Ni Mauve, ni Diable

Le capitaine de Genk (28 ans), désormais Belge, explique pourquoi il n’a pas eu une carrière proportionnelle à son talent.

A l’image d’Anderlecht et de Bruges, Genk est déjà éliminé de la Coupe. Il est vrai qu’il se déplaçait au Standard, et qu’un penalty généreux ainsi qu’un cadeau d’Eric Matoukou à Mémé Tchité ont décidé de l’issue du match. Le capitaine Joao Carlos admet toutefois que les Limbourgeois traversent une période plus difficile :  » L’absence de Kevin De Bruyne n’y est sans doute pas étrangère. On a d’autres joueurs capables de jouer à sa position, mais ce n’est pas pareil. Marvin Ogunjimi, un parfait complément pour Jelle Vossen, nous a aussi manqué. Il est de retour, mais après avoir perdu quatre kilos, il n’est pas encore à 100 %. Le plus important, c’est qu’on soit toujours en tête… « 

Comment expliquez-vous ce début de saison tonitruant ?

On a poursuivi sur la lancée des playoffs. Ce sont les mêmes joueurs que la saison dernière, mais après avoir conquis un ticket européen en partant de la 11e place, on s’est forgé un mental d’acier. On a conservé ce mental durant le stage de préparation à Coxyde, et tout le monde a adopté la bonne attitude.

Quel est le mérite de Frankie Vercauteren ?

Il a trouvé le système de jeu qui nous convenait, et a su employer les mots justes. Quand on entraîne des adultes, on ne doit plus expliquer comment il faut frapper ou contrôler un ballon. Tout dépend du mental, du comportement que l’on adopte sur le terrain. Aussi longtemps que l’on restera en tête, la confiance sera présente. Il faudra voir ce qu’il se passera si la période difficile se prolonge. Là, le doute pourrait se réinstaller, certains pourraient se dire : – Shit, celarecommence ! Or, désormais, l’attente des supporters est grande. Au départ, l’ambition était le top 6, mais vu le début de saison, certains se mettent à rêver du titre.

Est-ce réaliste ?

On peut être champion, oui. Mais avec ce système de playoffs, on recommencera quasiment de zéro au printemps. Ce système nous a été profitable la saison dernière, puisqu’il nous a permis d’être européen, mais il pourrait nous être défavorable cette fois-ci.

C’est votre troisième saison à Genk. La meilleure ?

Individuellement, je pense que j’étais meilleur durant ma première saison, mais l’équipe était calfeutrée dans le ventre mou du classement. C’est difficile de se mettre en évidence, dans ces conditions-là. Cette saison-ci, il en va tout autrement.

Un passeport belge pour toute la famille

Vous avez aussi un passeport belge, désormais.

Oui, cela va faire bientôt un an, mais comme je ne l’ai pas clamé sur tous les toits, on en parle peu. Toute ma famille est belge : mes deux enfants, mon épouse et moi. Ils parlent tous couramment le néerlandais. C’est pour eux que j’ai demandé ce passeport belge, pas spécialement pour jouer avec les Diables. Cela dit, si Georges Leekens m’appelle, je viens les yeux fermés. Avec le Brésil, j’ai seulement été international en U17, et pour jouer en Seleçao, c’est trop tard. Après six ans en Belgique, plus personne ne me connaît là-bas. Avec les Diables, j’ai peut-être encore une chance, même si la concurrence est rude au poste de défenseur central.

Leekens sait-il que vous êtes Belge ?

Je suppose que oui. Il me connaît bien, on a travaillé ensemble à Lokeren. Mais ce n’est pas à moi à crier : – Georges, jesuis… Je laisse la porte ouverte. Si je devais terminer ma carrière sans avoir endossé le maillot des Diables Rouges, je ne serai pas malheureux. Il y a d’autres priorités dans la vie.

On a l’impression qu’on ne sait plus défendre en Belgique. Or, c’était jadis notre point fort…

Le football a évolué. On joue différemment. Lorsqu’on encaisse un but, on a tendance à pointer du doigt le gardien ou les défenseurs centraux. Mais la première faute vient parfois d’un autre secteur : d’un médian ou même d’un attaquant.

Quel est, à vos yeux, le meilleur défenseur du championnat de Belgique ?

Celui qui est le plus régulier sur un haut niveau est, pour moi, Roland Juhasz. Toujours bien positionné, il s’évertue à conserver une bonne organisation dans l’équipe.

Vous nous tendez la perche en parlant d’Anderlecht : beaucoup de personnes pensent qu’avec vos qualités défensives couplées à une bonne relance, vous seriez taillé pour le Sporting ?

J’ai déjà entendu cette remarque fréquemment. Si certains le pensent, j’en suis flatté. Mais ce n’est pas à moi à crier : – Jesuislemeilleur !

Avez-vous eu, un jour, des contacts avec Anderlecht ?

Oui, à l’époque où j’étais encore à Lokeren, juste avant de venir à Genk. Besnik Hasi me connaît très bien, on a joué ensemble. J’ai travaillé avec Ariel Jacobs aussi. Il y a eu des discussions, mais pour une raison étrange, le processus de transfert a été bloqué. Un problème en interne, semble-t-il. Tout le monde n’était pas sur la même longueur d’ondes. Il fallait, m’a-t-on expliqué, qu’un défenseur s’en aille. J’étais un peu cher, le prix de transfert était un peu trop élevé, on a préféré attendre pour voir s’il baisserait ou s’il n’y avait pas une meilleure opportunité qui se présenterait. Bon, voilà, je ne vais pas pleurer là-dessus.

