« Quand il gagne, nous gagnons »

Il faut jeter un coup d’oeil à Noisy-le-Grand, près de la capitale française, pour comprendre comment et pourquoi un gamin archi-doué d’une cité est devenu un des meilleurs numéros 6 de Belgique.

C’est un vendredi qui prend son temps sur les rives de la Marne, tellement contente de voir arriver le week-end pendant que l’hiver plie enfin bagage. Le climat ne fait pas encore penser aux guinguettes d’autrefois mais la lumière, qui étend lentement son règne quotidien, donne un cachet unique à la place PabloPicasso, à Noisy-le-Grand où a grandi William Vainqueur.

 » Il n’y a en art, ni passé, ni futur. L’art qui n’est pas dans le présent ne sera jamais « , a dit un jour le peintre vedette du cubisme. Au paradis des artistes, il doit se marrer quand les habitants de cet endroit octogonal qui porte son nom l’appellent les  » deux camemberts « . Le meilleur ami du milieu récupérateur de Sclessin, Alexandre Pitou que tout le monde appelle par son nom de famille, sourit en regardant les deux bâtiments en forme cylindrique qui sertissent les arènes Picasso. Ils font en effet penser au célèbre fromage normand.

Des vedettes comme Coluche ou Laurent Voulzy ont séjourné dans le coin mais, à Noisy-le-Grand, les artistes qui plaisent aux jeunes d’aujourd’hui sont des footballeurs qui exposent à Barcelone, Munich, Liverpool, Milan ou Madrid.  » Chaque fois qu’il le peut, William revient à Noisy-le-Grand où tout débuta pour lui « , certifie Pitou.  » Et il me dit toujours : – Je passe d’abord chez ma mère puis je viens te dire bonjour. Il a grandi au deuxième étage d’un immeuble de cette cité, le Cormier ou Champy. Je le voyais tous les jours, là, place Pablo Picasso, à deux pas de chez sa soeur, ou sur les terrains du FC Noisy-le-Grand. Enfants, nous avions les mêmes rêves, la même passion pour le football. Et cette ferveur pour notre sport est plus intense que jamais.  »

Les enfants des quartiers de Noisy-le-Grand sont les mêmes que ceux des autres cités de l’Ile-de-France. Les populations sont diverses, proviennent des quatre coins de la planète, ont leurs problèmes et leurs espoirs. Le centre de la Ville-Lumière est à vingt minutes en train. Les amis de Vainqueur sont donc des Parisiens pur jus comme c’est le cas de Thierry Henry, parti des Ulis, avec un ballon comme seul bagage : cela lui a permis de faire le tour du monde. L’immeuble de l’enfance de Vainqueur fait penser à celui où Henry a grandi. L’endroit est calme, ordonné et la ville a rafraîchi les façades de ces rangées d’appartements. William habitait au deuxième étage. Devant l’entrée, il y a un banc où la maman du Standardman vient encore prendre l’air et se reposer, comme autrefois. Pitou est ému en se souvenant de ce temps-là, gravé à jamais dans sa mémoire et dans celle de Vainqueur.

On entendrait presque quelques paroles d’une chanson de Françoise Hardy : – Quand je me tourne vers mes souvenirs, je revois la maison où j’ai grandi, il me revient des tas de choses (…) Ils savaient rire tous mes amis, ils savaient si bien partager ma vie. Il faudra que Pyroman, rappeur originaire des mêmes quartiers que Vainqueur, rafraîchisse un jour le tube de la grande fille aux cheveux longs. Les cités de Noisy-le-Grand ont parfois été secouées par des accès de fièvre et de violence, comme en 2005 quand tout s’embrasa en deux heures, suite à des confrontations entre jeunes et forces de l’ordre.

 » Une couverture de balle exceptionnelle  »

Mais ces quartiers ont pourtant leur poésie, une autre vérité plus positive. Les terrains du FC Noisy-le-Grand, petit club régional, sont situés près de la Marne. Pour s’y rendre, on descend entre des bouquets de pavillons et de maisons huppées. Le légendaire comédien suisse Michel Simon et l’actrice et mannequin Laetitia Casta, ont habité à Noisy-le-Grand, probablement plus près du petit stade que des cités. La porte du terrain principal est fermée. Des jeunes d’une école s’entraînent sur une autre surface. Il y a quelques années déjà, Adamo Coulibaly y usa pas mal de paires de chaussures. L’ancien attaquant d’origine sénégalaise de Saint-Trond et de l’Antwerp est né à Noisy-le-Grand. Il a évolué dans d’autres petits clubs de la région parisienne tout en travaillant la nuit chez Peugeot où il était cariste de 22 h 30 à 6 heures du matin. Coulibaly s’est accroché, contenté de peu d’heures de sommeil avant les entraînements. A 23 ans, sa détermination paye et il signe à Saint-Trond. Son salaire n’a plus rien de commun avec les 1500 euros qu’il touchait mensuellement chez Peugeot. Aujourd’hui à Debrecen, en Hongrie, Coulibaly a découvert la Ligue des Champions.

