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 » Non, la Belgique n’est pas trop compliquée « 

Après trois mois aux côtés de son prédécesseur Eddy De Smedt, Olav Spahl (44 ans) a pris ses fonctions, début décembre, comme nouveau directeur du sport de haut niveau du COIB, exactement 600 jours avant l’ouverture des Jeux Olympiques de Tokyo..

« La semaine dernière, j’ai mis une heure et demie pour rejoindre mon domicile de Woluwé-Saint-Lambert, à partir de la gare centrale. Soit un trajet de huit kilomètres. La faute aux gilets jaunes… « , soupire Olav Spahl. Ce n’est pas la première fois, en quatre mois à Bruxelles, qu’il est pris dans les embouteillages de notre capitale. Mais il s’adapte :  » La prochaine fois, je prendrai le vélo ou le métro.  »

Spahl parlait déjà le français avant sa venue en Belgique.  » J’ai étudié le français et l’espagnol à l’université de Cologne. Avec l’objectif de devenir enseignant, mais je n’ai jamais embrassé cette profession.  » En 2001, à l’âge de 27 ans, il est en effet devenu coach à la fédération allemande de natation. En plus du français, Spahl a également étudié les sciences sportives à la célèbre Haute École de Cologne.

L’Allemand a aussi appris à maîtriser le néerlandais en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.  » En août, pendant deux semaines, j’ai suivi des cours au rythme de six heures par jour. Ensuite, la pratique a fait le reste. J’ai donné des interviews en néerlandais, par exemple. Lorsqu’on aime les langues, ce qui est mon cas, on assimile rapidement. L’allemand et le néerlandais sont d’ailleurs très proches.  »

Spahl vient de mettre un terme à sa carrière de nageur de compétition, après 17 ans passés dans les bassins.  » À 10 ans, j’ai été percuté par une voiture alors que je roulais à vélo. J’ai eu la cuisse fracturée, et les médecins m’ont conseillé de pratiquer la natation, afin de reconstruire mes muscles. Je me suis pris au jeu : les entraînements, le travail avec un coach, la compétition… Tout ça me plaisait beaucoup.

Et, bien que mes parents n’aient jamais fait de sport – mon père travaillait pour la Défense, ma mère était comptable – ils m’ont soutenu à fond. C’est ainsi que j’ai atteint la finale des championnats d’Allemagne, sur 400 mètres 4 nages et 4×200 mètres nage libre. Pour atteindre le subtop international et compenser mon manque de talent – je ne suis pas très grand (1m76) – je devais m’entraîner davantage que les autres. Mais mes études ont toujours gardé la priorité.  »

Cinq olympiades au compteur

Après sa dernière compétition de natation – le Championnat du monde des Masters à Munich en 2000 – Spahl a commencé à travailler pour la fédération allemande. D’abord comme coach, puis comme embedded scientist –  » j’analysais des données d’entraînements et de compétition, j’étudiais les effets des stages d’altitude…  » – et à partir de 2005 comme sélectionneur national adjoint, jusqu’aux Jeux de Pékin en 2008.

Ensuite, Spahl est devenu responsable du département Support und Service Management au sein de la section sport de haut niveau du Comité olympique allemand.  » Avec dix collaborateurs à mon service, j’étais à la tête de deux instituts : celui des sciences sportives adaptées de Leipzig et celui du développement et de la production de matériel sportif à Berlin.

J’étais aussi le coordinateur de 18 centres pour sportifs de haut niveau répartis dans les 16 Länder (départements) d’Allemagne. J’ai participé à cinq Jeux Olympiques dans cette fonction : Vancouver 2010, Londres 2012, Sotchi 2014, Rio 2016 et PyeongChang 2018. J’étais chef de mission adjoint de l’équipe allemande lors des deux Jeux d’hiver.  »

Avant l’ouverture des derniers Jeux d’hiver en Corée du Sud, Spahl a eu l’attention attirée par ce poste vacant au sein du COIB, qui cherchait un successeur au directeur du sport de haut niveau Eddy De Smedt.  » Une amie m’a téléphoné : Tu devrais regarder le profil recherché : il te correspond parfaitement ! C’est Olav qu’ils cherchent ! Elle avait raison.

J’ai donc posé ma candidature pendant les fêtes de fin d’année. Après le Nouvel An, j’ai discuté avec le président du COIB Pierre-Olivier Beckers, le CEO Philippe Vander Putten et Eddy De Smedt, et j’ai reçu la bonne nouvelle en avril. Je n’avais plus qu’à dire oui. J’ai définitivement tourné le bouton pendant mes vacances dans le sud de la France. Un déménagement à Bruxelles ne me posait aucun problème : ma petite amie travaille à la Fédération Internationale d’Athlétisme et est habituée à se déplacer.

Je me suis aussi rapproché de ma famille et de mes amis, qui habitent à Hilden, près de Cologne. Selon leur perception du moins, car Bruxelles est aussi éloigné que Francfort, où j’ai résidé ces huit dernières années, près du quartier général du Comité Olympique allemand.