Un joueur de votre qualité, arrivé en Belgique en 2004, n’a encore joué  » qu’à  » Lokeren et Genk, avec tout le respect que l’on doit aux Limbourgeois. Est-ce normal ?

Les circonstances l’ont décidé ainsi. J’estime avoir fait un bon choix en signant dans le Limbourg. Etre heureux dans la vie, c’est ce qu’il y a de plus important.

Un salaire dix fois plus élevé en Bulgarie

Votre premier club en Europe fut le CSKA Sofia…

Là aussi, ce sont les circonstances. C’est parfois bizarre. Un jour, avec mon club de Vasco de Gama, j’ai affronté Sao Paulo. Le grand Sao Paulo, avec Julio Batista, Kaká, Luis Fabiano. Les scouts se bousculaient dans les tribunes. Ils ne s’étaient pas déplacés pour moi, mais en cours de match, le défenseur central qui évoluait à mes côtés a écopé d’un carton rouge. J’ai tenu la baraque à moi tout seul, derrière. J’ai impressionné tout le monde. Le manager et l’entraîneur du CSKA Sofia étaient présents. L’entraîneur parlait un peu le portugais, car il avait joué au Portugal durant sa carrière. Il m’a abordé après le match et m’a demandé mon âge. Je lui ai répondu : – 18ans ! Il était stupéfait : – Cen’estpaspossible, tuasjouécommeunjoueurde25ans ! Il m’a présenté son club, qui jouait chaque année pour le titre et disputait la Coupe de l’UEFA cette année-là. La Bulgarie ne m’attirait pas, mais on m’a proposé un salaire dix fois supérieur à ce que je gagnais au Brésil. Je n’ai pas pu résister. Mon père, qui était à mes côtés, m’a encouragé à accepter également. Je me suis peut-être trop précipité. Certains me disent, aujourd’hui encore, que si j’avais attendu un an, j’aurais atterri dans un club du top. Au Vasco de Gama, j’ai joué avec des stars en devenir, comme Juninho, ou confirmées comme Bebeto. Mais, à l’époque, les scouts européens ne se déplaçaient pas aussi souvent au Brésil qu’aujourd’hui. J’avais peur que le train ne repasse pas et je ne voulais pas laisser passer une opportunité, peut-être unique, de mettre toute ma famille à l’aise. La première saison en Bulgarie s’est très bien déroulée. On a réussi le doublé Coupe-championnat, j’étais très heureux là-bas. Mais, durant la deuxième saison, cela s’est gâté. Les résultats étaient moins bons et il fallait souvent attendre son salaire. Il était temps que je parte. Je me suis attablé avec Willy Verhoost, qui m’a parlé de Lokeren. Je ne connaissais pas ce club, forcément. Et je connaissais à peine davantage le championnat de Belgique. A priori, ce n’était pas la Ligue la plus exaltante, mais je me suis rapidement rendu compte que c’était mieux que la Bulgarie. Ce pays n’avait pas encore intégré la Communauté européenne et il s’y passait parfois des choses étranges. Après une défaite, il valait mieux rester enfermé chez soi et ne pas sortir en famille.

Six ans plus tard, vous êtes toujours en Belgique… et vous êtes Belge !

Si l’on m’avait prédit cela à mon arrivée, je ne l’aurais pas cru. Beaucoup de personnes me demandent pourquoi je suis resté quatre saisons dans un  » petit  » club comme Lokeren. J’ai livré de très bonnes prestations avec les Waeslandiens, et chaque année, les propositions affluaient. Mais le président Roger Lambrecht me les cachait, car il voulait à tout prix me garder. J’ai su qu’il demandait trois millions d’euros. Pour un défenseur du championnat de Belgique, et de Lokeren en plus, c’est énorme. J’ai appris par les journaux qu’il y a eu des offres de l’Etoile Rouge Belgrade et de Valenciennes, entre autres. Ces clubs proposaient un million et demi, ou parfois deux millions. Lambrecht a refusé.

Vous êtes donc passé à côté d’une plus grande carrière ?

Oui, sans aucun doute. Elle n’est pas finie. A 28 ans, je ne suis pas vieux. Et mon passeport belge peut me faciliter l’accès à des pays comme l’Angleterre, par exemple. Mais il faut avoir vécu ailleurs pour apprécier la qualité de la vie en Belgique. J’aurais peut-être pu gagner encore beaucoup plus d’argent ailleurs, mais j’ai déjà pu réaliser certains de mes rêves. Comme celui d’offrir une maison à mes parents. Je peux aussi offrir une bonne éducation à mes enfants. Ce que j’ai gagné me permettra également, plus tard, de me lancer dans l’après-football. J’ai quelques projets, notamment en faveur d’enfants de 5 à 15 ans. Je songe aussi à acheter des appartements en bord de mer à Rio de Janeiro, que je pourrais louer. Ma carrière aurait pu être plus prestigieuse, mais elle aurait pu être pire aussi. Il y a tellement de bons joueurs au Brésil que beaucoup passent à travers les mailles du filet. Il faut avoir un peu de chance. La sélection, même dans les équipes de jeunes, est impitoyable. Il y a des joueurs hyperdoués, à qui l’on prédisait une carrière au sommet, qui sont aujourd’hui obligés de travailler comme serveur dans un fast-food pour avoir de quoi se nourrir. J’avais des amis qui n’avaient pas toujours assez d’argent pour se payer le bus pour aller à l’entraînement. Alors, de quoi me plaindrai-je ?

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: REPORTERS

 » Roger Lambrecht me cachait les propositions car il voulait à tout prix me garder. J’ai su qu’il demandait trois millions d’euros ! « 

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