L’EX impossible à oublier…

C’est la saga estivale ou le sujet de bistrot préféré de l’été. Un transfert dont on n’a pas fini de parler. Mais comment en est-on arrivé là ? Tentative d’explication.

Les visages sont fatigués, quelque peu bouffis par les longues négociations des dernières heures. A la tribune, c’est toutefois le sourire qui prédomine, Roger Vanden Stock en tête ; Herman Van Holsbeeck peut, lui, enfin souffler. Il a réussi son coup.  » Le transfert du siècle  » (il a encore bien le temps d’être battu…) ou celui qui s’en approche le plus dixit son président. Flatteur et assurément présomptueux. On mettra ça sur le coup d’un enthousiasme manifeste et du jeu médiatique.

Steven Defour se fait flasher de toutes parts. Au milieu d’un mercato grisâtre dont notre compétition nationale s’est fait une habitude, il est l’éclaircie. Celui dont on va parler. Pour son montant record (6 millions sans les bonus) mais surtout pour la dramaturgie qui l’entoure. Ou l’explication d’un sourire quelque peu pincé lors des photos traditionnelles du  » lever de vareuse « . Un peu plus tôt, la question du passage chez l’ennemi était bien entendu posée.  » Ce transfert à Anderlecht fut une décision qui ne fut pas facile à prendre « , nous dit le nouveau numéro 16 des Mauves.

Euphémisme sans doute. Son nouveau patron, RVDS, vient à sa rescousse  » Combien de joueurs sont passés ces dernières années d’Anderlecht au Standard. D’un camp à l’autre ? Beaucoup et il n’est pas le dernier.  » Assurément, sauf que Steven Defour à Anderlecht, c’est bien plus que Milan Jovanovic ou Dieumerci Mbokani dans ce même club ou Jelle Van Damme au Standard. Defour, c’était captain, le Van Moer 2.0, le personnage central du revival du Standard et de ses deux titres. Les copains liégeois qui l’accompagnent à la conférence de presse aux côtés de sa compagne, Laura, s’en rendent bien compte.

Il connaît la chanson

 » Ça risque de prendre d’énormes proportions. J’ai déjà dû en calmer un sur facebook qui balançait des insultes. J’ai beau être supporter du Standard, je suis là pour soutenir un copain, mais c’est vrai que ça ne va pas être évident.  » Les réseaux sociaux se jettent sur l’affaire. Parfois avec un clin d’oeil piquant, comme quand l’effigie de Steven Defour est effacée d’un tifo consacrée aux deux légendes (Witsel-Defour) de Sclessin avant leur départ du club. Mais sans surprise, le mauvais goût l’emporte haut-la-main. Un hashtag  » Stevendehoer  » (comprenez  » Steven la pute « ) buzze même sur twitter.

Véritable enfant de la maison rouche, Réginal Goreux, joint par téléphone une heure après avoir été défait 2-0 par Krasnodar avec son nouveau club russe de Rostov, s’explique sur le passage de son ami chez l’ennemi :  » J’étais au courant de son arrivée à Anderlecht quelques jours avant qu’elle ne soit rendue officielle. Steven voulait du temps de jeu. C’était son objectif premier. Et Anderlecht va lui en offrir. Evidemment que Defour en mauve ça sonne bizarre. Mais que voulez-vous, vous ne décidez pas de tout dans le foot actuel. Et le clubman n’a plus beaucoup de valeur. J’en étais un, je voulais rester au Standard mais on m’a poussé vers la sortie. Steven a aussi été proposé au Standard qui n’a pas voulu consentir l’effort nécessaire de le rapatrier.

Je sais que pour Steven, ça va être compliqué ces prochaines semaines, il ne faut pas se voiler la face. Mais il a du caractère, il en fallait déjà une sacrée dose pour quitter Genk à 18 ans. Au fil du temps, son côté néerlandophone avait disparu, il est devenu liégeois et compte beaucoup d’amis dans la Cité ardente. Mais il sait très bien qu’au début, il faudra éviter certains endroits. Il faut laisser les choses se passer….  »

Defour connaît la chanson, l’ex ayant déjà expérimenté la  » tromperie « . Defour Judas, c’était il y a huit ans, lors de son passage de Genk au Standard. Les débordements, ça lui parle. A l’époque, les supporters limbourgeois l’insultent, le harcèlent, caillassent sa voiture, menacent sa belle-famille. Le 19 août 2006, 200 policiers sont mobilisés pour accueillir le Standard de Defour. Les 23000 spectateurs sont fouillés et la tolérance zéro est appliquée dans un rayon de 5 km autour du stade. Les sifflets montent à 107 décibels quand Defour effectue sa première faute. Le 24 janvier prochain, ce pic devrait être battu. Defour y sera préparé.

