« On est méchant : on veut tout gagner »

Pour le médian français, son équipe actuelle est le parfait mélange de ses deux derniers clubs : Arsenal et Juve.

La saison dernière, à la Juventus, il formait avec Emerson la paire centrale la plus performante du Calcio. Il est arrivé à l’Inter l’été dernier et pourtant, il semble y être depuis toujours. Les premiers matches amicaux lui ont suffi pour trouver sa voie. Sa course, son sens tactique, son caractère et son adresse des deux pieds, lui ont permis de faire directement partie des leaders du vestiaire. Il n’a plus rien à voir avec le jeune ayant débarqué douze ans plus tôt à l’AC Milan. Après neuf saisons à Arsenal, des titres de champion, des Coupes d’Angleterre et le brassard de capitaine sans oublier un titre de champion du monde et d’Europe avec la France, il y a de quoi inspirer le respect.  » La seule chose qui lui est restée, ce sont ses jambes de flamant rose « , explique Fabio Capello, qui l’avait connu à Milan avant de le revoir à la Juventus lors du dernier championnat.

 » Quand j’ai été acquis par Milan, je n’avais que 19 ans et je venais d’un petit club, même s’il évoluait en D1. A ma place, j’étais carrément écrasé par des joueurs à la forte personnalité comme Demetrio Albertini et Marcel Desailly. Si je n’ai disputé que deux matches de championnat, j’ai beaucoup appris à l’entraînement. Quand je suis parti à Arsenal, en 1996, je me sentais déjà un joueur différent. Plus serein, conscient de devenir plus fort tant dans les pieds que dans la tête « .

Que vous a dit Capello quand il vous a revu ?

Ses premiers mots ont été :- Je suis content de travailler de nouveau avec toi. Avant d’ajouter : -Tu n’as pas changé beaucoup depuis la dernière fois. Ce à quoi j’ai répondu qu’il était resté fidèle au souvenir que j’avais gardé de lui aussi : celui d’un entraîneur habité par l’envie de tout gagner. Entre-temps, j’étais devenu quelqu’un qui avait accumulé pas mal d’expérience, tant en football que dans la vie. J’ai grandi en France, j’ai goûté à l’Italie, j’ai mûri en Angleterre avant de revenir en Italie plus expérimenté comme homme et comme footballeur. Et surtout nanti d’une grande confiance en moi.

Au niveau footballistique, quelle est la première réflexion que vous vous êtes faite après avoir quitté l’Angleterre pour l’Italie ?

Que la mentalité du jeu était complètement différente. En Angleterre, on pense plus à attaquer qu’à défendre. Le football italien est plus évolué au niveau tactique et donc plus difficile. Mais c’est précisément cela qui m’a fasciné. Si un footballeur est doué, il joue bien partout. Je quittais aussi un environnement où il y avait moins de pression, moins de polémiques et de nervosité. C’est appréciable, même si les tensions peuvent aider à améliorer les performances.

Avez-vous songé, ne fût-ce qu’un seul instant, en début de saison que tout aurait été aussi facile ?

Quand tu vois autour de toi tant de champions, tu es conscient que tu fais partie d’un groupe capable de réussir de grandes choses. Evidemment, il arrive très souvent que le terrain en décide autrement. Notre mérite est de concrétiser toutes ces belles ambitions au point de donner l’impression qu’elles sont faciles à réaliser.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que la Série A est boiteuse et trop facile ?

Ce championnat ne me semble pas si boiteux que cela. De toute façon, ce n’est pas la faute de l’Inter si la Juventus n’est pas là et que Milan a écopé d’une pénalisation.

Et à ceux qui ont dit que Vieira devait se sentir gêné en tant qu’ex-joueur de la Juventus de porter l’écusson de champion sur le torse ?