Plus proche des athlètes

En s’établissant en Belgique, Spahl a toutefois découvert un pays où il avait rarement mis les pieds avant 2018.  » En tant qu’étudiant, j’avais séjourné une semaine à Liège pendant trois ans d’affilée, sur base d’un programme d’échange. Et, comme nageur, j’ai effectué un stage à Eupen en 1999. Mais c’est tout. Je ne connaissais pas très bien le sport belge non plus.

Je connaissais évidemment Jean-Marie Pfaff – qui ne le connaît pas en Allemagne ? – et d’autres footballeurs de Bundesliga : Kevin De Bruyne, Koen Casteels, Thorgan Hazard… De mon passé de nageur, j’ai également retenu les noms de Pieter Timmers, Fred Deburghgraeve, Brigitte Becue… Mais pour le reste ?  »

Olav Spahl :
Olav Spahl :  » J’espère rester au moins dix ans en Belgique. « © BELGAIMAGE

Pourtant, Spahl n’a pas hésité à franchir le pas vers cette Belgique qui lui était inconnue.  » C’est précisément cela qui m’attirait : repousser mes frontières, utiliser ma connaissance des langues. Pour, de cette manière, diriger une nouvelle équipe, plonger dans un nouveau monde sportif, établir des contacts étroits avec les coachs et les athlètes.

Car c’était un ‘inconvénient’ de ma fonction au Comité Olympique allemand : j’étais souvent en voyage, mais j’avais surtout des rapports avec des gens qui travaillaient avec les entraîneurs et les sportifs. Dans ma fonction au COIB, la distance est moins grande, tout comme le nombre d’athlètes olympiques potentiels : l’Allemagne en possède 4.000, la Belgique dix fois moins.

Le courant est directement bien passé avec Eddy De Smedt et Philippe Vander Putten. Lorsqu’ils m’ont transmis la proposition après ma candidature, je n’ai même pas été surpris. Je suis toujours très sûr de moi lorsque je me fixe un objectif.  »

Spahl s’est très bien préparé avant de commencer son travail au COIB, le 3 septembre.  » J’ai presté mon dernier jour au Comité Olympique allemand le 3 juillet. Après, j’ai beaucoup réfléchi pendant les vacances cyclistes que je me suis offertes au Danemark, où j’ai roulé 120 kilomètres par jour. Je me suis demandé quelles leçons je devais tirer de mon expérience en Allemagne.

Astérix chez les Belges

Début août, pendant les Championnats d’Europe multisports à Glasgow et Berlin, j’ai regardé les athlètes allemands d’un oeil et les athlètes belges de l’autre oeil. J’ai aussi beaucoup lu : les journaux belges quotidiennement, mais aussi des livres sur l’histoire du sport belge, la situation politique, les structures du sport de haut niveau, les installations… Et Astérix chez les Belges, une bande dessinée que des amis m’ont offerte en cadeau.  » ( il rit)

La principale question qu’a posée Spahl à toutes les personnes qu’il rencontrait : à quoi correspond l’esprit belge ?  » Dans la fonction que j’occupe, c’est important de le savoir. Je dois encore me faire une opinion définitive, mais ce qui m’a interpellé, c’est la différence qui existe entre la Flandre, la Wallonie et même la région germanophone. En matière de langue, d’éducation, de vision de la société, de philosophie, d’idéologie politique… Mais, dans chaque région, on est fier de ses caractéristiques propres.

Le fait que je sois ‘neutre’, en tant qu’Allemand, peut être un avantage dans ce domaine. Comme Roberto Martinez chez les Diables Rouges. Je me vois davantage comme un conciliateur. Le plus important, ce n’est pas le pont que l’on construit, mais les gens qui le traversent, et qui se rencontrent, qui échangent des idées. Peu importe que les opinions soient différentes, pourvu que l’on puisse discuter ouvertement et honnêtement, et que l’on prenne finalement une bonne décision.  »

C’est en agissant de la sorte que Spahl tente de chasser le scepticisme qui a entouré sa nomination. L’idée d’un étranger comme nouveau directeur du sport de haut niveau n’a pas suscité l’enthousiasme chez tout le monde.  » Je l’ai ressenti, en effet, mais c’est normal. C’est précisément pour cette raison qu’il est important que je sache comment la Belgique fonctionne, et que je parle les trois langues nationales…  »

Spahl estime qu’il est important que, pendant les Jeux, tous les Belges puissent s’identifier à l’équipe nationale olympique.  » Comme les Diables Rouges, le Team Belgium doit refléter la diversité de ce pays. Chaque Belge doit pouvoir dire : Je me retrouve dans le Team Belgium. Je suis fier de cet athlète de ma commune, de ma région. S’il réussit, je peux réussir également.

