© KOEN BAUTERS

 » POUR MOI, ÇA N’EST QUE DU FOOT « 

Le  » frère de  » le plus célèbre du royaume s’est, cette saison, définitivement fait un prénom sur le continent. Rencontre avec un des derniers joyaux de la couronne.

Il est 15 heures et le bus dépose enfin les joueurs devant leur Borussia Park, bloc de béton imposant plutôt froid mais fonctionnel, à l’image de nombreux stades allemands. La veille, les  » Vert et Noir  » ont bu le calice jusqu’à la lie au Camp Nou (4-0), une défaite qui les renvoie en Europa League. Et, pour enfoncer le clou après une soirée cauchemardesque, c’est l’avion censé les ramener en Allemagne qui a pris du retard à l’allumage.

Thorgan Hazard débarque finalement vers 17 h après un court décrassage et reconnaît  » Que quand t’es sur le terrain, c’est quand même autre chose. Quand tu regardes les matches du Barça à la télé, tu te dis que ça n’a pas l’air si compliqué ce qu’ils font et puis quand t’es sur la pelouse, tu regardes l’horloge et t’espères que ça passe (il rit). Car quand t’as la balle, tu la perds très vite et tu cours après longtemps, trop longtemps pour la récupérer. Et quand c’est le cas t’es mort et tu la reperds…  »

Dans son nouveau rôle de faux numéro 9, l’ex-Soulier d’Or n’a touché que très peu de ballons.  » Mais, j’aime bien ce rôle de numéro 9 même si c’en est pas vraiment un. On joue à deux ou à trois devant sans véritable pivot. On est libre de bouger un peu partout, ce qui me convient d’autant qu’on essaie de jouer haut.  »

Tu as connu une forme de déclic cette saison ou tu estimes cette évolution logique ?

THORGAN HAZARD : C’est une évolution normale. Ma première année à Zulte était moins bonne que la deuxième où j’avais un rôle plus axial. Ici aussi, j’ai mis du temps à trouver ma position, je n’ai jamais véritablement joué en 10 comme à Zulte.

Qu’est- ce qu’il te manque pour franchir encore une étape dans ta carrière ?

HAZARD : J’évolue petit à petit, et ça passera par l’accumulation de matches, me montrer plus efficace devant le but car j’ai eu quelques occasions que j’aurais dû mettre au fond cette saison. Je devrais être à 10 buts depuis le début du championnat. Après je n’ai pas reçu la formation d’attaquant.

Quand tu vois tous ces stades énormes et remplis en Bundesliga, tu te rends compte rapidement du décalage avec la Belgique, non ?

HAZARD : Oui. T’as beau jouer contre le dernier, il y a au moins 30 000 personnes. Alors que si t’es en Belgique, il n’y a qu’au Standard ou à Bruges qu’il y a presque autant de monde. Pour les stades et l’ambiance, c’est le meilleur championnat.

 » JE SAVAIS QUE J’ATTERRIRAIS EN BUNDESLIGA  »

Comment tu expliques un tel engouement ?

HAZARD : Je ne sais pas vraiment mais j’ai depuis longtemps été attiré par cette ambiance, ces stades. Et quand je suis arrivé au Borussia, c’était encore plus dingue que ce que j’imaginais. Je suis attiré par l’Allemagne depuis un certain temps. Je savais que quand j’allais quitter Zulte ce serait pour aller en Bundesliga

On a noté que lors de ta première saison tu courais en moyenne 13 km par match, 12 la deuxième et cette saison, 11.

HAZARD : Quand j’évoluais sur les côtés, je devais courir davantage. Aujourd’hui, dans notre système en 3-5-2, on évolue plus haut et donc je dois moins courir. Mais ça reste des chiffres quand même importants pour un attaquant.

C’est la Bundesliga qui veut ça…

HAZARD : Oui, tout le monde doit courir. Après chaque match, on reçoit une feuille personnelle avec le nombre de kilomètres parcourus, à quelle intensité, etc.

Le passage entre la compétition belge et allemande a été compliqué pour toi à franchir au niveau physique ?

HAZARD : C’est plus aux entraînements que je l’ai senti. La première semaine, j’avais mal aux jambes tous les jours. Et je me disais que je n’allais pas tenir. La première saison a été difficile par rapport à l’intensité des entraînements : tout le monde est à fond, tu n’as pas le droit de te relâcher, tout le monde veut gagner sa place.

