NACER CHADLI

L’élégant n°11 des Diables a été à deux doigts de tout abandonner. C’était avant qu’il ne fasse la connaissance de l’ex-joueur brésilien Rubenilson. Nous avons rencontré celui qui l’a relancé et amené au sommet.

17 septembre 2006. Axel Witsel remplace Steven Defour et effectue ses débuts avec le Standard de Liège sur la pelouse du FC Brussels. Le futur Soulier d’Or 2008 n’a que 17 ans. Son meilleur ami, Nacer Chadli, est, lui, dans le trou. Les deux comparses ont beau avoir tapé leurs premiers ballons dans leur quartier de Vottem, poursuivi leur écolage au Standard – Axel en tant que récupérateur et Nacer numéro 10 -, à l’aube de leurs 16 ans, leurs carrières vont prendre des trajectoires bien différentes. Axel va connaître l’éclosion que tout le monde connaît alors que Nacer est viré du Standard par Christophe Dessy.

 » Monsieur Dessy a annoncé à mon entraîneur que je n’avais pas le niveau pour passer en Juniors. Je m’y attendais un peu car j’avais été écarté à la Noël et demandé ses raisons. Il m’a expliqué que j’étais habile techniquement mais que j’avais pas la mentalité pour devenir pro.  » Standard, clap fin. Chadli retrouve, alors, un peu d’espoir de l’autre côté de la frontière, au MVV Maastricht. Le Liégeois brille régulièrement avec la réserve mais reste dans un total anonymat. Son avenir semble bouché d’autant que le club frontalier connaît de sérieux soucis financiers. Mais comme dans toutes les belles histoires, il y a une belle rencontre. Et celle-ci arrive alors que le joueur est sur le point de laisser tomber les bras, de mettre aux placards ses rêves de joueur pro, d’aller taper la balle avec ses potes et se consacrer totalement à ses études.

Rubenilson, ex-joueur brésilien passé notamment par le RWDM, l’Antwerp et parti après aux quatre coins du globe (Corée, Turquie, Dubai, Roumanie, etc), reçoit un beau jour le coup de fil désespéré de Amin, un des frères de Nacer. Rubenilson dit  » Rubi «  travaille alors avec l’agent de joueurs, Daniel Evrard. Il est son bras droit, ou plutôt son oeil avisé, celui qui doit déceler le talent en herbe.  » Avant cela, il avait sondé tous les autres managers belges de la région mais personne ne voulait se déplacer pour aller voir quelqu’un qui évoluait en équipe réserve d’une D2 hollandaise « , poursuit Rubi.

 » Moi, je me suis rendu sur place. Et après deux transversales, j’avais compris. Et puis, Nacer était tellement élégant sur le terrain, sa course, cette posture très droite, me faisait penser à Rai. J’avais son frère à mes côtés pendant le match, je lui ai dit : tu ne dois pas te tracasser : ton frère, c’est un crack. Dès cet instant, j’ai pris Nacer sous mon aile.  »

Carcasse de poulet

Son renvoi du Standard ne l’effraie pas un instant.  » Il arrive que les gens qui travaillent dans des clubs de foot comme le Standard soient des personnes qui n’ont pas grand-chose à voir avec le football, ce sont souvent des frustrés qui n’ont pas joué chez les pros et qui rejettent leur frustration sur certains jeunes, qui peuvent sembler un peu nonchalants, qui mettent leur casquette de travers, etc. Nacer en a fait les frais. Au Brésil, on réfléchit en termes de qualité, on se fout du reste. Et si la famille connaît des problèmes liés à la drogue ou n’a pas passez à manger, le club se déplace pour voir s’il y a moyen de faire quelque chose. C’est plus humain. En Belgique, c’est plus dur. Nonchalant, Nacer ? J’ai souvent entendu ça à son propos… Mais il faut savoir motiver les gamins.  » Et Rubenilson va s’atteler à remettre son poulain sur les bons rails.

 » Je lui ai appris toutes les bases qu’un Brésilien doit avoir pour réussir. Respecter la famille, pratiquer sa religion, et… jouer au foot-volley. Ça te permet de travailler ta technique de pied, les contrôles, la poitrine. C’est très complet. On a même joué l’un contre l’autre la finale du championnat de Belgique de foot-volley à Hasselt. Et j’ai gagné : le papa, c’est toujours plus fort que le fils ! (il rit). J’ai essayé de lui inculquer cette mentalité brésilienne qui combine créativité, harmonie, joie de vivre. Il fallait aussi travailler sa musculature.

Les  » Marocains  » sont très fins de morphologie ; il n’avait pas de carcasse ou plutôt une carcasse de poulet. Comme je faisais pas mal de salle, je savais ce qu’il devait faire. Au début il achetait des Gatorade mais c’était un remède de  » grand-mère « . Je lui acheté des compléments protéinés et on allait à la salle tous les matins, on allait aussi courir ensemble au Sart-Tilmant. Il s’est vraiment métamorphosé au fil des ans. Quand je l’ai revu cette année à Londres, il s’est mis à taper sur ses pectos : –Tu te rappelles quand tu m’appelais carcasse de poulet !

J’ai très vite eu confiance en lui. Lui, par contre, n’y croyait pas trop. En voiture avec lui, alors qu’il n’avait encore que 17 ans, je lui avais dit : Un jour tu pourrais avoir le Ballon d’or grâce à ta taille, ta force, ta qualité. Pourquoi les Brésiliens viennent ici prendre tous les ballons, les ramassent et retournent au Brésil alors que toi tu es ici et tu doutes ? Il m’a répondu : t‘es un fou, tu penses que je vais être un grand joueur, je veux bien essayer mais… « 

A Maastricht, les finances sont à sec et la direction ne peut lui offrir de contrat pro.  » J’ai donc appelé un agent installé aux Pays-Bas, qui s’occupait notamment de Robson Drenthe, en lui disant que j’avais un joli numéro 10 sous la main. Pour le convaincre, je lui ai dit que s’il n’était pas bon, j’arrêtais tout et j’irais vendre des poulets à la Batte à Liège !  »

Cristiano Ronaldo

Chadli est convié à un test dans le petit club hollandais de AGOVV Apeldoorn qui joue un match de préparation face à l’Olympiacos de Rivaldo.  » Le lendemain du match, il y avait une grande photo de Nacer dans le journal local. Je lui ai demandé ce qu’il avait fait de spécial ? Tu t’attends à ce que le gamin te répondre : j’ai dribblé, j’ai mis un petit pont à celui-là, etc. Eh bien non, Nacer m’a simplement répondu : J’ai joué simple, j’ai donné, j’ai bougé.  »

John van den Brom, qui en est à ses débuts en tant que coach, tombe sous le charme. Mais si à Maastricht, les finances étaient au plus mal, à Apeldoorn, ce n’est guère plus réjouissant.  » Van den Brom s’est donc débrouillé pour trouver un sponsor qui prenne en charge le premier salaire de sa carrière « , raconte Rubenilson.

 » Après quelques matches, je lui ai fait comprendre qu’il devait évoluer dans son jeu. Je lui avais montré notamment une image du match Marseille face au Real Madrid où Cristiano Ronaldo s’était imposé au physique devant l’imposant Nigérian, Taiwo, d’un coup d ‘épaule décidé. J’ai dit à Nacer : C’est à ça que tu dois arriver : quand tu vas, tu vas pour prendre. Tu n’es pas là pour courir à côté du joueur et voir qui va plus vite, ça c’est le cheval qui fait ça. Non, tu dois aller dedans ! Ce sont des détails qui lui ont fait du bien.  »

 » La première année à Apeldoorn, j’ai observé, je me suis adapté. La deuxième, je suis devenu titulaire, la troisième un joueur cadre « , raconte Chadli. Peter Van Vossen, ex-joueur d’Anderlecht réputé pour son dribble, va progressivement l’aiguiller sur le flanc gauche :  » Il me disait que c’était une place pour spécialistes, pour joueurs qui savaient faire la différence. Et que si un jour, je voulais gagner beaucoup d’argent, c’est à cette place que je devais m’imposer.  »

Après trois saisons à Apeldoorn, il rejoint le champion des Pays-Bas où Michel Preud’homme arrive à la barre pour remplacer Steve McClaren. Lorsque MPH a demandé des renforts, son adjoint lui a glissé le nom de Chadli. Preud’homme a alors visionné tous les DVD sur Nacer. Convaincu.

Le public aussi. Une montée au jeu face à Roda et quelques gris-gris suffisent à convaincre l’assemblée. Puis vient la Ligue des Champions. En un peu plus de trois ans, le jeune Chadli passe de l’envie de tout plaquer aux frissons de l’hymne de la Champions et la venue de l’Inter.

 » Il était opposé à Maicon pour son premier match européen. Autrement dit, pas un cadeau « , rappelle Rubi.  » Preud’homme lui avait dit de bien défendre, l’empêcher de monter. Au final, c’est Nacer qui a bloqué le Brésilien dans son camp.  »

Ces 90 minutes face à une des meilleures équipes d’Europe et face à un des meilleurs latéraux du monde bouleversent son statut. En Belgique, beaucoup comprennent alors que MPH n’est plus la seule attraction outre-Moerdijk. Georges Leekens le scrute mais le Maroc est également sur la balle. Les Lions de l’Atlas, entraînés par Eric Gerets, le convient à un match amical face à l’Irlande. Chadli accepte, tout comme une convocation pour défendre les couleurs de la Belgique face à la Finlande pour une autre joute amicale.

Un parfait polyglotte

 » Je me sens autant marocain que belge « , déclarait-il dans nos colonnes.  » Ce sera un choix du coeur mais il sera allié à un choix de carrière.  »

Le 31 janvier 2011, quelques jours après avoir disputé sa première rencontre avec la Belgique, Chadli annonce via son site perso qu’il opte pour le pays qui l’a vu grandir. Les supporters marocains sont déçus et certains vont même jusqu’à le bombarder de messages d’insultes.

 » Les premières semaines n’ont pas été faciles « , raconte Nacer.  » On a même piraté mon site internet personnel. Lors du premier match avec les Diables face à la Finlande à Gand, il y avait un supporter marocain qui n’arrêtait pas de m’insulter en bord de terrain durant l’échauffement. Marc Wilmots s’en est occupé. Il lui a dit que s’il ne la fermait pas, il irait le chercher. Mon match avec le Maroc fut une expérience intéressante. C’est normal que j’hésitais. J’ai du sang marocain, ma famille est originaire d’Oujda et je n’ai pas une tête à m’appeler Albert.  »

 » C’est un gamin, c’est normal que ce fut compliqué pour lui « , poursuit Rubi.  » Tous les cousins le poussaient à aller jouer avec le Maroc. Il est parti jouer un match amical, pour voir. Sauf qu’au Maroc, si tu joues un jour avec la vareuse des Lions, tu es Lion à jamais. C’est pour ça que beaucoup de Marocains ont eu la haine envers Nacer. Mais son choix est logique : il est belge par nature, il est né ici, il n’a pas la mentalité arabe. Même moi je mange plus de couscous que lui. Il n’a pas pour autant oublié ses origines car il y a la tradition familiale qui a toujours été présente.  »

L’épisode équipe nationale derrière lui, la cote de Chadli continue de grimper. Après une Coupe des Pays-Bas décrochée en fin de saison, on parle déjà d’un éventuel transfert. Fulham se montre notamment pressant mais Twente ne souhaite en aucun cas se séparer de son joyau.

Rubenilson :  » La deuxième année a été un peu plus difficile. On tombe de son nuage, on ne voit plus très clair, les blessures s’y mêlent. On a un peu trop fait la fête aussi, trop d’amis, etc. Mais lors de la troisième année, il a remonté la pente et a donné du  » chocolat  » (ndlr, expression brésilienne) toute la saison. Il a aussi la chance d’avoir une famille stable autour de lui avec des frères et soeurs qui sont des gens bien. L’une est assistante sociale, l’autre avocate ou comptable. Ça l’a aidé à voir les choses autrement.

C’est quelqu’un d’intelligent mais c’est une tellement bonne personne que les gens profitent de lui. Et puis il parle quatre langues (français, arabe, anglais, néerlandais). Et il se débrouille bien en portugais. A cause de moi, à cause de Douglas à Twente avec qui il traînait tout le temps.  »

L’Angleterre, un rêve devenu réalité

Après plusieurs flirts avortés lors des différents mercatos, Nacer Chadli signe, l’été dernier, un contrat de cinq ans avec Tottenham.  » Je pense qu’il y avait des clubs intéressants comme l’Ajax, qui lui aurait peut-être mieux convenu « , estime Rubi.  » Mais bon, l’Angleterre était son rêve, et il avait envie de quitter les Pays-Bas. Parfois il est un peu nostalgique de Twente où il était le joueur vedette. A Tottenham, c’est un des joueurs parmi tant d’autres.

Quand ça n’allait pas en Angleterre, qu’il ne jouait que très peu, je suis parti le voir pour le rebooster. J’étais en Roumanie, chez ma femme à Craiova, quand son frère m’a sonné pour me demander de me rendre chez Nacer. Dans la foulée, je l’ai sonné et lui ai dit : OK, je viens mais alors on ne parle pas de football.

Il était tracassé. Villas-Boas avait notamment déclaré lors de son renvoi qu’il ne voulait pas de Nacer. Tu ramasses un coup quand tu lis ça puis Tim Sherwood arrive et il pense que ça va aller mieux. Mais il ne jouait pas non plus.

Ce n’est qu’après mon départ de Londres, fin février, qu’il a commencé à s’imposer. Pour moi, il a un gros défaut : il est trop généreux sur un terrain et n’exploite pas assez sa qualité individuelle. Il va redescendre très bas pour aider ses défenseurs. En équipe nationale, on n’a pas encore vu le vrai Nacer, celui à qui l’on doit dire : le but est là, à toi de faire la différence. Si tu lui laisses le ballon, tu peux dormir tranquille, il va te régaler. Je lui dis souvent : donne du chocolat.

Je me rappelle être revenu en vitesse de vacances au Brésil après un match à Schalke avec Twente. Du Brésil, devant ma télé, je le voyais totalement sur les rotules en seconde période. Le coach le mettait à droite, ce qu’il n’aimait pas. Je lui ai expliqué que c’était par son jeu qu’il allait changer les choses. La semaine suivante, face à l’Ajax, il fut élu homme du match. Il avait commencé à droite mais vu qu’il était tellement au-dessus, le coach l’a mis au centre puis sur la gauche. Il a donné des chocolats et du caviar, tout y est passé. Après le match, José Mourinho qui était venu observer l’Ajax (futur adversaire du Real Madrid) l’a pris par le bras et lui a dit :  » On te suit, ne l’oublie pas.  » ?

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » C’est normal que j’hésitais avec le Maroc. J’ai du sang marocain et je n’ai pas une tête à m’appeler Albert.  »

 » Je lui ai appris toutes les bases qu’un Brésilien doit avoir pour réussir. Respecter la famille, pratiquer sa religion, et… jouer au foot-volley.  »

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