L’esprit de fête

Suspendu, le défenseur hurlu a suivi le derby contre  » son  » Charleroi des tribunes.

Quand il a pris une nouvelle carte jaune à sept minutes de la fin de la rencontre opposant Lokeren à Mouscron, il a eu un petit pincement au c£ur. Certes, il a l’habitude puisqu’il s’agit déjà de la sixième de sa saison mais celle-là le privait du match à Charleroi. Or, un déplacement dans son Pays Noir, Alex Teklak, 31 ans, qui a porté le maillot zébré durant six saisons, ne voudrait le rater pour rien au monde.  » J’y ai pensé dès que j’ai vu l’arbitre brandir la carte. J’avais deux jaunes à mon actif depuis un moment et j’avais déjà calculé mais je ne pensais jamais prendre un avertissement pour une faute aussi banale. Je me suis dit – Je vais encore rater le match contre Charleroi. Ce n’est pas la première fois qu’une telle mésaventure m’arrive. Je suis souvent suspendu pour rencontrer Charleroi « .

Teklak était donc privé de récompense. Samedi, sur le coup de 20 heures, il ne faisait pas partie des noms sur la feuille de match.  » Au fur et à mesure que les années passent, ce retour à Charleroi n’a plus autant de charge émotionnelle vu que les joueurs que j’ai côtoyés ne sont plus là. Mais cela reste malgré tout un match que je veux disputer car je retrouve toute une série de personnes « .

Pour la première fois de sa carrière, Teklak est resté dans un club plus longtemps qu’à Charleroi. Il dispute sa septième saison au Canonnier (avec une interruption d’un an suite à un petit crochet l’année dernière à La Louvière) alors qu’il a milité six ans dans l’équipe A carolo.

La ville et le village

 » Quand je suis arrivé à Mouscron, j’ai dû m’habituer à un contexte et à une mentalité différente. Charleroi, c’est la ville alors que Mouscron a conservé une image de village. Le club a grandi au fur et à mesure. Récemment, j’ai fait un stage à Courcelles et je suis tombé sur un classement de 1978-1979 lorsque l’équipe locale était en P1. Elle côtoyait dans sa série Enghien, Ath mais aussi Mouscron. A ce moment-là, je me suis rendu compte de l’évolution de l’Excel. Quand on voit cela, on comprend mieux aussi la mentalité. Ici, tout le monde est au courant de tout car le club est le centre d’intérêt. Quel que soit l’endroit où on se rend, on nous parle de l’Excel. A Charleroi, c’était moins le cas. La ville et la région sont plus grandes. Les gens ont d’autres centres d’intérêts. Il y a plus de détachement. Pourtant, les supporters carolos sont plus exigeants. Quand ça marche, c’est toujours gai de jouer là-bas car il y a de la ferveur. A Mouscron, il y a plus de tranquillité « .

Charleroi, les années folles

 » Le Sporting restera à jamais le club de mes débuts. Je suis arrivé là-bas quand j’avais 15 ans. Je suis carolo d’origine. Dans ma tête, cela reste lié à l’ambiance. Quand j’ai débuté, il y avait un mélange de jeunes et de gars expérimentés comme Roch Gérard, Dante Brogno, Olivier Suray, Rudy Moury, Michel Rasquin, Fabrice Silvagni. J’ai même encore évolué aux côtés de Cedo Janevski. A chaque fois que je revois un ancien, on reparle de cette ambiance. Récemment, je suis retombé sur Christ Bruno et on s’est remémoré quelques bons moments. On s’entendait tellement bien que l’on a tissé des liens sur et en dehors du terrain. A l’époque, il y avait vraiment un ancrage local et même les gens extérieurs s’adaptaient très vite. Ils n’avaient pas le choix s’ils voulaient être acceptés. C’est comme cela que des éléments comme Filip Fiers, Yvan Desloover, Eric Van Meir ou Franky Frans se sont aussi bien plu à Charleroi. C’étaient vraiment de bons gars. Après les matches, ce n’était pas une obligation de repasser à la salle des joueurs. On y restait des heures à parler de tout et de rien. On sortait beaucoup. Les femmes étaient souvent de la partie. Certains nous ont reproché ces sorties mais à partir du moment où on faisait notre boulot, je ne vois pas pourquoi on nous cherchait des poux. Même si on a connu des soirées mémorables ( il rit) ! Je me souviens de l’anniversaire de mes 20 ans. On l’a fêté jusqu’aux petites heures du matin et l’entraînement du lendemain avec Luka Peruzovic m’a semblé très, très long. Cela a marqué pas mal d’anciens car à chaque fois qu’on se retrouve, on reparle de cette soirée ! Tout cela servait à souder un groupe : nos résultats provenaient de l’ambiance qui régnait dans le noyau. Cela rigolait tout le temps dans les vestiaires. Moury et Silvagni n’arrêtaient pas de lâcher des vannes. Les entraîneurs ont bien compris l’esprit carolo. Quand Robert Waseige invitait, il invitait tout le groupe à ses frais. Je me souviens qu’une fois, on était parti voir son fils au théâtre à Bruxelles et qu’on était ensuite tous sorti dans la capitale.

Quand tous les aînés sont partis, il y a eu un premier changement au sein du groupe. De nombreux Africains sont arrivés et ils ont eu du mal à s’adapter à notre rythme ( il rit) mais ils ont fini par s’y faire. Aziz Rabbah s’est, par exemple, intégré très vite. A la fin, c’était même lui qui mettait l’ambiance. Aujourd’hui, ce serait impossible de retrouver cette atmosphère car aucun club ne possède cette continuité au sein du noyau. Les joueurs vont et viennent et on ne sait plus avoir cette stabilité. On parvient à peine à créer des liens que les joueurs s’en vont vers d’autres cieux « .

