« On joue contre nous-mêmes… »

L’entraîneur néerlandais du Club a pris le temps de se confier et d’analyser les différents maux qui rongent le noyau brugeois.

Dans tous les clubs dont les résultats ne répondent pas aux espérances, l’entraîneur se retrouve rapidement dans l’£il du cyclone. A Bruges, Adrie Koster ne serait toutefois pas menacé, si l’on en croit le président Pol Jonckheere. Pour un entraîneur sous pression, le Néerlandais était en tout cas particulièrement détendu et souriant au moment de se présenter à l’interview il y a une semaine.

Détendu, mais conscient qu’il fallait impérativement remettre l’équipe sur le chemin de la victoire dans les plus brefs délais.

Comment jugez-vous la situation actuelle ?

AdrieKoster : Nous traversons une période difficile, je ne peux pas le nier. Et, comme c’est souvent le cas dans ces moments-là, joueurs, coaches et dirigeants sont la proie de toutes les critiques. Qu’elles soient justifiées ou totalement imaginaires. Dorge Kouemaha aurait par exemple été aperçu à un concert, la veille du derby, alors qu’il était chez lui… En interne, il convient de rester serein et de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire le foot. La seule manière de couper court à toutes ces rumeurs est de sortir de la spirale négative dans laquelle on s’est enfoncé, et de gagner des matches. En ce qui me concerne, je suis confiant. Il faut analyser les causes qui nous ont conduits dans cette mauvaise passe. Selon moi, les moments les plus difficiles sont désormais derrière nous. J’ai la conviction qu’on se retrouvera très bientôt à une place davantage en rapport avec le potentiel réel de Bruges.

Ces difficultés ont-elles surgi dès le premier match de championnat à Courtrai, où le Club s’est incliné alors qu’il sortait d’une bonne préparation ?

Cette défaite initiale a effectivement marqué, très tôt, un coup d’arrêt et a fait ressurgir les vieux démons après une préparation qui, contrairement à la précédente, avait été excellente. En 2009, la préparation avait été mauvaise, en tout cas sur le plan des résultats car j’ai toujours expliqué qu’il y avait des raisons à cela. Entre autres, le fait que je débarquais et que je souhaitais tester toutes les possibilités que recelait le Club. Puis, le début de championnat avait été très bon.

En fait, c’est toute l’année 2010 qui se révèle très moyenne…

Les chiffres sont là : 13 défaites sur l’année civile. Mais je n’aime pas comparer la fin de la saison dernière avec le début de cette saison-ci. Certains joueurs sont partis, d’autres sont arrivés. On a aussi adopté un autre système de jeu, même s’il m’est arrivé de revenir, en certaines circonstances, au 4-4-2 qui était en vigueur la saison dernière. Si je tiens compte uniquement du premier tour de cette saison-ci, on a concédé six défaites. Je suis le premier à le reconnaître : c’est trop.

Trop de cartons, pas assez de constance

Le Club se signale surtout par son irrégularité…

Effectivement. De très bons moments ont alterné avec d’autres, beaucoup moins brillants. On n’est jamais parvenu à aligner une série de bons résultats. Avec, pour conséquence, le fait que la confiance engrangée dans la foulée d’une belle victoire, s’est très vite évaporée. On s’en est souvent bien sortis face à des équipes du haut du tableau, sans doute parce que le jeu est plus ouvert dans ces matches-là. Si on a livré une première mi-temps d’une telle qualité à Anderlecht, c’était aussi dû à la manière de jouer des Bruxellois, qui nous ont offert des espaces. En revanche, on a souvent éprouvé des difficultés face à des adversaires théoriquement inférieurs, lorsqu’il fallait faire le jeu.

Etonnant, alors que le Club n’a jamais présenté autant de joueurs créatifs…

La créativité ne suffit pas toujours. Si je prends l’exemple du derby face au Cercle, je constate que l’on était la meilleure équipe sur le terrain. On a eu la maîtrise du jeu mais on n’est pas parvenu à concrétiser cette domination par des buts. Et au bout du compte, on a perdu. C’est arrivé plusieurs fois, cette saison, de perdre des matches que l’on aurait en principe dû gagner. Lorsqu’on ouvre la marque assez rapidement, on parvient généralement à prendre la mesure d’équipes qui ont tendance à se replier et à nous attendre. Mais lorsque le premier but se fait attendre, on joue un peu contre nous-mêmes.

