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Mains sales et bouches cousues

La fédération compte sur le devoir de dénonciation pour lutter contre le match-fixing mais le système est un échec.

L’UB ne s’est penchée sur le volet match-fixing de l’Opération Mains Propres qu’après la vaste action policière et la conférence de presse du parquet fédéral, en octobre dernier. Le juge d’instruction Joris Raskin avait découvert une tentative de falsification de matches pendant son enquête sur le manager Dejan Veljkovic. Sans cette enquête, nul n’aurait parlé de cette (tentative de) falsification du championnat de D1A, en fin de saison passée.

Pourtant, avant même l’action du parquet, il y avait eu des soupçons, quand Eupen avait battu l’Excel Mouscron 4-0 lors du dernier match, s’assurant l’avant-dernière place, devant Malines. Peu après le match, le gardien d’Eupen, Hendrik Van Crombrugge, était furibond.

Il avait déclaré aux journalistes que Malines avait pris des initiatives intolérables envers le club des cantons de l’Est. Mais pour le parquet de l’UB, ça ne suffisait manifestement pas à une étude approfondie.

L’enquête qui a débuté en novembre dernier, parallèlement à celle menée en justice judiciaire, a été conduite par Ebe Verhaegen. Il a notamment analysé le match FC Malines-Waasland-Beveren, qui se déroulait également lors de la dernière journée de championnat.

Mais avant leur interrogatoire, les dirigeants du Freethiel ont aligné leurs versions. Verhaegen a également été confronté à différentes personnes qui ont invoqué leur droit au silence.

Mener une enquête dans de telles conditions n’est pas facile pour le parquet fédéral, qui ne peut pas demander de perquisitions ni d’écoutes téléphoniques. Les langues n’ont commencé à se délier que quand Verhaegen a reçu 35 pièces du document judiciaire.

Le pistolet à eau de Wagner

Afin de compenser la limitation des pouvoirs du parquet fédéral, les affiliés de l’UB sont obligés de signaler toute tentative de corruption. Le règlement stipule que c’est valable lors du moindre soupçon de falsification. Tout manquement entraîne des sanctions adéquates.

 » Comme le procureur fédéral doit se contenter d’un pistolet à eau, je comprends qu’on prenne ce devoir au sérieux « , a déclaré Jesse De Preter à la commission des litiges d’appel, la première à s’être penchée sur l’affaire.

De Preter défendait Olivier Myny, l’ancien avant de Waasland-Beveren, qui avait été appelé par son manager du moment, Thomas Troch, avant le match contre Malines. Le procureur fédéral Kris Wagner estimait que Myny aurait dû signaler ce coup de fil douteux.  » Mais le système actuel d’obligation de signalement est une utopie « , avait ajouté De Preter.

Ce devoir pose en effet des problèmes, à commencer par la méconnaissance du concept. Beaucoup de joueurs n’en avaient jamais entendu parler avant cette affaire. Selon ses dires, Myny se trouvait dans le cas.

Dirk Huyck, pourtant président de Waasland-Beveren, maintient n’avoir rien su de ce devoir et ne donc pas s’être tourné vers la fédération quand Veljkovic l’a approché avant le match contre Malines.

En principe, tout affilié est censé connaître le règlement. Mais la commission des litiges d’appel n’a pas été rigoureuse. Elle a cru Myny et l’a acquitté. Même un dirigeant, comme Huyck, a bénéficié de sa clémence. Donc, même si la fédération aime présenter ce devoir de signalement comme un bâton redoutable, il s’est avéré plutôt mou ces dernières semaines.

Le parquet fédéral n’a même pas requis de suspension contre Van Crombrugge, qui aurait également dû s’acquitter de ce devoir mais est donc resté passif.

Un tigre édenté

La procédure pose également problème. Beaucoup de footballeurs ne savent pas à qui s’adresser quand ils sont approchés. La réponse est bien camouflée sur le site de belgianfootball. Tout en bas du sous-menu Compétitions, il y a  » falsification de la compétition « .

En cliquant sur ce lien, on obtient le mode d’emploi et les coordonnées du parquet fédéral et de l’ Integrity OfficerThibault De Gendt, avec les adresses e-mail et les numéros de GSM de De Gendt et de Wagner. Mais on ne trouve pas ce chapitre dans la version anglophone du site alors que le championnat de Belgique regorge d’étrangers ne comprenant ni le français ni le néerlandais.

De Preter n’apprécie pas que ce centre de signalement se trouve au sein de la fédération :  » Quand les joueurs ont-il affaire à l’URBSFA et au parquet fédéral en particulier ? Quand ils ont reçu une carte rouge et qu’ils risquent une suspension. Pourtant, ils devraient se tourner vers ce même parquet fédéral en cas de match-fixing. Il est temps qu’on mette en place un point de signalement dans les clubs et qu’on publie une brochure sur ce qu’on fait des informations reçues.  »

Un point de signalement dans les clubs ne résoudrait pas tout. Imaginez qu’un président de club soit approché et incite un de ses joueurs à participer à la fraude : celui-ci va-t-il signaler l’infraction à son propre club ? La question amène au problème suivant : la menace qu’une dénonciation constitue pour les relations entre les personnes.

Prenez, par exemple, le coup de fil entre Troch et Myny. En principe, le joueur doit dénoncer une personne de confiance. L’UB exige donc de jeunes, voire d’adolescents, qu’ils ne reculent pas, même si la dénonciation concerne des personnes cruciales pour leur carrière ou auxquelles ils doivent une certaine reconnaissance. Il est tout à fait logique que le joueur ne parle pas, d’autant que le parquet fédéral ressemble à un tigre édenté.

Le petit rapporteur

Il y a de fortes chances pour qu’une telle dénonciation débouche sur un face-à-face qui cause surtout des ennuis au rapporteur. En outre, dans le milieu du football professionnel, qui préfère que beaucoup de pratiques soient occultées, il ne fait pas bon traîner l’étiquette de rapporteur. Ce n’est pas un hasard si le mot omerta revient dans le dossier de l’UB, à propos de cette affaire.

Enfin, il y a eu un moment éloquent : face à la commission des litiges, Myny s’est spontanément demandé s’il aurait signalé le cas s’il avait été approché par une autre personne que son agent.

 » Je n’en suis pas certain « , a-t-il admis honnêtement.  » Parce qu’en tant que joueur, je n’ai aucune garantie.  » Aux côtés d’une volée de dirigeants devant répondre de match-fixing, sous le regard d’une meute de journalistes, Myny a dit :  » Imaginez que ce soit moi qui ait déclenché toute cette affaire. Quelles en auraient été les conséquences pour moi ? « 

 » Imaginez que j’aie été à la base de cette affaire « , a déclaré Olivier Myny pendant la procédure disciplinaire de l’Opération Mains Propres, en se demandant s’il aurait rempli son devoir s’il avait été contacté par une autre personne que son agent.© BELGAIMAGE

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