. On peut tourner un an ou deux sans argent mais avec de bons jeunes. Ensuite, les autres vous pillent si vous n’avez pas les moyens de conserver les meilleurs.

Quelle est votre définition d’un bon entraîneur et que lui faut-il pour être bon au Bayern aussi ?

Il doit parler allemand. Giovanni Trapattoni était un homme fantastique et un bon entraîneur mais il n’était pas capable de transmettre sa science ni ses messages. Guardiola n’aura pas ce problème : il parle anglais et il est encore assez jeune pour apprendre l’allemand. Un bon entraîneur a une philosophie qu’il sait transmettre à ses joueurs. Il communique bien, en interne et avec le monde extérieur. Des entraîneurs comme Branco Zebec et Ernst Happel, qui n’ouvraient pas la bouche, certainement pas devant les journalistes, ne réussiraient plus de nos jours.

 » Avec Jürgen Klinsmann, nous avons fait une erreur de casting  »

Par principe, Guardiola n’accorde pas d’interviews individuelles.

Il ne m’a pas donné l’impression d’être un homme inflexible. Il m’a fait comprendre qu’on pouvait parler de tout. Il m’a notamment demandé s’il y avait des entraînements publics. Deux par semaine, ai-je répondu. Il a dit qu’on verrait. En fait, nous tenons à ces séances.

Quel entraîneur vous a marqué ?

Udo Lattek parce qu’il est arrivé au bon moment, jeune entraîneur à la tête d’un jeune noyau. Plus tard, quand j’étais dirigeant, j’ai beaucoup apprécié Ottmar Hitzfeld, un homme très chaleureux. Jürgen Klinsmann n’était pas un bon entraîneur. C’était une erreur de casting. Nous avons eu un mal fou à tout redresser. Louis van Gaal y est parvenu et rien que pour cela, je trouve qu’il est un brillant entraîneur.

José Mourinho conviendrait-il au Bayern ?

Je ne sais pas. Je ne juge que ceux que je connais personnellement. Sur base de ce que je lis, il pourrait briguer un Oscar : il joue un rôle en public puis le soir, en rentrant chez lui, il en rigole. J’ai parlé à beaucoup de footballeurs qui ont joué sous ses ordres. Je n’ai pas entendu une seule plainte. Tous le trouvent fantastique et serviable. Il doit donc être très différent de l’image qu’il donne dans la presse. Mais un coach doit aussi être un bon ambassadeur de son club et de ce point de vue, il est loin du compte depuis quelques années.

Jugez-vous important d’aligner des joueurs du cru ?

Très. Ils renforcent notre identité. Nous n’imposons pas un quota mais nous essayons d’aligner le plus de jeunes joueurs possibles. Nous avons Philipp Lahm, Bastian Schweinsteiger, Thomas Müller, David Alaba, Diego Contento, Holger Badstuber, six joueurs formés par nos soins. Nous avons sans doute le meilleur bulletin de Bundesliga. En quinze ans, 85 joueurs formés par le Bayern ont émergé en D1 ou en D2, en Allemagne ou à l’étranger.

Quel budget consacrez-vous aux jeunes ?

Il n’y a pas de montant fixe. Ils reçoivent ce dont ils ont besoin. Je me fie à mon instinct. Nous étions prêts à payer 20 millions pour Ribéry mais nous en avons déboursé 28, soit huit de plus en quelques heures. Alors, faut-il râler pour quelques centaines de milliers d’euros de plus ou de moins quand il s’agit des jeunes ?

Vous avez aidé plusieurs clubs dans le besoin : Francfort, Hertha BSC, Sankt-Pauli, Munich 1860 et maintenant Alemannia Aachen. Pourquoi ?

On ne survit qu’ensemble. Un club riche porte une responsabilité sociale à l’égard de tout le football allemand. Si nous pouvons aider un club en disputant un match amical, nous le faisons. Jeune manager, j’ai joué des coudes pour arriver mais plus je grimpais les échelons, plus je comprenais qu’il fallait aussi rendre. Si je deviens puissant au point d’être le seul à survivre, je n’aurai plus de défis.

 » Nous avons dégagé 19 fois un bénéfice ces 20 dernières années  »

Qu’est-ce qui rend le Bayern unique ?

Nous n’avons plus de dettes depuis 32 ans, quand j’ai vendu Rummenigge à l’Inter. Nous avions alors un déficit de 3,5 millions. J’ai vendu Kalle pour 5,5 millions, ce qui m’a permis d’acheter trois joueurs, dont Lothar Matthäus. Ces vingt dernières années, nous avons dégagé un bénéfice à 19 reprises. Le secret ? Savoir dire non, parfois. Non à une augmentation de salaire, non à un transfert onéreux. Si nous risquons de nous endetter, nous disons non une fois. Si je vais à la banque, ce n’est pas pour un crédit mais pour un dépôt. Javier Martinez a coûté 40 millions ? Nous n’avons pas emprunté : nous avons retiré l’argent de notre compte. Nous dormons très bien la nuit.

Pourquoi le Bayern émarge-t-il à l’élite européenne et pas les autres clubs allemands ?

Dortmund a effectué des pas de géant. C’est lui qui a le plus progressé en cinq ans. Le sort du HSV, de Cologne ou de Berlin est plus étonnant mais les résultats dépendent toujours des hommes qui sont au pouvoir.

Votre passé de joueur vous aide-t-il ?

Il me permet de juger des qualités d’un joueur et d’être accepté par les footballeurs mais je n’ai pas de mode d’emploi sur la manière de diriger un club. Je m’appuie généralement sur mon instinct quand je dois prendre une décision.

Pourquoi y a-t-il aussi peu d’anciens professionnels aux commandes des clubs ?

C’est aussi une question de personnalité. Le Bayern a toujours produit des joueurs de caractère. Dans dix ans, Philipp Lahm ou Emmanuel Neuerpourront travailler dans n’importe quel management. Ces anciens professionnels qui ont bien évolué sont une des clefs de notre succès.

Que doit faire ou savoir un professionnel qui raccroche pour pouvoir briguer un autre poste ?

Il faut d’abord prendre du recul par rapport à ses coéquipiers et ses amis, un an ou deux. Celui qui n’est plus obligé de travailler ne doit pas viser un poste de manager car il devra travailler 60 à 70 heures par semaine. Il faut avoir l’envie d’apprendre, ouvrir ses yeux et ses oreilles. Accepter, au début, de ne rien savoir. Nous continuerons à offrir leur chance aux anciens footballeurs car il faut un mélange de joueurs et d’éléments extérieurs. Le nouveau patron de Stuttgart a été un formidable manager de Porsche mais tout le stade crie :  » Moyser dehors !  » Notre gestionnaire financier vient de la Bayerische Landesbank, il a été un des meilleurs banquiers d’Allemagne, il a rapporté 600 millions d’euros à sa banque et il a appris son nouveau métier en trois mois parce qu’il est intelligent.

 » Malaga puni, c’est bien. Mais il faut s’attaquer aux grands aussi  »

Comment voyez-vous l’avenir du Bayern ?

Rose. Nos finances sont saines, notre image excellente et la pyramide des âges est bonne au sein du noyau. Si le fair-play financier est appliqué, comme Michel Platini l’a promis, la plupart des clubs allemands ont un bel avenir devant eux car nous nous appuyons sur de bonnes infrastructures et un énorme intérêt du public.

N’êtes-vous pas fâché que des clubs comme Chelsea, Manchester City et le PSG rivalisent avec vous en s’endettant ?

Je le serai bientôt si l’UEFA ne sanctionne pas ce genre de clubs. Michel Platini vient de passer et je lui ai demandé cent fois ce qu’il comptait faire. Il m’a rassuré. C’est un début : des clubs plus modestes comme Malaga sont déjà punis. Mais il ne faut pas épargner les grands.

Ne trouvez-vous pas étrange que le football espagnol soit représenté par trois clubs sur huit en Ligue des Champions alors qu’il est en crise ? Le Deportivo est au bord de la faillite…

Ah, le club de mister Lendoiro ! Un jour, il m’a expliqué comment il fallait gérer un club…

Les clubs allemands doivent être en mains allemandes à raison de 51 %. Ce système a-t-il une chance dans une Europe de libre échange ?

Cette règle finira par disparaître. Que va-t-il arriver ? Nous ne vendrons pas le Bayern à des étrangers. Pour vendre plus de 30 % -peu importe à qui, nous avons besoin de l’accord de 75 % des membres. Cela n’arrivera jamais.

Sepp Blatter a dit qu’il ne serait plus président de la FIFA dans deux ans.

C’est une des meilleures nouvelles qu’il ait annoncées. Il se passe quelque chose tous les jours à la FIFA, sans qu’il s’en estime responsable. Je ne comprends pas. S’il se produisait 10 % de tout ça au Bayern, je démissionnerais.

Merci au Kicker, qui a arrangé le rendez-vous au nom d’ESM

GEERT FOUTRÉ À MUNICH AVEC ESM.- PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Le problème de Louis van Gaal, c’est qu’il se prend toujours pour Dieu-le-Père.  »

 » Chez nous, il faut parler allemand. Trapattoni était un bon coach mais son message ne passait pas. « 

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