Une étiquette de 40 millions, un accueil compliqué, une saison difficile pour le Zenit : le Diable chaud gère sans souci,  » relax, tranquille « . Confidences exclusives à la RTBF et Sport/Foot Mag.

Les pneus à clous frappent bruyamment le tarmac des immenses avenues de Saint-Pétersbourg, la neige fait un énième retour : foutue saison. Point de vue foot, on ne sourit pas beaucoup plus dans cette ville de 5 millions d’habitants. Le Zenit connaît une saison compliquée. Son petit stade vieillot, qui ne fait qu’un peu plus de 20.000 places, ne se remplit même pas à chaque match.  » Il fait trop froid, beaucoup de supporters s’enferment chez eux « , nous dit-on au club. Et rien ne garantit que la Gazprom Arena, qui doit devenir le stade le plus cher du monde, verra finalement le jour : les subsides qui doivent servir à sa construction ont mystérieusement disparu dans un sombre jeu politique. Les travaux sont à l’arrêt.

Deux Diables se sentent pourtant comme des poissons dans l’eau au nord-ouest de la Russie. Nicolas Lombaerts redeviendra bientôt opérationnel mais se contente encore de trottiner sur un terrain annexe pendant que ses potes jouent un petit match sur la pelouse sans herbe et en béton d’à côté. Il nous explique, décidé :  » Je me sens vraiment bien ici. Il me reste un an de contrat et on discute pour le prolonger. Changer pour changer ? Quand on vit ici, on ne rêve pas de s’installer dans une ville comme Birmingham, rien que pour pouvoir dire qu’on joue dans le championnat d’Angleterre.  » L’autre Belge, Axel Witsel, a vite trouvé ses marques. Dans le foot et dans la vie. Le succès de son maillot au fan-shop et une complicité qui saute aux yeux avec son coach Luciano Spalletti sont deux bons baromètres. Entendu dans Saint-Pétersbourg : l’Italien ne serait pas sûr d’aller au bout de son contrat en 2015 (Roberto Mancini est cité pour prendre sa place) et il aurait soigneusement encodé le numéro de Witsel, au cas où…

Witsel : un transfert de Benfica pour 40 millions d’euros (1,6 milliard de roubles…) en septembre 2012. Et sa toute première longue interview made in Russia pour la RTBF et Sport/Foot Magazine… Ça roule, ça tourne !

Qu’est-ce qu’on raconte ici ? On parle d’une saison en demi-teinte ? Avec beaucoup de points d’interrogation ?

Axel Witsel : Le début de saison a en tout cas été compliqué, ça ne jouait pas bien.

Vous avez vite été éliminés en Ligue des Champions, puis vous n’avez pas fait beaucoup mieux en Europa League !

Evidemment, tout le monde visait beaucoup plus haut. Moi, j’étais venu pour faire des bonnes chose en Ligue des Champions, c’était clair dans ma tête.

Au point de regretter ton transfert ?

Ah non, je n’ai aucun regret. Se faire éliminer plus tôt que prévu, ça fait partie du foot. Et nous nous sommes quand même bien repris en championnat.

Pour être champion, ce sera quand même très compliqué !

C’est clair mais ce n’est pas perdu. Le CSKA Moscou a un calendrier plus délicat que le nôtre, avec notamment trois derbies. Le Dinamo, le Spartak et le Lokomotiv ne lui feront pas de cadeaux, ce n’est pas le genre…

Si le Zenit n’est pas champion, ce sera la grosse crise ici ?

Oui. En tout cas, il faut absolument jouer en Ligue des Champions la saison prochaine. Le premier y va automatiquement, le deuxième doit passer par les tours préliminaires.

Ce que tu as vécu en Ligue des Champions cette saison avec le Zenit était aussi beau que tes expériences avec le Standard et Benfica ?

Le Standard m’a permis de découvrir cette compétition mais je n’en garde pas un souvenir extraordinaire. C’était à l’époque de ma suspension en championnat à cause de l’affaire Marcin Wasilewski, je ne pouvais jouer qu’en Coupe d’Europe et c’était donc difficile d’avoir des bonnes sensations. Point de vue émotions, ça ne valait pas les deux titres ou mon Soulier d’Or. J’ai préféré de loin mon parcours en Ligue des Champions avec Benfica : on a été jusqu’en quarts de finale et on valait à la limite les demis. Chelsea, qui nous a éliminés, n’était pas beaucoup plus fort. Des trois expériences, c’est de loin celle avec Benfica qui m’a le plus marqué.