Le titre de l’année dernière, je l’ai remporté sur le terrain et je l’ai mérité. Cela dépendait de moi, ce qui n’est pas le cas de tout le reste. Cette année, je ne l’ai pas encore gagné mais j’espère l’empocher comme il y a douze mois parce qu’avec l’Inter j’ai été plus fort que les autres.

Que possède l’Inter en plus par rapport à l’année dernière ?

Les nouveaux venus ont amené leur soif de succès. Cette équipe est formée de gens qui démontrent une plus grande méchanceté et affichent une plus grande envie de vaincre. De gagner tous leurs matches, de gagner tous les trophées.

Un fameux doublé en tête !

Y compris le doublé championnat-Ligue des Champions ?

Nous avons l’équipe pour y parvenir à condition qu’aucun d’entre nous ne fasse preuve de distraction et que nous parvenions à rester concentrés sur tous les objectifs. Oui, on peut réaliser le doublé. Ce sera dur mais c’est faisable.

Cette façon de penser est semblable à celle en vigueur à la Juventus. L’Inter est-elle semblable à votre Juve ?

Oui, par sa capacité de n’être jamais repue. Une minute après avoir gagné un match, nous nous disons déjà : -OK, cette rencontre est dans la poche mais maintenant nous devons penser à gagner la prochaine Autre caractéristique commune : ce groupe est composé de tant de joueurs forts, même très forts, qui savent qu’il n’est pas possible de faire abstraction du groupe. C’est précisément cette force qui m’avait le plus surpris quand j’ai débarqué à la Juventus et je l’ai retrouvée ici. En fait, cette Inter me rappelle mon premier Arsenal, une équipe qui avait compris d’être forte alors qu’elle n’était pas encore accomplie. Elle était en train de grandir et, chaque jour, elle apprenait à le devenir.

Quelle est la différence entre cette Inter et votre Juventus ?

Peut-être qu’ici l’ambiance est plus familiale, plus relax dans le bon sens du terme A la Juventus, on finissait par vivre un autre genre de pressions. Tout semblait plus rigide, plus contrôlé.

Quand on voit le cannibalisme dont elle fait preuve, l’Inter ne semble pas relax.

Effectivement, mais j’ai bien dit dans le bon sens du terme. Je vais mieux m’expliquer en dévoilant ce que l’on peut considérer comme deux secrets de cette Inter. Le premier, c’est que nous avons tous la même idée en tête, c’est-à-dire que nous pensons prioritairement à l’équipe avant de songer à notre personne. Le second, c’est de savoir qu’il n’est pas facile de s’y tenir et qu’il faut travailler là-dessus. Alors quand dans un noyau, il y a tant d’hommes qui sont convaincus de l’importance de faire corps et qu’en plus, ils sont doués, tu dois te dire que tu as de la chance parce que c’est quelque chose qui n’arrive pas toutes les années. C’est pour cela que nous ne pouvons pas nous permettre de nous tromper. Pas question de faire preuve de peu d’envie, de distraction, de jalousie, de litiges. Non rien, parce que l’instant c’est maintenant !

Voua avez parlé de litiges : vous rappelez-vous les vôtres avec Stankovic après le derby ?

C’était une incompréhension mais c’est moi qui me suis trompé. Je lui ai d’ailleurs présenté mes excuses parce qu’une relation honnête est une condition fondamentale pour avoir une grande équipe. C’est d’autant plus primordial qu’une grande équipe est composée de footballeurs à forte personnalité. Il suffit de venir assister à un de nos entraînements.

C’est-à-dire ?

Dans ma carrière, je ne me suis jamais autant disputé lors des petits matches d’entraînement comme cette année. C’est beau. C’est là que se trouve notre force, dans le désir manifesté par chacun de démontrer chaque jour toute l’envie qu’il a de gagner.

Vous jouez différemment cette saison. Vous n’êtes plus un joueur axial pur.

