LUCKY LUKE

Dodi Lukebakio bouscule la hiérarchie à Anderlecht. A la fois souple, rapide et explosif, il s’est imposé devant Ibrahima Conte et l’Egyptien Trezeguet. Portrait de la dernière promesse anderlechtoise.

Avant d’aller se coucher, DodiLukebakio (18) regarde une dernière fois CristianoRonaldo et Neymar dans les yeux. Comme tout adolescent qui aime le foot, il a décoré les murs de sa chambre, à Asse, de posters de ses idoles. L’ailier possède également une photo de lui avec SamuelEto’o et RogerMilla. Elle a été prise lors de l’été 2009, à l’issue du match de gala entre Tubize et l’équipe nationale du Cameroun.

Bien entendu, son père, Roger – ami intime de RogerLukaku – a dû lui expliquer qui était Roger Milla. Dans l’imaginaire de Lukebakio, même Eto’o n’arrive pas à la cheville de Ronaldo. Pour lui, le virtuose Portugais est le meilleur de tous. Il a même un point commun avec lui : il sait emmener le ballon, rentrer dans le jeu et tirer en foulée.

Lukebakio faisait déjà cela à l’âge de 7 ans, dans son premier club, à Asse Zellik. C’était en 2002. A 12 ans, il est passé au Brussels, sous la coupe de ThierryCabeke. Lorsqu’il ratait son bus, celui-ci lui servait même de chauffeur.  » Nous avions quatre entraînements par semaine et il ne lui était pas toujours facile de rejoindre Bruxelles « , dit Cabeke.

 » Parfois, il partait avec moi ou avec le délégué. Ou alors, il faisait du covoiturage avec un équipier. Ce n’était pas un traitement de faveur parce qu’il était meilleur que les autres : au Brussels, la solidarité n’était pas un vain mot.  »

A l’époque, Cabeke disposait d’une ligne d’attaque exceptionnelle : Lukebakio et RyanMmaee (aujourd’hui au Standard).  » Dodi n’était ni le plus rapide ni le plus grand mais sa vista et sa technique lui permettaient de se sortir des situations les plus difficiles. De là à dire qu’il allait s’imposer à Anderlecht, il y avait un pas que je n’aurais jamais franchi. J’ai travaillé avec MichyBatshuayi. Lui, je savais qu’il y arriverait. Dodi a un peu moins de qualités intrinsèques que lui.  »

L’OUVRE-BOÎTE

Lors d’un tournoi en France, Lukebakio impressionnait les recruteurs du Borussia Dortmund et d’Arsenal mais sa famille ne voulait pas qu’il quitte Asse.  » Nous trouvions qu’il était trop jeune « , dit sa maman, NanaNgandoli.  » Nous lui avons expliqué pourquoi il valait mieux rester ici et il a compris. Je ne suis même pas certaine qu’il se serait amusé, tout seul, si loin. Il aime être entouré de sa famille. Il n’a pas l’intention d’aller vivre seul, par exemple.  »

A l’âge de 13 ans, Lukebakio changeait pourtant d’air puisqu’il passait à Anderlecht. Au début, en U15, il jouait peu. Mais l’année suivante, il croisait la route de ThierryVerjans.  » J’ai tout de suite remarqué qu’il était aussi agile qu’un félin « , dit Verjans, désormais revenu au Standard.

 » Il dribblait toujours vers l’avant, cherchait la profondeur. Je le surnommais l’ouvre-boîte : il pouvait faire basculer un match à lui tout seul. La plupart du temps, nous faisions la différence dans le premier quart d’heure. Mais il avait du mal à être présent pendant les 90 minutes. Il n’avait pas encore suffisamment de coffre pour entreprendre quinze à vingt actions par match.  »

Malgré un potentiel indéniable, Lukebakio passait entre les mailles des filets des agents. MichelDupont et ÖmerZihlan, par contre, étaient sous le charme.  » Il y avait beaucoup de déchet dans son jeu mais il avait quelque chose de spécial « , dit Dupont qui, depuis un peu plus de deux ans, s’occupe de lui.

 » A chaque fois qu’il marquait ou délivrait un assist, Anderlecht l’emportait. Pour le stimuler, je l’ai mis au défi : être impliqué dans la moitié des buts de son équipe en U17 ou en U19. Quand il est passé en espoirs, j’ai ramené la barre à 30 % mais comme c’était trop facile, je l’ai replacée à 50 %.  »

Par moments, Lukebakio avait tendance à faire preuve de nonchalance. En U17, MohamedOuahbi, qui fait désormais partie du staff de BesnikHasi, était son entraîneur.  » Ouahbi ne l’a pas épargné « , dit Dupont.  » Parfois, il le remplaçait après 20 minutes parce qu’il n’en touchait pas une.

Il arrivait que Dodi pète les plombs : il s’emparait du ballon et tentait de dribbler cinq hommes. Evidemment, il finissait par le perdre mais, quelques minutes plus tard, il recommençait. Ouahbi devenait fou. Ses équipiers aussi en avaient ras-le-bol. Mais comme il permettait aussi très souvent à l’équipe de gagner, on le lui pardonnait.  »

ORTEILS GELÉS

A Neerpede, tout le monde n’était cependant pas convaincu des qualités de Lukebakio.  » Il avait des partisans et des détracteurs « , dit un employé d’Anderlecht.  » Ces derniers disaient qu’il n’avait pas de cervelle. Ce qui est comique, c’est que j’entends maintenant des entraîneurs dire qu’ils ont participé à son évolution alors qu’ils ne croyaient pas du tout en lui.  »

Lukebakio perçait définitivement en mars dernier, à l’occasion du match des huitièmes de finale de la Youth League, face à Barcelone. Titularisé pour la première fois dans cette compétition, il jouait un rôle important dans la victoire (1-0) obtenue face au club espagnol. Après le match, il se disait que les élèves de La Masia, meilleur centre de formation du monde, n’étaient pas meilleurs que lui.

La récompense tombait en décembre puisqu’on lui proposait de signer un contrat jusqu’en 2020, avec la promesse d’une augmentation de salaire s’il s’imposait en équipe première. Lukebakio se mettait à rêver d’une Lamborghini noire aux vitres teintées mais son entourage avait tôt fait de lui rappeler qu’à ce stade de sa carrière, l’argent était accessoire et qu’il devait surtout jeter les bases de son avenir.

 » Je dois dire que Dodi a de l’avance sur le plan de carrière que nous avions établi « , dit Dupont.  » L’objectif était de participer au stage hivernal en Espagne et de monter quelques fois au jeu en 2016. Nous visions surtout les derniers matches des play-offs, si les décisions étaient tombées.  »

Il arrive que son manque de maturité joue de temps en temps des tours à Lukebakio. Comme lors du dernier match de poule d’Europa League, contre Qarabag. Pendant 25 minutes, il n’en a pas touché une parce qu’il avait les orteils gelés.

 » Ses chaussures étaient trop serrées « , rigole Dupont.  » Le sang ne circulait donc pas bien. Je lui ai conseillé, quand il gèle, de n’attacher ses lacets qu’au moment d’aller s’échauffer et de mettre du poivre sur ses pieds. Il est encore jeune mais il doit éviter ce genre de petits accidents.  »

Verjans pense aussi que Lukebakio a surtout besoin d’être bien encadré.  » Un jour, j’ai rencontré Dodi au centre d’entraînement avant une séance photos avec les U21. Il venait de passer dans le noyau A. Il portait des boucles d’oreilles géantes. Je lui ai dit : Vu ta réputation, tu devrais être discret, d’autant que tu vas poser pour la photo.

Il y a une chose dont je ne doute pas : Lukebakio aime Anderlecht. Un jour, je lui ai demandé quel était son rêve et il m’a répondu : Jouer en équipe première d’Anderlecht. Beaucoup de jeunes de son âge auraient parlé de Chelsea, du Bayern ou de Barcelone. Lui, il a dit : Anderlecht.  »

À 70 % DE SES CAPACITÉS

Avec neuf matches et près de 360 minutes de jeu en D1, DodiLukebakio a bousculé la hiérarchie anderlechtoise. A Saint-Trond, il s’est montré très moyen et BesnikHasi aurait pu le faire sortir mais il a préféré retirer DennisPraet.

 » Pourtant, Dodi n’est qu’à 70 % de ses capacités « , assure MichelDupont.  » Il cherche surtout à ne pas faire de bêtise et je peux le comprendre : Hasi s’est mouillé pour lui et il ne veut pas trahir sa confiance. Mais parfois, j’aimerais le voir tenter quelque chose. Il ne devrait avoir peur de rien.

DiegoSimeone a dit un jour qu’un joueur devait monter sur le terrain comme si chaque match était son dernier. Je l’ai déjà répété plusieurs fois à Dodi et c’est maintenant à lui de jouer. Veut-il faire une carrière à la KevinDeBruyne ou suivre la même courbe qu’IbrahimMaaroufi, qui a joué à l’Inter et se retrouve en provinciale ?  »

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il n’était ni le plus rapide ni le plus grand mais sa vista et sa technique lui permettaient de se sortir des situations les plus difficiles.  » THIERRY CABEKE, SON ANCIEN ENTRAÎNEUR AU FC BRUSSELS

 » En U17, Mohamed Ouahbi ne l’a pas épargné. Parfois, il le remplaçait après 20 minutes parce qu’il n’en touchait pas une.  » MICHEL DUPONT, SON AGENT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire