LOUIS D’OR

Avec une médaille de bronze en poche, obtenue avec la sélection oranje lors de la récente Coupe du Monde au Brésil, le coach batave s’est présenté sûr de lui à Old Trafford. Après des titres en Espagne et en Allemagne, Louis van Gaal veut à présent conquérir l’Angleterre et Manchester United avec ses méthodes de travail et sa philosophie. Un défi gigantesque, mais à la taille de ce personnage hors-normes.

Après deux journées consacrées à des prises de contact frénétiques à Manchester, LouisvanGaal a traversé l’Atlantique pour la troisième fois en un peu plus d’un mois et demi. Cette fois, ce n’était pas en direction du Brésil, mais de la Californie, pour une tournée de deux semaines aux Etats-Unis parsemée de matches amicaux lucratifs à Los Angeles, Denver et Washington entre autres. Ce n’est pas neuf : le football est devenu un sport universel. La Premier League n’est plus la chasse gardée de l’Angleterre, elle s’expose mondialement, à présent, et recrute ses fans aux quatre coins de la planète.

L’homme qui a conduit les Pays-Bas à la médaille de bronze à la Coupe du Monde 2014 a fait irruption dans une industrie qui brasse des milliards. Van Gaal a bien sûr déjà conquis ses galons comme coach du FC Barcelone et du Bayern Munich, mais il était alors le capitaine d’un paquebot de croisière. Désormais, il est aux commandes d’un pétrolier géant. La force d’attraction de Manchester United dépasse tout entendement. Aucune équipe ne jouit de plus de sympathie, d’admiration et de soutien.

Les Mancuniens se targuent de compter près de 650 millions de suiveurs à travers le monde, un chiffre presque irréaliste. Cela signifie que près d’un habitant sur onze de notre bonne vieille terre avoue une préférence pour ce club créé en 1878 par des travailleurs de la ligne de chemins de fer Lancashire-Yorkshire. Louis van Gaal a désormais pouvoir de décision – au niveau sportif du moins – sur cette entreprise dont les chiffres font tourner la tête. Il a d’ailleurs directement compris où il mettait les pieds et l’a fait comprendre lors de sa première confrontation avec la presse britannique.

Thisisthebiggestcluboftheworld’, a-t-il déclaré. Il essayera d’y imposer sa philosophie. Les résultats sur le terrain sont directement traduits en millions qui entrent dans les caisses. Manchester United est une usine à rêves, qui ne peut jamais cesser de fonctionner, et doit être entretenue. Même si la tournée américaine risque, une fois encore, de laisser des traces dans les organismes. Van Gaal s’y est plié, car le programme avait été concocté longtemps avant son arrivée, mais il veut y apporter des aménagements dans le futur, comme il l’a rapporté lors d’un premier point-presse aux States. Une manière de marquer déjà clairement son territoire.

A la tête d’une usine à millions

Les BusbyBabes, Benfica1968, GeorgeBest, SirBobbyCharlton, TheClassof92, FergieTime : c’est l’ADN d’un club qui, pendant 26 ans, a été dirigé d’une main de fer par un homme qui a façonné à sa manière d’innombrables formations championnes. SirAlexFerguson pouvait se montrer intransigeant lorsqu’il était nécessaire d’intervenir. Manchester était son royaume. Il régnait sans partage sur son domaine.  » Et il l’a dirigé à la perfection « , a assuré Van Gaal à son arrivée dans son nouvel entourage. Pour ensuite jouer avec les mots ‘autocratique’ et ‘démocratique’, voulant dire par là qu’il n’était pas le type bourru qu’on imaginait, mais qu’il comptait néanmoins imposer ses propres méthodes. Tout comme Sir Alex.

