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PAPA NOUNOURS

Il ne joue jamais les patrons avec ses gars mais les chouchoute. Mais Carlito a-t-il le feu sacré pour conduire le Bayern Munich en finale de la Ligue des Champions ?

Arjen Robben dribble dans le rectangle. L’angle du but du PSV est fermé. Trop. Deux coéquipiers sont mieux placés mais non, il veut ponctuer l’action lui-même. Il est bloqué. Le public crie, ses collègues l’insultent. Carlo Ancelotti (57 ans) reste imperturbable, les mains dans les poches.

Enrôlé en juillet, Ancelotti ne s’est pas encore énervé une seule fois. Même pas lorsque le Bayern a perdu 1-0 contre Dortmund, abandonnant du même coup la première place à Leipzig. Est-il vraiment imperturbable ou manque-t-il de passion, de feu ? Quatre jours plus tard, le Bayern est battu 3-2 à Rostov, en Ligue des Champions. Pour la première fois, la léthargie de l’Italien suscite des critiques.

Le Bayern a essayé différents types d’entraîneurs ces dernières années : le motivateur Jürgen Klinsmann, l’arrogant réformateur Louis van Gaal et,jusqu’à cet été, le perfectionniste Pep Guardiola, partisan des passes courtes et des trajectoires millimétrées. Las, il a chaque fois loupé la LC.

Avec Ancelotti, le champion revient au passé. Ses coaches les plus performants ont été Ottmar Hitzfeld et Jupp Heynckes, deux professeurs de football qui jugeaient important d’avoir une défense solide. Ils ont ramené la Coupe aux Grandes Oreilles à Munich deux fois.

Ancelotti, âgé, réfléchi, souverain, leur ressemble. Triple vainqueur de la LC, il s’appuie sur une défense solide. Il est l’anti-Pep, bien qu’il déteste la comparaison. Le football n’est pas une philosophie, pour lui.  » Sa simplicité fait sa beauté.  »

SIFFLET ET CHRONO

En septembre, deux jours après le succès des siens par 3-1 contre Ingolstadt, il est sur le podium d’un hall événementiel, pour présenter sa biographie. La salle n’est pas tout à fait comble. Ancelotti parle de son enfance. Fils de paysans, il a grandi en Emilie, au nord de la Botte.

 » Nous mangions beaucoup de viande de porc. J’adore les saucisses « , dit-il. Puis, sans transition, de raconter des anecdotes datant de ses passages à Milan, au Real et à Chelsea. Entre les coups, une phrase anodine :  » La tactique est importante mais pas essentielle.  » Surprise du public. Ancelotti poursuit :  » Je sais comment on gagne une Coupe d’Europe.  » Applaudissements.

L’équipe de Gerd Mühlheußer, un professeur hambourgeois d’économie, a étudié le pourcentage de réussite des entraîneurs de Bundesliga, avec une question : comment exploitent-ils leurs possibilités. Depuis 1994, Jürgen Klinsmann et Giovanni Trapattoni ont été les pires au Bayern, tandis que Guardiola est le meilleur.

Ancelotti ne pourra être jugé qu’en fin de saison. Les scientifiques ont remarqué que les partisans d’un jeu conservateur réussissent mieux que ceux qui misent sur la créativité offensive. En tête, des experts tactiques comme Thomas Tuchel (Borussia Dortmund) et Lucien Favre, qui a qualifié le Borussia Mönchengladbach pour le bal des champions.

Ancelotti est de la génération des sifflets. L’objet pend sur son ventre, à côté d’un chronomètre. Sous les yeux de 1.500 curieux, Ancelotti fait jouer l’attaque contre la défense. Le ballon circule rapidement mais pas assez au goût du patron, qui crie :  » Plus vite, plus vite !  » Un spectateur qui entraîne lui-même une équipe pro remarque :  » Le ballon circule mieux avec Carlo qu’avec Guardiola, le jeu est moins statique.  »

Ancelotti porte un épais anorak et un bonnet de laine. Il court lui-même vers le but, ballon au pied, mais Holger Badstuber le freine, ce qui déclenche un fou rire dans le public. Avant d’arriver à Munich, Ancelotti entraînait le Real. Il y a gagné d’emblée la Ligue des Champions mais il a été renvoyé en mai 2015, le président Florentino Perez le jugeant trop peu glamour.

