Qilian Range -11, Zhuang Hui, 2015. © Zhuang Hui's/Lianzhou Museum of Photography

Made in China

La fin d’année 2017 fut faste pour la photographie chinoise, qui a vu s’ouvrir à Lianzhou un premier musée public entièrement consacré à la discipline. Visite guidée.

Situé dans une des rues les plus anciennes du centre-ville de Lianzhou, à 250 kilomètres au nord de Canton, le Lianzhou Museum of Photography flambant neuf occupe un îlot au coeur duquel se trouve une ancienne fabrique, dont la façade et la structure ont été conservées. Par un jeu de passerelles et de coursives, le bâtiment d’origine est aussi symboliquement relié à la nouvelle construction qui l’englobe, l’ensemble étant surmonté par un toit- terrasse où auront lieu concerts et projections. Cette inclusion dans l’environnement urbain est matérialisée par un vaste rez-de-chaussée d’accès libre et rehaussé de plantations.

L’ouverture d’un premier musée public de la photo en République populaire de Chine témoigne d’une aventure au long cours. Alors que le régime politique semble se durcir, son ouverture apparaît à vrai dire comme une victoire de la persévérance. En 2005, la Chinoise Duan Yuting fonde à Lianzhou –  » petite  » ville à l’échelle chinoise mais de 500 000 habitants tout de même – un premier festival international dédié à la photographie contemporaine. A l’époque, les habitants se retournent encore systématiquement sur le passage des Occidentaux, au point de s’arrêter avec leur mobylette en plein milieu de la circulation… La situation a bien changé depuis, la ville s’est modernisée, les boutiques de téléphonie aux enseignes lumineuses éblouissantes ont fleuri dans toutes les rues commerçantes et les selfies en compagnie des Européens font fureur chez les jeunes étudiants qui gardent les expositions (c’est d’ailleurs Your selfie stick (and you) qui avait été retenu comme titre pour la 13e édition du festival, du 2 décembre au 2 janvier).

Devenu une référence nationale et internationale incontournable, le festival se devait logiquement de donner lieu un jour à la création d’un musée dédié à la photo chinoise contemporaine. Duan Yuting en est la fondatrice et aujourd’hui la directrice. Une tâche qu’elle partage avec le Français François Cheval, qui a dirigé pendant vingt ans le musée de la photographie Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône. Leur musée s’inscrit dans la continuité d’un événement majeur qui a su privilégier des rencontres et une affiche  » internationale « , dans laquelle la photographie chinoise n’a pas le monopole,  » même si tous les photographes chinois de renom sont un jour passés par Lianzhou « , insiste François Cheval.  » Cette ouverture à l’étranger est précisément une des caractéristiques de la photographe chinoise « , rappelle Duan Yuting.  » Quand vous voyez le nombre de jeunes artistes chinois partis étudier en Europe ou aux Etats-Unis, vous vous rendez compte qu’ils sont curieux d’apprendre ce qui se passe à l’Ouest. La photographie est un art d’origine occidentale que les Chinois sont avides de mieux connaître.  »

Zhao Yiping chez elle, Zhang Hai'er,  Guangzhou, 1989.
Zhao Yiping chez elle, Zhang Hai’er, Guangzhou, 1989.© ZHANG HAI'ER

On ne s’étonnera donc pas qu’un tiers de la programmation du festival soit consacrée à la photographie étrangère, la japonaise y occupant par ailleurs une part importante. Inscrite dans celle du festival, la programmation du musée est pour l’heure consacrée pour moitié à deux artistes chinois (Zhuang Hui et Zhang Hai’er) et pour l’autre à deux artistes occidentaux : le jeune Français Baptiste Rabichon et le célèbre photographe américain Albert Watson, qui a photographié Pékin en 1979.

Etat de la censure

A l’inverse d’une photographie japonaise, par exemple, souvent stylistiquement reconnaissable, la photographie chinoise est beaucoup plus diversifiée, tant dans sa forme que dans son contenu. C’est le sentiment qui se dégageait cette année encore du festival. Outre des recherches visuelles pures (Fan Xi) et des expérimentations virtuelles ou numériques (Shang Liang, Zhang Jin), il y était aussi question d’écologie et de pollution (Du Zi, Yang Tiejun), tout comme de transformations urbaines (Zhang Kechun, Tang Haowu), soit quelques-unes des principales préoccupations de la société chinoise contemporaine, dont l’omniprésence des caméras de surveillance que Xu Yihua traite à l’image de véritables portraits.

A côté de cette dimension actuelle et de l’ancrage dans une société toujours en pleine mutation, d’autres cultivent une certaine nostalgie d’un passé ancestral. Outre des portraits (Li Weikun, Yan Ming), celle-ci se matérialise par l’évocation du monde rural (Sun Yanchu), de la culture ancestrale (Xu Peixu), de la religion et des temples (Li Ming, Wu Dengcai), sans oublier un remarquable portrait du Tibet, de ses habitants et de ses paysans, dû à Jiang Zhenqing. Des images  » sages « , comme si ce pays faisait désormais partie d’un passé sans plus d’avenir…

Bien que florissant, celui de la photo chinoise doit encore faire avec une censure omniprésente et très visible. Ciblée sur des critères variés dont les Occidentaux ne saisissent pas toujours la pertinence, elle cible différents types d’images : représentations de la nudité bien sûr (la sexualité, n’en parlons pas) et des armes à feu (même quand elles sont factices), ou plus fondamentalement textes et légendes explicitant une image a priori des plus anodines. C’était particulièrement visible à Lianzhou fin 2017. Salles purement et simplement fermées (comme il s’agit d’expositions monographiques, tout le travail de l’artiste demeure dans ce cas invisible) pour le pire des cas, images décrochées çà et là au sein d’une exposition, laissant de grandes portions de cimaises vides, pour le meilleur…

Le Lianzhou Museum of Photography.
Le Lianzhou Museum of Photography.© lian zhou

Alors qu’en Europe, de tels actes entraîneraient de facto vagues de protestations et déchaînement sur les réseaux sociaux, en Chine cet état de fait semble accepté avec un certain fatalisme. Même si certains artistes y auront trouvé l’occasion de dénoncer l’effet de censure en l’accentuant, redessinant le tracé laissé par le cadre sur le mur, ou laissant les spots projeter un halo de lumière sur l’emplacement vide… Reste qu’un jour n’est pas l’autre. Celui de l’inauguration du musée, en présence de nombreux officiels, était manifestement celui de tous les risques et de tous les dangers. Si plusieurs salles ont rouvert dès le lendemain, d’autres seront restées mystérieusement fermées…

Lianzhou Museum of Photography, expositions jusqu’au 2 avril 2018. www.LMoP.org.cn

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