Trop court pour le top ?

Ce retour en Belgique, n’est pas un retour au bercail. Comme Mbokani et Jovanovic, qui ont échoué à Monaco et à Liverpool, Defour s’est acheté un oral de rattrapage dans la capitale après son exil semi-raté à Porto. Hormis Mehdi Carcela (parti sur une sérieuse blessure), les anciens Standardmen de l’ère Defour (2006-2011) ne reviennent pas au  » pays  » : Dante (M’Gladbach, Bayern), Fellaini (Everton puis Manchester United), Mangala (Porto et City), Witsel (Benfica, Zenit Saint Pétersbourg)… Pareil pour les jeunes Diables qui enthousiasment les meilleurs compétions du Vieux Continent. Aussi, comment ne pas voir ce retour comme un gigantesque échec, la preuve tangible d’un gâchis ?

Bref retour en arrière : il y a un peu plus de six ans, Defour plongeait toute la principauté liégeoise dans une fête de tous les diables un dimanche de printemps. Sous la tutelle de Michel Preud’homme, il redonnait le titre au Standard vingt-cinq ans après le précédent. En la circonstance, sa majesté Zidane s’était même déplacée pour lui remettre le Soulier d’Or. Avec Witsel, on le pensait béni des Dieux, comme sorti de la cuisse de (la) Jupiler League.

Defour est cité à Everton, Arsenal, puis au Real Madrid (!). Il est ce fameux plan B si Xabi Alonso ne signe pas à la maison blanche. Ceux qui y voient une influence de Lucien D’Onofrio et de son poulain Zidane, alors conseiller du président Florentino Perez, afin d’augmenter la valeur de son joueur ne sont certainement pas loin de la vérité. La lettre d’encouragement d’Alex Ferguson à Defour, alors en pleine convalescence, suite à une fracture du métatarse qui va le mettre sur le flanc pendant six mois, est rendue publique. Le show médiatique dépasse alors la réalité et ses performances. A-t-on surévalué le petit protégé de Lucien D’Onofrio ? Benjamin Nicaise, ex-coéquipier au Standard, nous le dit  » surcoté  » en août 2011 dans une interview.

 » Comme Jovanovic et Witsel. C’est pas une critique, c’est une analyse à partir de faits. Ce sont de bons joueurs mais de là à les envoyer dans les plus grands clubs, il y a une marge.  » Jelle Van Damme, lui, compare les éléments qui composaient le coeur du jeu du Standard :  » Witsel, c’est le top. Lui, il pourra vraiment un jour évoluer dans son équipe préférée, Arsenal, ou même au Real. Il a déjà tout : une bonne technique, un bon jeu de tête, de l’endurance, il sait garder le ballon, donner des passes entre les lignes. C’est le bon exemple d’un joueur moderne. Defour ? C’est un autre style. Lui, il contrôle. Tu le mets là et tu lui dis de rester là et de faire le jeu…  »

Le PSV , mais pour le reste ?

Sa tentation de l’exil va finalement peser sur lui comme une fatalité. A Porto, il intègre la jet-set internationale des footballeurs professionnels et ses codes bling-bling : tatouages proéminents, pilosité de hipster, crête incertaine de punk deuxième génération. Steve D s’est quelque peu perdu au Portugal. Le Brésil aurait pu le relancer. Mais une semelle maladroite sur le Coréen, Kim Shin-Wook, est venue tout bousiller. Chez les Dragoes, on a depuis un petit moment tourné la page. Mais les clubs ne se pressent pas au portillon pour attirer l’ex-capitaine du Standard. Seul le PSV montre un vif intérêt.

Rencontré dans son tout nouveau magasin de sport basé à Maasmechelen, l’agent de tout temps, Paul Stefani, sort de sa poche un sms récent du directeur général du Lokomotiv Moscou, club déjà intéressé il y a quatre ans par ses services.  » Il y avait également des touches avec la Turquie avec des propositions financières intéressantes. Mais on ne parlait pas de clubs comme Galatasaray…. Le PSV était, lui, intéressé depuis longtemps. On a eu un long entretien avec les dirigeants portugais, ici, à Maasmechelen. Le directeur général du PSV, Marcel Brands, a remué ciel et terre pour attirer Steven.

