Nettoyer le Calcio

Vainqueur de trois Champions Leagues avec trois clubs différents, le Hollandais livre ses remèdes.

Clarence Seedorf n’aime pas les limites. Sur le terrain, il exècre cette ligne blanche qui restreint son champ d’action. Hors des pelouses, il s’acharne sur l’imaginaire barrière noire qui pourrait entraver ses projets. Mais il existe pourtant une frontière que le médian du Milan est pleinement disposé à tracer :  » celle qui servirait à supprimer cette violence qui est en passe de tuer le football. Mon monde. La chose que j’aime le plus faire « .

Après le drame de Catane, les commentaires étaient les mêmes qu’après la mort d’un supporter de la Lazio voici 27 ans et celle du fan de Genoa il y a 12 ans. Concrètement, rien n’a changé.

Clarence Seedorf : De fait, les paroles sont inutiles si on ne passe pas à l’acte. Et en Italie, le problème de la violence dans les stades était sous-évalué, voire carrément éludé.

Que peut-on faire ?

J’avais l’impression que le décret Pisanu, du nom de l’ex-ministre de l’Intérieur, adopté en 2005, aurait obtenu des résultats. Du point de vue répressif, il prévoyait des peines sévères et la peur de finir en prison pour y rester un bon moment exerce toujours un effet dissuasif. Par la suite, j’ai l’impression que ces normes n’ont pas été appliquées et on en est revenu à une impunité générale qui n’a fait qu’augmenter les risques.

Le modèle anglais, capable d’extirper la mauvaise herbe que représentent les hooligans, est-il applicable en Italie ?

Bien sûr si toutes les parties concernées en manifestent la volonté. Nous devons comprendre que le football doit être restitué aux familles, aux enfants. Pour y parvenir, nous devons isoler, mettre en marge, punir les violents avec la prison, si c’est nécessaire.

Est-ce uniquement le problème de la non-application du code pénal ?

Bien sûr que non : la prévention est fondamentale. Mais elle doit commencer à l’école et en football dès les plus jeunes catégories. Il faut enseigner aux plus jeunes le respect de l’adversaire et l’acceptation de la défaite. Ce sont des valeurs qui doivent être considérées comme normales, pas comme des exceptions. Il faut les inculquer quand on est jeune, après c’est trop tard.

Il veut entamer une révolution

On a de nouveau entendu les théories selon lesquelles le football constitue la valve permettant le défoulement des tensions les plus profondes.

En Italie, le football attire des millions de personnes. Il est donc inévitable que, parmi tous ces gens, certains aillent au stade uniquement pour y mettre le bordel, parce que dans l’autre équipe ou dans la police on transpose les maux de sa propre vie. Mais il faut en sortir parce que l’Italie continue à être un point de référence. Le Calcio doit représenter un exemple pour les autres et pas une honte. Pour cela, il est impératif d’entamer une révolution culturelle.

Vous avez commencé la vôtre, de révolution….

J’ai 30 ans et je suis au Milan depuis cinq saisons. J’y ai trouvé mon identité en tant que footballeur et le moyen de m’accomplir en tant qu’homme. Mes dirigeants m’ont dit que je devais rester et j’ai signé ma prolongation de contrat jusqu’en 2011. J’arrêterai avec ce maillot sur le dos. Je voudrais restituer la confiance que le club a placée en moi en entrant dans le c£ur du club avec un nouveau rôle. J’ai l’intention de faire quelque chose que personne n’a jamais tenté dans le football italien : je m’occuperai de publicité et de sponsoring tout en continuant à jouer.

Une véritable révolution ?

La plus grande partie de mes collègues ne connaît même pas les noms des personnes qui travaillent au siège. Et moi, je compte travailler avec elles afin de mieux comprendre comment je peux me rendre utile en dehors du terrain. Je servirai d’intermédiaire entre le club et mes équipiers à chaque fois que le besoin s’en fera sentir.

Avez-vous demandé cette charge supplémentaire ?

Non. Et aucune clause concernant cet aspect n’existe dans mon contrat.

