Marre du cliché  » poste de prédilection  » !

Autres temps, autres m£urs. Jadis, fiévreux, j’allumais la télé à telle heure pour regarder tel match, annoncé, attendu. Aujourd’hui, moins fiévreux mais toujours accro, j’allume quand ça chatouille, en me disant qu’il doit bien y avoir du foot quelque part : et il y a toujours un morceau de foot qui traîne ! Ainsi suis-je tombé mercredi dernier sur le derby mancunien, ignorant qu’on jouait en Angleterre ce soir-là. Le premier commentaire entendu fut que Pablo Zabaleta, aligné au back gauche pour City,  » n’évoluait pas à son poste de prédilection « . Surexploitée en foot, la formule a le don de m’enliser dans la circonspection ! D’ailleurs, tout à l’heure en Russie, vous verrez que si ça foire pour les Belges, les critiques s’articuleront sur le fait que Toby Alderweireld a joué à une place qui n’est pas la sienne, ou que Jan Vertonghen n’est pas un back gauche de formation, ou que la vraie place de Vadis Odjidja était ailleurs, ou que nous devions jouer avec deux  » véritables attaquants « …

D’où la question : que serait le foot si chaque joueur ne jouait qu’à  » sa  » place? Celle qui lui a permis de s’imposer pro ou celle qu’il préfère ? Nos troisièmes mi-temps seraient mornes, moins discutailleuses. On radoterait peu tactique, râler sur les coaches se bornerait à leur reprocher d’avoir aligné X plutôt qu’Y : et l’on se rabattrait davantage encore sur les polémiques d’arbitrage, ouille, non, pitié ! Ensuite, ça empêcherait de belles trouvailles. Quand Louis van Gaal bonifie le Bayern en déplaçant Bastian Schweinsteiger, nous découvrons ébahis que le médian prend son pied à un poste qui n’était nullement, jusqu’alors, de prédilection pour lui. Comme au ciné, quand un comique crève l’écran dans un premier rôle tragique, et que sa polyvalence inattendue accroît son talent ! Enfin, le collectif prime l’individu, et son poste préféré n’est pas forcément celui où un joueur est le plus efficace pour l’équipe : si Samuel Eto’o, au lieu de bosser décalé à droite, avait tiré la gueule vu que Diego Milito lui était préféré en pointe, et si José Mourinho avait alors aligné un ailier droit dit de formation, l’Inter aurait-il été champion d’Europe ?

Si chacun, dès l’enfance, choisissait son poste pour le garder toujours, ce sport manquerait de défenseurs : hormis les p’tits keepers, tous les gosses jouent au foot pour marquer ! Au top, les joueurs défensifs furent majoritairement mômes offensifs, attaquants de formation, déçus qu’un jour on les fasse reculer, mais consentants si ce recul leur permet d’envisager une carrière pro.

Exemple frais émoulu, Christopher Verbist à Sclessin. Dans un processus de progression, vient un moment où ta lucidité (ou celle du coach) t’oblige à constater que tu deviens trop juste techniquement pour animer le jeu ou jouer devant le ballon, mais que tu peux encore t’en tirer fort bien en restant derrière lui : Eric Gerets a commencé à la place de Léon Semmeling, il fallait qu’il la quitte s’il voulait demeurer au top (et au fric du top) ! Vincent Kompany fait son trou derrière, m’étonnerait qu’il redevienne un jour médian dans un club plus huppé. Michel Bastos est capable de dynamiter un flanc offensif à Lyon, valait mieux qu’il recule back gauche pour devenir titulaire auriverde ! Plus tu franchis les échelons, moins la place où tu es efficace (et dans le onze plutôt que sur le banc) demeurera ta place de prédilection !

Enfin n’exagérons pas, derrière surtout, la spécificité d’un poste : entendre qu’un axe défensif a foiré parce que Machin a joué central gauche au lieu de central droit habituellement, ça fait rigoler ! Même la polémique, plus fréquente, entre tel défenseur qui serait axial mais pas latéral (exemple Thomas Vermaelen) ou l’inverse (exemple Olivier Deschacht) est parfois oiseuse : autant que des qualités intrinsèques, ce sont les circonstances qui te fixent à tel poste défensif. Avant Mexico 86, Georges Grün ambitionnait de déboulonner Gerets et boudait quand on le déplaçait dans l’axe… qu’il n’a plus quitté ensuite et à Parme. Preuve qu’une formation n’est jamais terminée, et qu’une prédilection varie avec le temps ! Enfin, peut-on à la fois se targuer de football total (lequel implique une polyvalence des protagonistes) et diagnostiquer qu’un match a foiré parce qu’un des gars s’est trouvé un peu déménagé sur l’échiquier ? Non.n

PAR BERNARD JEUNEJEAN

Kompany fait son trou derrière, m’étonnerait qu’il redevienne un jour médian dans un club plus huppé.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire