L’ESCALADE DES RITUELS

Ce n’est pas tant le foot qui a changé en 30 ans, c’est ce qui l’entoure. La flopée de télés a transformé les protagonistes en apprentis-comédiens : jusqu’aux supporters (et cela, c’est ma foi bon enfant) qui rivalisent de déguisements, dans l’espoir qu’une caméra fixe quelques secondes leurs émotions accoutrées… Quant aux joueurs, je vous épargne ma triple fixette sur leur look (tifs-tattoos-godasses), lorsqu’ils ambitionnent de rayonner de beauté avant même de nous montrer du beau avec ballon : causons cette fois de leurs attitudes hors des actions mêmes de jeu !

D’abord avant la rencontre : sont-ils plus solidaires que jadis, mieux concentrés, plus investis dans leur mission ? Ils le montrent en tout cas beaucoup plus ! Une discrète prière en pensée à son p’tit Bon Dieu perso ne peut pas faire de tort, mais de là à se mettre en scène et l’invoquer en gros plan, lèvres tremblantes, yeux clos et mains en oblation, faut pas pousser bobonne : Dieu est justice, pas supporter !

Un petit Give me five en se cognant les paumes lorsqu’on croise un équipier avant le coup d’envoi, c’est chouette pour la motivation. Mais de là à scénariser des accolades, à étreindre chacun de ses dix camarades comme si c’était la dernière effusion avant la mort, sorry si je glousse, mais ça sent le Soldat Ryan à la télé ! Et le top du flop, c’est que les siffleurs s’y soient mis aussi, eux qui devraient rester dans l’ombre : bras haut, coude bas, la patrouille des arbitres s’en va-t-en guerre en nous offrant désormais un numéro de shake-hands entre potes…ne leur manquent plus que la casquette avec visière à l’arrière, ensuite le fist-to-fist pour être dans le coup, yo man !

Pendant la rencontre, j’oublie à dessein l’infinie variété de saynètes pour fêter un but, faudrait un bouquin ou un long métrage, y’a même des buteurs bien plus créatifs pour fêter leur but que pour buter ! Mais ce qui se veut top-classe pour l’instant, c’est l’inverse : c’est rester de marbre, voire tirer la gueule, quand tu viens de scorer face à ton ancien club. Ça arrive de plus en plus souvent, vu qu’on change de club comme de calbar, et ça nous vaut régulièrement une grande séquence émotion/top-faux-cul : le buteur se la joue Bonjour Tristesse,… tragédie du gars parti à contre-coeur quand la vérité toute nue est qu’il s’est taillé àpour-pognon ! Il prétend ainsi respecter les supporters quittés : moi, si j’étais supporter quitté, outre l’irrépressible sensation d’être cocufié, je préférerais qu’il explose de joie avec ses nouveaux supporters, futurs cocufiés comme moi mais l’ignorant encore !

Autre tic branché, sur le terrain et sur le banc : se mettre la main devant la bouche en causant, le but prétendu étant d’éviter toute découverte sur les lèvres des papotes tactiques. Mouais. Faut quand même pas se la péter trop, ce n’est que du foot, pas du secret/Défense : les idées échangées sur un terrain n’ont ni la complexité, ni la confidentialité d’un projet de sous-marin nucléaire ! Syndrome de dramatisation dont sont atteintes les stars filmées du foot : quand ils sont deux pour un coup franc direct devant le but adverse, l’un se cache la bouche pour demander « Je shoote ? », l’autre se la cache aussi pour répondre « Non, laisse ! » et tous les deux sont ainsi persuadés d’être stratèges haut de gamme ! Ou alors, lors d’un temps mort et dans une langue pas toujours châtiée, ils s »échangent des émotions sans grand rapport avec leur taf (du style « P… la gonzesse de leur p… d’avant-centre, je me la ferais bien ! »), mais savent qu’ils n’ont pas intérêt à les voir décryptées par les fouille-merde people de la lecture labiale…

Dernier rite, bizarre mais tendance. Lors d’un changement, le mec qui va entrer se voit montrer des schémas de jeu pour le préparer à son rôle, comme s’il n’avait pas regardé le match jusqu’alors : admettons, il est vrai que certains réservistes somnolent en tirant la tronche ! Mais surtout, bien souvent, c’est un sbire du coach qui fourgue la paperasse au gars, le T1 lui-même ne s’abaissant même pas à lui glisser un mot pour lui résumer ce qu’il attend de lui ! A quoi rêvent ces coaches-là ? Aux caméras qui fixent leurs profonds silences ?

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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