Aujourd’hui, on peut le dire : succéder à Ferguson, c’était mission impossible. DavidMoyes était arrivé avec l’étiquette d’Élu (TheChosenOne), mais il s’est engagé dès le début dans un combat perdu d’avance. Il était trop ordinaire, trop novice, trop  » entraîneur d’Everton « . L’Ecossais n’avait pas pris conscience de la dimension du club où il était appelé à travailler. On s’en est aperçu dès les premiers entraînements de United à Sydney. Moyes emmena ses joueurs sur la plage populaire de Bondi Beach pour une séance de team-building et se retrouva lui-même pris au piège sur la terrasse d’un night-club.

La sélection avait dû fuir devant une meute de chasseurs d’autographes et ne put rejoindre son hôtel qu’après que la voie eut été dégagée par les gardes de sécurité. Une erreur d’évaluation qui aura finalement eu des conséquences sur l’autorité de Moyes. Lors d’une tournée similaire d’Everton en Australie, aucun de ses joueurs n’avait été reconnu. Même TimCahill avait pu se balader quasiment incognito. Même pays, autre monde.

Diriger Manchester United, cela ne se limite pas à disposer ses pions sur l’échiquier. Van Gaal est aujourd’hui la figure de proue d’une multinationale, d’une usine à millions dont le football est la principale composante. Les footballeurs et le staff technique forment la base du palais des rêves qu’est Manchester United. Les juteux contrats de sponsoring, la popularité en Asie et les bénéfices florissants engendrés par le merchandising dépendent des 90 minutes prestées sur la pelouse. Sur le site officiel du club, la philosophie est résumée en sept mots : playingattackingfootballandcompetingfortrophies.

Le premier coach continental à Old Trafford

Au Théâtre des Rêves, les supporters doivent être gâtés et la victoire doit être au bout de la prestation. Et de préférence dans cet ordre. Mais, si c’est l’inverse, c’est bon aussi. On s’en est aperçu lors des dernières années de Ferguson, lorsqu’une approche plus pragmatique avait permis de compenser les manquements de la formation. Lors du dernier titre, conquis lors de la saison d’adieu de Sir Alex, un grandiose RobinvanPersie avait camouflé les lacunes qui étaient apparues au grand jour sous David Moyes, l’année suivante.

Manchester United appartient désormais à Louis van Gaal et à son staff, comme il aime le souligner lui-même. Ce n’est pourtant pas anodin. Le Néerlandais, qui fêtera ses 63 ans le mois prochain, est le premier  » continental  » appelé à diriger les Red Devils. L’Irlandais FrankO’Farrell est le seul non-Britannique à avoir été aux commandes du vaisseau d’Old Trafford pendant 18 mois, au début des années 70, mais à part cela, le club a toujours été dirigé par des managers anglais, écossais ou gallois.

L’emprise de l’Ecossais Moyes fut bien moindre que celle de son prédécesseur, qui l’avait pourtant désigné lui-même comme son successeur et qui lui avait confié les clefs du palais. Le choix de Van Gaal s’est fait de façon plus collégiale, même s’il émane principalement de la famille Glazer, les propriétaires américains du club. Ceux-ci espèrent que le Néerlandais parviendra à stopper la chute libre que certains analystes ont prédit. Liverpool a aussi régressé après le départ de RafaelBenítez et il lui a fallu des années pour sortir de l’impasse. Ce n’est que la saison dernière que les Reds ont de nouveau joué les premiers rôles. On ne sera pas aussi patient avec Van Gaal. Il doit réussir directement, les intérêts sont trop grands (voir cadre).

Mais ce ne sera pas évident. Le paysage footballistique anglais est plus étendu que celui de la PrimeraDivisión ou de la Bundesliga, où seuls deux ou trois clubs peuvent prétendre au titre. La Premier League pourrait être comparée, avec un peu d’imagination, au Grand National, cette légendaire course hippique qui passionne les Britanniques à l’hippodrome d’Aintree, où les chevaux doivent franchir 30 obstacles sur une distance de quatre miles. Chaque erreur peut se révéler fatale.

Le plus grand show footballistique au monde

Demandez-le à JoséMourinho, lui qui a vu ses chances de titre s’évaporer après un nul blanc à Stamford Bridge contre les Hammers. La Premier League est le plus grand show footballistique au monde, mais aussi le plus exigeant sur le plan physique. Le fait que United (tout comme Liverpool l’an passé) ne participera à aucune compétition européenne peut être un avantage. Manchester United devra se mesurer à des sérieux rivaux partout, y compris dans sa propre ville où City, avec l’aide des pétrodollars, est en train de construire un empire impressionnant.

Il y a aussi les grandes puissances de Londres. Arsenal semble s’être renforcé avec l’arrivée du Chilien AlexisSánchez, et dans la partie occidentale de la capitale, Chelsea a vu débarquer ces dernières semaines des footballeurs de classe mondiale à profusion. Avec ThibautCourtois, CescFàbregas, FilipeLuís et DiegoCosta en plus, Mourinho peut bâtir une équipe à son image : une machine de guerre capable d’intimider tous ses adversaires. Et on n’oubliera pas Tottenham Hotspur, qui frappe aux portes du Top 4 depuis plusieurs années.

Les Spurs ont investi 121 millions l’été dernier pour engager des joueurs capables de compenser le départ de GarethBale. Et nous parlons là du sixième classé du défunt championnat. Manchester United n’était que le numéro sept et Van Gaal devra à tout prix lui faire gravir plusieurs échelons.

Face à ses amis des médias, Van Gaal s’est montré charmeur durant sa présentation. Il s’est dit honoré de prendre place à côté de Bobby – pardon, SirBobbyCharlton – et avait déjà téléphoné à Sir Alex pour l’inviter à aller prendre un verre. Il a aussi éludé avec habileté les questions les plus embarrassantes. Il n’a rien voulu révéler sur les achats, ni sur l’attribution du brassard de capitaine. Celui-ci pourrait constituer une première source de tension.

Van Gaal affirme avoir besoin de quelques semaines pour établir sa liste définitive de candidats au brassard. WayneRooney le mériterait sans doute sur base de ses états de service, mais les critères de Van Gaal sont différents. Il recherche la ‘totalperson’, comme il l’a confié la semaine dernière. La personnetotale donc.

Personne n’est plus important que le club

Hormis cette question du capitanat, Van Gaal devra trouver une solution au manque de cohésion entre Rooney et Van Persie, les deux joueurs les mieux payés du club. Depuis que le buteur néerlandais est arrivé d’Arsenal en 2012, Manchester United a disputé 109 rencontres. Les deux vedettes n’ont été alignées de concert qu’à 40 reprises.

Début août, Louis van Gaal y verra déjà plus clair. Il aura alors quatre matches amicaux derrière lui. Il est même possible qu’un cinquième s’y ajoutera : à Miami, le 4 août, si son équipe atteint la finale de la mini-Champions League que United disputera contre l’AS Roma, l’Inter et le Real Madrid dans différents fuseaux horaires. Comme quoi, le business prend le pas sur les considérations purement footballistiques.

 » Personne n’est plus important que le club « , avait déjà souligné Alex Ferguson lorsqu’un de ses joueurs s’était écarté de la ligne droite. Aussi longtemps que Louis van Gaal conduira son équipe vers la victoire, on lui donnera raison. Son ego sera alors toléré. Pour l’instant, le public anglais est aux pieds de King Louis. La médaille de bronze conquise à la Coupe du Monde lui a conféré un statut quasi mythique. Les supporters prononcent son nom avec beaucoup de respect. Ils trépignent d’impatience à l’idée de le voir mettre ses idées en pratique à l’occasion du début de championnat. Wayne Rooney capitaine ou arrière droit dans le Théâtre des Rêves. Pourquoi pas ?

PAR SÜLEYMAN ÖZTÜRK – PHOTOS : BELGAIMAGE

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