Une étiquette de 40 millions mais  » aucune pression  »

Tu arrives ici dans une équipe championne, et très vite, il y a les critiques et la rébellion de deux cadres, Alexander Kerzhakov et Igor Denisov. Ils n’acceptent pas que le Zenit offre un plus gros salaire à Hulk et à toi qu’aux joueurs russes. Directement, l’équipe accumule les mauvais résultats : elle a été déstabilisée par cet incident ?

Peut-être. Maintenant, je trouve qu’on a gonflé l’affaire. Ce qui a été écrit ne correspond pas tout à fait à ce qui s’est vraiment passé dans le vestiaire.

L’ambiance était lourde ?

Ils ont été expédiés dans le noyau B. Quand des joueurs pareils sont écartés, ce n’est pas nécessairement facile…

Tu es jeune, tu n’as pas une grande expérience internationale : ça aurait pu te déstabiliser complètement.

Non, ça fait partie du métier. Le foot, ce n’est pas rose tous les jours. Parfois, c’est top. A d’autres moments, il faut faire avec ce qui va moins bien. J’ai entendu les critiques qui ont suivi mon transfert, j’ai géré et j’ai été aidé par un mythe : Vladimir Poutine a pris publiquement ma défense, il a signalé que le Zenit avait eu raison de m’acheter en déboursant beaucoup, il a signalé que ce club avait des nouveaux joueurs importants qui allaient l’aider à grandir encore.

Ton transfert à 40 millions est lourd à porter ?

Pas du tout. Ça ne me met pas une pression particulière, je n’y pense pas. Je m’entraîne comme je dois m’entraîner, je joue mes matches comme je dois les jouer, je ne me prends pas la tête.

Tous les footballeurs n’arrivent pas à avoir le même détachement !

C’est sûr, il y en a qui penseraient : -Ouille, on a dépensé 40 millions pour moi, je dois mettre trois buts à chaque match. Et ça peut bloquer. Tout dépend de ton caractère. J’ai toujours été calme, tranquille, relax…

Sportivement, médiatiquement, dans la vie de tous les jours, ton intégration a été très rapide.

Que j’aille n’importe où, dans n’importe quel club, dans n’importe quel pays, je n’aurai jamais de problèmes avec qui que ce soit ! Il faut gagner le respect et ça passe par le terrain, par des bons matches.

Benfica est toujours en Coupe d’Europe : ça fait mal ?

Pas du tout. Je suis content pour eux.

Tu as l’impression d’avoir fait un pas en avant, en venant ici ?

Oui, bien sûr. Beaucoup de gens disent que le niveau du championnat de Russie n’est pas très élevé. OK, si tu le compares à la Premier League, à la Bundesliga ou à la Liga, c’est moins fort. Mais ce n’est sûrement pas moins bon que la compétition portugaise. Là-bas, il y a quatre grands clubs : Benfica, Porto, Sporting Lisbonne et Braga. Ici, on a six équipes qui sont très bonnes.

Tu as progressé dans quels domaines ?

A Benfica, j’étais dans un environnement où tout est toujours positif. Tout tournait bien. Ici, j’ai débarqué dans un univers où c’était difficile. Ça m’a permis d’accélérer mon apprentissage. J’ai appris à me débrouiller plus vite.

 » Beaucoup de coaches voudraient m’embarquer…  »

Tu vois quelles grandes différences entre le foot portugais et le foot russe ?

Avec Spalletti, l’aspect tactique a une importance énorme. Point de vue jeu, c’est plus technique au Portugal. Ici, les contacts sont plus rudes, c’est plus costaud.

Donc, le championnat du Portugal te convient mieux…

Oui… mais je suis costaud quand même, hein !

Tu n’es pas en manque de touches de balle ?

Non. Il y a aussi quelques techniciens dans l’équipe : Danny, Hulk, moi. Encore d’autres. J’en vois ailleurs aussi. Il ne faut pas croire que le championnat russe se résume à des joueurs purement physiques.

C’est fort porté vers l’avant mais ce n’est pas Barcelone !

OK mais qui d’autre que Barcelone joue comme Barcelone ?

Après le stage de janvier à Dubaï, tu as dit sur le site du Zenit que tu n’avais jamais travaillé aussi dur.

Tous ces entraînements sur la plage, ça marque ! Je n’avais pour ainsi dire jamais travaillé sur du sable.

Ce côté physique pourrait t’inciter à quitter la Russie avant la fin de ton contrat ?

J’ai signé pour cinq ans. Evidemment, tout peut changer vite. On l’a vu à Benfica.

Le fait qu’il y ait la Coupe du Monde en 2014 pourrait jouer un rôle ?

Oui. C’est important de jouer, d’être au top pour continuer à être appelé chez les Diables, puis d’être frais pour aller au Brésil si nous nous qualifions.

Donc, tu ne prendrais pas le risque de partir cet été au Real ou à Barcelone, où tu pourrais ne pas jouer tous les matches ?

Je n’ai pas dit ça, il ne faut pas exagérer. Mais être titulaire dans mon club, c’est un aspect dont je dois tenir compte.

C’est vrai que Spalletti pense à t’emmener avec lui s’il quitte le Zenit en fin de saison ?

Il y a beaucoup de coaches qui voudraient m’embarquer… On verra.

Il a réussi à faire oublier Dick Advocaat ?

Je pense, oui. Advocaat a gagné des titres avec le Zenit, et même une Europa League, mais je ne ressens pas de nostalgie chez les supporters. Spalletti a aussi rapporté des trophées. Après une victoire, il monte sur le terrain et va remercier le public, avec les joueurs. On sent alors qu’il est considéré comme une des grandes stars du club.

 » OK pour Saint-Pétersbourg ou Moscou, jamais à Grozny ou Makhachkala  »

Comment est ta vie à Saint-Pétersbourg ? Au niveau des mentalités, ça doit être un choc par rapport à Lisbonne ?

Les Portugais sont plus chauds, les Russes sont plus discrets.

Tu as signé sans avoir vu la ville, sans avoir visité le club. Quand tu étais venu jouer ici avec le Standard puis avec Benfica, tu ne t’étais pas fait la réflexion qu’on ne t’aurait jamais dans un environnement pareil ?

J’avais un peu cet avis-là, oui. Mais on a des préjugés négatifs sur la Russie. Il faut venir et voir comment c’est exactement.

C’est quand même froid, dans tous les sens du terme. C’est gris, aussi. Les gens sont moins souriants qu’au Portugal.

C’est clair que si tu te lèves avec du soleil, tu es directement de bonne humeur. Mais ce n’est pas ça qui influence mes choix. Et je ne suis pas non plus à Makhachkala ou à Grozny.

Tu n’irais jamais là-bas ?

Non. Si je joue en Russie, c’est dans un club de Moscou ou à Saint-Pétersbourg.

Dans ce pays, il y a neuf fuseaux horaires, des déplacements interminables, des passages dans des zones dangereuses, on vous interdit parfois de sortir de votre chambre d’hôtel pour des raisons de sécurité, tu as déjà joué par moins 15 degrés : physiquement et mentalement, c’est beaucoup plus compliqué que tout ce que tu avais connu avant de venir ?

Quand on traverse des villes où il y a des militaires avec une mitraillette à chaque carrefour, ça étonne un peu. En quelques mois, j’ai déjà eu quelques images très fortes. Après notre match à Vladikavkaz, sur la route entre le stade et l’aéroport, notre car s’est arrêté en pleine nuit au cimetière où sont enterrés les enfants de la tuerie de l’école de Beslan. La délégation du Zenit le fait chaque année. C’était très, très émouvant. Terrible. Il y avait les photos des victimes. J’ai fait une prière, puis je suis remonté dans le car en étant très marqué.

Quand des supporters du Zenit ont lancé un pétard sur le gardien du Dinamo Moscou, il a été question d’exclure le club du championnat. Tu as ressenti de la panique ?

Là aussi, on a fait beaucoup de foin. Le pétard est arrivé près du gardien, c’est vrai. Mais à ses pieds, pas dans son visage. Il a fait du cinéma, il s’est écroulé. Le Zenit n’a pas été rayé du championnat mais ça nous a quand même coûté cher : nous avons perdu ce match par forfait puis nous avons dû jouer deux fois à huis clos. C’était très bizarre comme ambiance !

 » Il n’y a pas de gays dans le noyau  »

En début de saison, un groupe de supporters a envoyé une lettre ouverte à la direction en demandant de ne pas transférer de joueurs de couleur ou homosexuels, ça a fait du bruit dans toute l’Europe.

Ça vient d’une toute petite minorité. Je n’ai aucun problème. Et il n’y a pas de gays dans le noyau… (Il rigole).

Le Zenit a déboursé 50 millions pour Hulk et 40 millions pour toi. Dans le monde, seul le PSG a fait une campagne des transferts plus coûteuse l’été dernier ! Tu as l’impression de vivre dans un univers où l’argent n’est absolument pas un problème ?

Oui, on voit que ce n’est pas un souci dans ce championnat.

Qu’est-ce qui t’a le plus frappé point de vue luxe ou dépenses peut-être inutiles ?

Notre sponsor, c’est Gazprom, un géant. Ça résume beaucoup de choses.

