L’ESPRIT TOURMENTÉ

Les méthodes de travail de Besnik Hasi ne sont pas encore remises en question à Anderlecht mais quelques solides défis attendent le Kosovar.

Nous sommes le 10 août 2014. Le temps additionnel est écoulé depuis quelques secondes et Besnik Hasi jette un coup d’oeil à sa montre. Après 95 minutes, l’arbitre le libère de ses souffrances : Anderlecht bat Charleroi 1-0. Les supporters quittent rapidement le stade pour s’enfiler quelques pintes et profiter du soleil, histoire d’oublier la prestation médiocre de leurs favoris. Les yeux du Kosovar, qui vient d’entamer sa première saison comme T1, crachent le feu. D’un double geste de la main, il montre ce qu’il pense de la prestation misérable de ses hommes avant de s’engouffrer, d’un pas rapide, dans le tunnel menant au vestiaire. Chemin faisant, il passe sa frustration sur quelques ballons qui traînent et s’étale de façon spectaculaire sur le sol. Cet incident est symptomatique du règne de Hasi à Anderlecht, à qui il tente d’imposer son style de jeu particulier. Avec des hauts et des bas. Et son tempérament chaud lui joue des tours.

LA GUERRE

Pour cerner Hasi, il faut se mettre dans sa peau. Adolescent, il a vécu de près les horreurs de la guerre civile en ex-Yougoslavie. Il n’a pas oublié les moments angoissants vécus par sa famille au Kosovo lorsque Gjakovë, son village natal, fut détruit par les Serbes alors qu’il luttait avec Genk pour décrocher un premier titre de champion de Belgique. Ces traumatismes l’ont marqué à vie. Il veut offrir à ses trois enfants – ses filles Dea et Lea ainsi que son fils Deon – la vie qu’il n’a pas eue. Il sait que le travail est le seul moyen d’y arriver. L’ordre et la discipline font partie de ses valeurs. Hasi n’arrive jamais en retard à un rendez-vous. Il lui arrive d’être au stade trois heures avant le début de l’entraînement. Il ne supporte pas le désordre. Chaque jour, à Neerpede, il range son armoire. Et il soigne sa présentation : jamais vous ne verrez le moindre pli sur sa chemise ou son costume.

Bes, comme certains joueurs l’appellent, est exigeant envers lui-même comme envers les autres. Avec lui, c’est toujours noir ou blanc : le gris n’existe pas. C’est marche ou crève. Jurgen Segers, le préparateur physique, en sait quelque chose. Les courses avec ballon, c’est terminé : désormais, les joueurs doivent repousser leurs limites à l’entraînement. Il n’est plus interdit d’aller dans le rouge. Hasi veut les sortir de leur zone de confort et les transformer en athlètes complets. Un joueur qui doit retrouver la forme ira plutôt courir sous la pluie que sur tapis roulant.  » Hasi ne fait pas régner la terreur mais les joueurs ne sont plus aussi à l’aise qu’avant « , dit un collaborateur du club.  » Quand il se fâche, ils comprennent qu’ils doivent tout de suite changer d’attitude.  »

Cette ligne de conduite est à prendre ou à laisser. Anthony Vanden Borre l’a appris à ses dépens après s’être disputé avec Geert Emmerechts : Hasi a tout simplement tiré un trait sur son avenir au Sporting. Il appréciait pourtant son arrière droit et il savait que cette mesure ne ferait pas l’unanimité mais il a clairement fait comprendre à tout le monde qu’il n’y avait pas de place pour les gens tentant de déstabiliser son staff. La chance qu’il revienne sur sa décision est très mince car même s’il décidait d’accorder une nouvelle chance à Vanden Borre, il n’irait jamais à l’encontre d’une décision de sa direction.

SUR LA DÉFENSIVE

Hasi est très proche de joueurs comme Deschacht, Proto et Gillet. Plus proche, en tout cas, que des jeunes comme Praet ou Dendoncker. Pourtant, sa porte est ouverte à tous, joueurs ou collaborateurs. Il ne néglige pas les remarques ou les conseils de son staff et tout le monde accepte ses fréquentes sautes d’humeur ainsi que les mots parfois très durs qu’il emploie.

Cependant, il est entêté et cela pose parfois problème en interne. Les chats en mauvaise posture font parfois d’étranges pirouettes et Hasi n’échappe pas à la règle. Il est devenu méfiant. A la moindre critique, il est sur la défensive et la réplique est cinglante. Il pense que tout le monde veut le déstabiliser.  » Il est un peu paranoïaque « , raconte le même collaborateur.  » C’est la zone d’ombre de sa personnalité et c’est dommage car, dans la vie de tous les jours, c’est un homme très agréable et pas du tout renfermé. Je dirais même qu’il est jovial.  »

Ces propos sont confirmés par un autre collaborateur.  » Besnik n’a rien d’inhumain. Le fait d’avoir connu la guerre le rend même empathique. Il comprend parfaitement ce que ressentent les joueurs sud-américains ou africains lorsqu’un membre de leur famille est malade. Il sait que, dans ces pays, les soins médicaux ne sont pas aussi performants qu’en Belgique. Il est arrivé plus d’une fois qu’il accorde 48 heures de congé à un joueur afin que celui-ci puisse retourner dans son pays. L’an dernier, Conte a ainsi pu aller voir son père, à l’agonie. Les étrangers apprécient beaucoup ces gestes.  »

