Monstres sacrés

Le dernier ticket pour la D1 se joue âprement entre quatre clubs de tradition.

Le tour final de D2 est arrivé à mi-parcours et tous les ingrédients sont présents pour faire de cette cuvée 2007 un cru alléchant. Il réunit en effet quatre clubs qui ont marqué la D1 de leur empreinte. Malines, l’Antwerp et le Lierse totalisent à eux trois 12 titres de champion de Belgique. Seul Courtrai n’a jamais décroché les lauriers nationaux mais le club de Flandre occidentale, depuis sa fusion en 1971, a évolué 16 ans en D1.

De plus, ces quatre clubs symbolisent sans doute ce qui se fait de mieux en termes d’ambitions sportives. Après leur faillite respective, Courtrai et Malines se sont reconstruits et aspirent à court terme à la D1. Après sa descente en D2, il y a trois ans, l’Antwerp a tenté de conserver son train de vie. Ce n’est que cette saison que le Great Old a revu considérablement son budget à la baisse. Néanmoins, le matricule 1 n’a jamais voulu oublier ses rêves de D1. Depuis quelques années, le déclin du Lierse s’est amorcé. L’affaire Ye n’a fait qu’accentuer le mouvement. Pourtant, les Lierrois s’accrochent depuis deux ans à l’élite. Ils savent que s’ils lâchent prise, cela pourrait précipiter la descente aux enfers.

Enfin, ce tour final renferme une notion régionale très forte. Jeudi, Malines et l’Antwerp s’affrontaient derrière les Casernes. Ce match prestigieux était rehaussé par la notion de derby : seuls 26 km séparent les deux villes. A la même heure, 18 bornes au nord de Malines, le Lierse battait Courtrai (5-2). Malines, Anvers et Lierre se tiennent dans un mouchoir de poche. Ce qui accentue l’effervescence populaire. Jeudi, les deux rencontres rassemblaient plus de 20.000 spectateurs.

Demain, le Lierse et Malines s’affronteront dans le match au sommet. Une rivalité exacerbée existe entre les deux clubs. L’un a choisi la faillite et la reconstruction en D3 ; l’autre s’épuise en D1. On saura à la fin du tour final quelle est l’option gagnante. Quant à l’Antwerp, sa victoire face au Lierse lui donne un rôle d’arbitre. Voire plus.

Le spécialiste

L’année passée, le Lierse avait déjà survécu. Certes, les Jaune et Noir avaient été devancés dans la dernière ligne droite du championnat par Beveren mais ils avaient survolé le tour final. Ils connaissent donc l’épreuve. Ils savent comment la gérer et leur renouveau miraculeux (ils comptaient 10 points de retard sur Beveren à la trêve et ont fini par combler ce fossé avant de dépasser les Waeslandiens sur le fil) et leur course de longue haleine n’a pas du tout entamé leur fraîcheur physique. Que du contraire ! Les Lierrois sont motivés et mentalement très forts. Leur victoire face à Courtrai en est le parfait exemple. Menés 0-2 après dix minutes, les Pallieters ne se sont pas affolés et ont battu les téméraires Courtraisiens 5-2.  » Je ne suis pas sûr que tout le monde soit frais « , explique Bob Peeters.  » La fatigue commence à peser comme on a pu s’en apercevoir à l’Antwerp. Cependant, personne ne pense à ses vacances. Nous formons une grande famille et chacun se sent concerné par le sauvetage du club. Les dirigeants et les supporters nous ont toujours soutenus. Même quand on n’avait que deux points, il y avait 8.000 spectateurs dans le stade. Juste avant le tour final, tout le noyau s’est rendu à deux mariages. Le vendredi, c’était celui de Sven Van Der Jeugt et le samedi, celui de Kristof Snelders. Le lendemain, on débutait le tour final. Certes, on ne peut pas dire que manger à 22 heures et aller dormir à minuit constituent la préparation idéale mais cela solidifie le groupe et contre Courtrai, on s’est battu pour chaque mètre « .

Employé dans un rôle de joker, Peeters a réendossé son habit de lumière. Il a retrouvé une place de titulaire et a inscrit 4 buts en trois matches.  » Jarju avait été très bon lors de notre dernière victoire en championnat contre Lokeren (4-1). Il était donc logique qu’il soit titularisé d’entrée contre Courtrai. Mais les Flandriens ont massé cinq défenseurs devant le gardien et notre entraîneur Kjetil Rekdal m’a fait entrer au jeu, comme target man. Cela a marché. J’ai donc débuté le deuxième match contre Courtrai et j’ai marqué trois buts. Notre noyau plus fourni peut être prépondérant dans ce tour final. Jarju était un peu émoussé. Mais moi, comme j’ai été blessé six mois, je reviens seulement en forme. Je suis tout frais « .

L’Anglais

Cela fait maintenant neuf ans que l’Antwerp a négocié un accord de partenariat avec Manchester United. De tous temps, le club anversois a associé son image à celle du football anglais. Son stade est un de ceux, en Belgique, qui ressemble le plus aux arènes anglaises des divisions inférieures. Son public, tant dans ses nombreux chants que dans les excès de ses hooligans, joue le mimétisme avec l’Angleterre. Rien de plus normal donc de voir cet accord tenir la route depuis bientôt une décennie. Aux Luke Chadwick et John O’Shea a succédé un nouvel arrivage. Contre Malines, trois Anglais figuraient sur la feuille de match. Damien Allen est un obscur milieu de terrain, Darron Gibson a de la technique. Mais deux joueurs sont au dessus de la mêlée : Ryan Shawcross et Fraizer Campbell. Avec sa coupe de Marines et son gabarit de déménageur, le premier tient la défense à lui tout seul. Il remporte quasiment tous les duels. En attaque, le second a imposé sa pointe de vitesse et son sens du but. Pourtant, sa blessure le prive de tour final.  » Sans notre accord de coopération, on ne verrait jamais des joueurs comme Campbell à l’Antwerp « , explique le secrétaire général du club, Paul Bistiaux,  » Dans quelques années, il vaudra quelques millions mais avant cela, il a besoin de se faire les dents. Il y a trois bénéficiaires dans cette collaboration. L’Antwerp, bien évidemment, le joueur qui évolue pour la première fois dans une équipe Première, et Manchester qui récupère des éléments plus performants « .

La collaboration entre Manchester et l’Antwerp a évolué au cours des années. Pourtant, cette saison, elle s’est intensifiée. Six joueurs ont transité par le Bosuil. Pour les encadrer, Manchester a envoyé Andy Welsh, entraîneur adjoint. Par contre, Warren Joyce est payé intégralement par l’Antwerp.  » Outre le prêt de joueurs à des conditions avantageuses, il ne faut pas oublier que Manchester United est venu fêter les 125 ans de notre club avec son équipe Première. Ce match nous avait rapporté 200.000 euros « , ajoute Bistiaux,  » Cette année, on a pu effectuer notre camp d’entraînement à Carrington, le complexe de Manchester. Notre jeune joueur Kevin Baert a également fait un stage de 10 jours avec les Red Devils. Cependant, il y a quelques inconvénients. Manchester reste maître de ses joueurs et peut les rappeler quand il veut. Et puis, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous : on a eu des joueurs dont tout le monde a déjà oublié le nom. Cette année, on n’a vraiment pas à se plaindre. Tant Campbell que Shawcross ou Gibson sont promis à un bel avenir en Angleterre « .

Manchester intervient de plus en plus souvent. Bistiaux s’y rend tous les deux mois et discute avec Brian McClair et Alex Ferguson. Cependant l’Antwerp revendique son autonomie.  » On n’est pas un club satellite « , corrige Bistiaux,  » On garde encore notre indépendance. On jouit simplement d’une relation privilégiée avec ce que l’on peut considérer comme un des plus grands clubs du monde « .

Le petit poucet

Courtrai n’a pas les moyens ni les ambitions des trois autres cercles. Pourtant, les Flandriens n’ont de cesse, depuis leur faillite il y a six ans, de renouer avec leur passé. Cette saison, Courtrai visait le tour final mais un départ catastrophique a mis fin à leur rêve de montée.  » C’est dommage d’avoir commencé le tour final avec autant de blessés « , explique Frank Buysse, qui fut directeur commercial du KV durant huit mois avant de rendre son tablier.  » C’est surtout Vincent Provoost, le joueur le plus important pour l’équilibre, qui manque. Néanmoins, on savait que ce noyau n’était pas assez étoffé. Avec 15 joueurs, la moindre blessure se paie cash. Mais, depuis la faillite, la direction est assez sévère. A la trêve, l’entraîneur Hein Van Haezebrouck a affirmé qu’avec un attaquant supplémentaire, il jouerait le titre. Cependant, la direction a répondu par la négative car il n’y avait pas l’argent nécessaire. Chaque euro compte. Le budget de Courtrai s’élève à un million d’euros. De la sorte, cela ne poserait pas trop de problèmes si le club restait encore un an ou deux en D2. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’ambitions. Que du contraire ! Le club est capable de monter. Les droits TV permettraient au budget de doubler et le public répondrait présent. Contre Bruges, en quarts de finale de la Coupe, il y avait 6.000 spectateurs. Trois jours plus tard, contre Ostende, ils n’étaient plus que 1.200. Cela prouve que la D1 attire le monde. Je ne pense pas non plus que la région soit saturée. Certes, il y a Mouscron, Roulers, Zulte Waregem et les deux clubs de Bruges mais certains sponsors sont prêts à nous rejoindre en cas d’accession à la D1. Il y a encore de la place pour une formation. Pas pour jouer la Coupe d’Europe mais bien pour le ventre mou. De plus, il y a moyen de s’inspirer de l’exemple de Roulers qui jouait devant 800 spectateurs en D2 et compte maintenant 5.000 supporters de moyenne. Or, Courtrai est un club de tradition, à la différence de Roulers « .

