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Pourquoi la question de la santé mentale dans le sport est-elle encore si taboue?

Un sportif de haut niveau qui a mal quelque part va chez le médecin ou le kiné. S’il veut être plus performant, il consulte un diététicien. Mais s’il est mal dans sa peau, le tabou persiste. Pourquoi?

« La santé mentale passe avant le sport. » Le message de Simone Biles était clair lorsqu’elle a fait l’impasse sur la finale de gymnastique par équipes aux Jeux Olympiques de Tokyo. Elle estimait qu’elle n’était plus en mesure de prester. La pression sur ses épaules devait être terrible.

Biles n’est pas un cas à part. En début de saison, TomDumoulin a laissé son vélo de côté pendant un bout de temps. NaomiOsaka a déclaré forfait pour le tournoi de tennis de Roland-Garros. Ces deux athlètes ne se sentaient pas bien dans leur peau. Et n’étaient mentalement pas prêts pour le sport de haut niveau.

Cet été, RomeluLukaku a posté une photo sur Instagram avec, en commentaire:  » Spoke about my mental health for the first time… Soon to be continued. » Le défenseur d’Aston Villa TyroneMings a raconté au Guardian qu’il avait eu des problèmes mentaux juste avant l’EURO. « Quand 95% du pays ne croit pas en vous, vous ne pouvez pas vous empêcher d’y penser », dit-il.

Penser que faire appel à un coach mental est un signe de faiblesse, c’est dépassé. »

Michaël Verschaeve, coach mental

Début août, le monde du sport a été ébranlé par la mort soudaine d’ OliviaPodmore, une cycliste sur piste néo-zélandaise de 24 ans. Tout indique que la jeune femme s’est suicidée. Quelques heures auparavant, elle avait posté un message énigmatique sur Instagram: « Le sport est un exutoire incroyable pour tant de gens, c’est une lutte, c’est un combat, mais c’est tellement joyeux. Le sentiment lorsque vous gagnez ne ressemble à aucun autre, mais le sentiment lorsque vous perdez, lorsque vous n’êtes pas sélectionnée même si vous vous qualifiez, lorsque vous êtes blessée, lorsque vous ne répondez pas aux attentes de la société telles que posséder une maison, vous marier, avoir des enfants, tout ça parce que vous essayez de tout donner à votre sport, ne ressemble également à aucun autre lui non plus. »

Lukaku, Biles, Dumoulin,… Tous ces sportifs de haut niveau osent dire que se sentir mal dans sa peau n’est pas un problème. « Je pense qu’il est bien de constater que ces athlètes sont avant tout des hommes et des femmes qui, sur le plan émotionnel, mènent la même vie que nous », dit le psychologue NathanKahan, ancien participant aux Jeux Olympiques, dans Het Laatste Nieuws.

Un monde de machos

Biles a été critiquée, mais elle a surtout reçu des témoignages de soutien. Cependant, il n’est pas courant que des sportifs de haut niveau évoquent publiquement leur santé mentale. Ils parlent facilement de leurs problèmes physiques et de leurs blessures. Le public accepte qu’ils manquent un rendez-vous à cause de cela. Pourquoi n’en irait-il pas de même d’un point de vue psychologique? « C’est toujours un sujet tabou parce que le monde du sport, surtout le football, est un monde de machos », dit MichaëlVerschaeve, coach mental en sport et en musique. « On dit souvent en blaguant de quelqu’un qui a un problème qu’il doit consulter un psy. »

Pourquoi la question de la santé mentale dans le sport est-elle encore si taboue?
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OlivierDeschacht, retraité du foot depuis cet été, a été confronté à ces préjugés. « Quand j’étais à Anderlecht, à l’époque de FrankyVercauteren, nous avons travaillé pour la première fois avec un coach mental. Je n’ai pas souvent fait appel à ses services, mais c’était chouette de pouvoir parler à quelqu’un. J’ai cependant constaté que ceux qui faisaient appel à lui n’avaient pas envie d’en parler. »

Verschaeve perçoit toutefois du changement. « Dans les équipes de jeunes avec lesquelles je travaille, je vois que les jeunes sont conscients qu’on croit en eux et que c’est pour ça qu’on les envoie chez un coach mental. Pour eux, c’est une force, une façon de progresser. »

Pas une vraie blessure

Verschaeve constate aussi que certains facteurs reviennent constamment lors des entretiens. « Il y a des parallèles: une pression trop importante et la perte de plaisir. Quand vous êtes le meilleur ou que vous possédez un beau palmarès, les gens vous attendent au tournant. »

La finale olympique aux barres asymétriques illustre parfaitement la pression liée à ce genre d’événement. La championne olympique NinaDerwael est celle qui a le mieux contrôlé ses nerfs. Cela lui a valu une médaille d’or, tandis que ses rivales ont craqué. Elles avaient vingt secondes pour transformer cinq ans d’entraînement en couronnement. Dire que le stress a pris le dessus, c’est enfoncer une porte ouverte.

Tout sportif doit avoir des nerfs d’acier. Mais même comme ça, il est susceptible de craquer. « En matière de santé mentale, on ne sait pas toujours clairement où se situe la limite », explique Verschaeve. « Quand un sportif a mal au genou ou souffre d’une blessure musculaire, il va consulter un kiné. La douleur physique est considérée comme légitime, comme une excuse valable. En matière de santé mentale, certains flirtent avec leurs limites. Ils se demandent à partir de quel moment ils pourront se dire qu’ils ne sont plus en état de prester. »

JolanKegelaers, chercheur à la VUB, explique également que les sportifs de haut niveau sont souvent sur la corde raide. « On a longtemps dit que les sportifs du top devaient repousser le seuil de la douleur physique et on dit la même chose de ceux qui ne se sentent pas bien dans leur tête. Les sportifs sont considérés comme des exemples, de personnes fortes mentalement. Devons-nous dès lors toujours nous focaliser sur les prestations ou devons-nous protéger les athlètes contre eux-mêmes? »

Une responsabilité partagée

Le coach mental peut apporter de la sérénité mais ses tâches vont au-delà de ça. « Il est surtout important de bien cadrer le concept », dit Kegelaers. « Nous considérons ce type de coach comme quelqu’un qui travaille sur des thèmes psychologiques. Ça peut être des scientifiques du sport ou des gens du monde des affaires qui passent au sport. Le psychologue du sport est vraiment quelqu’un qui connaît la psychologie et dispose de connaissances théoriques. Il y a également une différence entre un psychologue du sport et un psychologue clinique. Seul ce dernier est spécifiquement conseillé pour aborder des problématiques comme la dépression et les troubles de l’alimentation. »

« Nous travaillons également de façon préventive », précise Verschaeve. « Comment un gardien peut-il avoir plus de charisme? Comment mieux communiquer? Ce sont des aspects qu’un coach mental peut améliorer. »

Outre le coach mental, toutes les personnes du staff sportif (le médecin, l’adjoint, le kiné et surtout l’entraîneur principal) ont une responsabilité en matière de bien-être mental de l’athlète. Deschacht approuve: « À Zulte Waregem, je pouvais parler de tout avec FrankyDury. Si j’avais un problème, je pouvais aller le trouver et il gérait toujours cela parfaitement. »

Lorsque les résultats ne suivent pas, c’est souvent le coach qui paye la note. Cette pression qui pèse sur ses épaules peut aussi avoir des répercussions sur les joueurs. « Lorsque l’entraîneur est sous pression, les entraînements sont davantage axés sur le résultat », avance Verschaeve. « Il n’y a plus de fun et ce n’est pas une bonne chose. »

Pourtant, Kegelaers explique que le facteur « plaisir » n’est pas déterminant pour le bien-être mental des sportifs de haut niveau. « C’est un facteur important, mais pas décisif. Quand Biles dit qu’elle n’éprouve plus aucun plaisir à entrer dans la salle, je pense que ça cache autre chose. Je ne peux pas croire qu’un athlète de haut niveau qui prépare un objectif éprouve sans cesse du plaisir à l’entraînement. D’autres facteurs expliquent cette absence de plaisir et ce sont ceux-là qu’il faut déterminer. »

La faute aux réseaux sociaux?

Depuis peu, les tribunes sont à nouveau remplies et les sportifs doivent se réhabituer aux stades pleins. Pour certains, c’est un soulagement, pour d’autres, une pression supplémentaire. Il faut oser parler du bien-être mental, mais au plus haut niveau, impossible d’échapper à cette pression.

Aujourd’hui, les tribunes étaient déjà remplies de spectateurs qui criaient et mettaient la pression sur les athlètes. Désormais, il y a également les réseaux sociaux qui jouent un rôle dans ce domaine. « Un cadeau empoisonné, surtout pour les jeunes », juge Verschaeve. « Ils catalysent la pression. Au début, c’est très chouette, mais quand les choses vont moins bien, ça peut être très dur. »

Olivier Deschacht est très clair à ce sujet: « Les réseaux sociaux, c’est terrible pour les jeunes. Quand ils ont fait leur apparition, j’avais déjà percé, mais ce que les jeunes doivent parfois endurer comme réactions, ce n’est pas normal. »

Pourtant, les réseaux sociaux n’ont pas que des mauvais côtés. « Sur le plan purement scientifique, on n’a encore que peu de données à ce sujet », considère Kegelaers. « Les réseaux sociaux peuvent être durs mais sans eux, les messages de Biles, Dumoulin ou Osaka n’auraient jamais eu un tel retentissement. »

Parler ne suffit pas

Il faudra encore du temps pour que le concept de bien-être mental soit assimilé en football et dans le sport de haut niveau. « Mais il est temps de briser le tabou et d’en parler », souhaite Kegelaers.

Mais parler ne suffit pas, il faut aussi qu’en pratique, des choses soient mises en place. Selon Verschaeve, c’est déjà le cas. « L’Union belge s’en occupe. L’aspect psychologique est de plus en plus intégré dans les formations d’entraîneur. » Mais tout ça reste théorique. « Si on veut vraiment en parler, il faut normaliser », ajoute Verschaeve. « Je travaille pour l’équipe cycliste Deceuninck – Quick-Step, où j’ai succédé à quelqu’un qui était en place depuis vingt ans. Ça veut dire qu’il y a longtemps que l’équipe mise sur la psychologie. » Le monde du football a du retard.

En réalité, il faut démystifier le concept de coach mental. « Penser que faire appel à un coach de ce genre est un signe de faiblesse, c’est dépassé. Qui doute encore de l’importance d’un préparateur physique? », interroge Verschaeve. Les connaissances en matière de santé mentale ne sont pas non plus suffisantes. « Nous devons apprendre à reconnaître les signaux qui indiquent des problèmes de santé mentale. Et la palette est très large: du sportif au coach en passant par les parents et les médias, on manque de connaissances », conclut Kegelaers.

Sports d’équipes: pression partagée?

Quand on parle de santé mentale, il y a évidemment une différence entre les sports individuels et collectifs. Tom Dumoulin fait certes partie d’une équipe, mais c’est lui qui, à la fin d’une étape, doit couronner le travail de ses partenaires. Naomi Osaka et Simone Biles, elles, sont seules sous les projecteurs.

« En football, un joueur peut se confier à un équipier », précise Verschaeve. « Ils sont onze sur le terrain et la pression est partagée, ça se ressent. »

« Je n’avais pas envie de raconter ce que je ressentais à quelqu’un qui n’avait jamais connu ça », confirme Olivier Deschacht. « Je préférais en parler à un équipier. Dans mon cas, c’était Yves Vanderhaeghe. »

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