Et dire que tout a commencé pour lui ici, comme c’est le cas pour Vainqueur. Marne-la-Vallée n’est pas loin mais sa carrière n’a pas tout de suite tourné comme les attractions de Disneyland Paris.  » A 10 ans, sa classe sautait déjà aux yeux « , relève Pitou.  » Je jouais sur le flanc droit et il me procurait sans cesse de bons ballons. Je pouvais m’engouffrer sans cesse dans les espaces : William l’avait vu et me mettait sur orbite. Techniquement, il était le meilleur, largement au-dessus de la moyenne. Sa couverture de balle était déjà exceptionnelle. Pas moyen de le lui prendre et, même mis sous pression par plusieurs adversaires, il trouvait une solution, un passage impossible à atteindre pour d’autres. Quand William rend un ballon il est propre, utilisable dans de bonnes conditions Pour moi, cela ne faisait pas de doute : William était destiné à vivre une grande carrière. Je le connais depuis toujours, nous sommes inséparables. J’ai des nouvelles presque tous les jours. En plus de son talent, il a acquis du métier et un gros mental, multiplié par les épreuves : William ira très loin, vous verrez. Je le sens et je le sais car sa classe ne peut que payer, même au top niveau.  »

Pitou nous emmène chez Ahmed Guenineche, le coach qui, le premier, a cerné le potentiel de Vainqueur. Guenineche est un expert, un spécialiste en la matière. Des joueurs comme Younes Kaboul, Diaby Lamine, Abdoul Diakite ou Abou Diaby lui téléphonent régulièrement quand ils ont besoin d’un conseil. Des joueurs font la traversée de Paris pour s’entraîner avec lui. Sa dernière grande fierté s’appelle Samed Kilic. Il est arrivé au FC Noisy-le-Grand en demandant : – Monsieur, Monsieur, je peux jouer avec vous ? Guenineche n’avait jamais vu une telle perle. Il l’a polie, emmenée à Bussy-Saint-Georges, avant de le renseigner à Auxerre. Le père de ce joueur ne cesse de remercier Guenineche qui est formel :  » D’origine turque, Kilic est repris dans les différentes équipes nationales de jeunes. Il est tout simplement sensationnel et est la future star du football français.  »

Guenineche le voit déjà chez les Bleus aux côtés du joueur qui lui tient le plus à coeur, Vainqueur, son fils spirituel.  » William a fait le bon choix en optant pour la Belgique « , dit-il.  » Il s’y est affirmé, a découvert un football plus engagé, le rythme des rencontres européennes. C’est bien mais, cela dit sans esprit de doute, le championnat belge n’est pas très médiatisé en France. S’il avait atteint ce niveau en France, je suis persuadé que DidierDeschamps lui aurait déjà tendu la perche. William se retrouvera un jour chez les Bleus. On se souviendra alors qu’il fut un grand espoir de notre football. A 10 ans, à Noisy-le-Grand, William était déjà le plus élégant avec un bras souvent largement déployé pour mieux garantir son équilibre en plein effort. C’est un plaisir de le voir en action sur un terrain. Le football doit aussi être un plaisir pour les yeux. Quand il était petit, il a parfois eu un problème de confiance en soi. La vie n’a pas toujours été marrante pour lui. J’ai essayé d’être le papa qu’il n’a pas eu et je crois que j’y suis parvenu. Pour moi, William est comme mon fils : tout ce qui lui arrive m’émeut. Si quelqu’un mérite de réussir dans la vie, c’est bien lui.  »

 » Guy Roux l’aimait bien  »

Guenineche en parle à Auxerre. Vainqueur s’y présente avec son ami Pitou. Le premier est retenu, le deuxième pas. Une injustice mais les centres de formation ne font pas de cadeaux : chaque jeune est pris en charge et cela coûte cher. Le sympathique Pitou n’en conçoit aucun chagrin ou sentiment de jalousie, au contraire.  » J’étais un peu petit pour mon âge : j’ai vécu ma crise de croissance plus tard « , se souvient-il.  » A cette époque, on ne jurait que par la taille et les atouts athlétiques. William, lui, ajoutait déjà sa robustesse à son bagage technique. J’étais fier pour lui, le petit gars de Noisy-le-Grand. Et, avec Ahmed, nous nous rendions à Auxerre tous les week-ends pour suivre ses matches.  »