Jadis, lorsque Bruges ne trouvait pas de solution  » footballistique « , il y avait toujours un joueur capable de propulser le ballon de la tête au fond des filets, sur une phase arrêtée…

On peut difficilement comparer les époques. Le style de jeu est tributaire du type de joueurs qu’une équipe compte en ses rangs.

Cela revient-il à dire que ce type de joueurs vous manque ?

Je pense qu’Ivan Perisic est capable d’inscrire cinq ou six buts de la tête, par saison. Mais le Croate traverse actuellement une période moins faste.

Le Club possède une tradition de football engagé. Vous prônez plutôt un football basé sur les combinaisons, à la néerlandaise. Les difficultés que vous rencontrez depuis votre arrivée en 2009, alors que peu de gens mettent vos qualités en doute, ne sont-elles pas liées à cette transition ?

Je crois que le public apprécie le football basé sur des combinaisons. Tous les spectateurs du monde veulent voir du beau football, et ceux du stade Jan Breydel ne font pas exception. Lorsque ce beau football débouche sur une victoire, ils applaudissent. Mais lorsque le match se solde par une défaite, on cherche les explications là où l’on croit pouvoir en trouver. Pour les uns c’est un problème physique, pour les autres un problème mental, et pour les troisièmes un problème tactique…

Et pour vous ?

Il y a diverses explications, qui varient d’un match à l’autre. Une équipe peut traverser une période de moindre conjoncture, mais ce n’est pas pour autant que l’entraîneur doit renoncer à ses principes, à ses convictions.

 » Je n’ai protégé personne « 

Certains évoquent un manque de qualité dans l’effectif, et en veulent pour preuve le fait que le Club compte peu d’internationaux en ses rangs…

On vient généralement chercher les internationaux dans les équipes qui tournent. Et ce n’est pas le cas de Bruges actuellement. Il y a pas mal de joueurs qui peuvent prétendre à une sélection. Vadis Odjidja a d’ailleurs été appelé, récemment, par Georges Leekens. Ronald Vargas l’a été également, avec le Venezuela. Des joueurs comme Ivan Perisic et même Stefan Scepovic peuvent, eux aussi, prétendre à une sélection dans l’équipe A de leur pays. Mais ils sont encore jeunes.

Bruges compte-t-il assez de buteurs dans ses rangs ?

Lorsque l’effectif est au complet, oui. Mais cela a rarement été le cas cette saison. On a été privé, tout un moment, de Joseph Akpala, pour blessure. Son absence, au-delà du fait qu’elle nous privait d’un buteur, a aussi réduit les possibilités de rotations. Dorge Kouemaha nous a également manqué durant sa suspension. Scepovic est un jeune talent prometteur, qui progresse au fil des semaines, mais il est encore un peu tôt pour l’envoyer au feu.

Etes-vous trop dépendant de Vargas ?

C’est un joueur important pour l’équipe, j’en conviens. Il est rapide, crée des solutions pour les autres, et est aussi très costaud physiquement, contrairement à ce que certains prétendent. Il fait partie des quatre ou cinq joueurs qui ont progressé individuellement, depuis la saison dernière, même si collectivement l’équipe a du mal à trouver le bon rythme. Avec lui, je citerais également Perisic, Odjidja et Karel Geraerts, par exemple. C’est la preuve que tout n’est pas noir, et l’une des raisons qui me poussent à penser que l’on sortira très bientôt de cette mauvaise passe.

Ne regrettez-vous d’avoir laissé partir Wesley Sonck ?

Je ne l’ai pas laissé partir. C’est lui qui a décidé de quitter le Club. Un contrat d’un an lui a été proposé, il l’a refusé. A partir de là, que puis-je faire ? Je ne pouvais pas lui garantir une place de titulaire. Ni à lui, ni à personne.

Pas même à Ryan Donk ?

Pas même à Ryan Donk, non.

L’avez-vous parfois protégé ?

