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LOSC IN TRANSLATION

Le néo-triumvirat lillois concrétise enfin son assise. Gérard Lopez, Marc Ingla et Luis Campos sont désormais maîtres des Dogues. Retour sur un dossier fait de plusieurs niches, où l’on trouve même trace de Charlie Chaplin et Vladimir Poutine. Ça promet.

C’est un feu d’artifices à double visée. Sa cible première, la plus évidente : le départ de Michel Seydoux. Après quinze printemps de loyaux services, le président du LOSC se soulage de son fardeau. Dans la nuit de l’ultra moderne Stade Pierre-Mauroy, les effets pyrotechniques éclairent un second visage, plus neuf. Celui de Gérard Lopez, homme d’affaires hispano-luxembourgeois de 45 ans, annoncé comme repreneur du club lillois.

Ce 13 janvier, Nicolas De Préville sauve la fête en égalisant tardivement d’une frappe limpide contre les Verts de Saint-Étienne (1-1). Seul hic, et pas des moindres, le rachat n’a toujours pas été officialisé, ni le budget validé par la DNCG, le gendarme financier du foot français. De simples  » détails  » pour Lopez, qui devaient être réglés initialement mi-décembre puis il y a deux semaines, avant d’être finalement actés à partir de la fin de semaine dernière.

Un délai qui permet à l’ancien patron de Lotus de boucler la création de la holding française censée détenir les Dogues. Une enquête de France 3, Mediapart et Mediacités l’accuse notamment d’organiser le tout depuis une coquille des Îles Vierges britanniques. Et selon L’Équipe, l’argent n’avait toujours pas été versé au 17 janvier dernier. Entre-temps, Seydoux s’est malgré tout permis un tweet :  » Les supporters ne pourront plus dire Seydoux des sous ; ils devront dire Lopez du pèze !  » Mais les caisses seront-elles pleines ?

ÉCHECS À L’OM ET CHEZ LOTUS

 » Je suis triste mais je ne suis pas aigri.  » Par ces mots, distillés à l’AFP, Gérard Lopez ferme définitivement un chapitre marseillais qui aura tenu en haleine les supporters hexagonaux une bonne partie de l’été. L’homme vient de se faire doubler dans le dossier de reprise de l’OM par l’Américain Frank McCourt. De nouveau pour l’AFP, il déclare récemment que les négociations auraient échoué à cause de la volonté de Margarita Louis-Dreyfus de conserver 5 % des parts de l’entité olympienne pour son fils Kyril.

Mais d’après Le Journal du Dimanche, c’est plutôt le mode de paiement demandé par Lopez qui aurait fait capoter l’affaire. Il aurait souhaité payer en dix ans en… piochant dans les futures recettes du club. Une pratique dite de  » LBO  » (leveraged buy-out, ou effet de levier) qui permet notamment à la famille Glazer de s’emparer de Manchester United en 2005.

C’est cette même année que Lopez effectue son premier gros coup. Il participe à la revente de Skype à eBay par l’intermédiaire du fonds d’investissements Mangrove Capital Partners. Une transaction estimée à 4 milliards de dollars dans laquelle lui et ses associés se seraient enrichis d’environ 13 millions. Parallèlement, il fonde Genii Capital avec son ami d’enfance Éric Lux en 2008 et Nekton Group fin 2014, une société de trading de produits pétroliers et gaziers, domiciliée à Hong-Kong. Une activité qui lui permet d’inviter à sa table des politiques hauts placés tels que Vladimir Poutine.

Le président russe se retrouve à un banquet organisé par Renault, un an avant que Lopez ne transforme l’écurie de F1 en Lotus. De 2011 à 2015, il vit une aventure automobile à perte et finit par revendre l’affaire pour un euro symbolique.  » M. Lopez ne dépense pas le peu d’argent qu’il a, mais celui des autres « , fustige son ancien associé Flavio Becca dans L’Équipe.  » Il n’a pas tout l’argent qu’il dit avoir. S’il était riche, il n’aurait pas laissé tomber une écurie de F1 pour un euro.  » Le Guardian révèle néanmoins qu’il aurait versé un peu moins de 469.000 euros au parti conservateur britannique en pleine campagne pour le Brexit.

PREMIÈRE TENTATIVE À LENS

Becca est toujours en procès avec Lopez. Le mécène italo-luxembourgeois du F91 Dudelange lui reproche d’avoir fait transiter deux millions d’euros de Lotus au CS Fola Esch, premier club de Lopez, puis vers une société hongkongaise (Lynx Investments Limited) détenue par Éric Lux. Une affaire sortie par 100,7, radio du Grand-Duché, qui s’apparente clairement à du blanchiment. Si l’entourage de Lopez nie les faits, le businessman a le mérite d’avoir repris le Fola en D2 en 2007 pour le faire remonter et l’amener vers deux titres dans l’élite, en 2013 et 2015. Jusque-là, c’est sa seule réussite tangible dans le domaine du sport.