Et ça ne fait d’ailleurs pas plaisir à tout le monde en Russie. Les gens ne comprennent pas que l’argent d’une entreprise de l’Etat aille dans un club de foot alors qu’il y a autant de pauvreté.

Les patrons de Gazprom ont décidé de sponsoriser le Zenit, aussi Schalke et la Ligue des Champions. Tant mieux pour nous.

Il y a des footballeurs qui se posent des questions sur l’origine de l’argent qui sert à les payer ?

Moi, en tout cas, je ne fais pas attention à tout ça…

Quand Benfica inscrit une clause de départ de 40 millions dans ton contrat, tu te dis que ce club va rester maître du jeu pendant plusieurs saisons parce que personne ne déboursera autant pour toi ?

Je n’ai pas raisonné comme ça, je savais que tout était possible. Au Portugal, ces clauses sont très courantes et je ne partais pas du principe que ça allait me bloquer.

Tous les Diables progressent au niveau individuel depuis quelques mois. Tu vois aussi de gros progrès collectifs ?

On joue mieux qu’au temps de Georges Leekens, on joue vraiment bien au foot. On n’a plus un jeu avec des longues passes, on ne mise plus sur les deuxièmes ballons. Leekens aimait bien tout ça. Aujourd’hui, ça se passe surtout au sol. Aussi parce qu’on a les joueurs pour le faire.

C’est le jeu qui vous plaît, ou vous pourriez aussi jouer un foot beaucoup plus prudent comme les Diables des années 80 ?

On ne pourrait pas le faire, on ne ferait pas de résultats en jouant comme ça parce que nos qualités sont différentes.

 » Wilmots m’a fait reculer sans me demander mon avis  »

Mais l’équipe nationale n’est pas encore au niveau de ses individualités.

On fait le boulot, et si on va au Brésil, on pourra montrer à tout le monde ce qu’on sait vraiment faire.

Tout n’a pas été parfait dans les derniers matches.

On le sait très bien. Tout le monde est par exemple conscient que la concentration n’était pas au top en Macédoine. Il faut être dans le match dès la première seconde. Si on fait les mêmes erreurs contre la Croatie, elle peut nous punir.

Tu es maintenant un pur médian défensif et ça paraît évident pour tout le monde. Mais il y a quelques mois, on imaginait d’autres joueurs dans ce rôle-là : Marouane Fellaini, Timmy Simons, Gaby Mudingayi,…

Marc Wilmots m’a mis là. Il ne m’a pas demandé mon avis parce qu’il n’avait pas à le faire ! C’est lui le coach, c’est lui qui décide. Je pense qu’il a eu raison. Pour jouer là, c’est bien d’avoir une bonne technique et de savoir organiser le jeu. Il a trouvé tout ça chez moi. Je construis, je touche beaucoup de ballons, j’essaie d’être un patron.

Au départ, ce n’était quand même pas ta vocation.

Non parce que j’aime attaquer, être offensif.

Tu jouais plus haut à Benfica, c’est encore le cas avec le Zenit. Ce n’est pas difficile de changer de fonction dès que tu vas en équipe nationale ?

Non, je me suis habitué aux deux rôles. Peut-être aussi parce que mon bagage technique me permet de m’acclimater assez facilement.

Fellaini a dit à Wilmots qu’il n’avait pas envie de jouer dans une position plus avancée et il se retrouve sur le banc contre la Macédoine : il s’est tiré une balle dans le pied ?

Euh…

Il avait été question de reconstituer chez les Diables le trio médian du Standard : Steven Defour, Fellaini et toi. Aujourd’hui, on en est loin !

Les places sont devenues très chères…

Tes coéquipiers en équipe nationale jouent régulièrement à Old Trafford, à Stamford Bridge, au Nou Camp, ils vont parfois à Wembley. Toi, tu vas à Krasnodar, à Makhachkala, à Samara,… Tu n’as pas envie de jouer dans des stades mythiques ?

Je fais mon chemin et je n’envie personne.

Si Romelu Lukaku ou Christian Benteke marque, ça se retrouve directement sur tous les sites belges de sport. Si tu mets deux buts, on le signalera discrètement le lendemain ! Tu es conscient que la médiatisation du championnat de Russie n’a rien à voir avec la popularité de la Premier League…

C’est normal, mais en Belgique, on parle déjà plus de la Russie depuis que je suis ici.

PAR PIERRE DANVOYE À SAINT-PÉTERSBOURG

 » Si on ne va pas en Ligue des Champions, ça sera la grosse crise.  »

 » Notre car s’est arrêté en pleine nuit au cimetière où sont enterrés les enfants de la tuerie de Beslan : terrible !  »

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