L’Union Belge désavouée

Suite à une décision de la Cour d’appel de Bruxelles, la fédération doit cesser ses poursuites à l’égard de Mitu, Nikolovski et Fassotte. Au moins provisoirement…

M arius Mitu, ex-joueur d’Anderlecht et du Lierse, est soupçonné d’avoir participé à la falsification de matches de D1 à l’époque où il évoluait encore au Lierse. Il a avoué à la police avoir reçu de l’argent du Chinois Zheyun Ye… mais prétend qu’il n’a pas truqué une seule rencontre. En outre, il affirme que Ye a été présenté aux joueurs comme investisseur par le club et que l’argent était destiné à régler le salaire de footballeurs impayés depuis trois mois. Mais le Roumain a également admis le fait qu’après avoir reçu les enveloppes du Chinois, il a compris que ces versements avaient pour but de corrompre les joueurs et qu’il aurait restitué l’argent.

Une instruction pénale a été ouverte et une procédure disciplinaire diligentée par l’Union Belge. Mitu a alors demandé au président du tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en référé, d’enjoindre à l’URBSFA de cesser ces poursuites disciplinaires. Mais il avait été débouté. C’est la raison pour laquelle il a interjeté appel de cette ordonnance de référé devant la Cour d’appel de Bruxelles, qui a rendu sa décision le 8 février dernier, à nouveau en référé.

L’urgence est une condition du référé et est établie lorsque la crainte d’un préjudice sérieux rend une décision immédiatement souhaitable. A cet égard, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Mais il statue au provisoire, en ce sens que son ordonnance ne lie pas le juge qui se prononcera sur le fond de l’affaire… et ne sera pas obligé de suivre la position du juge des référés.

En interjetant appel de la première décision de référé, Mitu (représenté par Maîtres Luc Misson et Grégory Ernes) demandait à nouveau que les poursuites de l’U. B. cessent à son égard tandis qu’elle souhaitait la confirmation de l’ordonnance. Mitu estimait que la procédure disciplinaire et une éventuelle sanction à son égard portaient illégitimement atteinte à ses droits à un procès équitable, à la poursuite de sa profession, à sa liberté d’association et à sa vie privée. Les demandes d’ Igor-Sasa Nikolovski et de Laurent Fassotte ont été jointes à celles de Mitu.

Les précisions juridiques

Ici, on rentre dans des nuances importantes.

1. Les joueurs sont des affiliés et pas des membres

La Cour met en exergue le fait qu’il découle de l’article 2 de la loi du 24 mai 1921 que l’U.B., en tant qu’association sans but lucratif,  » jouit à l’égard de ses membres du droit d’émettre des règlements auxquels ils sont soumis et d’adopter à leur égard des sanctions prises en vertu de ce règlement « . Elle affirme que les trois joueurs ne sont ou n’étaient que des joueurs affiliés et n’ont donc pas la qualité de membres de l’U.B. et, qu’ainsi, le règlement en question leur est inopposable. La Cour précise encore que le dossier fourni par l’U.B. est incomplet en ce sens qu’il ne permet de prouver que les appelants se seraient engagés contractuellement à se conformer au règlement ! L’URBSFA invoque encore les conventions collectives du travail du 12 juin 1998 et du 26 mars 2003 mais la Cour précise que celles-ci ont pris fin.

2. Ils ne mettaient pas la compétition en péril

Mitu a soutenu ensuite que les poursuites disciplinaires devaient être suspendues jusqu’à l’aboutissement des poursuites menées par les autorités judiciaires. La Cour précise que le Règlement URBSFA (article VII/I) stipule que lorsque la justice est également saisie, les instances de l’U.B. ne peuvent statuer sauf pour les mesures disciplinaires destinées à assurer l’homogénéité du déroulement des compétitions. La Cour assure ensuite que l’URBSFA n’a pas précisé l’interprétation à donner à cette exception et qu’il ne ressort pas du dossier fourni que de telles mesures s’imposaient pour assurer l’homogénéité des compétitions. Et la Cour d’affirmer qu’il semble que les poursuites disciplinaires ne peuvent être reprises sans attendre l’issue des poursuites pénales.