Dès 2012, il annonce dans le Financial Times disposer d’une enveloppe de 500 millions d’euros pour investir dans le ballon rond.  » Le but n’est pas d’inviter des gens à assister à des matches. Le but est d’investir dans des entreprises qui soutiennent et proposent des services aux clubs et d’acheter des clubs pour les rendre profitables « , dit-il.  » On préférerait reprendre un club qui fait 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, qu’un club avec de grandes aspirations et une énorme dette.  » Son objectif de l’époque ? S’offrir le Racing Club de Lens.

Le rival du LOSC a l’avantage d’une vitrine bien remplie et d’un centre de formation performant. Lopez n’apparaît pas officiellement dans les négociations. C’est Ingla et Mark Tluszcz, respectivement dirigeant et co-fondateur de Mangrove, qui discutent avec le président lensois, Luc Dayan. Le Crédit Agricole du Nord de la France vient de récupérer un navire à la dérive financièrement et cède finalement à l’offre plus alléchante d’Hafiz Mammadov. Mangrove souhaite d’abord participer de manière minoritaire, au contraire du milliardaire azéri, qui finira par filer avec ses promesses sous le bras.

Le groupe dirigé par Ingla veut alors aussi mettre en place une structure destinée à la tierce propriété (TPO), pas encore interdite à l’époque. Sur ce point, Mediapart évoque une spéculation sur des  » footballeurs mineurs « . L’échec lensois ne refroidit pas les ardeurs de Lopez puisqu’il se rabat sur le Deportivo Lugo, en D2 espagnole. Là encore, il se fait dépasser dans le dossier pour avoir demandé un délai de paiement pour un ticket d’entrée à  » seulement  » 1,2 millions.

SYSTÈME DE POUPÉES RUSSES

Comment et par quels moyens Gérard Lopez compte donc acquérir le LOSC ? Sur 2015, Genii Capital enregistre une perte record de 57 millions et une dette à hauteur de 113. Le fonds d’investissements, qui possède notamment le Manoir de Ban, ex-résidence suisse de Charlie Chaplin, détenait également les parts de Lopez et Éric Lux dans Gravity Sports Management. La structure, qui gérait les contrats de pilotes tels que Jérôme D’Ambrosio en négociant des pourcentages sur leurs revenus, est liquidée en avril 2015 suite à un conflit avec Flavio Becca, actionnaire minoritaire. Ce dernier dénonce une dette qu’il estime à 22 millions d’euros.

Lopez explique à l’AFP avoir déboursé  » autour de 80 millions  » pour racheter Lille. L’enquête de Mediapart, Mediacités et France 3 révèle un système de  » poupées russes  » pour effectuer l’opération. Si l’Hispano-Luxembourgeois dit vouloir  » éviter les problèmes  » en créant  » une société française qui va détenir le LOSC « , immatriculée le 13 janvier sous le nom de L Holding. Elle appartient à Victory Soccer, filiale londonienne du portefeuille de Lopez, qui n’a que 1.000 livres de capital social, et qui est aussi propriété d’un groupe hongkongais offshore, Chimera Consulting, puis elle-même d’une dernière coquille aux Îles Vierges britanniques. Mais impossible de savoir si Lopez est seul derrière ce montage. Il n’existe pas de registre public des bénéficiaires des sociétés dans l’archipel, ni d’obligation de déposer les comptes.

Par avocats interposés, l’entourage de Lopez explique au Luxemburger Wort qu’il n’est pas motivé par des raisons fiscales, plutôt pour des raisons  » d’efficacité  » et de  » sécurité juridique « , avant de nier la pirouette financière. Michel Seydoux embraye au micro de France Bleu Nord :  » Je ne vois rien à charge, directement, impliquant Gérard Lopez sinon des suppositions faites par des papiers plus ou moins bizarres. Qu’on ait une entreprise à Hong-Kong, aux Îles je-ne-sais-pas-où ou à New York, ce n’est pas pour ça qu’on est un fraudeur et qu’on est quelqu’un de pas fréquentable « .

 » Le Luxembourg a des accords avec Hong-Kong, c’est donc banal pour un Luxembourgeois d’y posséder des sociétés. Et avoir un pied en Asie fait sens car ça peut permettre de trouver des sponsors pour le LOSC « , abonde le principal intéressé pour l’AFP.  » Il n’y a pas de jeu de cache-cache, on ne parle pas de transaction opaque. Je ne suis pas imposé en France donc je n’ai rien à y gagner.  » La création d’une holding française donne la possibilité aux flux financiers de passer par elle et donc d’être contrôlées par les autorités françaises compétentes en la matière.