Comment tu expliques cette si grande différence avec la Belgique ?

HAZARD : Le noyau n’est pas le même déjà. On est facilement 25 qui peuvent jouer et quand t’es mis de côté, t’es obligé de te montrer patient et de saisir ton moment. A Zulte, on avait un bon noyau mais c’était souvent les 14 mêmes  » titulaires « , le reste était composé de jeunes.

 » SI T’ES PAS COSTAUD, FAUT ÊTRE MALIN  »

Aujourd’hui, tu déclares avoir du plaisir à bosser dur.

HAZARD : Ça n’a pas vraiment changé car à Zulte, je courais aussi beaucoup sur le terrain, j’aimais revenir plus bas, demander le ballon. Mais les entraînements n’ont rien à voir. A Zulte, c’était souvent de la récupération entre les matches, des entraînements assez courts, de la conservation du ballon, un petit match, etc. Ici les séances peuvent durer 2 heures.

On parle souvent d’une mentalité propre au foot allemand, notamment au niveau de la gagne.

HAZARD : De la gagne mais aussi dans cette culture du travail.

Qu’on n’a pas nécessairement en Belgique…

HAZARD : La Belgique et la France sont assez semblables sur ce point. Ici, c’est autre chose. Tu le remarques déjà chez les jeunes. On a vu passer l’équipe U19 du Borussia qui a joué contre le Barça, ils sont quasi tous plus grands que moi et plus musclés. Tu te demandes même quel âge ils ont, mais c’est simplement le fait qu’ils sont habitués à bosser depuis leur plus jeune âge. Et personne ne va s’en plaindre.

Tu sembles avoir pris du muscle depuis que tu es en Allemagne.

HAZARD : Je ne sais pas exactement mais j’ai progressé au niveau de la puissance, je le remarque dans les duels de la tête notamment.

Que ce soit Eden ou toi, il est marquant de voir que malgré vos petits gabarits, vous tenez bons sur vos jambes.

HAZARD : Eden, c’est encore pire, tu ne le bouges pas. Une de ses grandes qualités, ce sont ses grosses cuisses, son centre de gravité bas. Quand on me regarde, je ne suis pas impressionnant mais il faut alors aller intelligemment dans le duel, avoir un peu de malice. Si t’es pas costaud, faut être plus malin.

 » NOUS, C’EST LA CAMPAGNE PURE ET DURE  »

Tu as aussi perdu un peu de poids non ?

HAZARD : Oui, mais à Zulte je m’étais un peu laissé aller durant l’été entre ma première et deuxième saison au club. Je ne savais pas trop où j’allais jouer à cette période et j’ai donc eu des vacances un peu plus longues. Et puis, une semaine et demie après mon retour, je jouais déjà mon premier match de préparation. Il a fallu le temps que je retrouve mon pois de forme. À un moment, j’étais à 73-74 kilos. Aujourd’hui j’en suis à 68.

Paul-José Mpoku nous a dit que tu traînais le petit surnom de  » la boule « .

HAZARD : (Il rit) Ça, c’est Dino (Arlanagic) qui a commencé avec ça. Je me rappelle qu’à mon premier entraînement à Zulte, mes coéquipiers avaient tous rigolé de mon poids. Moi, je ne m’en rendais pas vraiment compte.

Que ce soit toi ou ton frère, vous avez un côté très rue dans le jeu alors qu’…

HAZARD : On vient clairement pas de la street. Nous, c’est la campagne pure et dure (il rit). Moi, je vois Eden depuis tout petit aussi. J’essayais de l’imiter.

Et Eden, ça lui est venu comment ?

HAZARD : On ne sait pas d’où ça vient. Il aimait bien regarder des vidéos de techniciens, il tentait des gestes. Et moi, je le suivais. En jouant chez les jeunes avec des joueurs comme Michy (Batshuayi) ou Polo (Mpoku), je me suis inspiré d’eux aussi, de leur feinte de frappe par exemple. J’aime bien dribbler, provoquer, mais Eden c’est encore autre chose. Mais c’est vrai que s’il y a moyen de glisser un petit pont, je vais en glisser un.

Est-ce que le haut niveau t’oblige à jouer de manière plus simple ?