Jamais. J’analyse le comportement des joueurs sur le terrain, et aussi le comportement de ceux qui prétendent prendre la place des titulaires. Je trouve que, pendant toute une période, Ryan a livré de très bons matches. Puis, il a connu une période plus difficile. C’est à lui à travailler pour retrouver son niveau. Jeroen Simaeys avait aussi perdu sa place, à un moment donné.

Donk est-il nonchalant, comme certains le prétendent ?

C’est l’impression qu’il donne. Sa manière de jouer laisse parfois penser qu’il est nonchalant, mais ce n’est pas du tout le cas.

Daan Van Gyseghem a dû longtemps attendre sa chance. L’a-t-il saisie ?

Il arrive toujours un moment où la chance se présente. Pour Daan, elle s’est présentée lorsque Ryan s’est blessé durant l’échauffement à Anderlecht. Lorsqu’on est remplaçant, il faut montrer tous les jours, à l’entraînement ou lors des matches des Espoirs, qu’on est meilleur que le titulaire. Précédemment, Daan n’avait peut-être pas frappé à la porte avec assez de conviction. Affirmer qu’il n’a pas reçu sa chance parce que Donk avait un passe-droit est une hérésie.

Des erreurs de jeunesse qui coûtent cher

Bruges encaisse énormément de buts sur phases arrêtées, c’est l’un des soucis que vous rencontrez…

Pourtant, on travaille énormément ce genre de phases. Autant qu’ailleurs, j’en suis persuadé. Les joueurs savent exactement ce qu’ils doivent faire dans telle ou telle situation, quel homme ils doivent tenir. Après, c’est une question d’exécution. Un match de football se joue aussi sur des erreurs. Si l’on ne commettait jamais d’erreurs, on ne verrait jamais de buts. Tout l’art consiste à commettre moins d’erreurs que l’adversaire.

On a parfois évoqué un problème de discipline dans votre équipe…

On n’est pas toujours parvenu à trouver un bon équilibre entre la technique, le mental et la discipline, j’en conviens.

Les joueurs actuels sont-ils moins disciplinés que leurs prédécesseurs ?

Ils ont sans doute été éduqués différemment, mais je ne pense pas qu’ils soient moins disciplinés. Croyez-vous que ce soit la foire, dans notre vestiaire ? Une ligne de conduite a été tracée, et lorsqu’il arrive à certains de la dépasser, ils sont rapidement rappelés à l’ordre et ramenés dans le droit chemin.

Des fautes stupides vous ont parfois causé un lourd préjudice…

Oui, c’est clair. Certains joueurs ont tendance à perdre le contrôle de leurs nerfs au mauvais moment, mais existe-t-il un bon moment pour sortir de ses gonds. Des erreurs de jeunesse nous ont parfois coûté très cher. Si je prends l’exclusion de Maxime Lestienne au Germinal Beerschot, elle résulte d’une faute totalement inutile en milieu de terrain. On avait le match en mains et ce carton rouge nous a coûté l’élimination en Coupe de Belgique. D’autres joueurs ont écopé de cartons rouges totalement évitables, et l’on songe forcément à Jonathan Blondel dans ce cas-là. Perisic a, lui aussi, été confronté à cette situation. J’espère qu’ils en tireront les leçons, car ils mettent leurs partenaires en difficultés. A dix contre onze, on n’est généralement plus capable de faire le jeu, on est obligé de le subir. Et cela débouche souvent sur une défaite. La saison dernière, j’ai parfois réussi à compenser une infériorité numérique en jouant homme contre homme derrière, mais cette saison-ci, cette audace ne paie plus.

Vous avez toujours eu le bon goût de pointer vos joueurs du doigt, au lieu de jouer au Calimero en incriminant l’arbitrage…

Je trouve trop facile d’incriminer l’arbitrage, il faut aussi être capable de balayer devant sa porte.

Comment pouvez-vous éviter ces cartons rouges ?

En parlant fréquemment aux joueurs, en leur faisant comprendre qu’ils doivent contrôler leurs émotions. J’ai l’impression que le message commence à passer… Je ne pense pas qu’un seul de mes joueurs ait jamais taclé avec l’intention de blesser un adversaire. Ils doivent apprendre à rester agressif dans les duels sans pour autant se jeter d’une façon trop impétueuse. Mais c’est précisément le plus difficile en football.