DUO INGLA-CAMPOS

Le 18 novembre dernier, Lille reçoit Lyon (0-1). En tribunes, les trois têtes pensantes du nouveau projet lillois s’affichent enfin. Gérard Lopez et Marc Ingla s’assoient aux côtés de Luis Campos, l’ancien directeur sportif de Monaco connu pour sa proximité avec Jorge Mendes.  » C’est quasiment comme si j’étais l’employé de Marc Ingla et Luis Campos « , assure Lopez à l’AFP.  » Au besoin, ils pourront faire appel à moi, mais je leur fais confiance.  » Selon lui, bien que Campos dispose des clés du sportif, il ne sera pas salarié du club. Le Lusitanien amène de ses valises monégasques ses compatriotes Admar Lopes, recruteur de 32 ans, et Joao Sacramento, nouvel adjoint lillois à seulement 28 printemps.

Marc Ingla devient  » le visage du LOSC « , en tant que directeur général. Le  » Monsieur marketing  » du Barça de 2003 à 2007 est très proche du PDG de Manchester City, Feran Soriano, ancien collaborateur de Mangrove qui l’a soutenu dans sa course vaine à la présidence des Catalans en 2010. Mais l’idée d’une galaxie, à l’image du réseau de Roland Duchâtelet, reste cependant à vérifier. Lopez s’est encore fait doubler récemment pour le rachat de Gil Vicente, évalué à six millions d’euros, et doit décider de l’avenir du partenariat établi par le LOSC avec Roulers en début de saison.

Quoi qu’il en soit, le nouveau boss des Dogues assure qu’il n’a pas choisi Lille comme plan B.. Il avoue pourtant s’emparer de  » seulement  » 95 % de parts du club, qui n’est pas propriétaire de son enceinte. Deux arguments qui l’avaient freiné dans sa volonté de reprendre Marseille, d’après ses propres mots. L’homme souhaitait à tout prix investir dans le marché exportateur que représente la Ligue 1, championnat le plus avantageux en termes de coûts parmi ceux du Big 5. L’histoire du LOSC, fort d’un doublé coupe-championnat en 2011 ; le centre de formation du domaine de Luchin, qui a vu éclore Eden Hazard ou Yohan Cabaye ; et la possibilité de vite se mêler à la course au titre donc de profiter de la vitrine publicitaire de la Champions League sont autant de points lourds dans la balance.

Lopez a cependant récupéré une entité déficitaire, obligée de vendre chaque été pour équilibrer ses comptes. De ce fait, Lille se classe au deuxième rang des meilleurs clubs vendeurs en France, avec 201 millions d’euros de plus-values de 2010 à 2016 selon le CIES. L’objectif est donc de faire comme Monaco, un cran au-dessus avec 339 millions de gains sur la même période, mais sans un même budget de départ. Le Stade Pierre-Mauroy, livré en 2012 dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) entre Eiffage et la Métropole Européenne de Lille (MEL), exige un loyer annuel évalué entre quatre et cinq millions. Lopez s’attaque à un chantier pharaonique et nul doute qu’il s’est déjà mis en quête d’investisseurs.

OMBRE BIELSA

Pour remplir sa nouvelle maison, il s’agit évidemment de vendre du rêve d’entrée. Sur la devanture, le nom de Marcelo Bielsa clignote en lettres capitales. Mais Lopez, qui se dit très proche de l’Argentin, reste vague à ce sujet. Il ne nie pas la possibilité d’une proposition d’un contrat de trois ans tout en louant le bon travail de l’intérimaire Patrick Collot, qui pourrait rester jusqu’en fin d’exercice.  » Les discussions avec Marcelo ne sont pas des négociations, ce sont vraiment des échanges « , assure-t-il pour RMC Sport TV.  » Il serait donc très prématuré de dire qu’il vient à Lille. Ce qui n’est pas prématuré, c’est de dire qu’il est très intéressé par le projet.  »

Un yoyo verbal qui lui permet de jouer la montre et cristalliser l’attention ? Selon lui, Bielsa aurait travaillé de concert avec Luis Campos sur le mercato hivernal. Mais le second, en électron libre à la pointe de l’Hexagone, est connu pour imposer ses joueurs dans le onze. Ce qui ne colle pas vraiment avec la personnalité d’El Loco. Lors de la défaite contre Lyon en novembre, les supporters lillois avaient réclamé la démission de Frédéric Antonetti, obtenue quatre jours plus tard, et brandi une banderole :  » On veut des Dogues, pas des chèvres « . Un slogan qui a effectivement du chien. Mais encore faut-il que ce dernier sache mordre.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le but n’est pas d’inviter des gens à assister à des matches. Le but est d’acheter des clubs pour les rendre profitables.  » Gérard Lopez

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