HAZARD : Oui, quand même. Même Eden a dû simplifier son jeu. Si tu observes Cristiano Ronaldo, il ne fait plus ce qu’il faisait à Manchester United. Quelqu’un comme Messi va peut-être te mettre un petit pont mais c’est dans le but de t’éliminer, il ne va pas s’amuser à te faire des coups du foulard, des roulettes pour rien. C’est surtout son accélération et son crochet qui sont magnifiques et qui éliminent tout le monde. A ce niveau-là, quand tu réalises un geste, il faut qu’il y ait quelque chose derrière sinon tu te fais taper sur les doigts. T’es pas sur le terrain uniquement pour t’amuser. A Zulte, je me souviens avoir perdu la balle au milieu de terrain sur une roulette qui avait amené un but sur la contre-attaque. On m’avait fait la remarque mais je ne l’avais pas trop senti passer. Si je me mets à faire ça ici, je suis mort.

 » JE NE ME FAIS PLUS BOUGER CHEZ LES DIABLES  »

Tu as retrouvé le noyau des Diables trois ans après les Etats-Unis. Comment as-tu vécu cette nouvelle convocation ?

HAZARD : On se dit que si on est repris, c’est qu’on fait bien notre travail et puis t’es fier, fier de rejoindre une telle équipe. Surtout que c’est peut être la meilleure équipe belge de l’histoire. Quand j’étais à Zulte et que je m’étais retrouvé en stage aux Etats-Unis, j’avais senti la différence. Je me faisais quand même pas mal bouger. Aujourd’hui, c’est moins le cas, heureusement.

Comment tu expliques qu’il y ait aujourd’hui tellement de joueurs d’actions réunis sur le même terrain ?

HAZARD : Il doit y avoir une part de hasard… Tout le monde explose au même moment et la concurrence pousse les gens à faire le maximum pour garder sa place. On a beau s’entendre en dehors, personne ne va te faire un cadeau sur le terrain. Et c’est aussi cette concurrence qui fait avancer l’équipe. Tellement il y a de joueurs, t’es obligé de bouger ton cul si tu veux rester.

C’était spécial de jouer avec ton frère aux Pays-Bas ?

HAZARD : Franchement, je n’y ai même pas pensé quand je suis monté sur le terrain. Je pensais surtout à montrer que je méritais de rester dans cette équipe, que je pouvais apporter quelque chose. Je ne me suis pas dit : viens Eden, on va jouer ensemble, on va se faire que des passes entre nous. Tu ne penses évidemment pas à ça.

Mais pour ta famille, ça doit être un sentiment particulier quand même ?

HAZARD : Oui, c’est davantage pour ma famille, les oncles, les cousins, que pour moi, même si évidemment ça me fait plaisir.

La probabilité d’avoir un fils joueur pro est faible mais en avoir deux à un tel niveau c’est rarissime. C’est quoi le secret de tes parents ?

HAZARD : Il faut faire la différence : mon frère, c’est un génie, mais je n’en suis pas un. J’ai rencontré pas mal de difficultés au début de ma carrière. Je grandis petit à petit. Mais il y a du travail derrière et le fait d’être bien entouré nous a permis d’effectuer les bons choix de carrière.

 » EDEN ET MOI, ON NE CONNAÎT PAS LA PRESSION  »

On ne vous sent jamais stressés.

HAZARD : On n’a jamais ressenti cette pression. On ne fait que du foot, on va pas se prendre la tête pour ça ?

Tu n’es pas nerveux ?

HAZARD : Non pas pour le foot. On n’est pas du genre à se prendre la tête.

Tu peux expliquer aujourd’hui pourquoi tu n’as pas participé au match de Champions League face à Manchester City ?

HAZARD : Non, je ne préfère pas.

Ça a été une décision difficile à prendre ?

HAZARD : Non, je n’ai pas hésité. Pour certains, le foot c’est ce qui a de plus important au monde. Mais pour moi, ça reste que du foot même si ça prend énormément de place dans ma vie. Si je rentre sur le terrain sans pression, c’est peut être parce que je relativise. Chez certains, ça prend trop de place je pense.

PAR THOMAS BRICMONT ET JONAS CRETEUR, À MÖNCHENGLADBACH – PHOTOS KOEN BAUTERS

 » Mon frère c’est un génie mais je n’en suis pas un.  » THORGAN HAZARD

 » Chez les Diables, on a beau s’entendre en dehors, personne ne va te faire un cadeau sur le terrain.  » THORGAN HAZARD

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