L’inconnue VILANOVA

Barcelone a confié l’héritage de Pep Guardiola à un Catalan de 42 ans qui n’a aucun passé de joueur ni d’entraîneur. « Mais après tout ce que j’ai connu, entraîner le Barça est un jeu d’enfant », dit-il.

Quand parlera-t-on enfin de Barcelone ou de Tito Vilanova sans faire référence au nom de Pep Guardiola ? Le nouvel entraîneur des Blaugranas lui-même l’ignore. Au Camp Nou, il a succédé à une icône. Pendant quatre ans, il a vécu dans l’ombre de son chef, qu’il a servi fidèlement. Mais aujourd’hui, ses faits et gestes sont examinés à la loupe.  » Je ne crains pas les comparaisons entre le Barcelone de Pep et le mien « , dit-il.  » Parce que je sais que je ne peux que perdre…  »

Le 27 avril, jour où Pep Guardiola annonça son départ, son adjoint fut immédiatement promu. A la surprise générale car à Barcelone, on a toujours aimé les grands noms. C’est vrai que lorsqu’il avait repris l’équipe en 2008, Pep Guardiola n’avait aucun passé d’entraîneur mais il avait fait partie de la Dream Team de Johan Cruijff et avait déjà conquis le coeur des socios. Son prédécesseur, Frank Rijkaard, avait déjà fait du chemin également. Tout comme Louis van Gaal, Lorenzo Serra Ferrer et Bobby Robson avant lui. Par contre, le palmarès de Tito Vilanova est blanc comme neige.

LECTURE DE JEU

 » Pito Vilanova ? Quel que soit le nom de cet homme, je n’ai rien à en dire… Oh, Tito Vilanova ? Connais pas…  » Ces mots sont ceux de José Mourinho, en août de l’année dernière, à l’issue du match retour de Supercoupe d’Espagne entre le Real Madrid et Barcelone. Le Portugais répondait à une question concernant l’incident qui avait opposé les deux hommes et au cours duquel il avait enfoncé son doigt dans l’oeil de Vilanova. Intentionnellement ou pas, Mourinho utilisait le mot pito qui, en français, pourrait être traduit par pénis. Voilà à quoi se résumait, à l’époque, le statut du nouvel entraîneur de Barcelone. Car Vilanova n’a jamais été entraîneur en chef au niveau professionnel. Et en tant que joueur, même s’il disputa 26 matches de Liga en trois ans (!) avec le Celta Vigo, il porta surtout les maillots de clubs de Segunda División comme Figueres, Badajoz, Lleida ou Elche.

 » C’était pourtant un médian très fort techniquement et d’un point de vue offensif « , dit Tonny Bruins Slot, qui fut l’adjoint de Johan Cruijff de 1988 à 1996. Au cours de ses deux premières saisons au Camp Nou, il vit régulièrement Vilanova à l’oeuvre avec l’équipe B.  » Il était passé directement de l’équipe Juvenil A à l’équipe réserve « , dit-il.  » Comme tous les autres joueurs de talent, il n’avait pas dû passer par l’équipe C. Il avait joué pendant des années avec Guardiola et Guillermo Amor en équipes d’âge. Il avait une bonne lecture du jeu mais il ne marquait pas. C’était surtout l’homme de la dernière passe. Le buteur, c’était surtout Amor.  »

Guardiola et Amor poursuivirent leur chemin en équipe première tandis que Vilanova plafonnait.  » Il s’est entraîné plusieurs fois et a disputé des onze contre onze à l’entraînement avec le noyau A « , dit Bruins Slot.  » Mais ni Cruijff ni moi n’avons jamais songé à le garder définitivement avec nous. Par la suite, la direction du club a commencé à préparer la génération suivante, celle d’ Ivan De La Peña. On l’appelait la Quinta del Mini, ce fut l’une des plus belles levées de tous les temps (on y trouvait aussi des joueurs comme Albert Celades, Roger, Oscar et Toni, ndlr). Vilanova fut donc dépassé par des jeunes meilleurs que lui, ce qui est logique quand on stagne pendant deux ou trois ans dans le noyau B.  »

PETIT FRÈRE

Il n’est pas étonnant que l’on se pose des questions quant au choix de Tito Vilanova pour succéder à Pep Guardiola. Le choix d’un coach plus connu ( Marcelo Bielsa ou l’idole du club, Luis Enrique) aurait paru plus logique.  » Je sais que ma tâche sera difficile parce que le club vient de connaître la plus belle période de son histoire « , lança Vilanova le jour où il fut présenté à la presse.  » Mais je dispose d’un groupe de joueurs motivés à démontrer qu’ils sont les meilleurs et j’ai l’avantage d’avoir fait partie intégrante de ce projet. Pep extériorisait les décisions mais, souvent, nous les prenions ensemble.  »