CHOIX DIFFICILES

La plupart des joueurs l’aiment bien. Son principal défi est ailleurs : il doit remettre Anderlecht sur les bons rails et il manque d’énergie pour y arriver. En mars 2014, lorsqu’il a succédé à van den Brom, il n’a pas fait preuve du moindre sentiment pour trancher dans le vif, plaçant Tielemans sur un piédestal et faisant avancer Kouyaté dans l’entrejeu. Des choix qui lui ont permis de décrocher le titre. Mais alors qu’il prônait la clarté il y a un an et demi, c’est désormais l’inverse. Un entraîneur est payé pour prendre des décisions, aussi difficiles soient-elles. Or, pendant tout un temps, Hasi a appliqué la politique du moindre mal. En début de saison, il a ainsi opté pour un entrejeu en losange afin de pouvoir aligner à la fois Defour, Praet, Tielemans et Dendoncker, histoire de ne heurter personne. Au début du mois, face à Malines, Hasi s’est défait de son costume de médiateur et a laissé Tielemans pendant 80 minutes sur le banc. Désormais, il semble faire confiance à deux médians qui se battent sur chaque ballon. Defour et Dendoncker répondent parfaitement à ce profil. Bien plus que Praet et Tielemans, en tout cas.  » Ces choix permanents épuisent Hasi « , dit notre consultant Alexandre Teklak.  » Il ne faut pas oublier que la direction l’observe. Il doit mettre certains joueurs en vitrine. Si ceux-ci se retrouvent sur le banc ou jouent moins bien, il aura des problèmes avec ses dirigeants. S’il parvient à trouver l’équilibre dans l’entrejeu et à régler la question d’Ezekiel – un joueur qu’il voulait à tout prix, je pense qu’Anderlecht reprendra le dessus.  »

Le fait que Gillet et Praet, deux médians centraux de formation, se retrouvent sur les flancs, ne constitue pas forcément un inconvénient.  » Diego Simeone pratique de la sorte à l’Atlético Madrid depuis des années « , dit Teklak.  » L’an dernier, Arda Turan et Koke rentraient dans le jeu. Ce ne sont pas de véritables ailiers mais plutôt des passeurs qui, en perte de balle, prennent leur tâche défensive à coeur.  »

MAUVAIS SIGNAL

Mais le dilemme de Hasi dépasse largement le choix entre un 4-4-2 ou un 4-3-3 : il doit aussi tenter de concilier les différentes tendances au sein du club. Garnir la vitrine, c’est une chose mais à Anderlecht, l’entraîneur doit aussi veiller à intégrer des jeunes. Or, les supporters ont l’impression que les jeunes n’intéressent pas Hasi. Il est pourtant si facile de les séduire en donnant une chance à des joueurs du cru. On n’est plus très loin d’une rupture entre Hasi et le public. Cela s’est vu contre Malines lorsque l’entraîneur s’est fait copieusement siffler pour avoir laissé Tielemans sur le banc pendant les trois quarts du match.

Le centre de formation d’Anderlecht n’a jamais été aussi florissant mais, en 18 mois, Hasi n’a pratiquement pas accordé de temps de jeu à Leya Iseka, Kawaya ou Matthys. Sur le même laps de temps, van den Brom avait lancé Tielemans, Praet, Bruno, Mbemba et Dendoncker. Pour l’académie, le fait qu’un joueur comme Kawaya – pour qui Herman Van Holsbeeck avait refusé plusieurs propositions cet été – ne joue qu’une demi-heure en dix matches et ne figure bien souvent pas sur la feuille de match est un mauvais signal. D’autant que la direction répète régulièrement que le club a un rôle formateur. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que certains jeunes qui approchent les seize ans et à qui on propose un contrat refusent de signer. Paradoxalement, Hasi s’intéresse bien plus aux jeunes que van den Brom. Au sein du club, on ne doute pas de sa sincérité à ce sujet. Il manque rarement un match d’Espoirs et, la semaine dernière, il a même assisté à la rencontre de Youth League face à Brann Bergen.

VAN DEN BROM PLEURNICHEUR

Après avoir triomphé il y a un an et demi alors qu’on ne l’attendait pas, Hasi doit désormais montrer qui il est. Il est temps qu’il comprenne qu’un bilan de 33 victoires en 61 matches de championnat n’est pas celui d’un champion. Les mauvais résultats l’usent, c’est évident. La nonchalance de certains joueurs l’énerve, comme ce fut le cas à Qarabag. Contre des équipes de moindre niveau, Hasi ne parvient pas à motiver ses joueurs, à les piquer au vif. Et lorsque les choses ne tournent pas comme il l’entend, il canalise difficilement sa nervosité. Un ancien joueur d’Anderlecht témoigne :  » Il gigote tellement sur la ligne de touche que ça énerve tout le monde. A la moindre erreur, il saute du banc et vous enguirlande, alors qu’un joueur sait lorsqu’il a commis une erreur. C’est sa plus grosse lacune. Pour le reste, je n’ai que du bien à en dire.  »

Un insider témoigne :  » Besnik n’est pas un hypocrite. John van den Brom donnait toujours l’impression que rien ne pouvait l’émouvoir. Il affirmait être supérieur à tout. Mais le jour de son limogeage, c’est en pleurant qu’il est entré dans le bureau d’Herman Van Holsbeeck. Besnik, c’est l’inverse : il ne cache pas ses émotions. Et parfois, ça fait du dégât, c’est vrai. Mais lorsqu’il va trop loin, il est suffisamment humain pour s’excuser le lendemain.  »

PAR ALAIN ELISAY – PHOTOS BELGAIMAGE

Quand Hasi se fâche, les joueurs comprennent qu’ils doivent tout de suite changer d’attitude.

Contre des équipes de moindre niveau, Hasi ne parvient pas à motiver ses joueurs, à les piquer au vif.

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