Paris 2024 souffle sa première bougie sans triomphalisme

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Drôle d’anniversaire pour Paris-2024: un an après l’attribution des Jeux olympiques à la capitale française, l’organisation est sur les rails, les premières embûches ont été évitées, mais l’ambiance n’est plus à la fête dans le mouvement sportif.

Sauf surprise de dernière minute, aucune festivité particulière ne saluera jeudi le premier anniversaire de « Lima », du nom de la capitale péruvienne où le Comité international olympique (CIO) a attribué le 13 septembre 2017 les Jeux d’été à Paris, pour la première fois depuis cent ans et après trois échecs (1992, 2008, 2012).

« On est au travail », répond-on dans les locaux du Cojo (Comité d’organisation des JO), qu’on appelle aussi « Paris-2024 », boulevard Haussmann à Paris. Il faut dire que toute célébration aurait pu paraître décalée avec cette rentrée: depuis la fin août, le Comité olympique français (CNOSF) a brandi puis rangé une pétition pour réclamer plus de moyens pour le sport amateur; puis la ministre des Sports Laura Flessel a démissionné sur fond de problèmes avec le fisc et les premiers jours de sa successeure Roxana Maracineanu ont été marqués par la polémique sur les craintes de suppressions de conseillers techniques sportifs (CTS), ces agents de l’État placés auprès des fédérations.

Si bien que des voix alertent sur un « désenchantement » vis-à-vis d’une promesse: faire des Jeux olympiques et paralympiques un levier extraordinaire pour le sport dans le pays.

« Ça fait un an qu’il y a une forme de désillusion dans les territoires. Et il peut y avoir des raisonnements simplistes qui consistent à dire +On a les Jeux, mais on a moins de moyens+ », prévient le député Nouvelle Gauche et co-président du groupe d’étude sur les JO à l’Assemblée, Régis Juanico. Et ce, alors que « les structures se sont installées rapidement et avec sérieux » et que « l’enveloppe budgétaire est tenue », note-t-il.

– « Mobilisation » –

« Je crois que ce serait pire si on n’avait pas eu les Jeux (…) Le fait qu’on (les) ait (eus) nous permet de sauvegarder au maximum l’implication des acteurs », répond à l’AFP le président de Paris-2024, Tony Estanguet. Si son président « partage l’inquiétude » du mouvement sportif, le Cojo veut rester là où il pense être le plus efficace: par exemple, en faisant de son programme marketing un succès, une partie des bénéfices des sponsors –plus d’un milliard d’euros attendus– revenant directement au CNOSF.

« Notre responsabilité, c’est qu’en 2025, les entreprises qui auront investi au total un milliard d’euros dans Paris-2024, aient envie de continuer à s’investir dans le sport » et dans des disciplines qui ne font pas toujours la une, souligne-t-on dans l’entourage de Tony Estanguet.

Si 2018 a été l’année des fondations et de la « mise en cohérence », 2019 sera celle de « l’engagement et de la mobilisation », promet-on au Cojo.

Comité d’éthique, transparence sur la rémunération de Tony Estanguet, signature d’une charte sociale et d’une convention pour associer l’économie sociale et solidaire: depuis un an, Paris-2024 a multiplié les gages de bonne gouvernance, alors que l’olympisme, souvent taxé de gigantisme, a été secoué par les affaires de dopage et de corruption.

Les acteurs des Jeux olympiques, –État, collectivités, Cojo– se sont aussi entendus pour sortir par le haut après une première alerte sur de possibles dérives budgétaires, notamment dans la construction du centre aquatique olympique qui doit s’élever à Saint-Denis, au nord de Paris et en face du Stade de France. Mais pour ce chantier, comme pour celui du Village Olympique, les premiers coups de pelleteuse n’auront pas lieu avant au moins 2020. D’ici là, l’Etat doit notamment prendre possession des terrains et les dépolluer.

« L’heure de vérité, elle a lieu quand on ouvre les enveloppes » des entreprises répondant aux marchés, avec les prix qu’elles proposent, souligne l’un des acteurs, sous couvert d’anonymat. Autre inconnue de taille, le chantier du Grand Paris Express, qui doit amener les futures lignes 16 et 17 du métro au Bourget, mais dont l’achèvement reste incertain.

