« On n’a pas repris le Sporting pour partir dans six mois »

Le nouveau président présente sa vision à long terme pour le club.

Son entreprise, QNT, se dresse à Donstiennes, en plein milieu des champs. Une banderole  » Merci  » déposée par des supporters euphoriques a été déployée aux grilles de l’entreprise. Ce coin de Thudinie, à 15 minutes du centre-ville de Charleroi, ne ressemble pas au Pays Noir souvent décrié. Ici, la verdure et le calme règnent aux alentours. C’est aussi cela le miracle carolo. Que vous sortiez à l’est, au sud ou au nord, la nature n’est qu’à 5 minutes. C’est sur le lieu d’une ancienne sucrerie que Fabien Debecq, le nouveau président du Sporting, a bâti son empire. Car avec 32,6 millions de chiffre d’affaires (sur trois continents), on peut commencer à parler d’un empire. Difficile à imaginer quand on contemple le village paisible de Donstiennes. Une vraie réussite à l’américaine, comme on les idéalise de l’autre côté de l’Atlantique.

Directement, Fabien Debecq met à l’aise. Aimable, accueillant, discret. Comme ses réponses d’ailleurs. Pas tapageuses. Tout est réfléchi.  » Vous apprendrez à me connaître. Je ne suis pas compliqué, je suis quelqu’un d’ouvert, flexible.  » Il a accepté notre demande d’interview mais insiste bien pour dire qu’il veut rester dans l’ombre et être un président plus effacé.  » Je crois que je ne serai pas intéressant pour les journalistes. Je ne suis pas du genre à faire du ramdam.  » Sans doute une façon de bien montrer sa différence par rapport à son prédécesseur.

Qui se cache derrière l’homme d’affaires qui a réussi dans le domaine des compléments alimentaires ?

Fabien Debecq : Je suis né à Charleroi. Je suis un pur Carolo et je viens d’une famille modeste ouvrière. Pendant mon adolescence, ma famille a été secouée par un accident brutal : la mort de mon frère. Je me suis retrouvé un peu seul puisque j’avais un autre frère âgé à l’époque d’un an. Je me suis raccroché au sport en m’inscrivant dans une salle de musculation à Charleroi. J’ai pratiqué cette discipline avec sérieux et j’ai commencé des compétitions de body-building. A 20 ans, je devenais champion d’Europe. Cela m’a permis de voir que les compléments alimentaires n’avaient pas encore investi l’Europe. A un certain moment, je me suis lancé dans la distribution d’une gamme de produits d’une marque américaine qui me sponsorisait. A cette époque, il y avait moins de 200 clubs de sport en Belgique. Aujourd’hui, on est à 750 ! Ensuite, j’ai voulu aller plus loin dans la distribution et devenir mon propre patron en important une marque américaine. Je suis parti 10 jours aux Etats-Unis avec toutes mes économies et je suis revenu en Europe avec une marque – NDLA : Nature’s Best. Cela s’est rapidement développé. On est devenu la seule marque américaine présente sur le marché européen, où tous nos produits étaient fabriqués. J’ai travaillé une vingtaine d’années avec cette société qui a été revendue à un groupe d’investisseurs. Comme le marketing et les recettes des produits nous appartenaient, nous avons alors décidé de créer notre marque, QNT, il y a quatre ans. Il s’agit des mêmes produits mais sous un autre nom et avec d’autres emballages. Pour solidifier cette nouvelle gamme, nous avons décidé d’installer QNT aux Etats-Unis. Heureusement, cela a fonctionné.

Qu’est-ce qui vous a poussé à racheter le Sporting ?

Deux raisons. Je suis Carolo, et comme j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie professionnelle, je voudrais rendre à ma ville ce qu’elle a perdu : un vrai club de foot. Ensuite, je connais Mehdi Bayat depuis plusieurs années. Il a débarqué dans mon bureau, un jour, pour négocier un sponsoring. J’ai vu un jeune loup, avec cheveux longs et santiags, mais avec une personnalité extraordinaire. Bien que je ne sois pas un chef d’entreprise ayant besoin d’investir sa communication dans la région puisque 90 % de mon business est à l’export, Mehdi est ressorti du bureau avec un contrat relativement avantageux pour le Sporting. Et dix ans plus tard, je suis toujours présent au Sporting. On a créé à deux une relation, non pas basée sur le business et le foot, mais sur l’amitié. Aujourd’hui, je peux dire qu’il s’agit quasiment de mon meilleur ami en Belgique. Je l’ai vu énormément souffrir depuis un an, et il y a quelques mois, il m’a demandé si j’étais intéressé par la reprise du Sporting.