Pendant tant d’années, j’ai toujours évolué au centre. Donc, le fait de me trouver plus sur la droite signifie que je ne joue pas dans la position que je préfère. Je touche moins de ballons et je suis un peu moins dans le vif de l’action. Mais si je n’ai pas ressenti de frustration, c’est parce que ce qui compte le plus pour moi, c’est de jouer le plus possible. Et puis, j’ai compris que dans une équipe comme celle-ci, tout le monde ne peut prétendre évoluer à son poste de prédilection.

Le talent est là

Si on analyse le jeu de l’Inter, on a l’impression que le football d’aujourd’hui se base avant tout sur un entrejeu robuste, garantissant un grand volume de jeu.

L’agressivité ne suffit pas. Il est impossible d’évoluer de la sorte si on ne possède pas des joueurs de talent, des footballeurs capables d’animer le jeu. J’ai le sentiment que l’Inter les a.

Comment analysez-vous l’évolution de Zlatan Ibrahimovic, qui était votre équipier à la Juventus ?

A la Juventus, Ibra était plus incohérent dans sa façon de penser et cela se répercutait sur sa manière de bouger sur le terrain. Si Ibra a tout : la technique, le physique, la vitesse, il doit apprendre à rester concentré plus longtemps sur ce qui est essentiel. Il a effectué des progrès mais comme il est encore jeune, nous n’avons pas encore pu nous rendre compte de son potentiel.

Thierry Henry est votre grand ami. Est-il exact que vous avez parlé de son probable futur à l’Inter ?

Titi et moi parlons de beaucoup de choses mais certainement pas de son futur. Ce que je peux dire c’est qu’à Arsenal, il a tout ce qu’un grand joueur peut souhaiter : la considération, des satisfactions sportives et un gros contrat. Dans l’absolu, il est difficile pour lui de s’en aller. Evidemment, tout peut arriver.

Vous saviez en venant en Italie que les tensions ne seraient pas seulement liées à un penalty ou un hors-jeu accordé ou non. Etiez-vous conscient que les joueurs de couleur subissaient parfois des coups de sifflets ou étaient victimes d’insultes ?

Bien sûr que j’y ai pensé avant de signer avec la Juventus. J’en ai conclu que le problème n’était pas le mien mais plutôt de ceux qui se comportent de telle manière et que, de toute façon, ils ne représentent qu’une minorité.

Vous avez failli être l’équipier de Sinisa Mihajlovic (qui vient d’arrêter à l’Inter)… que vous avez accusé d’avoir tenu des propos racistes à votre égard lors d’un match de Ligue des Champions entre Arsenal et la Lazio en 2000.

Il y a des choses dont je ne préfère pas parler.

Auriez-vous pensé qu’une affaire comme celle de Catane pourrait avoir lieu ?

J’ai joué pendant neuf ans en Angleterre et j’ai donc connu certaines tensions mais je n’avais jamais vu une chose pareille.

Vous vous êtes demandé comment cela a pu arriver et pourquoi ?

C’est tout simplement une question d’ignorance, d’un manque d’éducation.

Fallait-il un mort pour que les choses changent ?

C’est un problème de notre société, pas seulement de l’italienne. On attend souvent un drame pour édicter des lois.

Les lois vont être plus dures. Pensez-vous que le modèle anglais fonctionne bien ?

Ce que je sais c’est que les Anglais avaient beaucoup de problèmes et qu’ils les ont résolus. Du coup, on revoit aux matches des enfants, des familles et des gens heureux d’entrer dans un stade.

Et les matches à huis clos ?

C’était une sensation étrange mais dans l’immédiat c’était sans doute la seule bonne décision. Pas à long terme car sans spectateurs, le football ce n’est plus le football. Le seul remède est de prendre des mesures et de tout mettre en £uvre pour les faire respecter. Tout ne se met pas en place en une nuit. Il faut du temps, de la patience et surtout la volonté de vraiment voir changer les choses.

andrea elefante (esm) et nicolas ribaudo

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