3. Les joueurs n’avaient pas de recours

Enfin, les joueurs estiment qu’on a violé à leur égard la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle dispose que toute personne a droit à un procès équitable et que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Pour les appelants, il y aurait une atteinte illicite à leur droit du travail. La Cour affirme que le Règlement URBSFA  » fait obstacle, en plusieurs dispositions, au recours de pleine juridiction dont les appelants devraient bénéficier devant une juridiction ordinaire créée par la loi et statuant dans des conditions conformes à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « .

En d’autres termes, Mitu ne pourrait contester effectivement une sanction que l’U.B. prendrait à son égard.

En conclusion, la Cour d’appel de Bruxelles enjoint à l’URBSFA de cesser les poursuites disciplinaires qu’elle a entreprises à l’encontre de Mitu, Nikolovski et Fassotte. Mais comme on l’a dit plus haut, cette décision n’ordonne que des mesures provisoires et le juge du fond n’est pas tenu par cette décision. Misson a trente jours pour introduire son action, ce qu’il fera mais la décision finale prendra du temps.

Les réactions

Les réactions ont évidemment été nombreuses. Me Misson s’est montré très enthousiaste et voit dans cette décision une véritable révolution :  » La Cour suit notre argumentation en estimant que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme s’applique dans ce cas. Elle dit en fait qu’on ne peut priver une personne de travail sur décision de la juridiction privée d’une simple ASBL « .

Selon lui, les tribunaux privés de l’U.B. ne pourraient plus sanctionner les joueurs ! Il estime que les conséquences potentielles de cette décision sont considérables car elle pourrait entraîner rétroactivement la caducité de nombreuses sanctions disciplinaires prises par les diverses juridictions sportives.  » On peut imaginer en effet que certains de ceux qui ont déjà été sanctionnés se retournent contre l’U.B. pour demander des dommages et intérêts « , affirme un Me Misson, qui espère que cette décision fera jurisprudence.  » Cela pourrait entraîner une perte de souveraineté importante des fédérations sportives, mais je considère cela comme un progrès « . Me Misson estime qu’une intervention législative constitue la seule alternative. Il faudrait que le législateur mette  » sur pied de véritables juridictions sportives, peut-être des chambres spécialisées dans certains tribunaux « .

De son côté, la fédération. a fait état de son impuissance. René Verstringhe, procureur fédéral de l’U.B. a en effet déclaré :  » Nous ne pouvons rien faire. L’Union Belge devra attendre la décision sur le fond pour pouvoir poursuivre l’affaire d’une manière disciplinaire « . Il estime que le dossier fourni par la fédération à la Cour n’était pas complet. Il ne pouvait donc être démontré que  » Mitu était bien membre de l’Union Belge de football, et qu’il était par conséquent bien lié au règlement de la fédération « . Selon Verstringhe, le débat a été déplacé de son point d’ancrage :  » Il n’en va pas d’une question du droit du travail, mais bien d’une question d’adhésion au règlement d’une fédération « . Il espère que la juridiction de fond donnera raison à l’U.B… qui devra donc prouver que Mitu était bel et bien lié par le règlement URBSFA.

Des spécialistes se sont également prononcés, comme Roger Blanpain, professeur émérite en droit du travail à l’université catholique de Louvain (KUL) et très étonné :  » quand une procédure pénale est en cours, une organisation comme l’U. B. de football doit quand même pouvoir prendre des mesures provisoires si elle dispose de preuves (…) pour pouvoir réaliser ses objectifs, chaque fédération doit pouvoir prendre des mesures disciplinaires contre ceux de ses membres qui ne respectent pas les règles « .

La situation contraire ne serait pas viable :  » Attendre une décision de justice peut prendre des années « .

Tim baete

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