Il se revoit dans Gourcuff

Tout cela confirme votre statut de leader au sein du vestiaire. Comment y êtes-vous parvenu avec deux totems comme Paolo Maldini et Alessandro Costacurta ?

Parce que quand il s’agit de travailler, je ne suis pas avare de mes efforts et que cela garantit le respect mutuel. Parce que je suis celui qui a gagné le plus après Maldini et Costacurta et que cela augmente le respect à mon égard. Parce que je respecte les hiérarchies et que je considère que Maldini et Costacurta doivent passer avant moi Enfin, parce que je suis à l’écoute de mes compagnons même de ceux qui jouent moins. Voici deux ans, Cristian Brocchi ne voyait quasi jamais le terrain et pourtant à l’entraînement c’était un modèle d’application et de volonté. J’aime bien parler avec tous : j’essaie de comprendre leurs exigences, leurs problèmes, leurs désirs afin de les aider sur le terrain et en dehors comme c’est le cas pour un jeune comme Yoann Gourcuff.

Avez-vous pris le Français sous votre aile ?

Quand je l’ai vu débarquer, j’ai repensé à moi quand je suis arrivé à la Sampdoria à 19 ans. C’était la première fois que je sortais des Pays-Bas, je ne connaissais pas un mot d’italien et je me retrouvais dans un football qui n’était pas le mien. C’est exactement la même chose pour Yoann. Après cinq jours, il était complètement perdu. Nous avons beaucoup discuté, toujours en italien pour qu’il s’intègre au groupe. Chose qui n’est pas aisée dans une équipe dont l’âge moyen est élevé.

Pourquoi Gourcuff a-t-il craqué après un bon départ ?

Yoann est un champion mais le talent ne suffit pas. A son âge, je m’en suis sorti grâce à des personnes comme Roberto Mancini, Sinisa Mihajlovic, Moreno Mannini qui, à la Sampdoria, me prenaient en aparté et me répétaient les choses quatre ou cinq fois. Mon caractère m’a aussi aidé. De ce point de vue, Yoann doit encore beaucoup grandir. Mais j’ai en tête quelque chose pour les garçons comme lui : une agence de consultance visant à favoriser l’intégration des jeunes sportifs étrangers dans leur nouveau pays. Le but consisterait à les aider dans leur vie de tous les jours, de la location d’un logement à l’ouverture d’un compte bancaire, afin qu’ils ne se concentrent que sur leur boulot. Ils ne bénéficient pas tous de l’aide d’un club organisé comme Milan.

Plus dur de s’intégrer qu’il y a dix ans

Par rapport à l’époque de votre retour en Italie, il y a dix ans, est-il plus ou moins facile pour un étranger de couleur de s’insérer ?

C’est plus difficile parce que l’immigration est devenue une vague continue qui désoriente et effraie. Mais l’Italie n’est pas un pays raciste. Dans les stades, j’ai toujours été peu sifflé par une poignée d’individus. L’Italie a un problème avec la vétusté des infrastructures. Je deviens fou quand je vois les autoroutes toujours pleines d’ornières et de chantiers. Et je suis déçu de voir un pays divisé en deux blocs politiques opposés parce que cela gèle le développement.

Comment voyez-vous l’avenir du football ?

Il a encore beaucoup de ressources mais il doit évoluer. Il faut avoir recours à la technologie : la vidéo sur le terrain pour établir s’il y a penalty, un chip dans le ballon, des senseurs sur les buts pour les goals douteux. La Ligue des Champions ou le maintien, soit des millions d’euros, sont en jeu. Il faut des gens courageux au sommet qui, grâce à la certitude du résultat, rendent sa crédibilité au football.

Quel message lancez-vous à Michel Platini, le nouveau président de l’UEFA ?

J’espère qu’il aura le courage de changer quelque chose pour le bien du football et pas pour favoriser ses intérêts ou ceux de ses amis. Il désire accorder la possibilité aux pays exclus de participer à la Champions League au détriment de nations qui qualifient quatre équipes ? Je crois qu’il y a d’autres priorités, comme celle de jouer moins afin d’augmenter la qualité du spectacle et de diminuer le nombre des blessures.

Pourquoi les joueurs ne protestent-ils pas ?

C’est vrai, nous devrions le faire aussi pour avoir des stades plus confortables et de meilleures surfaces de jeu.

Jouer moins ne signifierait-il pas contrats moins riches ?

Au contraire, dans les contrats le risque blessure pèse énormément.

Est-il vrai que le football italien est entièrement aux mains des télévisions ?

Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que la programmation n’est pas intelligente. On ne peut pas faire disputer un match comme Milan-Rome en Coupe d’Italie à 21 h 15 en plein hiver.

Le défi de Milan est de gagner en jouant bien. On ne peut pas dire que vous y soyez parvenus…

Cette saison est à part. Nous ne sommes jamais arrivés en forme à cause des préliminaires de la Champions League préparés au dernier moment. Mais nous sommes en train de progresser et il sera difficile de nous battre. Nous devrons veiller à bien gérer nos forces match après match.

Il ne veut jamais se cacher

Est-il vrai que Milan est lent parce qu’au lieu de courir, ses médians veulent le ballon dans les pieds pour montrer à quel point ils sont doués ?

Nous sommes tous lents parce que nous ne sommes pas en condition et parce que les adversaires défendent à huit. J’essaie toujours d’être concret. Si je tente un truc difficile c’est parce que l’équipe s’attend à cela de ma part : j’aime prendre le risque de déplacer toute la défense adverse quand j’approche du rectangle. Je n’ai pas peur des coups de sifflet ou des mauvaises cotes. Je suis sûr que j’aurais un six à chaque match si je jouais de manière élémentaire mais je ne suis pas quelqu’un qui se cache.

Auriez-vous été plus rentable si vous aviez joué dans votre rôle naturel, derrière les deux pointes ?

Je suis un produit du football hollandais et, gamin, j’ai été habitué à évoluer à plusieurs places. Au début, c’était un avantage pour avoir une place dans l’équipe mais ensuite c’est devenu un frein à mon évolution : je ne suis jamais devenu un spécialiste. A Milan, j’ai toujours évolué dans le même rôle, même si ce n’est pas celui que j’affectionne le plus. Ma priorité a toujours été l’équipe : si cela n’avait pas été le cas, je n’aurais jamais fait carrière. J’aurais choisi un club plus petit où j’aurais joué comme je voulais.

Vous n’avez jamais eu l’intention de changer d’air pour trouver une autre motivation ?

Non. J’ai toujours envie de gagner. Alex Ferguson entraîne Manchester depuis vingt ans et il n’a pas perdu sa soif de victoires. Et puis, un vrai champion change d’air pour d’autres motifs jamais à cause d’un manque de motivation.

Pourquoi Andriy Shevchenko s’en est-il allé ?

Parce qu’il n’est pas comme Maldini : il n’est pas né à Milan.

Est-ce vrai qu’il avait des problèmes avec le vestiaire ?

Des discussions normales.

Est-ce vrai qu’il n’était plus le garçon d’autrefois ?

Il n’a jamais été un garçon simple. C’est vrai que les derniers temps il était devenu moins enclin à écouter et à accepter un conseil.

Vous êtes son ami, croyez-vous qu’il a regretté son départ en Angleterre ?

Footballistiquement, oui. Ici, il faisait partie du système. A Chelsea, il doit s’habituer au système.

Que peut vous apporter Ronaldo ?

Avant tout de l’enthousiasme. L’arrivée de Ronaldo me rend heureux parce que nous avons quelque chose à finir ensemble. Quand j’ai quitté le Real pour l’Inter, je l’ai fait pour deux raisons : la première parce que Marcello Lippi me l’avait demandé, la seconde parce que je voulais jouer avec Ronaldo et Christian Vieri. Je n’y suis pas parvenu : Vieri était régulièrement blessé et Ronaldo s’est cassé après trois matches.

fabrizio salvio (esm) – photo : reuters

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire