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Helmut Marko: « Max Verstappen est la nouvelle référence »

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Le Red Bull Racing a placé son avenir entre les mains de Max Verstappen, en lui offrant des centaines de millions pour un contrat de plusieurs années. Le patron, le Dr. Helmut Marko, évoque son poulain néerlandais.

PAR ANDRE VENEMA

Un agréable dimanche matin à Bahreïn. Un ciel bleu sans un souffle de vent et un mercure à 26 degrés. Les derniers essais sont achevés et Helmut Marko (79 ans) profite de sa journée de liberté au bord de la piscine d’un hôtel de luxe. « Mon beachoffice« , plaisante-il. L’Autrichien, le patron de Red Bull Racing, vient de faire des longueurs dans le bassin, pendant une demi-heure. C’est une des nombreuses habitudes qui lui permettent de conserver la forme et de supporter le décalage horaire, le stress et la vie irrégulière qui vont de pair avec la Formule 1.

Marko a accepté de philosopher, en compagnie de l’agent de Verstappen, Raymond Vermeulen, sur le méga contrat du champion du monde en titre et sur d’autres thèmes du genre. Il est un des architectes du succès de Verstappen, lié à Red Bull jusqu’en décembre 2027. Selon des sources bien informées, celui-ci aurait « le meilleur contrat de tous les temps » en Formule 1. Il semblerait qu’il gagne encore plus que Lewis Hamilton. « Je ne sais pas si c’est exact, je ne connais pas le contrat d’Hamilton », rétorque Marko à sa manière habituelle, froide. « On écrit tant de choses… »

Serein et réfléchi, parfois avec un clin d’oeil, le conseiller de Red Bull répond à nos questions, à l’abri d’un grand parasol. Il est enthousiaste car Max Verstappen a toujours été un de ses sujets de conversation favoris. Il entretient des relations particulières avec le Néerlandais, qu’il a catapulté en Formule 1 à 17 ans. « Nous avons de bons rapports », opine Marko. « Nos relations dépassent le cadre strictement professionnel, je pense. Je suis fier de ce que Max a réussi. Ça confirme que j’ai fait le bon choix en lui permettant de rouler en Formule 1. » En ajoutant: « Malgré tous les doutes soulevés à l’époque. »

« La première victoire de Max en 2016, à Barcelone, a été un succès personnel pour monsieur Marko », intervient Vermeulen. « Le remplacement de Daniil Kvyat par Max l’a placé sous une terrible pression, y compris en interne. » « Ça a été pénible », confirme Marko. « J’ai dû retirer son baquet à un pilote après quatre courses et convaincre une série de personnes du bien-fondé de ma décision. » Il sourit courtoisement. « Ça n’a quand même pas été long. » Marko savait qu’il détenait de l’or en barre, avec Verstappen.

« Au fond, nous n’avions qu’à changer les années sur le contrat »

Sept ans et un titre mondial plus tard, vous avez reconduit le contrat de Max Verstappen. Pourquoi aussi vite et pour une telle durée?

HELMUT MARKO: La décision n’était pas difficile à prendre. Si les deux parties ont l’intention de continuer à collaborer et se font confiance, il n’y a plus qu’à demander au manager comment couler tout ça dans un contrat.

RAYMOND VERMEULEN: À l’issue de la trêve hivernale, nous nous sommes rapidement mis d’accord. Je me suis rendu deux fois à Graz, où réside Helmut Marko. Nous nous sentons bien dans l’écurie. La mentalité de Red Bull nous convient: l’écurie met tout en oeuvre pour gagner.

MARKO: C’est un contrat à long terme, comme les deux parties le souhaitaient, car en 2026, le règlement en matière de moteurs va changer, ce qui nécessite de nombreux réglages. Si le pilote apporte sa contribution à la conception d’un moteur, il est logique qu’il en retire le profit.

Qu’avez-vous pensé quand Verstappen, après son titre mondial à Abu Dhabi, a crié, à la radio de bord: let’s do this for another ten or fifteen years? Qu’il fallait agir sur le champ?

MARKO: Max s’est rendu à Salzbourg avant Noël, pour un enregistrement de Servus TV. Il était en compagnie de son père Jos et de Raymond. J’ai demandé si nous pouvions passer aux actes, mais Raymond a jugé préférable de prendre d’abord des vacances…

VERMEULEN: Ce n’était pas difficile. J’ai répondu que je passerais bientôt boire un café.

MARKO: Nos rapports ont toujours été bons. Au fond, nous n’avions qu’à changer les années sur le contrat.

Et le salaire.

MARKO: Il est normal que Max gagne davantage, puisqu’il est champion du monde.

En lui offrant pareil contrat, Red Bull confirme une fois de plus qu’il place son avenir entre les mains de Verstappen.

MARKO: Tout le monde le sait. Nous avons rapidement cru en lui. Ça nous a valu des critiques de toutes parts, au début, mais je ne les ai jamais prises au sérieux. Nous suivons notre voie sans nous laisser distraire par les autres.

Pour répondre à votre question, la reconduction du contrat de Max est également un signal important à l’égard du staff. Il sait que nous restons en Formule 1 de nombreuses années encore. Nous devons prolonger au fur et à mesure les contrats des autres membres importants de l’écurie, afin de conserver l’équipe qui encadre Max.

VERMEULEN: Red Bull a réalisé d’énormes investissements dans son département automobile.

MARKO: Le campus situé à Milton Keynes, près de notre usine, est une perle. Il travaille sur le nouveau règlement. Il va être simplifié, ce qui est primordial à nos yeux.

VERMEULEN: L’engagement, l’élan et la vision à long terme de Red Bull nous offrent une grande stabilité et nous donnent envie de prolonger notre collaboration. Comme monsieur Marko le dit, ce souhait était réciproque.

En parlant de vision à long terme, vous savez quand même ce qui va arriver en 2026? On spécule depuis longtemps sur l’arrivée de Porsche et Audi en tant que fournisseurs de moteurs.

MARKO: (stoïque) Tout ce que je sais, c’est que les moteurs sont encore plus chers que Verstappen…

Avez-vous carte blanche pour négocier ou Dietrich Mateschitz a-t-il le dernier mot?

MARKO: Nous devons respecter notre budget. Nous n’avons pas beaucoup discuté de ce contrat, mais Dietrich Mateschitz a le dernier mot. (Il est le principal actionnaire de Red Bull, ndlr).

C’est un investissement considérable.

MARKO: Nous sommes à l’aube d’une passation de pouvoirs. L’ancienne génération, Alonso, Hamilton et Vettel, les pilotes les plus titrés, a été relayée par un homme qui a établi un nouvel étalon. Je n’ai aucun doute à ce propos. Je n’en ai jamais eu. Par contre, je ne peux pas dire si cette passation a déjà eu lieu ou si elle va s’étendre sur quelques années. Nous ne savons pas combien de temps Hamilton va encore piloter ni s’il va gagner. Max est un pilote très différent. C’est avant tout un sportif. Vous ne le verrez jamais prendre l’avion pour Los Angeles le temps de deux jours. Max a voué toute sa vie au sport, pour être performant. Nous apprécions beaucoup cet état d’esprit. Sa mentalité convient parfaitement à Red Bull et à l’écurie. Il se concentre sur le sport et ne fait pas de conneries.

« Max est ce qu’il est, nous ne voulons pas le changer  »

Qu’a représenté Verstappen pour la marque Red Bull ces dernières années?

MARKO: La Formule 1 est un instrument de marketing. Nous avons remporté quatre titres avec Vettel, puis nous avons subi la domination de Mercedes, mais nous y avons mis fin. Pour y parvenir face à un pilote tel qu’Hamilton, il nous fallait un homme hors-catégorie. Nous avons donc misé sur Max. Honda a joué un rôle important. Je ne sais pas si Max nous a permis de vendre beaucoup plus de canettes de Red Bull aux Pays-Bas, mais je pense que oui.

L’image de Max nous convient parfaitement. Prenez cette série Netflix (Drive to Survive, ndlr) à laquelle il ne veut pas participer. Il le dit clairement, ouvertement. Max est ce qu’il est, nous ne voulons pas le changer ni lui donner des cours de communication. Il peut dire ce qu’il veut. Il a besoin de cette latitude. Max a du caractère, de la personnalité.

Vous avez assisté de près à son évolution.

MARKO: Il a signé son premier contrat en Formule 1 à seize ans et il venait d’avoir 17 ans quand il a participé à ses premiers essais libres à Suzuka. Il devait encore mûrir et acquérir de la personnalité. C’était encore un enfant et Jos le dominait encore. Mais plus Max a gagné en indépendance, plus Jos s’est effacé. Le processus n’a pas été facile au début. Max avait deux briefings techniques: un avec l’écurie puis un avec Jos… Ça ne pouvait pas durer. Max a toutefois rapidement réussi à former sa propre opinion et à l’exposer clairement dans les interviewes. Quand quelque chose ne lui plaît pas, il le dit. Ça ne nous a pas toujours servis, comme auprès des stewards à Mexico, mais nous sommes ainsi faits.

Max a maintenant 24 ans et il est un des sportifs les mieux payés des Pays-Bas, mais il n’a absolument pas changé. Il mène bien sa barque et son premier sacre mondial l’a rasséréné. Il s’est défait de son impatience et de sa volonté de boucler chaque tour à la limite. Il sait qu’il doit être rapide en qualifications et en course. Malheureusement, il n’est pas parvenu à devenir le plus jeune champion du monde, à cause des moteurs incroyablement rapides de Ferrai en 2019 et de la surenchère de Mercedes, qui nous ont fait prendre du retard avec Honda. Sans cela, il aurait peut-être été champion plus tôt. Il ne commet plus les erreurs de ses débuts, comme les crashes à Monte Carlo, au même endroit, ou son arrêt au stand à Austin, sans la moindre concertation.

VERMEULEN: Il était terriblement fâché à Austin.

MARKO: Nous avons septante personnes à l’usine de Milton Keynes, qui calculent tout minutieusement et suivent chaque GP. Et voilà que monsieur Verstappen rentre au stand pour changer de pneumatiques. Nous avons relativement bien réagi, mais…

VERMEULEN: Il pensait vraiment avoir entendu « box, box, box ».

MARKO: Max était bien le seul. Heureusement, il s’entend bien avec l’ingénieur de course.

VERMEULEN: Qui lui tire les oreilles quand il le faut.

MARKO: Les faits ne trompent pas. Max obtient de bonnes informations, de bonnes réponses. Quand il va trop loin, on le lui dit aussi.

Vous dites qu’il s’est calmé. Pensez-vous que ça va lui permettre de s’améliorer?

MARKO: Absolument. Nous avons pris la mesure de son potentiel l’année dernière, pendant les deux essais à Djedda et à Abu Dhabi. Il a tout retiré de son bolide, il a réussi des choses qui sont en fait impossibles. Maintenant que la pression inhérente à l’obligation de gagner le titre a disparu, je pense qu’il va rouler à un très haut niveau. Il va également mieux gérer ses pneus, même s’il est déjà bon de ce point de vue.

« J’ai craint qu’il ne finisse par aller voir ailleurs »

2021 a-t-elle été l’année la plus dure de Red Bull?

MARKO: Elle a été très fatigante. Les déplacements n’ont jamais été aussi longs. Nous avons connu des hauts et des bas. Le crash à Silverstone, beaucoup de politique et beaucoup de coups, parfois sous la ceinture. Ce n’est pas une bonne publicité pour le sport. Au Brésil, une monoplace roulait beaucoup plus vite que les autres…. C’était très bizarre. Sans le crash de Jeddah (Verstappen a heurté le mur, ndlr), nous aurions gagné. Notre voiture était plus difficile à régler. Hamilton a pu mettre la sienne au point dès le premier entraînement et a entamé la saison sans perte de temps. Nous n’avions aucune chance à Abu Dhabi, nous devons le reconnaître.

Jusqu’au dernier tour.