William a alors besoin de cette présence comme de pain blanc. La vie à l’AJ Auxerre ne ressemble en rien à celle qu’il a connue dans sa cité. Parti trop jeune et ce déracinement lui pose problème. Guenineche en parle tout en étalant des photos de cette époque sur la table de son living :  » A Auxerre, on m’a certifié que son talent ne faisait pas de doutes, ce que je savais. C’était peut-être un peu tôt : là, la concurrence est féroce, il n’y pas d’amis, c’est chacun pour soi. On ne partage rien comme dans les cités. William n’a rien fait pour ne pas rester mais, inconsciemment, il n’a peut-être pas tout donné pour rester à Auxerre. William avait besoin de revenir chez lui, de revoir ses amis et les siens. Pour moi, ce séjour à Auxerre ne constitue pas du tout un échec. Guy Roux l’aimait bien, pas de problème. Je prétends même que ce séjour en Bourgogne lui a fait du bien.  »

 » Là, William a compris que le niveau de son football ne lui posait pas de problème mais que la réussite dépend aussi de la qualité du mental. A son retour d’Auxerre, je l’ai emmené dans le club que j’entraînais, le FC Bussy Saint-Georges. Il avait encore beaucoup progressé. William avait 15 ans et était au-dessus de la mêlée : impossible de ne pas s’en rendre compte. Dans son rôle de milieu de terrain, je lui demandais de gérer la manoeuvre défensive mais aussi de mettre le nez à la fenêtre, de percuter et de marquer. C’est important car un médian défensif qui ignore les joies de la réalisation d’un but n’est pas un joueur totalement accompli. William connaît ces bonheurs-là car il a une frappe lourde et précise. Maintenant, tout cela dépend aussi des missions que lui confient ses entraîneurs.  »

Les terrains de Bussy Saint-Georges, huitième niveau du football français, se situent dans un nouveau quartier cossu garni de belles villas. Vainqueur n’y reste qu’un an avant que Nantes ne vienne frapper à sa porte.  » Elie Baup m’a signalé un jour que je pouvais toujours lui proposer des joueurs comme Vainqueur « , raconte Guenineche avec un petit sourire amusé.  » Baup l’adorait. Il a magnifiquement débuté en L1, lors d’un match à Marseille, vous imaginez cela : tenez, voici une photo de ce match, et je ne le cache pas, j’en suis encore ému. Là, on le voit aux prises avec Franck Ribéry. On ne peut pas rêver de plus belle entrée en matière, saluée par toute la presse française.  »

 » Par la suite, William a été stoppé sur place par une blessure avec l’équipe de France des U19 et une opération au genou alors que Nantes perdait son style de jeu, plongeait dans les ennuis financiers et la L2. J’ai passé des semaines entières avec lui pour l’aider, le véhiculer durant sa rééducation. Et William s’est remis bien plus vite que d’autres de cette déchirure des ligaments croisés. C’est une preuve de caractère. C’est un très gros travailleur qui n’a rien lâché, Baup appréciait beaucoup cela. Même s’il n’était pas devenu footballeur professionnel, nous serions aussi proches, plus que des amis, comme des parents.  » Comprenant que Vainqueur ne pouvait pas rester à Nantes et en L2, son agent, Meissa N’diaye, l’a aiguillé vers le Standard, malgré des offres de L1, dont celle de Nancy. Les Liégeois auraient déboursé 1,7 millions pour ce numéro 6 qui tient désormais les clefs de la ligne médiane du Standard. Le diamant brut, comme Baup le qualifiait à Nantes, a acquis un bel éclat à Sclessin. La valeur financière du Parisien est nettement plus élevée qu’au moment où Jean-François de Sart le recruta pour les Rouches.

A Noisy-le-Grand, Pitou est aux anges en évoquant la réussite de son ami de toujours :  » Quand il marque, je marque, j’éprouve la même joie et même bonheur que lui. Je sais que ce serait la même chose pour William si j’étais à sa place et lui à la mienne. Il est au top, je travaille, je joue dans un club amateur, US Moissy Cramayel, mais nous aimons le football de la même façon. C’est la même chose pour Ahmed : quand William gagne, nous gagnons tous, c’est aussi simple que cela.  » A 24 ans, Vainqueur est une des fiertés de Noisy-le-Grand, de la cité du Cormier ou Champy, de ses amis, de sa maman, de la maison où il a grandi.

PAR PIERRE BILIC À NOISY-LE-GRAND (FRANCE)-PHOTOS :IMAGEGLOBE

 » Elie Baup m’a dit que je pouvais toujours lui proposer des joueurs comme lui.  » – Ahmed Guenineche, ex-coach

 » Quand William te rendait le ballon, il était propre « . – Alexandre Pitou, ami d’enfance

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