 » Louper les play-offs I ? Inimaginable ! »

Bruges compte-t-il trop de joueurs  » difficiles  » dans son effectif ?

Je n’utiliserais pas le mot  » difficile « . Chaque joueur a son caractère, et c’est parfois la diversité des caractères qui fait la force d’une équipe. Ce sont souvent des joueurs assez jeunes. Ils se calmeront avec l’âge, du moins je l’espère.

Nabil Dirar a été rétrogradé dans le noyau B, avant d’être rappelé dans le noyau A…

Il a été sanctionné, mais chacun a droit à une deuxième chance. Je ne l’ai pas rappelé parce qu’on avait besoin de lui. On a tous commis des erreurs, et il n’y a pas de raison que certains paient plus que d’autres. Lorsque tout le monde tirera à la même corde, on pourra remonter la pente.

Et Perisic ?

Un sportif doit vivre pour son sport et consentir des sacrifices. Il doit aussi être capable d’écouter son corps, savoir ce dont il a besoin pour être en forme et ce qu’il doit éviter. Il faut aussi pouvoir faire son autocritique, et ne pas être trop vite satisfait. Le jour où ce sera le cas, Ivan pourra arriver très loin. C’est un processus par lequel tout jeune joueur doit passer, et qui peut prendre du temps.

Certains ont l’impression que vous voulez redonner la priorité à la mentalité. Lors du derby contre le Cercle, des joueurs créatifs comme Perisic et Dirar étaient sur le banc…

Ivan revenait de blessure, Nabil du noyau B. C’est tout de même logique qu’ils ne réintègrent pas directement l’équipe comme titulaires, non ? Lorsque je compose mon équipe, je regarde d’abord qui est disponible, puis je tiens compte de l’état physique et mental des joueurs, et aussi des spécificités de l’adversaire. Contre le Lierse, par exemple, j’avais volontairement opté pour des joueurs qui étaient en manque de temps de jeu car c’était le quatrième match en dix jours, et pour un entrejeu à quatre, car j’estimais que c’était en dominant le milieu de terrain qu’on avait le plus de chances de battre l’adversaire.

Peut-on imaginer voir Bruges louper les play-offs I, comme ce fut le cas du Standard la saison dernière ?

Non, je ne peux l’imaginer. Il nous reste 13 matches pour nous classer en ordre utile. Et on y parviendra.

Eric Van Meir a présenté sa démission après la défaite contre Saint-Trond, avant de revenir sur sa décision au lendemain d’une nuit de réflexion. Pouvez-vous comprendre cette attitude ?

Je peux la comprendre, oui. Eric est encore un jeune entraîneur, qui est confronté pour la première fois à la pression qui pèse sur les épaules d’un T1. En ce qui me concerne, j’ai tout de même déjà une certaine expérience en la matière, c’est sans doute pour cela que je reste serein.

Bruges est-il encore loin du niveau de l’Ajax que vous avez connu ?

On ne peut pas comparer Bruges avec l’Ajax. Les Amstellodamois ont un budget trois fois supérieur au nôtre. Cela leur permet de travailleur avec plus de personnel, et je ne parle pas uniquement des joueurs, mais aussi du staff, des dirigeants, des scouts. Quand les moyens sont inférieurs, on doit essayer de se structurer le mieux possible pour obtenir, malgré tout, des résultats.

Vous jouez cette semaine au PAOK Salonique. Quelle importance accordez-vous encore à l’Europa League ?

Il faut être réaliste : avec deux points en quatre matches, nos chances de qualification sont devenues très minces. On a pourtant livré de bonnes prestations, à mon sens, mais le groupe est très équilibré et des détails ont fait en sorte qu’on n’a pas pris les points qu’on pouvait espérer.

Comptez-vous mettre ces matches à profit pour tenter certaines expériences en vue du championnat ?

Je n’ai pas encore poussé la réflexion aussi loin. On verra.

PAR DANIEL DEVOS

 » Si on a livré une première mi-temps d’une telle qualité à Anderlecht, c’était aussi dû à la manière de jouer des Bruxellois « 

 » Je n’ai pas chassé Wesley Sonck, il a refusé le contrat qu’on lui a proposé « 

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