Est-ce qu’on vous a proposé de reprendre seul le club ?

Non. Il a toujours été question que j’y aille avec Mehdi Bayat. Je ne suis pas un grand spécialiste du monde footballistique et je reste cohérent. Sans la personnalité de Mehdi Bayat, je n’aurais jamais repris le club.

Est-ce qu’Abbas Bayat vous avait contacté personnellement ?

Oui, également. A peu près au même moment. Je connaissais Abbas Bayat depuis bien longtemps, avant même son arrivée à Charleroi. Une partie de nos boissons est fabriquée dans les usines d’Abbas Bayat. Cela fait donc 15 ans que je fais du business avec lui. Je connais sa personnalité et le dialogue a sans doute été plus facile lors des négociations de reprise que s’il s’était agi d’un autre chef d’entreprise que moi.

Mais vous êtes un chef d’entreprise, pas un philanthrope…

Oui mais je crois dans le potentiel de ma ville et du Sporting. Et avec l’équipe managée par Mehdi Bayat, je crois qu’on peut faire un grand club.

Cela signifie quoi, un grand club ? Essayer d’être européen chaque saison ?

Non, non, je ne pense pas du tout à cela. Quand je dis grand club, je pense à une grande famille. Le Sporting doit être un phare pour sa région. Il y a énormément de chefs d’entreprise dans la région de Charleroi, qu’on n’utilise pas et qui peuvent apporter un plus. Mais, aujourd’hui, c’est beaucoup trop tôt pour vous parler d’objectif. Je ne suis pas une personne qui vous dira : – L’année prochaine, on sera dans les trois premiers. A court terme, on a deux objectifs : restructurer le club et rester en D1.

 » Abbas Bayat était intransigeant sur tout. Moi, je suis ouvert au dialogue « 

On a toujours dit que la reprise du club traînait à cause du prix demandé par Abbas Bayat, des emprunts bancaires et des interconnexions entre la SA Sporting de Charleroi et Sunnyland, l’entreprise d’Abbas Bayat…

La reprise du club n’a pas été simple. La négociation a duré quatre mois. Le rachat du club a été acté le jour de la fin du mercato. Cela fut un peu limite pour renforcer l’équipe mais j’ai confiance dans le noyau actuel.

Le prix de vente était-il trop élevé au départ ?

Je pense qu’on a obtenu un prix correct.

On a évoqué un prix entre 4 et 6 millions. Est-ce exact ?

Je ne dirai rien à ce sujet.

Et avez-vous découvert beaucoup d’interconnexions ?

Tout a été séparé. On a dû clarifier certaines choses mais tout était correct.

La Ville était garante en premier rang du remboursement des prêts, Abbas Bayat en second rang. Qu’avez-vous négocié avec la Ville ?

Les prêts ont toujours été payés par le Sporting et cela continuera de la sorte.

Mais y a-t-il eu renégociation avec la Ville ?

Pas encore mais nous avons l’intention de nous rapprocher de la Ville.

Et si la Ville vous demande de vous porter premier garant, accepteriez-vous ?

On verra à ce moment-là. On n’a pas repris le Sporting pour partir dans six mois ! Je n’abandonnerai pas le club si la Ville décidait de ne pas nous aider.

Abbas Bayat était également en litige sur le loyer du stade…

Vous connaissez monsieur Bayat. Il est intransigeant sur tout ! Moi, je suis ouvert au dialogue et à toute négociation avec la Ville.

Lors des négociations avec Abbas Bayat, quel homme avez-vous découvert ?

Je le connaissais déjà. Il a toujours été très courtois même s’il y avait une dureté des deux parties. Le Sporting, c’était son bébé et ça a été très compliqué pour lui de le lâcher. Mais depuis un certain temps, il n’avait plus vraiment de projets pour le club.

Quelles sont  » ces erreurs du passé  » que vous ne voulez plus reproduire ?

Le manque de dialogue et le fait de prendre seul des décisions.

Vous avouez que vous n’êtes pas un grand spécialiste du monde du foot. Vous ne craignez pas de ne pas maîtriser ce monde ?

Non, car le Sporting de Charleroi est une entreprise qu’il faut gérer comme telle. Moi, je ne serai pas là au quotidien pour la gérer. Mon job est d’investir et de créer une structure de chef d’entreprise.

 » Gérer un club de foot comme une entreprise  » : Abbas Bayat a déjà essayé et il s’est cassé les dents…

Je sais que l’aspect humain est énorme dans le monde du foot. De plus, tous les chefs d’entreprise ont leur manière de la gérer. En ce qui me concerne, j’ai l’intention de m’entourer et de faire participer tout le monde : le supporter, le partenaire commercial, la Ville de Charleroi. Tout le monde doit être rassemblé dans le même bateau. Écoute, écoute, écoute. Cela passe par là.