Le COIB doit, dès lors, faire preuve d’un esprit d’ouverture, démontrer que chacun – quelle que soit sa langue, son origine, sa couleur de peau… – est le bienvenu dans le Team Belgium, du moins s’il satisfait aux critères de sélection.  »

Plus souvent le Top 8

Mais Spahl n’est pas dupe, il sait que, s’il n’y a pas de résultats, le pays ne s’identifiera pas à ses athlètes. Pour l’instant, il refuse encore de se prononcer sur les ambitions de médailles pour Tokyo 2020.  » La seule chose que nous pouvons annoncer, en tant que COIB, est que nous souhaitons plus d’athlètes dans le Top 8. Ils étaient 19 à Rio.

Mais il est difficile de prédire dès aujourd’hui, fin 2018, combien de médailles nous récolterons. Le plus important, pour un sportif, est d’exprimer au mieux tout son potentiel. Après, la place qu’il ou elle obtiendra dépend aussi de la concurrence.  »

Le nouveau directeur du sport de haut niveau est également conscient que son influence sur les résultats à Tokyo sera mince.  » Microscopique, même. Le bilan final sera en grande partie fonction du travail accompli par la direction sportive au cours de ces dernières années. Au cours des 600 prochains jours, je pourrai simplement apporter une petite touche, çà et là. Par exemple, dans la manière de préparer mentalement les athlètes à la pression du public, des médias, d’eux-mêmes.

Ma mission la plus importante est de créer des conditions – en matière d’encadrement, de facilités d’entraînement, des stages, de matches amicaux… – qui permettront à chaque sportif en mesure d’ambitionner une place dans le Top 8 de se concentrer de façon optimale sur les Jeux. Ne pas le dorloter, mais lui ôter tous les soucis. En tenant compte du budget, bien entendu, car tout a un coût.  »

Mais Spahl regarde déjà (bien) plus loin que Tokyo 2020 : il a aussi des vues sur Paris 2024, Los Angeles 2028, et les prochains Jeux Olympiques d’hiver.  » Le sport de haut niveau, c’est un travail de longue haleine. Nous devons former aujourd’hui les candidats aux médailles pour LA 2028. Pour Paris 2024, nous pouvons même déjà déterminer quels athlètes – notamment ceux qui font partie du projet de talents Be Gold – peuvent espérer des résultats.  »

Un masterplan dans l’optique de 2028

Et donc, l’Allemand travaille à un ‘masterplan’ dans l’optique de LA 2028.  » La stratégie a définir : comment voulons-nous atteindre notre but ? De quoi ont besoin nos athlètes ? Qui doit accomplir quelle tâche ? Je veux définir tout cela en concertation avec tous les acteurs : les sportifs, les coachs, les experts, les fédérations… Avec les trois communautés également, car nous sommes dépendants de chaque nouvelle législature politique.

Je ne peux rien promettre, car mon apport reste minime, mais je peux assurer que je ferai le maximum pour rénover/construire des infrastructures de haut niveau, organiser des tournois de qualification en Belgique, développer une bonne gestion au sein des fédérations, soutenir les athlètes du mieux que je peux afin qu’eux-mêmes puissent se concentrer sur leur recherche de l’excellence.

Spahl espère, à long terme, stimuler les résultats des athlètes olympiques belges, développer la culture du sport de haut niveau dans ce pays et accroître son impact durable sur l’ensemble de la société. Nous ne pourrons faire le bilan de ses actes qu’en 2028, affirme-t-il.

 » J’espère donc rester au moins dix ans ici. Même si, pendant toute cette période, je dois encore composer avec les embouteillages quotidiens en Belgique  » ( il rit).

Des interrogations aux félicitations

 » Lorsque la nouvelle de son engagement par le COIB s’est propagée, certains collègues allemands ont évoqué la Belgique de manière un peu condescendante,  » affirme Olav Spahl. Mais lorsque les Diables Rouges ont atteint les demi-finales de la Coupe du monde, que Koen Naert et Nafi Thiam se sont emparés de la médaille d’or au Championnat d’Europe à Berlin, et qu’ Emma Plasschaert est devenue championne du monde la même semaine, leur regard a changé.

 » Un collègue m’a envoyé un sms depuis le Championnat du monde de voile, avec des photos d’une Emma triomphante, avec le message : Olav, tu as pris la bonne décision ! Après le titre mondial de Nina Derwael, certains sont même devenus curieux et ont voulu en savoir plus sur les raisons de ces succès : Hé, Olav, que se passe-t-il là-bas en Belgique ?

Et lorsque les Red Lions ont conquis la médaille d’or à la Coupe du monde de hockey, après avoir éliminé les Allemands en quart de finale, j’ai reçu des félicitations : Au moins, nous avons perdu contre le nouveau champion du monde ! En Allemagne, on respecte donc de plus en plus la Belgique en tant que nation sportive, et il n’en va sans doute pas autrement dans d’autres pays. « 

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