Mais à Porto, on lui faisait bien comprendre qu’on n’allait pas brader son prix, d’autant qu’il lui restait deux ans de contrat.  » Comment expliquer ce relatif désintérêt de l’étranger alors que les plus grands se pressaient à Sclessin pour l’observer ?  » Steven n’a pas été aidé par les blessures à des moments cruciaux « , rappelle Stefani.  » Et à Porto, la concurrence était rude. Six hommes pour deux places au milieu, c’est beaucoup. Et pourtant en janvier dernier, Porto ne voulait pas le laisser partir, prétextant qu’il allait jouer, refusant même une offre de huit millions d’euros de Fulham avec un contrat phénoménal.

Defour, nouveau Degryse ?

Lucien D’Onofrio n’est évidemment pas étranger à ce retour en Belgique.  » C’est évidemment l’homme-clé quand on parle d’un transfert de Defour « , pointait déjà Herman Van Holsbeeck puisque l’ex-big boss du Standard était bien introduit du côté de Porto et détenait 10 % du joueur via son fonds d’investissement Robi Plus.  » La relation est restée très très forte avec Lucien D’Onofrio « , confirme Stefani.  » Ça date de l’épisode où Steven (alors à Genk) était cité à l’Ajax. Lucien m’avait demandé s’il pouvait s’entretenir avec Steven. Après 20 minutes de discussion, Steven n’avait plus qu’une destination en tête : le Standard. A 16-17 ans, Steven avait déjà la maturité d’un joueur de 25 ans. Et puis, c’est un super mec.  »

Que D’Onofrio imposera comme capitaine du Standard à seulement 18 ans. Le Standard, un chapitre pas près d’être refermé. Stefani :  » Je tiens à préciser que Duchâtelet m’a appelé un jour pour me dire que je devais arrêter d’harceler son entraîneur au sujet de Steven. Je lui ai répondu que je n’avais même pas le numéro de Luzon et que je savais très bien qu’en cas de transfert c’était vers lui que je devais me tourner. La seule personne du Standard qui a contacté Steven, c’est le chauffeur du car, avec qui Steven est resté ami, et qui voulait qu’il revienne au club. Duchâtelet m’a dit que de toute façon, Steven était trop cher. Les supporters ne savent pas tout dans cette histoire. Je ne comprends pas pourquoi il devrait être la victime ? Quand on a transféré MarcDegryse de Bruges à Anderlecht pour un montant record à l’époque (environ 2,5 millions d’euros en 1989), ce transfert a sauvé le Club de la faillite. Et pourtant tous les supporters BlauwenZwart lui en ont longtemps voulu « , rappelle Stefani dont le CV affiche une quarantaine d’années dans le métier.

Meilleur qu’au Standard ?

Reste la question du véritable niveau de Steven Defour. Ses saisons à Porto ont été une succession d’espoirs et de désillusions. Avant son départ pour l’étranger, ses deux dernières saisons en rouche n’avaient pas été transcendantes. Des blessures mais aussi un goût prononcé pour les nuits liégeoises et des alentours et un excès de générosité comme explication ?  » Il veut toujours aider tout le monde. A Porto, il invitait parfois 15 amis et c’est lui qui régalait. Il a toujours été comme ça « , raconte Stefani.

Reginal Goreux ne doute pas un instant de sa réussite.  » Il est trilingue, connaît le championnat parfaitement, et a neuf ans derrière lui de haut niveau. Et plus tu le connais, plus tu l’apprécies. En tout cas quand tu es dans son équipe car quand tu joues contre lui, il l’ouvre tout le temps, il te provoque et c’est pas le dernier à mettre le pied. On a pu le voir lors des matches face à Anderlecht notamment. Il a emmagasiné beaucoup de choses à Porto, il est indiscutablement plus fort que lors de son passage au Standard.  » Anderlecht peut-il être un tremplin et permettre à Defour de rejoindre ses prestigieux collègues de la sélection nationale ?  » Dans deux ans, pourquoi pas « , poursuit Stefani.  » Je le verrais bien dans un club comme Rome ou Naples. Où on est fou de foot, ça il aime.  » Des villes où la passion dépasse souvent la raison, tout ça semble très logique…

PAR THOMAS BRICMONT

 » Defour est plus fort que lors de son passage au Standard.  » Reginal Goreux

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