Est-ce que  » gérer comme une entreprise  » signifie  » faire des bénéfices  » ?

Il faut gagner de l’argent si on veut que le club survive. Mais on n’est pas là pour faire des bénéfices. On veut des recettes pour les réinvestir dans le club et construire le Sporting.

Vous accepteriez d’être le chef d’une entreprise qui ne fait donc pas de bénéfices ?

Aujourd’hui, QNT ou moi n’avons pas besoin du Sporting de Charleroi pour vivre.

 » Mogi ne sera jamais l’agent unique du Sporting « 

Vous parlez de restructuration du club. Qu’entendez-vous par là ?

Les gens étaient perdus au sein du Sporting. Personne ne cernait sa fonction. Même l’entraîneur ! Les dernières années, monsieur Bayat a géré le club en prenant toutes les décisions. Un président ne peut pas prendre autant de décisions. C’est à la limite s’il ne descendait pas en maillot pour donner l’entraînement. Il faut laisser chaque personne s’épanouir au sein du club.

Vous vous êtes donné une enveloppe pour restructurer le club ?

On ne parle pas d’argent aujourd’hui.

Mais est-ce que les comptes que vous avez découverts étaient sains ?

Moyens, on va dire ça. Tout le monde sait que le Sporting a souffert ces deux dernières saisons et cela a eu des répercussions financières.

Vous n’avez pas peur de découvrir d’autres cadavres dans les placards ?

Non car on s’est bien entouré. On a bien ficelé la reprise.

Les supporters demandaient le départ de toute la famille Bayat. Or, elle est encore présente…

Je respecte les supporters, ils n’ont pas souvent été écoutés. Mais parmi la famille Bayat, Mehdi a toujours vécu dans l’ombre et peu de supporters connaissent réellement sa valeur et savent ce qu’il a fait pour le club. Je suis certain qu’il sera très rapidement accepté.

Beaucoup craignent l’intervention intempestive de Mogi…

On a été clair. Il n’a absolument rien à voir dans la reprise du club. Mais il reste le frère de Mehdi et il travaille dans le monde du foot. Si un jour, il peut nous proposer de bons joueurs, pourquoi refuser ?

Quitte à devenir l’agent unique du Sporting ?

Cela n’arrivera pas.

Et lors des négociations, seriez-vous prêt à vous opposer à Mogi si nécessaire ?

Comme tout chef d’entreprise, oui.

Comment réagissez-vous aux propos de Stéphane Pauwels qui parle de mascarade ?

Je ne connais pas ce monsieur mais j’espère qu’il se rendra compte qu’il s’est trompé.

Pendant plusieurs années, le RCSC version Bayat réalisait des bénéfices mais cela se faisait au détriment du sportif. Comment allez-vous parvenir à une balance réaliste entre finances saines et investissement sportif ?

Je ne pourrais pas encore vous répondre mais il va falloir trouver un équilibre. Il faut que le club puisse s’autofinancer le plus rapidement possible. C’est-à-dire dans les deux ans.

Il n’y aura donc pas d’investissement massif de votre part ?

Non mais on sera là pour réinvestir si nécessaire.

Vous êtes accueilli comme un messie. Comment l’avez-vous pris ?

C’est très dangereux. Il faut rester prudent. On va certainement nous attendre au tournant.

Que ferez-vous si les résultats sont mauvais ?

Je suis le chef du bateau mais je ne prendrai jamais les décisions seul. Je ne vais jamais limoger qui que ce soit sur un coup de sang. Et pour engager quelqu’un, on procédera de la même manière. C’est la seule façon de réussir.

Vous confirmez donc votre volonté de continuer avec Yannick Ferrera ?

Aujourd’hui, on veut tout faire pour maintenir l’équipe en place. On n’a jamais évoqué, en interne, le limogeage de qui que ce soit. J’ai parlé avec Yannick Ferrera. C’est quelqu’un que j’apprécie, qui est jeune, qui a envie de grandir et de montrer ses qualités.

Vous serez présent à tous les matches ?

Dans la mesure du possible, oui. Je ne suis pas toujours présent en Belgique mais je vais essayer d’aller au stade le plus souvent possible.

Dans cinq ans, à quel niveau aimeriez-vous que le Sporting se situe ?

Je voudrais simplement que tout le monde soit content.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Le Sporting était le bébé d’Abbas Bayat et ça a été très compliqué pour lui de le lâcher. « 

 » Je ne vais jamais limoger qui que ce soit sur un coup de sang. « 

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