Ancelotti veut se réhabiliter au Bayern. Ses patrons, Karl-Heinz Rummenigge et Uli Hoeness, ont été de grands footballeurs et savent de quoi ils parlent.  » Ça aide « , précise Ancelotti. Les objectifs sont clairement définis : il doit être champion et disputer la finale de Ligue des Champions tout en formant de futurs remplaçants à Franck Ribéry, Philipp Lahm et Arjen Robben.

GUIDE ET MASTER PLAN

Tous ses joueurs le décrivent comme un guide paternel, un homme convivial. Papa Nounours. Récemment, Mats Hummels a dit qu’Ancelotti était  » gentil  » mais  » pas toujours « . Est-ce vraiment un compliment ? Ancelotti hausse le sourcil droit, comme toujours quand il se sent provoqué.

 » Je détiens le pouvoir. Je pourrais programmer une séance à trois heures du matin. On me prendrait pour un fou mais tous les joueurs viendraient puisque je suis le patron. Mais je ne suis pas comme ça. Je préfère convaincre les joueurs.  » Il estime que les grands joueurs fonctionnent par eux-mêmes : le coach doit leur présenter le bon plan et ils l’exécutent.

Ancelotti accorde peu d’importance au spectacle. Il apprécie une victoire facile. Quand il est satisfait, il déclare :  » Nous avions un bon équilibre.  » Traduction : nous n’avons joué ni trop offensivement, ni trop en retrait. Le moyen terme. Le Bayern d’Ancelotti ne doit pas posséder constamment le ballon. Il se retire parfois pour jouer le contre.

Seule la défaite est exclue. Le Bayern a encaissé trois buts pour la première fois sous l’ère Ancelotti à Rostov.  » Nous avons été insouciants « , fustige Lahm. Sans préciser qui il vise.

Ancelotti parle bien allemand et s’il ne trouve pas le bon mot, il se tourne vers son interprète mais en fait, il emploie peu de termes techniques. Il se contente de bavarder. S’il passe à l’anglais, c’est qu’il a quelque chose d’important à dire. Ce fut souvent le cas ces dernières semaines.

Le Bayern n’est plus dominant. Müller traverse une mauvaise passe. Leipzig est devenu un sérieux rival pour le titre. A plusieurs reprises, l’Italien a obligé ses joueurs à escalader une côte jusqu’à ce que leurs jambes en tremblent.

Ancelotti n’aime pas devoir se justifier. Il hausse alors le ton mais reste poli. En fait, toute cette agitation le laisse froid : il a déjà tout vu dans sa carrière et il ne sera jugé qu’en fin de saison. Au Bayern, on affirme qu’il a un master plan : l’équipe sera parfaitement au point en avril, lors des matches cruciaux de Ligue des Champions.

Ancelotti protégera ses joueurs-clefs le plus longtemps possible. Avec Guardiola, ils étaient affûtés avant la Noël mais épuisés au printemps. Chaque fois, ils ont trébuché en demi-finale. Ancelotti applique une stratégie à long terme. Les joueurs le soutiennent. L’un d’eux l’affirme :  » Il va nous conduire en finale.  »

A Augsbourg, les supporters ont amené une copie de la Coupe aux Grandes Oreilles. Un exemplaire en papier mâché orne le parking du Bayern. Ancelotti ne semble pas le remarquer. Il se hâte vers la salle de presse puis s’arrête devant un écran qui diffuse le match de Leipzig.

L’équipe fait circuler le ballon. Et vite. Ses contres sont trop rapides pour Darmstadt 98. C’est le football que prône Ancelotti. Il murmure quelque chose, redresse sa cravate. Il avait peut-être un plan pour la Ligue des Champions mais il n’était pas préparé à l’offensive de Leipzig.

PAR GERHARD PFEIL ET FLORIAN KINAST – PHOTO EPA

Carlo Ancelotti est capable de faire progresser les joueurs. Même les plus grands. Il l’a prouvé avec Cristiano Ronaldo.

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