En tout cas, publiquement, tout Barcelone semble avoir approuvé ce choix.  » Le fait que Tito reste signifie que nous pouvons poursuivre le projet « , affirme le capitaine, Carles Puyol. « Il connaît l’équipe mieux que quiconque, c’est un homme de football et il comprend notre philosophie jusque dans ses moindres détails.  »

Il y a quelques années, Thierry Henry déclara que Tito était El hermano pequeno del Mister (le petit frère de l’entraîneur). A La Masia, Vilanova et Guardiola ont en effet tissé des liens d’amitié indéfectibles. Leur collaboration fut si poussée qu’ils en arrivent aujourd’hui à penser de la même façon.  » Tactiquement, Vilanova est même plus fort que Guardiola « , assure Jorge d’Alessandro, qui fut son coach à Figueres et à Elche.  » Il est très novateur. Pour moi, c’est un croisement entre Vicente Del Bosque et Arsène Wenger.  »

Ses premières expériences en tant qu’entraîneur remontent déjà à la saison 2001/2002. A l’époque, il dirigeait les Cadets B de Barcelone, une équipe dans laquelle évoluaient Lionel Messi, Gerard Piqué et Cesc Fabregas. On affirme d’ailleurs que c’est lui qui, en 2011, a fait revenir Fabregas au Camp Nou. Il n’empêche que, pour les Espagnols, Vilanova reste un illustre inconnu. Il est d’ailleurs très difficile de trouver de la documentation au sujet de sa carrière de joueur. Et comme, à l’instar de Guardiola, il n’accorde pas de grandes interviews, il est difficile de cerner sa personnalité. Tout au plus parla-t-on un peu de lui en novembre dernier, lorsqu’on dut lui enlever une tumeur à la glande salivaire. Et en janvier, lorsque Guardiola fut élu Entraîneur de l’Année et qu’il mit son ami au devant de la scène.  » Du fond du coeur, je dédie ce trophée à mon ami, collègue et adjoint. Même si tu n’es pas avec nous en ce moment, tu seras toujours présent…  » Ce n’est qu’après sa nomination au poste d’entraîneur principal que le staff médical émit un communiqué disant que Vilanova était complètement rétabli.  » La première chose que j’ai faite avant d’accepter le poste, c’est de parler aux médecins « , dit Vilanova.  » Ils m’ont dit que tout était en état de marche et je me sens fort. Après tout ce que j’ai vécu, entraîner le Barça, c’est un jeu d’enfant…  »

Pendant cinq ans, ils ont formé un tandem. Car en 2007-2008, Vilanova était déjà l’adjoint de Guardiola dans l’équipe de Barcelone B. Avant cela, il avait occupé la fonction de directeur technique à Terrassa FC, club de D3. L’équipe des Espoirs de Barcelone venait juste de descendre en Tercera División, le quatrième échelon du football espagnol.  » Si nous sommes remontés, nous le devons en partie à Tito « , disait déjà Guardiola en 2008.  » Voici un an, il avait refusé des propositions de clubs de divisions supérieures afin de travailler avec moi. Son expérience nous a beaucoup aidés car il sait quel genre de football on pratique à ce niveau du football espagnol. « 

UN CHOUETTE TYPE

Jeffrey Hoogervorst faisait partie de cette équipe. En 2007, cet Amstellodammois de 27 ans était passé du Real Madrid Castilla à Barcelone B.  » Vilanova était un chouette type, un gars avec qui il était agréable de bosser « , rappelle ce défenseur formé à l’Ajax qui évolue aujourd’hui au Real Avilés, en Segunda División B.

Hoogervorst faisait partie d’un noyau très talentueux. « Il y avait Pedro, Sergio Busquets, Thiago Alcantara et aussi Bojan Krkic. Malheureusement, cette saison-là, je me suis blessé à l’aine et je n’ai joué qu’en préparation. Vilanova était toujours présent sur le terrain, il était le complément idéal de Guardiola. Ils jouaient souvent de petits matches d’entraînement avec nous. Vilanova était très calme mais il voyait tout. Le jeudi et le vendredi, nous faisions souvent de l’analyse vidéo avec lui. Il n’arrêtait pas de nous rappeler que la technique, ce n’était pas suffisant. En Tercera División, on joue souvent sur des champs de patate. Là, il faut pouvoir se battre.  »

 » Je pensais qu’il resterait adjoint de Guardiola toute sa vie. Faire de lui un entraîneur en chef, c’est osé mais à Barcelone, peu de choses doivent changer. Et Vilanova ne sera jamais tout seul, il y a suffisamment de spécialistes dans ce club. « 

PAR VINCENT OKKER

 » Je n’ai pas peur de la comparaison entre le Barcelone de Pep et le mien car je ne peux que perdre.  » (Tito Vilanova)

 » Pito Vilanova ? Quel que soit le nom de cet homme, je n’ai rien à en dire. Oh, Tito Vilanova ? Connais pas.  » (José Mourinho)

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