Aux côtés du Cojo, qui va investir 3,8 milliards d’euros issus de financements privés dans l’organisation des Jeux, selon son budget actuel, les investissements dans les chantiers doivent s’élever à 3 milliards d’euros, dont 1,4 milliard venus de l’État et des collectivités.

Tony Estanguet : « je partage l’inquiétude du mouvement sportif »

Le président de Paris-2024, Tony Estanguet, dresse un bilan positif de la première année après l’attribution des Jeux Olympiques, même s’il partage « l’inquiétude du mouvement sportif » sur les baisses de moyens budgétaires.

Quel bilan tirez-vous un an après l’obtention des Jeux Olympiques ?

« Je suis très heureux. On est vraiment sur de bons rails, les fondations sont posées. Après Lima, il a fallu terminer l’aventure de la candidature, avec au passage un petit excédent de 6 millions d’euros redistribués aux acteurs publics. On a gardé un mouvement sportif majoritaire dans le comité d’organisation des JO (COJO), tout en associant les acteurs publics et la société civile. On a travaillé sur la loi olympique et paralympique (adoptée par le Parlement le 15 mars), qui est aussi un chantier important. Et à chaque étape on a élevé l’ambition. La revue du projet nous a permis de stabiliser la maquette financière de l’argent public et d’améliorer l’héritage puisqu’il y aura neuf bassins (aquatiques, contre cinq auparavant, ndlr). On vient de signer le « marketing plan agreement » avec le CIO, c’est la première fois qu’il inclura un volet paralympique. Cela va nous permettre d’aller contacter les partenaires pour qu’au 1er janvier 2019 on soit prêt à activer (les droits du premier sponsor, ndlr). Mon rôle c’est de coordonner le rôle de tous les acteurs, mais c’est surtout de maintenir le niveau d’ambition. On veut marquer l’histoire de ce pays et on est pour l’instant sur de bons rails. »

Pourtant, les acteurs du mouvement sportif s’inquiètent aujourd’hui d’un désengagement de l’Etat. Est-ce que vous partagez cette inquiétude ?

« Oui je comprends cette inquiétude et je la partage. Je suis tout cela de très près. Je sais que c’est très compliqué. C’est moins mon rôle en tant que président de Paris-2024, d’être impliqué directement dans les relations entre l’Etat et le mouvement sportif. En revanche, je continue d’échanger avec ces acteurs parce que ça me touche. Si on fait tout ça, si on a décidé d’être candidat, si on a gagné les Jeux, c’est quand même pour accompagner le développement du sport dans ce pays. Peut-être que je me trompe, mais je crois que ce serait pire si on n’avait pas eu les Jeux, qu’il y aurait probablement un scenario plus difficile. Le fait qu’on ait les Jeux nous permet de sauvegarder au maximum l’implication des acteurs. On ne réussira pas l’enjeu d’un sport fort dans ce pays sans l’implication de l’Etat et en même temps, il faut admettre qu’il faut trouver des solutions, car le sport, comme d’autres secteurs d’activités, doit entrer dans les efforts de financement.

Paris-2024 prendra sa part de responsabilité pour continuer à promouvoir les sports olympiques et paralympiques. C’est le kayakiste qui vous parle. Les Jeux ont changé ma vie, j’ai eu beau être champion du monde et champion d’Europe, personne n’était au courant en dehors de ma famille. Il a fallu que je sois champion olympique pour qu’on s’intéresse un peu au canoë kayak dans le pays. Je connais la force de frappe que représentent les Jeux et cette force de frappe, on veut vraiment la mettre au service du sport dans le pays. »

Si l’année 2018 a été l’année des fondations, de quoi sera fait 2019 ?

« L’année 2019 c’est l’année de l’engagemernt, c’est l’année de la mobilisation. Ça veut dire aller sur le terrain, pour la semaine olympique et paralympique (en janvier), monter encore d’un cran, toucher encore plus d’écoles, encore plus d’enfants autour de la promotion des valeurs olympiques et paralympiques. L’enjeu de Paris-2024 c’est de mobiliser comme ça n’a jamais été fait. Je suis convaincu du pouvoir du sport pour susciter des vocations, changer la vie des personnes en situation de handicap, des personnes qui ont envie de retrouver confiance. Le sport est aussi une solution de santé publique. Cet effort va monter en puissance au cours des six prochaines années, mais mon objectif c’est que les premiers signaux de cette mobilisation soient patents dès 2019. »

Propos recueillis par Andrea Bambino