Et le football ?

 » On ne sortait jamais la veille des matches et on suait sur le terrain. Moi, j’ai appris à souffrir à Charleroi. Avec Peruzovic, on a crevé comme des chiens. Cela m’a formé comme footballeur mais cela a également façonné mon caractère.

On montrait aussi beaucoup de respect vis-à-vis des anciens qui avaient une carrière. On ne faisait pas les malins avec eux. Il y avait une limite qu’on ne pouvait pas franchir. On s’occupait par exemple de tout ce qui était matériel et on n’a jamais trouvé cela anormal. Quand on te disait quelque chose, il fallait écouter et fermer sa gueule. Si tu ne respectais pas cela, tu recevais ton bon de sortie. Ceux qui ont tenté de résister ont eu des problèmes. Manu Massaux qui avait de grosses qualités et un gros caractère, ne savait pas courber l’échine. Il a dû partir.

Le souvenir le plus marquant reste mon premier match contre l’Antwerp (0-0) sous Georges Leekens. Je ne m’attendais pas à jouer. Et puis, il y a le déplacement en Coupe d’Europe, au Rapid Bucarest. J’étais un gamin de 18 ans et j’ai ressenti un gros frisson. Je n’avais pas de repères. En Roumanie, l’ambiance était super chaude et j’avais été impressionné. Pourtant, je n’étais que sur le banc mais à l’époque, il n’y avait que 15 noms sur la feuille de match et on pouvait voir le fait d’être retenu comme un privilège. Je retiens également la victoire contre le Standard 2-1 en 1997-98 alors qu’on était mené 0-1. Des buts de Dante Brogno et Robert Jovan avaient fait basculer la rencontre. On n’avait plus battu le Standard depuis un certain temps. On a gagné aussi 3-0 contre le Bruges de Dany Verlinden, Lorenzo Staelens, Franky Van Der Elst et Gert Verheyen avec un doublé de Casto. Je pense que depuis lors, le Sporting n’a plus battu le Club « .

Charleroi aujourd’hui

 » Forcément, le club a changé mais les événements ont dicté cette évolution. Mogi Bayat est un commercial et c’est une obligation pour lui et pour le Sporting de trouver des éléments pas chers et d’essayer de les revendre. Il faut vivre comme cela « .

Mouscron, les années de maturité

 » J’ai rencontré ma femme lorsque j’évoluais encore à Charleroi mais Mouscron m’a apporté la stabilité et la maturité nécessaire à toute vie de couple. En quelque sorte la fin de l’insouciance. Cette stabilité a été encouragée par la constance d’un noyau. Il y avait Koen De Vleeschauwer, Tonci Martic, les frères Zewlakow, Casto, Olivier Besengez, Steve Dugardein et cela a permis de créer des relations fortes. Si j’arrivais dans le vestiaire avec les pieds de plomb, je ne réussirais rien sur le terrain. A La Louvière, il y avait des moments où j’en avais vraiment marre. J’en ai gardé de bons souvenirs car j’adorais le côté festif et familial qu’on pouvait y trouver malgré tous les problèmes. La région du Centre est aussi un peu la mienne puisque je navigue entre Charleroi et La Louvière. Quand j’ai signé là-bas, c’était avec la volonté d’y terminer ma carrière mais cela a mal tourné et lorsqu’il a fallu faire le choix de quitter les Loups, ma préférence allait à Mouscron. J’avais été approché par Mogi Bayat pour un retour à Charleroi. Il m’avait dit qu’il était intéressé par quelqu’un comme moi mais je n’ai plus reçu de nouvelles par la suite. Mouscron s’est montré plus concret et finalement, j’ai retrouvé un environnement familier.

Quand je fais le bilan de mes années mouscronnoises, je revois beaucoup de succès sportifs. On n’a jamais été très performant à l’extérieur mais quand l’adversaire mettait les pieds au Canonnier, il savait qu’il ne repartirait pas avec les trois points. Et puis, il y a aussi notre première finale de Coupe de Belgique en 2002. Le stade était partagé en deux entre les supporters de Mouscron et ceux de Bruges. Je ne savais pas que l’Excel pouvait attirer autant de monde. Hugo Broos nous avait dit qu’il fallait profiter de ce moment car cela ne se représente pas souvent dans une carrière. Il avait raison. C’est pour de tels événements que tu joues au foot. Les gens idéalisent notre vie en pensant que c’est facile. Ceux qui affirment cela, je veux bien leur donner mes chaussures et revenir une semaine plus tard pour voir leur tête ! Rester dans ce milieu durant 13 ans demande des efforts et de l’énergie. Moi, je suis content d’avoir tenu jusque maintenant. J’approche les 300 matches en D1 et j’éprouve une certaine fierté.

Le sauvetage à Mons, il y a deux ans, tient aussi une place prépondérante. On venait en quelque sorte de remporter la Coupe du Monde. J’ai vu des gens pleurer dans le vestiaire. L’année dernière a été difficile pour Mouscron et quand je suis revenu, il y avait eu de nombreux changements. Maintenant, il faut viser une certaine continuité. On sent que le club suit cette voie. Il y a une complémentarité qui est née entre les joueurs. On lutte ensemble pour ne pas descendre et on sent que personne n’essaie de tirer la couverture à lui. Le vestiaire est plus détendu. En début de saison, je trouvais qu’on voyait trop les affinités entre certaines personnes. On ne peut pas parler de clans mais certains se retrouvaient tout le temps ensemble. Dé-sormais, chacun se parle « .

par stéphane vande velde – photos: reporters/buissin

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