MARKO: Le safety car a ses avantages et ses inconvénients, c’est aussi simple que ça. Le dernier tour à Abu Dhabi était incroyable. Pendant que nous faisions la fête, Mercedes a protesté. Je n’en croyais pas mes oreilles. Comment est-il possible de se rendre à un GP avec un avocat et de se comporter comme ça? Deux protagonistes, Toto Wolff et Lewis Hamilton, ne voulaient pas accepter la situation. (Il soupire). Il leur a fallu du temps pour réaliser que leurs protestations allaient écorner leur image… Je ne comprends pas davantage qu’on en parle encore des mois plus tard. Ce qui est fait est fait, concentrons-nous sur la saisons suivante.

Ces dernières années, avez-vous redouté que Max s’en aille?

MARKO: Un peu, oui. À force de ne pas pouvoir lui fournir une monoplace de champion, j’ai craint qu’il ne finisse par aller voir ailleurs.

VERMEULEN: Max est le meilleur pilote du monde et il a besoin du meilleur matériel pour pouvoir gagner.

MARKO: C’est pour ça que la première prolongation de contrat était aussi importante. Honda a joué un grand rôle. Son arrivée a offert des perspectives à Max. Une fois le contrat avec Honda signé, à Monte Carlo, j’ai dit au président de Honda, dans notre mobilhome: « Nous nous garantissons le titre mondial ».

VERMEULEN: Un coup de maître.

MARKO: Dès que j’ai appris que McLaren ne voulait plus de Honda, j’ai activé mes contacts. Il n’a pas été facile de convaincre Honda de rester en F1. Il voulait vraiment la quitter.

Comment l’avez-vous convaincu?

MARKO: Connaissez-vous AVL? C’est une entreprise de 12.000 personnes, dont 80% sont des ingénieurs. Le siège central est situé à Graz. AVL conçoit des moteurs et des bancs de tests. La société a fourni de l’équipement à Honda, pour cinquante millions. J’ai ainsi appris que Honda avait à Sakura une usine high-tech qui n’a pas son pareil. Tout le monde s’y balade en veste blanche, sur un terrain de 53 hectares. Je n’ai eu qu’à tirer les bonnes cordes. Et j’y suis parvenu.

« Tant pis si ça ne va pas »

Helmut Marko a la réputation d’être très dur. Plusieurs pilotes qui ont transité par le (coûteux) programme de formation de Red Bull dans l’espoir d’intégrer la Formule 1 n’en font pas mystère.

« Nous avons soutenu des pilotes grâce au programme pour Juniors sans qu’ils atteignent la Formule 1 », reconnaît Marko. « C’est dommage pour eux, mais les scouts ont certainement eu de bonnes raisons de ne pas les reprendre. La Formule 1, c’est l’élite du sport automobile. Il faut faire ses preuves pour la mériter. Tant pis si ça ne va pas. »

Il constate toutefois que beaucoup de pilotes qui n’ont pas ou peu roulé en Formule 1 ont bien réussi. Grâce au programme de Red Bull. « Jaime Alguersuari et beaucoup d’autres Juniors issus de nos rangs gagnent beaucoup d’argent en sport automobile. Dans les Le Mans Series, le WEC, le GT ou la Formule E. Ils gagnent beaucoup plus qu’ils n’auraient pu l’espérer en exerçant une profession civile. Ils font ce qu’ils aiment tout en gagnant bien leur vie. »

Helmut Marko:
Helmut Marko: « Ma relation avec Max dépasse largement le cadre professionnel. »© GETTY
Max Verstappen avec son manager Raymond Vermeulen, l'un des architectes de sa reconduction de contrat.

Max Verstappen avec son manager Raymond Vermeulen, l’un des architectes de sa reconduction de contrat.© GETTY
Helmut Marko:

Helmut Marko: « Maintenant que la pression inhérente à l’obligation de remporter un titre a disparu, je m’attends à ce que Max roule à un très haut niveau. »© GETTY
Fin juillet, Max Verstappen a ajouté le GP de France à son palmarès.

Fin juillet, Max Verstappen a ajouté le GP de France à son palmarès.© GETTY
Jaime Alguersuari avec Helmut Marko.

Jaime Alguersuari avec Helmut Marko.© GETTY

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