En cas d’échec, Courtrai veut poursuivre sa croissance.  » On va continuer de la même manière « , ajoute Buysse,  » La cellule sportive est en place. Avec Lorenzo Staelens comme directeur technique et Van Haezebrouck comme entraîneur. Les deux sponsors principaux, Vasco et Sleuyter sont assez conséquents. Ils sont du niveau de la D1 et ils continueront également. Le plus dur sera de conserver le noyau. Xavier Chen part à Malines. D’autres comme Jo Vermast, Aloys Nong ou Mehdi Makhloufi sont courtisés. Courtrai ne peut pas s’aligner sur les salaires de clubs plus ambitieux « .

La ferveur populaire

Revoir Malines en D1 plairait à beaucoup de monde tant ce club suscite la sympathie. Jeudi dernier, contre l’Antwerp, le Kavé disputait son premier match du tour final à domicile. Cette rencontre se jouant à guichets fermés, 12.000 personnes aux maillots sang et or se pressaient aux guichets d’entrée. Dix minutes avant le début de la rencontre, toute la tribune latérale était comble. Les chants ne cessèrent pendant 90 minutes et les vagues se succédèrent. Autant dire que la speakerine du stade avait fort à faire pour se rendre audible au moment du seul but.

 » Il ne faut pas croire que ce public ne se déplace que pour les grands rendez-vous. Pendant tout le championnat, ce fut comme cela « , explique le gardien malinois Olivier Werner,  » Si nous sommes présents au tour final, c’est à eux qu’on le doit. Quand je suis arrivé en début de saison, j’ai immédiatement ressenti cette ambiance. On perçoit que l’on est dans une entité avec un grand passé derrière elle. Pas un club ne possède de tels supporters en D2. J’appartiens encore au Standard et je retrouve certaines similitudes entre les deux formations. Le public joue à fond son rôle de 12e homme et l’adversaire doit avoir peur de se déplacer ici. Malines, c’est le Standard de D2. On l’a vu contre l’Antwerp. Au match aller, cette équipe nous a dominés mais nous avons tenu bon et nous avons sauvé un point. Ici, les Anversois n’ont pas joué le même football. Notre public les a tétanisés et nous a poussés « . Au final, à peine une tête cadrée pour l’Antwerp et 13 occasions pour Malines.

Depuis la faillite en 2003, Malines s’est reconstruit autour de ses supporters. Pour sa première saison en D3, les joueurs pouvaient compter sur le soutien de 5.300 spectateurs de moyenne. La saison passée, pour les retrouvailles avec la D2, Malines s’appuyait sur plus de 6.000 spectateurs par rencontre. Cette année, ce chiffre est monté à 7.000.  » La faillite du club fut un bienfait. C’est un peu comme si Malines retrouvait une seconde jeunesse « , explique le directeur technique Fi Van Hoof,  » Il y a eu une véritable communion entre les jeunes et les vieux supporters. De nombreuses femmes se sont prises d’affection pour ce club. On a rallumé la flamme. Il ne faut pas oublier que ce sont les supporters qui ont racheté le matricule. Maintenant, chacun peut se dire qu’il a sauvé le club. Cela a consolidé le lien entre le supporter et le Kavé « .

Malines est donc reparti de rien, en D3.  » Nous n’avions plus aucun joueur. La première année, nous nous sommes sauvés grâce aux clubs… de D1, qui nous ont prêté des Juniors ou des Réserves. La seconde année, on a vu des anciens Malinois revenir au club et on a pu lancer des jeunes. Il faut aussi souligner l’excellent travail de notre cellule de scouting. Huit personnes sillonnent toute la Flandre à la recherche de nouveaux joueurs « .

Pourtant, la reconstruction n’est pas encore terminée. L’accession en D1 n’était pas encore un objectif.  » On voulait essayer d’atteindre le tour final mais cela ne sert à rien d’aller trop vite. Il y a encore certains manquements. Suite à la faillite, on a perdu notre stade qui a été saisi par les liquidateurs. Il nous coûte trop cher. Mais le bourgmestre a promis qu’on resterait là tant que l’on n’a pas de nouveau stade. Et puis, il nous faut encore de l’expérience. « 

par stéphane vande velde

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